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REVUE
DES
LANGUES ROMANES
REVUE
DES
LANGUES ROMANES
PUBLIER
PAR LA. SOCIÉTÉ
POUR L'ETUDE DES UNGUES liOUANES
Tome XLIV
(V" SiRlB — T0«B^)
MONTPELLIER
An SUREAU DBS PUBLICATIONS
DB LA SOOIKTB
POnB I/ÉTDDI DU LANaCIS BOlUim
Bna ds rAnclen-Ooanlsr, i
PARIS
G.PEDONE-LAURIEL
Libriin-Édittiir
13, ItUB SOUFFLOT
PL/jc^C 3'4 0
;j't;HO co7,>.
:i? ^9 1902 )
REVUE
DBS
LANGUES ROMANES
LA RESPELIDO
CHANTBB AU BANQUET DB LA SANTO-BSTELLO
(Maguelone, 27 mai 1900).
Nautre, en plen jour
Voulèn parla toujour
La lengo dôu Miejour,
Vaqui lou Pelibrige !
Nautre, en plen jour
Voulèn parla toujour
La lengo dôu Miejour,
Qu'acô's lou dre majour.
La maire Prouvènço qu'a batu l'aubado,
La maire Prouvènço que tèn lou drap eu,
L'a panoa crebado
La peu
Dôu rampèu !
Fiéu animous
Dôu Lengadô famous,
Fasès giscla lou moust
De vôsti vigno fièro,
Fiéu animous
XLiv. — Janvier-Février 1901.
LA. RESPELIDO
Dou Lengadô famous,
Fasès giscla lou moust
Di vigno de Limons.
La maire Prouvènço qu'a batu Taubado,
La maire Pro^avènço que tèn lou drapèu,
L'a panca crebado
La peu
Dou rampèu !
Li bèu cousin
Don noble Limousin,
Vendrés entre vesin
Nous pourgi vosto ajudo ;
Li bèn cousin
Don noble Limousin,
Vendrés entre vesin
Coupa nôsti rasin.
La maire Prouvènço qu'a batu l'aubado,
Ls maire Prouvènço que tèn lou drapèu,
L'a panca crebado
La peu
Dou rampèu !
Li bon garçoun
E manjo-pastissoun '
Que sabès li cansoun
De la Ciéuta Moundino,
Li bon garçoun
E manjo*pastissoun
Que sabès li cansoun,
Gantas à l'unissoun :
La maire Prouvènço qu'a batu l'aubado,
La maire Prouvènço que tèn lou drapèu
L'a panca crebado^
La peu
Dou rampèu !
1 Escais-noum di Toulousen.
LA RESPBLIDO
Li Cevenôu,
Vivarés, Carsinôu,
Planen e mountagnôu,
Yeioi la respelido I
Li Cevenôu,
Vivarés, Carsinôu,
Planen e mountagnôu,
Fau faire sang de n6u !
La maire Prouvènço qu'a batu Taubado^
La maire Prouvènço que tèn lou drapèu,
L*a panca crebado,
La peu
Dôu rampèu !
Li Cantalés,
Enfant di vièi Gales,
Fau bèn que davalés
Emé la carlamuso,
Li Cantalés,
Enfant di vièi Gales,
Fau bèn que davalés
E que nous régalés.
La maire Prouvènço qu*a batu Taubado,
La maire Prouvènço que tèn lou drapèu,
L'a panca crebado,
La peu
Dôu rampèu 1
Anen, anen^
Li bràvi Dôuûnen,
Au brande miejournen
Adusès vôsti drolo,
Anen, anen,
Li bràvi Dôuûnen,
Au brande miejournen
Venès, que li menen I
La maire Prouvènço qu'a batu Taubado,
La maire Prouvènço que tèn lou drapèu,
8 LA RESPELIDO
L'a panca crebado,
La peu
Dôu rampéu I
Brandin • b randant ,
Gascoun e Givaudan,
Biarnés e Bigourdan,
Fasen la farandoulo,
BrandiD-brandant,
Gascoun e Givaudan^
Biarnés e Bigourdan,
Tôuti vous counvidan.
La maire Prouvènço qu'a batu l'aubado,
La maire Prouvènço que tèn lou drapéu,
L'a panca crebado,
La peu
Dôu rampèu !
Nautre, en plen jour
Voulèn parla toujour
La lengo dou Miejour»
Vaqui lou Felibrige !
Nautre, en plen jour
Voulèn parla toujour
La lengo dôu Miejour,
Qu'aco's lou dre majour.
La maire Prouvènço qu*a batu Taubado,
L'a maire Prouvènço que tèn lou drapèu,
L'a panca crebado,
La peu
Dôu rampèu!
F. Mistral.
LA RESPELIDO
Er populàri, nouta pèr Jacquier, d'Arle.
Nautre en plen jour Vou - lôn par - la tou-
jour La len-go dôu Mie - jour, Va-qui lou Fe - li-
bri-ge, Nautre en plen jour vou-lén par - la tou-
jour la len-go dôu Mie - jour, QuVcô's lou dre ma-
1
*
^^^
r r F ' ^^^^
jour. La mai-re Prou - vèn-ço qu'a ba-tu Tau-
*
ba-do, La mai - re Prou - vèn - ço que ton lou dra-
i
^^
r r r I ^ ^ ^ I ^ "H
peu, L'a pan-ca cre - ba-do la peu dôu ram-pèu 1
LES FRANÇAIS EN PIÉMONT
GUILLAUME du BELLAY et le MARÉCHAL de MONTEJEHAN
(JuiUet-aoùt 1538)
Le manuscrit 269, de la collection Dupuj, contient toute
une série de lettres de Guillaume du Bellay, seigneur de
Langej, au cardinal Jean du Bellay, son frère, dont dix sont
partiellement ou entièrement chiffrées. En nous aidant d'un
fragment déchiffré en marge (f^ 44 v°) nous avons pu recon-
stituer Talphabet dont se servait Guillaume, et traduire ces
dix lettres, ou plus exactement neuf, car de la lettre du
1*' août, il existe un déchiffrement du temps. Ce sont ces
lettres que nous publions.
Elles sont toutes comprises entre le 2 juillet et le 5 août
1538, datées de Turin, où Guillaume du Bellay était gouver-
neur, et relatives aux affaires du Piémont. Elles n'intéressent
pas seulement la biographie de Guillaume et du maréchal de
Montejehan, lieutenant général du roi au Piémont, avec
lequel il était alors en conflit, elles nous font connaître, en
outre, avec les causes de ce conflit, la situation misérable
du Piémont après la conquête française et la politique des
agents du roi pour maintenir cette province dans Tobéis-
sance.
La campagne d'octobre- novembre 1537, conduite par Mont-
morency, nous avait donné le Piémont que nous laissa la trêve
de Monçon (16-28 nov. 1537). Le roi, qui avait suivi l'expédi-
tion, voulut, avant de rentrer en France, pourvoir au gouver-
nement de la nouvelle province qu'il s'agissait d'attacher à la
France, soit qu'on se réservât de l'échanger contre le Milanais,
soit pour nous garder ouvertes les routes d'Italie. Le sieur de
Montejehan fut nommé lieutenant général, et Guillaume du
Bellay, gouverneur de Turin. La tâche qui s'imposait à eux
LES FRANÇAIS EN PIEMONT 11
était difficile : le pays, épuisé par plusieurs années de guerre,
pouvait difficilement nourrir les troupes qui devaient le
garder; les soldats mécontents, mal payés, étaient toujours
prêts à se mutiner ; enfin l'accord était loin de régner entre
les chefs, entre Montejehan et Guillaume du Bellay en parti-
culier.
Montejehan, homme d'un caractère impatient et brusque^
ne sut pas assez se garder de son entourage; il se laissa
circonvenir par certains seigneurs italiens qui le poussèrent
à des mesures vexatoires dans la répartition des garnisons
et la levée des contributions. Le mécontentement était
général et ne pouvait profiter qu'au duc de Savoie dont les
agents intriguaient partout. Guillaume du Bellay, qui savait
de quel prix était, pour François 1", la possession du Pié-
mont, le voyait, et ne put s*empécher de le faire remarquer
au lieutenant général, qui lui en témoigna peu de gré. De
menus incidents, envenimés par la jalousie, vinrent accroître
Tanimosité entre Montejehan et son subordonné, dontPhumeur
était plus indépendante qu'il n'eût fallu. A la suite d'une
mutinerie des bandes italiennes qui faillirent prendre un des
forts de Turin, Langey fit trancher la tête aux chefs des
mutins ; Montejehan renvoya, sans les châtier, les autres
rebelles, ce qui parut un blâme indirect de la rigueur de
Langey. Puis comme celui-ci, privé des lansquenets que l'on
délogeait de Turin, par mesure d'économie, ne s'y sentait
plus en sûreté et demandait à garder les 300 hommes nouvel-
lement envoyés à un de ses capitaines, le maréchal refusa
tout net. C'est à ce moment précis qu'éclate entre les deux
officiers un conflit très vif, à propos d'un taillon que le
maréchal veut lever sur les habitants de Turin. Langey
représente avec vivacité que c'est demander la ruine de ces
pauvres gens et les jeter dans les bras du duc de Savoie, dont
on ne savait encore s'il accepterait la trêve de Nice. Il
refuse publiquement d'obéir, alléguant qu'il a du roi des
ordres contraires à ceux que veut donner le maréchal. D'où
une scène violente dont les lettres qui suivent exposent les
détails et les conséquences ainsi que les démarches faites par
les députés du pays pour être moins durement traités.
12 LES FRANÇAIS EN PIEMONT
1. — Oaillaame du Bellay à Jean du fiellay <
Turin, 2 juillet.
[F® 62]. J'aj présentement reçu voz lettres par un des
chevaulx-legiers de mon frère ' , données à Prejust le 23™"
du passe et pour responce au premier article, M. le Mares-
chal ^ a délibère daller à la court. A ce que jentens Villan-
dry * luy a escript que pour chose du monde il ne laisse quil ny
aille, mais de se desfaire de la charge de ce pays ne croyez quil
en ayt aucunement envie, car ce luy est une trop bonne vache à laict.
Bien vouldroit-il mavoir oste hors de devant ses yeulx. Prou de gens
le mavoient dict parcy devant mais je nen povoye riens croire sur les
bons propoz quil me tenoit. Dimanche dernier je m*en voulu[s] esclar-
cir me trouvant seul avecques luy après les propoz que nous avions
euz ensemble dont je vous ay escript ^ et luy priay que pour Ihon-
neur de Dieu il ne me tinst en ceste agonie de me laisser parmy gens
desquelx jay à me garder autant comme des ennemys, que je ne
povoye vivre ne veiller que en craincte et que à la longue ou je y
mourroye ou je seroye contrainct de demander mon congie plus tost
que désire icy ordinairement en craincte de recevoir une honte et le
roy dommage. Croyez quil ne faillit à recueillir soubdainement la
parole et après longue protestation quil me aimoit comme frère me
remonstra que je ne debvoye demander mon congie soubz une telle
couleur, quil sembleroit que je neusse point la vertu de me faire
* Le petit texte indique les parties déchiffrées.
* Martin du Bellay, sieur de la Herbaudière, commandait une bande
de 200 chevaux légers ; il fut gouverneur de Turin, à partir de novem-
bre 15B8, lorsque Guillaume du Bellay revint en France pour rétablir
sa santé fortement ébranlée, et, plus tard, lorsque celui-ci fut lieutenant
général du Piémont (1540-1543).
3 René, s' de Montejehan, en Anjou, lieutenant général du roi en
Piémont, maréchal de France en février 1538. Cf. le P. Ansblmb,
Histoire généalogique.., VII, 174 sqq. Le P. Anselme se trompe en don-
nant 1538 comme date de la mort de Montejehan. Le maréchal mourut
seulement à la fin septembre 1539. Cf. Mémoires de Martin et Guillaume
du Bellay, éd. Michaud et Poujoulat, 467 et B. N. f. fs. 2990, 65, un
cartel adressé de Turin, le 19 septembre 1539, par Montejehan malade,
au comte Guillaume. Ribieb, au tome I de ses Lettres et Mémoires
d* Estât a publié une quinzainede lettres de Montejehan datées de 1538-1539.
* Jean Breton, s' de Villandry, secrétaire des finances.
B Lettre à Jean du Bellay du 1" juillet. Dupuy 269 f«- 43-45.
LES FRANÇAIS EN PIEMONT 1 3
obéir, mais que je lui demandasse telz gens que je vouldroye et quil
les me bailleroit, sil ny en avoit qui fussent à mon gre, que plus test
je codourasse ma délibération de demander congie sur le besoing
que javoye dentendre à mes affaires ; quil me vouloit advertir comme
mon amy afin que je men gardasse ; quon sestoit mocque à [la] court
de quelques propos que je y avoye escriptz que javoye des gens (v**)
de qui je ne me povoye faire obéir. Or tant y a que de ceste matière je
nay escript chose que vous nayez veue ne qui soit de ceste teneur.
Je ne scay si luy en auroit escript ou faict porter parole soubz main
pour me desadvantager, mais tant y a que aussi se mutinèrent ceul&
de Montcallier ' que ceulx de Turin et commencèrent les premiers
et le contraignirent de composer à eulx, là où les miens neurent riens
de moy davantage que ce que libéralement je leur avoye offert,
avant la mutinerie. Dimanche furent nos propoz. Hyer il envoya
quérir le seigneur Jehan Paule ' auquel il déclara que dedans dix ou
doze jours il doit aller à la cour et le laisser icy lieutenant du roy,
luy demandant sil seroit content daccepter le gouvernement de Turin
au cas quil lui en face despeseher ses lettres à la court.
Yoyla ce que je vous pajs mander de nouvelles quant à
ce premier article de vostre lettre. Quand au second, d*icj
en avant je suyvray vostre advis quant jescripray à M. le con-
nestable ', vous pryant menvoyer tout larticle de ma lettre dont
mescrivez. Ledict Jehan Paule a eu advis de M. le connestable que
tost il luy mandera si et quant il debvra aller à la court. Cela et
les stigmates quil a au visage le fera temporiser.
Ce porteur sera le conte Berlinger, auquel je vous prye
faire tout layde quil vous sera possible en ses affaires.
Aussi je vous prje supplier à M. le connestable quil vueille
pourveoir le juge de Briansonnoys de lestât de président des
comptes de ce pajs : il est homme qui le mérite et qui le
scaura très bien faire.
M. le Mareschal a envoje ung commissaire pour recon-
i Moncalierif où résidait le maréchal de MontejehaUf se trouve sur le
Pô, à quelques kilomètres au sud de Turin.
' Giovanni-Paolo da Cerri, de la famille Orsini, fils du fameux Renzo
da Cerri, gentilhomme italien au service de la France, très en faveur
auprès de François I*', qui le nomma successivement gentilhomme de la
chambre et colonel général des bandes italiennes.
3 Anne de Montmorency, connétable de France depuis le 10 février
1538.
14 LES FRANÇAIS EN PIEMONT
duire en France les gens nouveaux venus au cap°* Gulphe^.
Il se fonde sur ce quil fault descharger le Roy de despence ; mais
il yauldroit trop myeulx le descharger de tant de capitai[F<» 63]nes
car en moins de deux mil cinq cens hommes françois nous avons plus
de vingt-cinq enseignes de sorte que les estatz ne montent gueres
moins que la paye des souldars. On dict que X ^ vaà Rome. Je voul-
droye que on luy donnast charge de passer par ce pays et veoir com-
ment il est traicte.
A tant je me recommande humblement à v'<* bonne grâce.
De Turin II"'^ jour de juillet 1538.
V" plus obéissant et meilleur frère,
Guillaume du Bbllay.
Et au dos : A Monseigneur^ Monseigneur le cardinal du
Bellay.
2. — Ouillaume du Bellay à Jean du Bellay
Turin, 5 juillet.
[po 64]. Je ne scay si je auray loisir de parachever la pré-
sente avant que ce porteur, homme de M. de la Rochepousay
soit desloge. Par le conte Berlinger et par le s' Georges de
Connigran je vous avoye escript, mais le conte Berlinger partit
la nuyt et celluy auquel j avoye baille mes lettres pour luy
porter à Montcallier, dès le soir me trompa ; laultre nest
point aile. Jay depuys faict bailler les mesmes lettres à ung
gentilhomme venant de Venise, desp esche par M. de Roddez ^.
Devant hyer furent assemblez les estatz. L'intention estoit de leur
* René de Gulpho, « sieur de Neple » ou Nesle, un des cent gentils-
hommes de la maison du roi, capitaine de mille hommes de pied.
Guillaume dn Bellay avait en lui pleine confiance. On venait de lui
envoyer de France trois cents hommes nouveaux que Montejehan ren-
voya, malgré les instances de Langey. Cf. Archives nationales J. 962, 158.
* Le chiffre désigne un personnage que nous n'avons pu identifier. 11
s'agit peut -être d'Adhémar de Monteil, s' de Grignan, qui fut envoyé à
Rome au milieu d'août 1538 et passa par le Piémont t pour illec pour-
veoir à plusieurs affaires concernant la justice, police et soulagement des
sujets dud. pays... » B. N. f. Glairambault, 1215, f. 76vo .
s Georges d'Armagnac, évéque de Rodez, ambassadeur à Venise de
1536 â 1538.
LES FRANÇAIS EN PIÉMONT 15
demander ung tailion qui eust bien monte troys cens mile francz. Leur
délibération estoit de respondre que Ion pnst de ceulx qui ont pille le
peuple, troys cens mile escuz quilzen ont extorque, et au demourant se
bien desgorger. Sur quoy Ihomme ^ neust failly de se persuader que
ceust este de ma participation, par quoy je len adverty et luy conseillay
de ne demander ledict tailion, mais leur proposer qu'estant adverty des
extorsions qui leur ont este faictes, il estoit délibère den faire bonnes
informations et leur en faire la raison, et que pour obvier que à ladvenir
ne sen fist de semblables, à ce que le peuple demourast en liberté de
cultiver les terres et faire sa marcbendise, il avoit délibère de rescinder
le nombre des gens de guerre, et ce quil en retiendroit, les retiendroit
tous ôs villes fortes esquelles le peuple leur fourniroit vivres à ung
taux auquel le souldar pust vivre de la soulde du Roy et quen ce fai-
sant il establiroit ung capitaine de justice qui puniroit de mort tous
ceulx qui prendroient quelque chose sans payer, ou sortiroient de leur
garnison sans bulletin du gouverneur, qui estoit chose que ceulx qui
me avoient este ordonnez pour la contribution de Turin mavoient ceste
année accorde libéralement. La proposition faicte, les estatz remirent
la responce à hyer, [v^] et fut la responce en somme quilz estoient si
mengiez que possible ne leur estoit de fournir vivres au taux quon
demandoit, car la moytie du peuple estoient mortz de faim, ce qui
restoit navoit que mengier, peu de gens avoient semé et que ce peu
qui avoient semé navoient recueilly pour resemer. Apres longs propos,
il se aigrit et leur dist que silz ne laccordoient libéralement, il le leur
feroit faire par force et que silz avoient [este] maltraictez par le passe,
ilz le seroient pis à ladvenir. Hz respondirent que tant quilz en au-
roient, ilz en bailleroient, mais quilz neussent riens, ilz deshabiteroient,
lui demandant congie daller vers le Roy luy demonstrer leur paouvrete.
Ce quil leur accorda, disant que la responce quilz en auroient estoit
toute faicte, car le Roy se reposoit sur luy des affaires de par deçà et
les renvoyeroit à luy, et pour ce, quilz se délibérassent des lors de
fournir vivres aux taux quil imposeroit, car il donneroit aultrement
liberté aux souldars den prendre où ilz en trouveroient. Ainsi se des-
partirent. Je parlay depuys à eulx particulièrement et mesmement à
ceulx qui autrefois mavoient bien voulu faire ce party, et men avoient
prye. Hz me respondirent que alors ilz avoient de quoy le faire et
lofroient afin davoir liberté de semer de quoy maintenant recueillir
pour avoir le moyen dy continuer; mais que nayant eu ce moyen, ilz
ny pourroient maintenant fournir, que premiement ilz n'ayent faict une
cueillette, ofrans que Ion face recensir le peuple et tout ce quilz ont
1 Le maréchal de Montejehan.
16 LKS FRANÇAIS EN PIEMONT
de vivres et quilz soient penduz sans remission [F<* 65] en cas qne Ion
ne trouve quatre choses ; lune quil est mort de faim depuys ung an
en ça le tiv rs du peuple et que plusieurss se sont penduz, noyez et tuez
de desespoir, — laultre que tous les vivres du pays ne scauroient
fournir à nourrir ung moys ce peu qui reste dudit peuple, — la tierce
que par les registres des notaires on trouvera que depuys deux ans le
quart des maisons et possessions ont change de maistres, et ceolx qui
ont vendu lont faict pour satisfaire aux contributions quilz ont payées,
— la quarte que le tiers de la vendange avenir est desja vendu pour
satisfaire ausdictes contributions ; remonstrent davantage que silz
veulent recueillir lan qui vient, il fault quilz achaptent du grain pour
semer, des benfz pour labourer, provisions pour vivre cependant, et
que de leur adjouxter ceste autre charge, dachatter vivres à cher prix
pour les revendre aux souldars aux deux tiers meilleur marche, il est
jmpossible quilz vivent ; et, en effect, en beaucoup de lieux, les prez
demeurent à fauscher et le ble à seyer, que les maistres aiment mieulx
le laisser perdre que le recueillir pour aultruy. Je ay tout ce que
dessus remonstre à Ihomme, afin quil ne les desesparast du tout,
mesmement cependant nous ne scavons desquelx est le Duc, en sorte
quil les a remys à reparler à euix encores aujourd'huy. Et pour con-
clusion, si le Duc n'est pour nous et nous désespérons ce peuple, il
sera force que le roy entretienne tousjours icy une grosse force qui
luy costera beaucoup en soulde et encol^es k nourrir, car si le pays
nest cultive, il fauldra faire venir vivres dailleurs. Lesdictz estatz ont
faict compte que à retenir icy seulement quatre mil hommes de pied
sans chevaulx, linterestz de les nourrir au taux de leur soulde montera
cinq cens escuz par jour, si les vivres namendent [v^], Lhomme que
scavez me ramadoue fort, mais c*est par le conseil de sa femme et me
promet bien que ces dix ans nous ferons grand chère ensemble. Il se
tient si asseure de M. le connestable quil ne craint fouldre ni ton-
nerre.
Lhomme qui doibt aller vers M. le connestable touchant
lestât dont vous luy avez parle de par moy mescripvit hyer
une lettre que je vous envoyé pour le communicquer audict
seigneur, si voyez que bon soit. Il tient la chose plus faisable
que jamais. Dedans Ihuictiesme de ce moys, il partira pour
aller informer ledict seigneur de bouche. Lentreprinse na
point este communicquee au conte de Biandras qui est aile par
delà et ne la luy veulent ceulx qui conduisent cest oeuvre
communicquer tant que ce soit faict. A tant je prye à Dieu
t
LES FRANÇAIS EN PIEMONT 17
Yoas donner en santé bonne et longue vie. De Thurin le cinqn*
jour de juillet mdxxxvui.
Yostre plus obéissant frère et meilleur amj.
Guillaume du Bellay.
Et au dos : Monseigneur, Monseigneur le cardinal du
BSLLAY.
3. — Ouillaume du Bellay à Jean du Bellay
Turin, 6 juillet.
[F* 72]. Vous scaurez tant de nouvelles par M. deRoberval
que ce me sera cause de faire la présente plus courte et au
demourant je ne mestendraj à le vous recommander, car vous
scavez lancienne amytie qui est entre luy et moy. Il vous
comptera de quelques practiques quon a suscite contre luy de
faireàungmoyne son cousin prendre habit de prestre séculier
affîn quil hérite. Il fault quil sayde de tous ses amys pour
donner audict moyne quelques bénéfices, pour le contenter.
Il sen adresse tant a M. le cardinal de Lorraine que à celuy
de Bourbon et je vous condamne den faire aussi de vostre
part plus que sera possible jusques à III ou IV ou V Itz.
Touchant mes affaires de Picardie jay nouvelles. Quoy que
je vous escripve, je me double quil ne soit tant mon amy quil
dit. Vous le congnoistrez par le rapport quil fera dune cherge
quil a de M. le Mareschal de reciter les paroles qui ont este ce
jourdhuy entre mondict sieur le mareschal et moy, lequel, après avoir
faict pour luy et son honneur en la matière dont je vous escripvy hyer
ce que jeusse peu faire pour mon père, finirent (sic) en menasses que
là où il me commanderoit, il scauroit bien la me faire faire, ou bien
me faire trencher la teste ; et fut pour ce que me commandant que je
contraignisse les gens de ceste ville à faire quelque chose dont ilz
sestoient excusez, je le priay que je ne men empeschasse point dau-
tant que ce seroit contre les instructions que jay du Roy. Il me dict
lors que par le Sang Dieu, quant il me commanderoit une chose, force
me seroit de le faire. Je luy responds lors que quant il me comman-
deroit ce quil doibt, force ne me seroit, mais volunte selon mon deb-
voir^ et comme javais tousjours faict autant que le moindre souldart
quil eust; mais que des choses dont javois expresse commission du
Roy je ne feroye le contraire pour commission dhomme du monde, si
le Roy mesmes ou qui a la principale charge de ses afiaires ne le me
2
18 LES FRANÇAIS EN PIEMONT
commandoit ; et lors il me menassa que de ces tes les propos seroient
longs, et il a envoyé défendre aux postes quilz ne portent lettres de
moy, ne baillent chevaulx sans son commandement et a jure qui!
escripra au Roy de cest affaire, et que par le Sang Dieu ce quil
escripra sera creu.
Je ne supplye M. le Gonnestable sinon que je ne soye condam[v°]ne
sans estre ouy, car nonobstant quil ayt jure que sil y a homme qui en
parle ou escripve aultrement quil en escripra, il luy rompra la teste,
il y avoit de gens de bien qui diront vérité. Jenvoyeray par escript le
discours de tout et si on trouve que je ne mande vérité, et que jaye
donne occasion de me user dung tel langage, que on me tranche la
teste. Jentens quil mande à M. le Gonnestable pour le preocuper contre
moy que jescripvoye secrètement au Roy des nouvelles sans prendre
ladresse dudict seigneur connestable. La lettre fera foy de tout ce que
jay escript. On me vient davertir que ledict sieur mareschal tend sur
ceste casserie que Ion fera de gens darmes y faire comprendre ma
compagnye. Je vous supplye pour Ihonneur de Dieu y avoir lœil et de
rechiefà ce que je ne soye condamne sans estre ouy.
De Turin, ce VI™® jour de juillet mdxxxviii.
Yostre plus obéissant et meilleur frère.
Guillaume du Bellay.
Et au dos : Monseigneur , Monseigneur le cardinal du
BsLLàT.
4. — Guillaume du Bellay à Jean du Bellay
Turin, 11 juillet.
J'ai sceu que Lantenay, lequel et le gênerai de Bretaigne^ sont
ainsi quon ma dict principaulx auteurs de ce trouble, sen va bien
délibère de parler sur moy en mon absence. Je vous prye faire dire
de ma part quil advise à ne dire chose quil ne veuille maintenir
lespee à la main : cela luy pourra changer ses instructions. Monsieur
le mareschal faict contre moy son principal fondement sur les muni-
tions que jay mal administrées. Si cela se mect à information et aux
registres des munitionnaires à qui a myeulx faict de luy ou de moy,
jay cause gaingnee. Vray [est] que je vouldroye avoir ung fons de
mil escuz, comme je vous escripvis hyer' , ou de doze cens pour
* Antoine Bullioud : cf. de lui une lettre adressée au chancelier < de
Montcallyer, dernyer jour de may [1538] >aux Archives nationales J 967,
10«.
s Nous n'avons pas cette lettre*
LES FRANÇAIS EN PIEMONT 19
estre hors de toute doubte et fascherie. Ledict mareschal vient icy
pour y faire dicy en avant son séjour. Dieu veuille que ce soit à bonne
fin. Mais je me tiendray sur mes gardes, car trop de vens madver-
tissent que je le face et pour ce le tout que Ion men estera sera le
meilleur, tant pour la seurete de ma personne que pour le profit du
Roy. Mais je vouldroye estre 08t[e] sans reproche. De Turin ce
unziesme de juillet 1538 ^
Votre plus obéissant et meilleur frère,
Guillaume de Bbllat.
et au dos : A Monseigneur
Monseigneur le cardinal du Bbllat.
5. — Gaillaume du Bellay à Jean du Bellay
Turin, 12 juillet.
[F° 41] On fait si grand guectàce que jenenvoye de mes nouvelles
que je ne puys pas escripre quand je vouldraye. On a amusé Chaulne ^,
deux jours avant que jeusse de luy mes lettres. Cependant on a
y^attiltre des capitaines pour se venir plaindre devant luy. En ma pré-
sence, Monsieur le mareschal porta la parole que je lui avoye escript
comment on mavoit baille tous les mutins et que lung des bastions
estoient en leur garde, item que Gulfe es toit celuy qui avoit chastye
les mutins. Et alors Ache sortit le premier en place disant que si! y
avoit personne qui dist quil fust mutin quil soutiendroit le contraire
de sa personne ; à la sienne, Aguerre, que sil avoit homme qui dist
quil fut coulpable de la mutinerie, ceulx exceptez quil doibt excepter,
* Le même jour, Guillaume du Bellay écrit au connétable de Mont-
morency pour lui expliquer son dilférend avec le Maréchal de Montejehan
et offre, en termes énergiques, de se justifier :
« Je me offre, Monseigneur, et me rends prisonnier des ceste heure
pour aller me justiffier la où, et quand il me sera commande, consens
et prie, sinon quil plaise au roy et à vous en disposer aultrement, que
préalablement et avant questre ouy en mes justifications, je soye et
demeure suspendu de tous mes estatz jusques à ce que mesdictes justi-
fications soient deuement et amplement veriflBees. Vous suppliant ,
Monseigneur, que là où je la scauray faire au contentement et satis-
faction du roy et vostre, il vous plaise estre moien que je soye entière-
ment restitue, de sorte que je nen demeure en loppinion du monde
davoir faict chose dont jaye mérite diminution de degré. > (Dupuy,
269, f. 54.)
* Louis d'Oignies s' de Ghaulnes, écuyer d'écurie du roi.
20 LES FRANÇAIS EN PIEMONT
il diroit par le congie de M. le Mareschal, quil avoit menty, deman-
dant congiede sen aller justifier vers M. le Gonnestable, puys que on
se desfioit de luy ; Ossun quon luy avoit faict tort descripre tant de
bien de Gulfe et luy avoir desrobe son honneur, car il avoit estainct
la mutinerie et que sans luy ceulx de la ville eussent este maistres
des souldars ou eulx de ceulx de la ville. A Ache, je repondy quil
avoit bien grande envie de dancer, de prendre la défense de chose qui
ne luy touchoit, veu que lors de la mutinerie il nestoit des capitaines
de cette ville, quant à ce que jauroye escript, que lescripture en
feroit foy; bien scavoye avoir escript que les bastions estoient en garde
des mesmes mutins qui mavoient assailly, ce quiestoit vray lorsque je le
escripvyz; [à] Aguerre que jestoye dadvis quon luy donnast le congie
quil demandoit, qui conques eut escript de luy ou parle à luy ton-
choit de resp[vo]ondre, ce bien lui âvoye je faict descrire en sa
justification, et quant à se fier ou mesfier de luy que je luy en avoye
dict ma fantasie, mais puys quil pensoit quon ne se fiast de luy,
falloit dire sil nen avoit certainete quil craingnist quil en eust en luy
quelque occasion, ce que je remettoye à luy; à Ossun que pryant
par lettre quon me donnast les gens de Gulfe, y allegant le devoir
dudict Gulfe, loccasion ne sadonnoit descrire de luy, mais que lors
en là lettre par laquelle javoye escript le discours de la mutination,
j avoye escript le devoir quil avoit faict, sans luy desrober son
honneur ; au demeurant à M. le Mareschal, quil me pardonnast et
que ces motz quil mavait baille tous les mutins nestoient point en ma
lettre [offrant avoir] recours à icelle. A tout fut présent plus de trente
capitaines et prou daultres choses furent dictes que je vous manderay
par homme exprès. Ledict sieur est icy pour faire résidence dicy en
avant. Javoye este adverty quil avoit délibère de se vouloir tenir au
chasteau, mais je préoccupe luy comptant que le roy mavoit mande
par La Fosse * que je fortifiasse ledict chasteau et que je m'y
logeasse. Je ne scay quil en fera ; mais il nest possible estant les
choses comme elles sont que pour le service du roy je demeurasse
icy avecques luy. Je vous prye y pourveoir le myeulx que vous pourrez
à mon honneur. Vray est que deslogeant dicy je pense bien que ma
compagnye yra à Cassan. Les communes envoient trente [F° 42] am-
bassadeurs faire entendre leur traictement. Ung personnage ma dict
quil pense avoir este cause que ledict sieur soit entre contre moy en
1 Barnabe d'Urre, sieur de la Fosse, gentilhomme angevin, que.
Guillaume du Bellay employait volontiers et qui avait été chargé de
plusieurs missions en Allemagne. Cf. Winckelmann, Politische kor-
respondenz der Stadt Strassbwg im Zeitalter der Reformation II,
505-507 ; ///, 122, 126, 127.
LES FRANÇAIS EN PIÉMONT 21
jalousie, parce que ledict sieur se conseillant à luy, il luy dist quil
pensoit advenant longue trêve, que le roj ne vouldroit faire icy tant
de despence et quil ne laisseroit icy quen chacune ville quelques genz
soubz chacun gouverneuet par adventure à moy quelque préémi-
nence sur les aultres, pour gouverner pays avec le conseil du Parle-
ment ; il dist que depuys lors il a tousjours veu aller tout de travers
De Turin à hazte, sur la mynuit desrobant lopportunité de ce courrier,
le doziesme de juillet [1538].
6. — Gaillaume da Bellay à Jean du Bellay
Turin, 14 juillet.
[F® 58]. Lopinion que jay de la peine en laquelle vous estes pour
moy est bien lune des bonnes parties de celle où je suys, qui me meut
de vous escrire tant souvent. Depuys ma lettre dernière Ihomme ma
tenu par diverses foys aussi gratieulx propos quil fist oncques jusque
à me dire quil ne fut oncques tant marry de chose qui luy advint quil
a este de ce qui luy est advenu, dautant quil me tient pour homme de
bien et de service, autant que homme quil congneut jamais et non en
une sorte mais en plusieurs ; mais que je le contraigny de me dire ce
quil me dist pour luy avoir si absolutement dict devant tant de gens
que je ne luy obeiroye point, car sil ne meust aussi respondu il ny
eust eu gouverneur en tout le pays qui neust entrepris sur cest exem-
ple de me respondre de mesmes. Si ceust este à part quil le eust endure
de moy pour me congnoistre colère et que pour lestre luy-mesmes, il
scayt par expérience quelx propos peuvent eschapper [à] ung homme
en sa grande colère et que pour ce qui est advenu il ne vouldroit moins
faire pour moy que par le passe, quil vouldroit scavoir de moy veu
que autrefoiz je luy avoye si sagement dict quil debvoit estimer heu-
reux estant facture de M. le Connestable quil navoit gens par deçà de
ceulx qui ont les charges qui ne fussent de mesmes, qui seroit cause
que allans tous dung bransle le roy en seroit myeulx servy, que luy
de sa part a cherche tous moyens possibles dentretenir les choses en
ceste sorte et mesmement avecques moy duquel il confessoit avoir
este fort soulage, comme il avoit escript au roy et à M. le Connestable ;
mais que je scavoye bien quil navoit gueres faict despeches sans les
me communiquer, voire sans les me bailler à faire à moy-mesmes,
quil vouldroit scavoir de moy dont estoit procedee ceste desfiance que
javoye prise de luy [v°]. Quant au premier article que je luy eusse
absolutement nye de luy obéir, je le luy nyay à plat, bien advouay luy
avoir dict que sil vouloit contraindre ceste ville à ce quil disoit, que
22 LES FRANÇAIS EN PIEMONT
faire le pourroit comme lieutenant du roy, mais que moy ne le pouvay
faire pour avoir instructions à ce contraires ; et puys luy poursuyvy
[le] demourant des propos, selon le discours que je vous enay envoyé.
Il me interrompit disant que de cela les presens en seroient creuz, mais
quil nen failloit venir là et que ce seroit resjouyr les ennemyz de lung
et de laultre et au contraire mettre les amyz en peine, car si nous en
venions là, il est certain que la vie de lung et de laultre seroit espe-
luchee dun bout à aultre par noz ennemyz qui diroient : « En ung tel
ou en ung tel jour, il fist une telle folye, en un tel une telle, on ne
pouvoit pas espérer quil fist aultrement ailleurs. » Et que ceste estoit
la cause quil navoit este dadvis que jenvoyasse par M. de Chaulne
la lettre que je luy avoye monstree (cest celle dont je vous ay envoyé
la minute par Crissay), car de telles matières, moins escripre est le
meilleur, adjouxtant que des paroles que nous avions eues, luy à ceste
cause nen avoit voulu escripre, sinon pour satisfaction, ung petit mot
à M. le Connestable de créance sur Roberval, lequel de ce quil en
avoit ouy dire à ceulx qui furent presens en diroit le moins qu'il pour-
roit (s'il est ainsi quil dist, la vue en descouvrera le fait). Apres ceste
interruption je repris mon propoz disant que de ce quil avoit escript
en ma faveur je lavoye sceu et men sentaye tenu à luy et avoye mys
peine de ne men monstrer ingrat. Quant à persévérer que tous fus-
sions tousjours allez dung bransle, je pensoye ^que^ par grande
obéissance avoir donne à congnoistre comme je le desiroye; de l'hon-
neur quilmavoitfaitde mecommunicquerlesdepeschesetmemp[F°59]
loyer à les faire, je le pensoye avoir recongneuparley avoir fidèlement
servy et que je estoye seur quil ne se trouveroit le estre si fidèlement
par ceulx que maintenant il y employoit et qui lavoyent mis en des-
fiance de moy, laquelle sienne desfiance de moy avoit cause que jen
eusse de luy, et sus cest article debattismes plusieurs propos con-
tenuz ou discours que je vous ay envoyé. Il viendra a ceste raison de
me bailler par escript les causes dont il se plaingt de moy, afin den
tyrer de moy responce par escript, de quoy je nentens faire difficulté.
Je désire fort scavoir comment cecy a este pris à la court mesmement
du Roy et de M. le Connestable et conseil de vous si je doibz plier ou
rompre ; cependant je ne me pourmeneray guères par les rues. De
tout ce que je vous ay escript ou escripray vous userez selon que le
temps le portera et quant fauldra. rabiller quelque chose userez des
blancz que je vous ay envoyez, car vous scavez que cela vault, item
qui voit gens en division rapporte aucune foiz plus que vérité a lune
ou laultre partie. Je vouidroye aussi scavoir que sera de ma compai-
gnye et si jauroy perdu ce que jay despendu à faire faire les sayes et
à faire venir les harnoys. Pour faii-e passer ce pacquet je lay baille
au frère de feu Bernardin Gentil, pour lequel je vous escryz de telles
LES FRANÇAIS EN PIEMONT 23
escriptures. Vous serez tousjours quitte dalleguer que ce temps nest
propice et que pour le présent ilz ne sen adressent à vous, car vous
ne leur scauriez faire plaisir que nayez bonne volunte. De Turin, ce
quatorziesme jour de juillet [1535].
Au dos : A Monseigneur, Monseigneur le cardinal du
Bbllat.
7. -— Guillaume du Bellay à Jean du Bellay
Turin, 24 juillet.
[F® 66]. Je ne vous feray pas longue lettre car je ne scay si ma lettre
ira seurement. Jay receu quattre vostres lettres par Maillart, ja[y]
monstre au président ^ et la Foucauldiere le long discours que je vous
ay envoyé: ils afferment qui l contient vérité ; le vicaire dAst^, Fauria,
Perceval Dodolo es choses quils ont este presens en disent autant et
accordent tous sur le principal poinct de la désobéissance, que je dyz
à M. le Mareschal quand il me parla de contraindre les gens de cette
ville que faire le povoit comme lieutenant du Roy, mais que moy
pour avoir mandement contraire, par instructions signées de la main
du Roy ne men povoye empescher, et que sur la fin quant il me
demanda si je scavoye pas bien quil estoit lieutenant du roy et que
javoye à luy obéir, luy respondiz que tousjours lavoy je faict autant
que le moindre souldart de son armée et feroye en toutes choses,
sauf où je auroy mandement contraire, auquel cas je vouldroye
attendre nouveau mandement du roy ou de qui a le principal manie-
ment de ses affaires après hiy. Cela ne me semble fort eslongnant de
ce que le Roy vous dist que je le debvoye pryer de memployer ailleurs,
cependant quil feroit faire lexecution par ung aultre. Et tant y a que
quiconques eust entrepris de faire cette exécution eust entrepris chose
veu le temps qui est [qui eust] peu apporter une dangereuse consé-
quence ; la charge à laquelle il vouloit que je contraignisse ladicte
ville ne eust moins monte de quinze mile francs par moys; quant aux
munitions, il ne scauroit nyer qu'il n'eust sceu plus tost que lorsque
jen faisoye vendre aux lansquenetz et que je ne luy en eusse sou-
vent parle et escript pour y pourvoir et que lui ne fist depuys le sem-
blable à Montcallier et à plus grande perte du Roy que moy. Et si
1 François Errault, s' de Ghemans.
* Le vicaire d'Ast, Alberto Gato ou Gasto, nommé conseiller et maître
des requêtes ordinaire en Piémont et pour toute l'Italie, par lettres du
roi données à Moulins, 7 mars 1537 [1538]. Arch. Nat. J. 993 7*. Cf. Ici.
J. %1 11 19.
24 LES FRANÇAIS EN PIEMONT
cest homme continue etnest ferme en ses promesses, je vous asseure
bien qoil adviendra de linconvenient et lourdement; la détention des
ambassadeurs des communes a fort désespère ce pays, outre ce quil
estoit desj a (vo). Cest homme a envoie la bande de mon frère en Bour-
gogne et ma mande que je contremande la mienne à tant quil eust
aultres nouvelles du Roy. Je nen ay rien faict ; jentens bien quil fera
ce quil pourra à ce qu'elle ne vienne afin quelle soit comprise des
premières à la casserie. Vous escripray de brief bien au long.
Je vous prje vous souvenir dung mémoire que je vous aj
envoyé par Cresse pour ung de Androis *, il est homme qui le
mérite. Jehan Martin, lung des secrétaires de M. le Mares-
chal me prje vous faire requeste que vous demandiez ou
faciez demander pour luy roffice de contrerolleur des postes
en Piémont et Italie. Je ne puys si tost envoyer Thistoire^
que damandez car jay faict transporter hors de ceste ville tous mes
papiers, propter metum judeorum.
Je vous prie soliciter le remboursement des parties de
Savillan^ car il y a ung paouvre homme qui en est fuitif hors
dudict Savillan il y a troys moys et je ne scay quelle bende
couldre pour le rembourser. De Thurin à haste ce vingt-
quatriesme juillet.
8. — Guillaume du Bellay & Jean du Bellay
Turin, 1" août.
[Chiffre F° 75; déchiffrement du temps F°73].
Vous scaurez par Morville l'honneur que ma voulu faire le Mares-
chal en ceste ville, entreprinse dont je vous ay escript, hoc est me
tradere in societatem criminis et malevolentie. Son armée estant
arrivée à Villesalet *, les habitants ne luy voulurent ouvrir les portes ;
là-dessus larmee se desfit pour aller fourraiger par les villaiges. Il
1 Antonin Andrée, collatéral au conseil de Turin. Cf. Ar. Nat. J. 961,
1119; j. 962, 15«* et deux lettres de lui au chancelier. J 967, 21i, 22, de
Turin, 6 avril 1537 [n. s. 1538], 28 avril 1538.
* Il s'agit probablement des Ogdoades, auxquelles Guillaume travail-
lait à ce moment et dont il ne nous est resté que le fragment conservé
par Martin du Bellay, livres V, VI et VII des Mémoires,
3 Savigliano, près de la Maira, à l'est de Saluces.
4 Villasaletto, sur la Maira, au nord de Goni.
LES FRANÇAIS EN PIEMONT 25
my vouloit envorer mettre ordre à la police, c'est-à-dire me inimic-
queravecqaes le s' Jehan Paule qui est desja chef, dont je mexcusay
très bien. Ils ont depuys faict baterie audict Villesalet et donne
assault dont ilz ont este repoussez, perdu gens beaucoup sans les
bleciez, une pièce de leur artillerie rompue et les roues dune aultre.
On y envoyé quatre canons de renfort; cecy le pourra refroidir
d'entreprendre le Montdevys^ Desja ma^tjil donne charge denvoyer
veoir si on y vouldra accepter ma compaignie,et quil leur pardonnera
son mal talent ; encores est-il ce nonobstant en espérance quelle ne
demeurera point icy, et de ses gens qui lont rencontrée sur chemin
ont bien tasche à la deffaire semant le bruyt quelle estoit cassée. Je
nay point de nouvelle de Gonnort *, par quoy je suy à délibérer de
bailler mon enseigne à Ursay. Je vous prye soliciter le payement de
madicte compaignie. Hyer les gens de ceste ville furent vers luy en
grande humilité luy requérir quil pardonnast à leur ambassadeur ; ilz
nen purent emporter sinon que le Roy luy fauldroit ou quil feroit
trencher la teste audict maistre Georges ^ et à ses adherens. Ledict
maistre Georges a témérairement escript, mais sa détention a ete pre-
ceddente et vousasseure que sil a mal, il en sortira de grand esclan-
dre, et si ceste longue tresne ne fent, desja en feust sorty. Dieu
veuille que tout aille bien. De Turin, 1<" août 1538*.
9. — Guillaume du Bellay & Jean du Bellay
Turin, entre 2 et 5 août.
[po 70.] Je ne scay que penser que depuys la venue de Christofle *,
par tant de gens qui sont venus je nay jamais eu nouvelles de vous
1 Mondovi, dans le bassin du Tanaro, à l'est de Goni.
^ René du Bellay, sieur de Rocheserviere et de Gonnor, issu d'une
autre branche de la famille du Bellay, frère aîné de Joachira du Bellay.
3 G. KiBiÈR^ Mémoires d'Estat... I, 180. — Les scindics et conseillers de
Turin au connestable sur Venvoi et députation de leur député vers leroyy
7 août 1538 (en faveur de maistre Georges, conseiller et médecin du Roy,
leur ambassadeur). — Il s'agit d'un Georges Antiochia dont une lettre
latine adressée au chancelier est conservée aux Argh. Nat. J. 967, 28
« Taurini VIII apprilis 1538. »
* Le même jour Guillaume du Bellay écrit au connétable de Mont-
morency pour le remercier de son attitude bienveillante et pour l'assu-
rer qpie son différend avec le maréchal de Montejehan a réellement été
provoqué par les causes qu'il a dites . Dupuy 269, f . 40.
' Christophe de Siresmes, désigné quelquefois sous son titre d'élu
d'Avranches, fut chargé de diverses missions en Piémont, puis en
Espagne. Cf. Arch. Nat. J 961", 21.
26 LES FRANÇAIS EN PIEMONT
ou que ce soit que voz lettres ne majent este baillées ou que vous ayez
quelque indisposition, ou que vérité nayant moyen destre oye mes
affaires aillent par delà si mal que vous ne men veuillez escripre ;
quoy que ce soit je vous prye ne plaindre de madvertir soubvent, car
avoir de voz nouvelles en ceste affliction, encores quelles ne fussent
comme je les désire, mest toutes foyz consolation. Cest homme continue
de plus en plus à me rechercher et je luy donne occasion de se contenter,
si est ce que les offices dont me faict rapport ne me signifient aucune
reconciliation. 11 a tenu icy Chemere (?) troys jours, ma compaignye
demeurant cependant en meschant village près d'Exilles * où il ny a
que frire, sur la despesche dune commission pour la envoyer loger es
terres du mandement de Montdevis ; si est-ce que de son consentement,
puys après ?olicitation jay envoyé scavoir si on la y vouldroit accepter,
luy me promettant quen ce faisant il leur pardonnera son maltalent et
croy quil verra aussi bien que de mettre le roy en despense dy aller
avecques artillerie, veu le hazard où il a este de ne venir au dessus de
Villesalle (qui ne vault la moyndre de quattre entre les quatorze villes
du Montdevis) sans y faire despense de cinquante mille escuz. A Suse
on na voulu laisser entrer madicte compagnie dedens la ville, à peine
leur bailler vivres pour argent et sen est on excuse sur le mandement
de luy (v"), quand jauray bien tout supporte, si est-ce que si jay à
deraourer icy, la raison vouldroit que je y eusse tant madicte compaignye
ensuyvant l'intention du fundateur que les chevaulx legiers de Termes
ne d'Ossun • et sen contentera li ville beaucoup myeulx. Et sachez,
quoy qu'il ayt tousjours dict davoir contremande la sienne que tou-
tesfoyz ad ce que jentens elle sapproche fort. Je ne scay pas si estant
venu faire icv sa résidence, son intention auroit este de faire contre-
mander la myenne, tant que la sienne fust entrée en ceste ville, il eust
couleur de mander que luy estant icy, c'est despense superflue dy tenir
ung gouverneur et y estant sa compaignye dy faire la mienne ; en soit
ce que à Dieu plaira. Bien voudroye je nen sortir ignominieusement
et avecques le malcontentement du Roy.
Mon parlement par aventure me canoniseroit, nisi hic alium erga
civitatem induat animum. Hz ont este ces jours passez le supplier
avecques les plus humbles requestes quil fut possible et contmuant en
1 Exilles, dans la haute vallée de la Doria Riparia.
' Paul de la Barthe, seigneur de Termes, originaire de TAriège,
capitaine de chevau-légers ; fut chargé plus tard de l'intérim du gouver-
nement du Piémont, durant l'absence de Guillaume du Bellay (novem-
bre 1541 à mai 1542). — Pierre d'Ossun, gentilhomme gascon, capitaine de
chevau-légers, réputé par sa hardiesse. Cf. le dicton. : « Sagesse de Termes
et hardiesse d'Ossun. » Brantôme, IV. 5.
LES FRANÇAIS EN PIEMONT 27
tontes leurs replicques en la mesmes humilité que son plaisir fust de
pardonner au médecin, etsile regret de sa prison luy avoitfaictescripre
témérairement quil condonast la faulte sinon aux précédens services
de luy au moins à ceulx de toute la communite laquelle estimeroit de
tant ceste grâce que son ambassadeur luy fust rendu que si on les
récompensoit des pertes qu'ils ont [F° 71] souffertes pour le service
du Roy. Jamais nen sceurent tyrer aultre response sinon que quant à
eulx il leur feroit plaisir en aultres choses, mais que de cecy n'en
parlassent, et qu'il avoit envoyé vers le Roy duquel il se tenoit
asseure destre creu plus que le médecin, et qu'il auroit la teste et de
luy et de tous ceulx qui luy adhèrent en sa conspiration. Les paouvres
gens s'en retournèrent et sont si confuz, que je craindroye beaucoup
quil en advint inconvénient au service du Roy, si les choses estoient
ainsi que je les ay veues. Encores estre double leur ennuy dung bruyt
quon leur a faict courir ce soir: quil luy est venu lettres par ung
homme de Lantenay, comment le Roy veult quil face telle et si rigo-
reuse justice quil luy plaira dudict médecin. Eulx ne craignent point
rigoreuse justice, mais que ceulx mesmes ne jugent qui accuserontet
déposeront. Croyez quil fut pris à Rriançon solennellement dedens
l'église, les portes rompues, religieux, sindicz de la ville, ung médecin
qui lavoit hante battuz et trainsnez. On a bien faicl mettre en avant
aux gens de la ville que silz veulent promettre que ledict médecin nyra
ny escripra à la court, et eulx nyront ny escripront, quil sera relasche ;
oiais ilz ne veulent accepter ceste obligation.
Jeuz hyer, ung segond accès de reucheute de fiebvre ; le
premier et le segond mont duré chacun xvii heures. Les
médecins me pressent fort de changer laer et ce, sur peine
•linconvenient de ma personne; dung coste je pense questant
icy en personne M. le Mareschal et le faisant par son congie,
il ne seroit par delà trouve maulvais, daultre coste je crains
que si mestant la ville baillée en garde par le Roy et par
raondit sieur le Mareschal Javoye hyer lxii malades, [v°]
raon homme qui escripvoit soubz moy rendant lesprit à Dieu
men a diminue le nombre ; Mademoiselle de Mingoden est fort
esbranlee après, et Pensefohe (?) gueres myeulx ; ma femme
commence à amender, à laquelle fault aussi changer daer. Ce
luest dommage dudict clerc. Vous maviez aultrefoiz escript
d'ung dont vous avoit parle le viconte Philippe le Tyrand ;
aussi le nepveu du feu procureur do Touraine, homme de bien
bon esprit et voisin, et qui a succède à ce que son oncle avoit
28 LES FRANÇAIS EN PIEMONT
achepte sur les moulins de Yendosme et la Josseliniere \ ma
parle aultrefoiz pour luy et faict parler plusieurs foiz par
Cotereau ^ etaultres. Je vous prje si jay a demourer icy, men
envoyer lung deulx ou aultre ; mais prjez bien celuy qui vous
en baillera ung, quil me le baille tant pour sen desfaire que
pour vous faire plaisir. Le recepveur de Sens mavoit très bien
pourveu de cestuy-cy que jay perdu. Ce porteur sera le seigneur
Georges de Connegran, que bien congnoissez, qui va tant pour
ses affaires propres (mais despesche par M. le Mareschal)
comme pour quelques nouvelles quil a que Ion poursuyt de
faire juger contre le seigneur Caingnin ^, que ce soit à lui a
demander sa partie au combat. Je vous recommande sesdictes
affaires tant que je puys et mesmement ung qui me touche :
c'est que Tannée passée, luy estant en garnison à Quiers,
print ung prisonnier quil mist à rençon et lequel il estoit prest
de délivrer en baillant caution. Labbe Borgarel *, sil est par
delà en peult parler. Messieurs de Bottières ^, et président de
Piémont me dirent que pour le grantz interestz du Roy, il
estoit besoing davoir ledict prisonnier pour linterroger et
confronter àaultres. Ledict Connigran, sur la responcee que
je luy fyz de le luy renvoyer ou la rençon, le consigna es mains
de lescorte, que ledict sieur de Bottieres y envoya pour
^ Les terres dont il est ici question avaient été possédées par la famille
de du Bellay.
2 Ce Cotereau est peut-être Claude Cotereau, Tami de Dolet, qui lu
dédia, en 1539, le Genêt hliacum, et un des secrétaires de Jean du Bellay.
Nous avons deux lettres de lui: B. N. f. fs 3.921, f«> 104-107 et 108 et le
ms. 5.976 du fds. latin, qui contient en copie les trois premiers livres et
un fragment du quatrième de la première Ogdoade de Guillaume du Bellay,
lui a appartenu comme en fait foi le quatrain écrit en tête :
Egregium si quid nostras illabitur aureis
Vel nota dignum vidimus hïs oculis
Scripsimus his brevibus, tantum ut quod tempore nostro
Gestum est id possit posteritate frui.
(Glaud. CoTEREUS Turonensis.)
3 Francesco di Gonzaga, s' de Bozzolo, surnommé El Cagnino.
♦ Marchione Borgarello, originaire de Chieri en Piémont, avait pris à
ferme le ravitaillement des troupes françaises du Piémont.
Guignes Guiffrey, s' de Bottieres, gentilhomme dauphinois, prédé-
cesseur de Guillaume du Bellay, au gouvernement de Turin.
LES FRANÇAIS EN PIÉMONT 29
ramener. Jentens quil fut pendu. Ledict Connigran demande
estre satisfaict de la rençon ou par le Roy ou par moj suyvant
laloj qui respond si paye.
Présentement à heure de cinq heures de nuict, jay faict ouvrir la
porte à La Motte qui est venu de Suse en poste mande (?), comme il
dict, par M. le Mareschal, de sen venir à lettre veue; cela me faict
penser quelque chose du
[La suite manque.]
10. — Guillaume du Bellay à Jean du Bellay
Turin, 6 août.
[Fo 68]. Les pauvres gens de ceste ville ne scavent que [1] conseil ilz
doibvenl prendre tant ilz [ont] de peur que rnaistie Georges soit exécute
indicta causa. Hz envoyent vers le Roy mais ilz ne peuvent stante
ediclo sinon par journées, et pour ce craignent que ce soit trop tard.
Si est-ce que si on luy faict injustice, il pourroitcher couster au Roy,
principalement si le duc de Savoye naccorde avecques luy*. Jam
agunt inter 8e coitionesque minime mihi placent et le duc vient à
Yvree tenir ses estatz, nescio qua spe ; mais il a remply ce pays de
lettres et le peuple partim spCy pari im metu que dedens la fin de ce
moysil sera restitue en tout son pays; par quoy seroit à craindre que
gens désespérez se baillassent à luy de peur de estre baillez. Par
adventure ne seroit mal dadvertir M . le Connestable que pour con-
tenter ce peuple, on le menast vers le Roy et que là on fist son procez.
Hz auront patience si auditus et defensus rite damnetur. Le président
ma secrètement adverty quil doubte fort quon leur face court procès.
Ce porteur a este plus de troys moys après cest homme pour avoir son
coQgie, sans lobtenir et maintenant insperato est despesche en poste
aux despens du Roy duquel il est bien fort bon serviteur et seroit
chose cruelle si on ne luy faisoitbon traictement. Mais il est ennemy
capital dudict raaistre Georges. Je ne scay si ceste est poinct la cause
que maintenant on le despesche. Je nentens poinct larticle de vostre
lettre venue quant X^ non estre payeur des propos tenuz par Lan-
* A la trêve de Nice (18 juin 1538), François !«' avait gardé les places
du duc de Savoie. Celui-ci, tout en se plaignant de l'attitude agressive de
Montejehan, intriguait dans le Piémont; il ne ratifia la trêve de Nice
que lelSoct. 1538.
^ Le personnage désigné n'a pu être identifié.
30 LES FRANÇAIS EN PIEMONT
tenay touchant la mort de Granges. Je vous prye raen esclarcir et
nabandonner point la court tant que cest affaire de maistre Georges
soit vuyde, au moins entendu. Cedit porteur estoit présent aux propoz
dentre M. le Mareschal et moy.
[F® 68 v°]. La responce de Montdevis comme ilz sont con-
tens daccepter ma compaignye et luy fournir vivres au taux
qui sera ordonne mest venue en ung mesmes temps qu*est
arrive mon payeur. S'il fault quelle aille là comme elle en est
en chemin et quil y faille faire la monstre je seray contrainct
dy envoyer aussi ceulx que jay icy, je suys après M. le Mares-
chal pour entendre sil voudra permettre que je laye en ceste
ville, mais on me dist, je ne scay sil est vray quil y veult faire
venir la sienne pour la y avoir auprès de luy.
Quant à larticle sur lequel vous mescripvez de user du
moyen de Jovius, j'ay bonne espérance quelaffaire se conduira
en sorte que le seigneur se y trouvera bien servy. Si le congie
duquel mescripvez me y est nécessaire je le vous manderay.
Ce porteur sera M. de Fauria, lequel va en partie depesche
par M. le Mareschal, et en partie pour ses affaires. Il fut
semons il y a environ dix-huyt moys de venir au service du
roy et de mestre ses places es mains dudict seigneur, ce quil
. fist libéralement et sans marchander pour la nourriture quil
avoit eue en France. Ces dictes places out este prises sur les
gens du roy et ne les luy veult on rendre quelque chose que
porte la tresve. Il se trouve sans maison, sans meuble, sans
argent, sans estât ou entretien, avecques femme et enfans en
maison de loage, chose qui mérite ou quon luy face rendre le
sien, ou quon luy eu baille daultre ou moyen de vivre en
attendant, joinct que pendant la guerre de lannee passée, il
ny a eu colonnel itallien qui ayt eu plus belles bendes que les
siennes. Je vous recommande son affaire tant que je le puys.
De Turin, le 5 aoust 1538.
En post'Scriptum :
J'ay baille mon enseigne à M. Dursay, et faict Cressay
mareschal des logis. Je ne pense pas que jeusse peu estre
myeulx pourveu en chefz que je suys.
Présentement est arrive le secrétaire de M* le Mareschal ;
je ne scay quelles nouvelles il a apportées.
LES FRANÇAIS EN PIEMONT 31
Grâce aux objurgations de Guillaume du Bellaj et du con*
Détable, le député des villes du Piémont, M® Georges Aiitio-
chia, fut enfin relaxé sur Tordre formel du Roi et put se rendre
à la cour^ Quant au différend qui avait éclaté entre Monte-
Jehan et Langey, il fut apaisé par Tintervention amicale de
Montmorency'. Mais il en subsista entre les deux personnages
une certaine gêne mêlée de méfiance, et comme Montejehan
s'était fixé à Turin, Langey, profitant de ce que sa santé
demandait qu'il changeât d'air, fit un vojage d'inspection
autour de Turin et, finalement, s'arrêta à Murel, d'où sont
datées ses lettres de septembre et d'octobre. Il y tomba gra«
vemeiit malade de la fièvre qui le minait depuis plusieurs
mois. Il demanda son congé, qu*il finit par obtenir. Et à la fin
de novembre, il quitta le gouvernement de Turin, où le rem-
plaça son frère, Martin du Bellay ^. 11 devait y revenir à la fin
de l'année suivante, après la mort de Montejehan, comme
lieutenant général du Piémont, et exercer cette charge jusqu'à
sa mort (9 janvier 1543).
V.-L. BOURRILLY.
* Cf. dans Ribibr, Lettres et Mémoires d' Es taX des roys... I, 181 sqq :
Remontrance au roy faite par le député des villes du Piémont, délivré de
prison.
* Cf. RiBiER, op. cit,, p. 191, G. du Bellay au connétable, de Vinieu
26 août 1538.
3 B. N. fds aairambault, 1215, f. 76 vo.
DESCRIPTION
D*UN
MANUSCRIT DES QUATRE FILS AYMON
ET LÉGENDE DE SAINT RENAUD
Je voudrais vous soumettre quelques remarques au sujet du
manuscrit qui présente la plus ancienne forme de la Chanson
des Quatre-Fils-Aymon : c'est le ms. 39, La Vallière, de la
Bibliothèque Nationale, coté actuellement 24.387 du Fonds
français. Et, comme la légende de Renaud et de ses frères n'a
pas été encore en France Tobjet d*une étude définitive et
complète, j*emprunterai à un ouvrage allemand* quelques
renseignements sur un fait curieux et peu connu, sur le cuite
dont Renaud de Montauban, canonisé par Timagination popu-
laire et devenu saint Renaud, a été honoré en Allemagne.
D'après la source latine la plus ancienne de la légende de
Renaud, Vita sancii Beynoidi, le chevalier mourut le 14 mai 800,
il y a exactement onze cents ans : on estimera donc équitable,
dans une réunion de romanisants^, de fêter ce onzième cente-
naire de Tun des personnages, sinon les plus authentiques,
du moins les plus célèbres et les plus sympathiques de notre
poésie iiu moyen kge, « Les noms de Renaud de Montauban et
de ses frères nous suggèrent tout ce que la poésie et le roman
ont pu imaginer de splendide et de romantique, » dit, sans
exagération aucune, l'Anglais Dunlop *; et Caxton, Tillustre
ï Das deutsche Volksbuch von der Heymonskindem nach dem Nieder-
laendischen bearbeitet von Paul von der Aeltz par le D' Fridrich Pfaff,
Seelbupg im Breisgau, 1887.
* Le Congrès des Langues romanes de Montpellier a tenu ses séances
publiques le 26 mai 1900.
3 f Renaud de Montauban and his three brothers, whose names suggest
every thing, that is splendid and romantic in poetry or fiction. « (Dunlop,
The Uistory of Fiction, P. p. 460.)
mprimenr
l'Oiford, Il
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"l-ïï, à
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'^«ûforii
■'Biie
DES QUATRE FILS AYMON 33
imprimeur anglais, en publiant vers 1489 une traduction du
livre Les qtmtre Filz Aymorty que son protecteur, le comte Jean
d^Oxford, lui avait adressé, justifie son entreprise en alléguant
Topinion du philosophe', que tout homme désire naturellement
apprendre des choses nouvelles : « that everj man naturallj
desireth to know and to can news things. »
Quand il s'agit d'époques lointaines et oubliées, Ton y
retrouve Tattrait de la nouveauté, et nous ne sommes point
surpris qu*en 1818 un Breton ait offert à ses compatriotes une
tragédie, dont le sujet est pris de Thistoire des Quatre-Fils-
Aymon '.
I
Le manuscrit 39 La Valliéra est un in-folio de 33 centimètres
4 millimètres de haut, sur 24 centimètres 5 millimètres de
large, formé de 77 feuillets (parchemin). M. Michelant Ta
décrit ainsi: a Les cinquante premiers feuillets, sur trois
colonnes, rayés à soixante lignes, ensemble dix-huit mille
vers^ , contiennent le poème de Renaud ; les feuillets suivants,
51-77, à deux colonnes, contiennent le commencement du
Roman de Sapience^ d'Hermant le Jeune, maître de chœur à
Yalenciennes. Cette seconde partie provient d'un autre
manuscrit, que le relieur a sans doute joint au premier pour
grossir le volume et lui donner une meilleure apparence. »
Du Roman de Sapience, Je dirai peu de chose. L'écriture
[deux colonnes à la page, qui est rayée pour 48 vers) est nette,
bien formée, plus grosse que dans la première partie du volume.
1 Aristote, Métaphysique, I.
' « Buez ar Pevar Mab Emon, duc d'Ordon, laquet e form un Drajedi.
E. Montroulez, 1848. » 416 p. m-8". Un exemplaire se trouve au British
Muséum. Cf. Michelant, Renaus de Montauban, p. 504, et Emile Sou-
vestre, Les derniers Bretons^ 1843, p. 260. Le D' Pfaff a rassemblé, avec
une érudition très sûre, dans l'introduction de son livre, tout ce que l'on
savait en 1887 sur les origines et la destinée de la légende des Fils
Aymon.
^ On verra plus loin que ce chiffre est nécessairement inexact, parce
«pie le nombre des vers à la colonne diffère à plusieurs reprises dans
la s\]ite du manuscrit.
34 DESCRIPTION d'UN MANUSCRIT
Le texte est incomplet dans Texemplaire, bien que le dernier
feuillet soit rempli jusqu^au bas de la seconde colonne du verso.
La laisse interrompue est le commencement de la prière que
Marie prononce, lors de son Assomption, lorsque Jésus lui
apparaît :
Beax filz, ce savent tuit que tu te corroças,
Les eves feïs croistre et dedans las noias ;
Dan Noë et ses filz, beax sire, en réservas.
De lui vint Abrahans et ses fils Ysaas
Et lacob ses boens filz. Toz ces .III. enoras.
De cez vint Moyses, Aaron, Ysaas,
lobel et Abacuc, li boens Iheremias,
Samuel li prophètes, Enoch et Helyas.
Je reviens à la première partie du manuscrit, c^est-à-dire au
texte du roman des Fils Ajmon, texte qui a été suivi par
M. Michelant, de la page 1 à la page 410 de Tédition qu*il a
donnée de ce roman, en 1862, dans les publications du Litte'
rarisckes Verein de Stuttgart. Cette édition peut être considérée,
encore aujourd'hui, comme la seule que nous possédions de la
vénérable Chanson de geste ; elle est très rare, et Texemplaire
de la Bibliothèque Universitaire de Montpellier a été acquis
avec toute la collection du Litterarisches Verein, lors de la
vente des livres de M. Adelbert von Relier, le savant et
regretté professeur de Tubingue.
L'on reproche souvent à Michelant d'avoir abandonné le
manuscrit La Yallière vers la fin du roman, et d'avoir
complété le texte à l'aide d'une version différente empruntée
au ms. 775 de la Bibliothèque Nationale.
Il s'en est expliqué d'une manière vague, qui tendrait à faire
supposer qu'il n'avait pas apporté toute l'attention nécessaire
à l'étude des manuscrits qu'il avait à sa disposition.
Après avoir constaté que le ms. La Yallière offre d'abord une
langue correcte et une écriture fine et jolie, il remarque que
langue et écriture s'altèrent insensiblement, et qu'au feuillet 39
l'écriture prend un caractère tout autre et très désagréable:
« Die sckrift ist auch spàter gleich mit dem Eingang, es ist etne
kàbsche, sehr reinliche minuskeL Mehr und mehr aber àndert sich
sprache und schrift, und gegen dos ende verschlimmert sich beide^
DES QUATRE FILS AYMON 35
Ms bl. 59 die hand einen ganz abweichenden charakter und ein
hôcht unangenehmes aussehen anm'mt. » Dès lors, d'après
Michelantf le scribe a reprodait son original mécaniquement,
sans le comprendre, et à partir du folio 43 6, il était nécessaire
de recourir à un autre manuscrit pour le pèlerinage de Renaud
et le duel desesûls; il a choisi le ms. 775, parce qu*illui semblait,
pour le reste du roman, le plus voisin du ms. La Vallière. Les
deux textes concordent d'ailleurs pour la un du récit, qui a pour
objet la pénitence de Renaud, ouvrier de la cathédrale de
Cologne, martyr et saint.
La description de Michelaut est inexacte à force d'être
incomplète.
Ouvrons le manuscrit La Vallière au feuillet 39, là où
M. Michelant annonce un changement de langue et d'écriture*.
Le verso du feuillet 38 est d'une écriture claire, carrée;
il y a soixante vers à la colonne. Le recto du feuillet 39 est
d'une écriture sûrement plus récente ; il y a soixante-cinq
vers à la colonne. Aucun doute n'est possible : cette seconde
partie est un manuscrit qui a été ou copié, ou tout simple-
ment cousu à la suite de la première version, qui était très
probablement incomplète. Ainsi le reproche fait à Michelant
d'avoir abandonné le ms. La Vallière, là où il lui semblait
d'une autre date et d'une autre main, n'est plus aussi bien
fondé qu'il le paraissait d'abord. Reste à examiner s'il n'eût
pas mieux valu reproduire, malgré ses défauts, la un du
manuscrit, mais cela nous écarterait du sujet auquel nous
devons d'abord nous limiter.
Le ms. La Vallière est un recueil de deux versions de
dates différentes, cela est établi. En y regardant de plus près,
nous constatons que la première partie elle-même est loin
de présenter ce caractère d'uniformité que Ton rencontre
dans les copies de la plupart des chansons de geste, et parti-
culièrement dans celles des autres versions des Fils Aymon.
Au feuillet 11, recto, le scribe, pour remplir Us colonnes,
a été obligé de couper les vers en deux; au verso du même
feuillet, la réglure n'est que de quarante-huit lignes au lieu
* Voir la photographie ci-jointe d'une partie des feuillets 38 verso et
39 recto.
36 DESCRIPTION D UN MANUSCRIT
de soixante, et, malgré cela, de nombreux vers sont encore
coupés.
Le feuillet 12, recto, est réglé à cinquante-huit lignes. La
colonne C est incomplète ; quelques vers sont encore coupés
aux colonnes A. et B.
Feuillet 13, recto, 11 a été réglé à soixante lignes. A la
colonne B, Ton trouve encore deux vers coupés et formant
quatre lignes. A la colonne C, les interlignes et récriture ne
changent point jusqu* au vers onze, inclusivement :
Entre lui et ses frères ki preus sunt et sénés.
Puis avec le vers douze :
En la cit de Dordon fu li quens Renaus nés,
commence une écriture jaunie, d*allure plus lourde, et Ton
a seulement trente -neuf lignes, ce qui, pour la colonne, n'en
fait que cinquante et une au lieu de soixante.
Folio 13, verso. Les trois colonnes sont à cinquante lignes;
récriture est jaune et grosse. L'on y compte treize vers
coupés à rhémistiche et formant chacun deux lignes.
Folio 14. Il est réglé à cinquante-neuf lignes.
De ce feuillet il n'y a rien à dire, sauf que l'écriture reste
plus lourde et plus grosse que dans les premières pages du
manuscrit ; mais au feuillet 15 on compte encore quatorze
vers coupés.
L'écriture, plus soignée à partir de la lettre ornée, folio 15,
verso, B, ne reprend son allure première, élégante et fine,
qu'au folio 17, verso, B, au vers :
Cil s'en tornent a tant, de color sunt mué.
Le feuillet 22 offre cette particularité, qu'au recto et au
verso, il est rayé à soixante- dix lignes à la colonne, soit dix
de plus que pour les autres, et que, pour faire entrer plus de
matière, l'écriture est petite. Le couteau du relieur a fait
disparaître le premier vers des colonnes B, C, recto; A, verso,
et la moitié des initiales de la colonne A, verso. Le scrihe
serrait ainsi les lignes, parce qu'il remplaçait un feuillet, ou,
parce qu'ayant laissé un feuillet en hlanc^ il était obligé de
DES QUATRE FILS AYMON 37
tenir compte du nombre des lignes qa'il fallait y faire entrer.
L'écriture des feuillets 23 et 24 est encore d'un type gros
et lourd. L'on y rencontre (folio 24, recto C) un vers coupé :
Ogier de Danemarce, pas ne vos somonnons
A cet endroit, l'orthographe est mauvaise (V. Michelant,
p. 221, V. 29, suiv.).
L'écriture fine et régulière reprend au folio 25, recto, et
se continue. Le premier vers de ce feuillet est :
Puis pardona la mort et Longis fist pardon
(Michelant, p. 226, v. 26).
Le dernier feuillet de cette écriture est, comme nous
Tavons dit déjà, le feuillet 38.
Il est à remarquer que, du feuillet 25 au feuillet 38, le
scribe s'amuse à prolonger, avec dessins, le jambage de cer-
taines lettres à la marge supérieure et même à la marge in-
férieure de la page. Or cela se rencontre également au
commencement du manuscrit : ce mode d'ornement consiste
en jambages menés assez loin de la ligne et coupés par de
petits traits horizontaux.
Ces observations peuvent se résumer de la façon suivante :
P Les dix premiers feuillets (Michelant, p. 1-95, v. 23) et
le commencement de la première colonne du f. 11 jusqu'à
Michelant, p. 96, v. 14 incl., forment une première partie
d'une même écriture ;
2® Puis Ton se trouve en face d'une série de parties diffé-
rentes de la première, et où le scribe, qui n'était probable-
ment pas celui du début, est évidemment dominé par la
nécessité de remplir des pages laissées en blanc. L'on avait
peut-être prévu une version plus développée que celle qu'il a
reproduite ;
3* A partir du feuillet 25, la petite écriture reprend très
reconnaissable ;
4** Une partie vraiment distincte commence au feuillet 39
avec une écriture de date plus récente, un texte de valeur
moindre et un plus grand nombre de lignes à la page.
11 en résulte que le ms. La Vallière, qui donne la plus
38 DESCRIPTION d'uN MANUSCRIT
ancienne version de la Chanson des Fils Ajmon, est, si Ton
me passe Texpression, formé de pièces et de morceaux, ce
qui n'empêche point cette version d'être supérieure à toutes
les autres. Elles peuvent servir à la compléter ou à la
corriger : aucune n'en égale le mérite et l'intérêt.
Ce n'est pas ici le lieu d'examiner la valeur de l'édition
Michelant que j*ai comparée avec le manuscrit La Vallière et
d'autres. J'ai constaté que des vers ont été omis, que d'autres
ont été intercalés sans qu'il en soit fait mention ; j'ai noté de
mauvaises lectures, de mauvaises corrections. Tout cela est
véniel, et Michelant garde le mérite d'avoir publié un des
textes les plus importants de notre littérature du moyen âge,
celui dont la popularité s'est le plus longtemps maintenue.
Mais il est regrettable que la fin de la version du manuscrit
La Vallière n'ait pas été éditée, quels que soient les défauts
que l'on j relève. Elle n'est pas isolée. Les manuscrits de
Peter-House et de l'Arsenal sont de même origine et per-
mettraient de la corriger. Elle est, d'ailleurs, pour le fond du
récit, conforme à celle qui a servi de base au résumé en prose
de la Bibliothèque bleue.
Je citerai, d'après les trois manuscrits que j'ai indiqués, un
même passage.
Renaud a délivré Jérusalem. Après quelques jours de fête,
il fait ses adieux au roi Thomas et part pour la France. Dans
son vojage, il aborde à Palerme, où il est accueilli par le roi
Simon. La Bibliothèque bleue permet de retrouver aisément
cet endroit dans la suite du récit. Je donne les textes sans
correction, sauf une seule au vers 10 du texte emprunté au
ms. La Vallière.
Ms. La Vallière.
Moult par fu grans la joie sus en la ter David.
.X. jors i fu Renaus, et puis si s'en parti,
Biauz hemois enmena, noblement 8*en parti ;
Mais Mangis li hermites ainz robe n'i saissi,
5 . Ne si ne vost monter, don Benaus fu marri.
Tôt jors aloit a pie, si estoit adurci.
Li rois lo convoia, avec lui si ami,
Et li contes de Raimes et Joffrois l'Angevin.
DES QUATRE FILS AYMON 39
A Jafe entra en mer, et li rois s'en parti ;
10. Et la nés s'en ala bien [.I. mois] et demi
Conques ne virent terre, don furent ansoti.
A la sesme semaine lor est avenu si,
A Paleme arîverent, ce fu par .1. lundi.
A Paleme est Renaus arives el gravier.
15. Li rois fu en la tor del palais plenier,
La nef vit bien au port, ce poes afichier.
Ce dist Simon de Pnille^ : Si m Vit .S. Richier,
En la neif a ricbe hom, ice poes afichier
As chevaz et as armes don tant voi manoier.
20. Ne sai dont il est nez, bien samble droit princier.
Faites mètre mes seles, s^irai à lui plaidier.
Qte lo ferai o moi, se ge puis, herbergier.
Car n'istrade la viUe devant .1. an entier,
Se cil sires n'en pense, qui tôt a a jugier.
•
Ms. de Peter-House.
Qranz fu la joie sus en la tor David*.
.X. jors i fu Renaus, et puis si s'en parti.
Bel hernoiz enmena, noblement se vesti ;
Mes Maugis li hermites aine robe n*i vesti,
5. N'ainc cheval ne mena, dont fist Renaut marri.
Toz tens aloit a pie, tant estoit endurci.
Li rois le convoia, s'ot o lui ses amis,
Le visconte de Rames, Joifroi Tamanevi.
A Naples entre en mer et li rois s'en parti ;
10. La nef ala par mer bien .1. moiz et demi.
1 D'après M. Gaston Paris, Bertrand de Bar-sur-Auhe, auteur d'un
Àimeri de Narbonne (commencement du XIII* siècle), imagina de relier
la geste des Narbonnais à la geste royale, en donnant à Ernaud de
Beaulande trois frères, Renier de Gênes, père d'Olivier et d'Aude, Milon
de Pouilie (auquel, plus tard, on attribua un filsj Simon de Fouille^
héros d'un poème sans valeur sur une expédition en Orient) et Girard
de Vienne. Littérature française au moyen âge, p. 71. — La généalogie
de la Maison de Monglane, donnée par Albéric de Trois-Fontaines (mort
en 1246), attribue également Simon pour fils à Milon de Pouilie. V. G.
Paris, Histoire poétique de Gharlemagne, p. 102, et appendice 11,
p. 469.
* lia oublié « Moult par ».Ges oublis sont fréquents dans ce manuscrit,
et l'on y a souvent des hémistiches de quatre syllabes.
«0 DESCRIPTION d'uN MANUSCRIT
En la semé semaine lor est avenu si
Que a Palerne vindrent, ce fut par .1. mardi.
A Palerne est Renaus arivez ou gravier,
E li rois si estoît en son pales plenier.
15. La nef voient au port il et si chevalier.
Ce dit Simons de Puille : Foi que doi .S. Bichier,
Ce est nef a preudome, bien voi au deschargier,
As chevaux et a armes que voi tant manoier.
Je ne sai qu'il est, mes bien semble paumier.
20. Je voeil aler a lui parler et pledoier.
Si le ferai o moi, se je puis, herhergier,
Car bien semble haut home qui terre ait a baillier.
Ms. de TArsenal.
Mont demainnent grant joie sus en la tor David.
Régnant i fu .III. jors, et puis s'en départi,
Bon harnoiz enmena^ noblement fu vestis ;
Mais Maugis li hermitez ainz robe n'i vesti
5 Et ala tout a pie, dont Regnaus fu marris.
Li rois les convoia et li contes ainssins.
A Jafez entra en mer, adonc sont départi.
Regnaus ala par mer bien .1. mois et demi.
A la sepme semaine lor est avenu ci :
10. A Palerne arrivèrent a .1. jor d'un mardi.
A Palerne arrivèrent an lor nef ou gravier.
Ce fu Simons de Puille il et cil chevaliers.
Li roi8 f u en la tor de son palais plenier,
La nef voient mont bien arriver ou gravier.
15. Lors dit li rois Simons : Saichiez qui est paumiers
Et si est richez bons d'armes et de destriers.
Faites mettre vo celle, je vueil a lui pleidier.
Si le ferai o moi, se je puis, herbergier.
Bibliothèque bleue.
« Il y eut de grandes réjouissances publiques pondant trois
mois, et le peuple appelait Renaud et Maugis les sauveurs de
la chrétienté. Après, Renaud et Maugis demandèrent leur
congé au roi qui fut fort triste, et qui eût bien voulu qu'ils
eussent toujours resté près de lui, mais cela ne se pouvait
pas. Le roi leur fit équiper un vaisseau, leur donna de beaux
DES QUATRE FILS AYMON 41
présents, puis ils s*embrassèreQt en pleurant et se séparèrent.
Ils s'embarquèrent au port de Jalfa, et demeurèrent six mois
sar mer, sans pouvoir prendre terre. Ëuôn, Dieu les conduisit
à Palerme où était le roi Simon, qui les reçut à bras ouverts,
et les mena dans son Louvre ^ »
Un rapide examen permet de reconnaître que les trois
manuscrits sont d^une même famille, que le ms. La Vallière
est le plus ancien et le moins incomplet des trois et qu'on
peut Taméliorer à Taide des deux autres.
Au V. 3 le ms. de P. H. donne « se vesti » au lieu de la
répétition « s'en parti ». L'A. a «fuyestis».
Au V. 10 L. V. a a bien .IL et demi ». La leçon des deux
ms. conforme à la mesure et au bon sens est : « bien .L mois
et demi » .
Au V. 15 P. H. et TA. indiquent o en son palais plenier »,
et au V. 16, Ton doit accepter « il et si chevalier » d'après
P. H. La leçon de l'A. confirme, en fait, cette correction.
Le passage que j'ai choisi n'offre point de difficulté sérieuse,
mais il me paraît prouver qu'il n*est point impossible de
restituer passablement, en comparant les trois manuscrits,
la fin de la version que Miohelant a renoncé à éditer.
11 esta regretter que le texte de l'Arsenal ait été copié non
seulement avec étourderie, mais trop souvent avec un désir
d'abréger même aux dépens du sens, comme on le voit pour
la seconde laisse. Il reproduit^ avec des altérations qui indi-
quent la date relativement récente, un texte d'une valeur
presque égale à celle de la première partie du ms. La Val-
lière.
Quant au ms. de Peter House, il dérive, en d'autres en-
droits, d'une source moins ancienne, mais comme il a été très
consciencieusement établi, il est utile à consulter.
11 suffirait donc aujourd'hui de reproduire, en la modifiant
çàet là, l'édition de Michelant jusqu'à l'endroit où elle i^e
* La nouvelle Bibliothèque blette, t. II, pour le pèlerinage à Jérusalem
et l'appui que Renaud et Maugis donnent au roi de Sicile, est conforme,
pour le fond, aux textes cités ci-dessus, mais avec des ornements
dans le goût romanesque.
4 2 DESCRIPTION D UN MANUSCRIT
sépare du ms. La Vallière ; puis d'éditer la fin de ce manu-
scrit à Taide des mss. de TArsenai et de Peter-House. L'on
aurait ainsi la meilleure version de la chanson des Quatre -
Fils-Aymon . J'ai commencé ce travail , il y a quelques
années, et j'espère le soumettre bientôt à la Société des
Langues romanes. L'on pourrait, désormais, se procurer aisé-
ment un poème qui est d'une importance capitale: par l'Epo-
pée chevaleresque italienne, la légende des Fils Ajmon a
exercé une influence générale sur la formation et le dévelop*
bemeut de TËpopée moderne.
II
Parmi les études dont cette légende a été l'objet, une des
plus intéressantes est assurément Tintroduction que le D' Fri-
drich Pfaff a mise en tête de sa reproduction de l'édition
allemande, que Paul von der Aeltz donna, en 1604, du rema-
niement hollandais en prose du roman des Quatre Fils A jmon.
J'y puise quelques détails peu connus sur la destinée de ce
que Ton a cru longtemps les reliques de Renaud de Montau-
ban.
Renaud meurt, en effet, à Cologne, victime de sa piété, et la
fin de son histoire est toute semblable à celle de la vie d'un
saint véritable. L'on suppose que quelque confusion de noms
et l'imagination populaire transformèrent l'aventureux ad-
versaire du roi Charles, le cousin de l'enchanteur et larron
Maugis, en un martyr, qui, sur les bords du Rhin, fut Tobjet
d'une particulière vénération.
Dès 1205, Ton constate l'existence d'une chapelle de Renaud
à Cologne. En 1420, Jean de Stummel, doyen des Saints-
Apôtres, reconstruisit la chapelle et le petit couvent qui s y
était ajouté. En 1447, Marguerite Waldecken réforma le
couvent d'après la règle de saint Augustin, et en fut la pre-
mière supérieure. Elle y avait trouvé quatre Carmélites au
vêtement gris. La chapelle possédait, en 1472, une chasse
contenant la tête de Renaud et d'autres restes du héros.
Joannes Bertelius, abbé d'Echternach, raconte, dans son
Hisioria Luxemburgensis {Coloniae^ 1605, p. 197), que sur l'un
DES QUATRE FILS AYMON 43
des murs de la chapelle de Renaud, à Cologne, était peinte une
image représentant les quatre frères sur leur cheval, Renaud
la tête ceinte de Tauréole. Cette chapelle reçut des legs et
des fondations pieuses. La dernière supérieure du couvent a
été A.-E. Offermanns, en 1800. Mais le siècle qui s'achève a
été peu tolérant d'abord pour les traditions de toute sorte,
dans lesquelles il ne voyait que motif à révolte où à raillerie :
en 1804, chapelle et cloître furent détruits. Ils étaient situés
à Tangle de la Marsilstein et de IdkMauritiussieinwegj àTendroit
où la légende place le meurtre de Renaud, Depuis lors la fête
de Renaud est célébrée tous les ans, le dimanche qui suit le
7 janvier, dans Téglise paroissiale de Saint-Maurice ^
Cologne n'en demeure pas moins la ville du monde où
subsistent le plus de souvenirs de la légende des Fils Ajmon.
Si le héros a la Iteinoldsirasse, son coursier fidèle est rappelé
par la Bayardsgasse. Un beau vitrail de la cathédrale, datant
du XVK siècle et don de la ville de Cologne, réunit les saints
Georges, Renaud, Géréon, Maurice. L'on a une belle statue
de Renaud, œuvre de P. Fuchs (XVIIP siècle), aux n°" 33-34
de Riukenpfuhl y à droite du portail de Saint-Maurice. La
représentation la plus importante des Fils Ajmon qui existe
en Allemagne se trouve à Cologne, au n<>46 de la Mejerstrasse,
qui en 1887 appartenait à M. Baden, brasseur. Au-dessus de
l'arceau de la porte est appliqué un beau relief où Ton voit les
quatre frères sur Bajard. M. le D' Pfaff a reproduit ce relief
au titre de son livre.
L'église de Renaud, à Dortmund, le Trémoigne de la Chanson
de geste, date, dans ses plus anciennes parties, de la fin du
XII* siècle. Les documents en font mention dès 1228. C'est un
édifice de style gothique, dont le chœur, d'un caractère
grandiose, a été construit de 1421 à 1450. Le clocher s'est
écroulé plusieurs foiS; et celui que l'on voit aujourd'hui est
du commencement du XVIII* siècle.
Ce monument a été élevé à l'endroit où l'on supposait que
s'était arrêté, de lui-même, le char qui portait les restes de
Renaud. On sait que le bon chevalier, après son pèlerinage en
* Voir Thomas, Geschichte der Pfarre St-Mauritius zu Kôln. Kôln,1878.
pp. 13-20.
44 DESCRIPTION D*UN MANUSCRIT
Terre-Sainte et la victoire de ses âls dans leur duel avec les
fils de Folques de Morillon, résolut d'expier les fautes de sa
vie, et partit secrètement de chez lui, déguisé en pèlerin.
Arrivé à Cologne, où l'on bâtissait l'église de Saint-Pierre, il
voulut être employé comme manœuvre, et, dans cet humble
métier, montra tant de zèle et une vigueur si extraordinaire,
que ses compagnons de travail, pris d'une furieuse jalousie, le
tuèrent, par surprise, pendant qu'il prenait son repas. La
Bibliothèque bleue^ altère tellement la naïveté de nos récits
épiques, que l'on m'excusera de lire la conclusion de la légende
dans un des manuscrits, le n° 766 de la Bibliothèque Nationale.
Les meurtriers ont jeté le corps de Renaud dans le Rhin, en
le chargeant de pierres :
Quant ce vint vers le vespre, que li soleus coucha,
Desor le cors Renant une clarté leva
Que li poison de Tiaue enter lui s'aûna,
Le cors Renaut ont pris, que Dex le commanda.
5. Par desor Tiaue amont le cors Renaut leva.
Moult f a grant la clarté que Dex i demostra.
En pès tienent le cors ne torne çà ne là.
De ci à la cité la novele en ala.
L'evesque et li clergié maintenant s'aûna,
10. Jusques desus le Rin nus d'aus ne s'aresta.
Hé Diex, dist li evesques, que puet ce estre là ?
Ce est .1. bon noiez, por Dieu qui tôt cria.
Li larron l'ont ocis, seignor, or i parra.
Entrez en .1. batel et si l'amenez ça.
15. Alez delivrement, si verron que sera.
Cil entrèrent ou Rin, que demore n' i a.
1 Encore le fond y est-il en somme respecté. Mais la nouvelle Biblio-
thèque bleue^ dans les deux volumes où elle a réuni les Fils Aymon, Jean
de Calais et Geneviève de Brabant, nous donne le plus fâcheux des
remaniements, celui où Ton a eu la malencontreuse idée de puiser dans
les récits romanesques d'Arioste. La fin de la narration est défigurée plus
que tout le reste : Renaud, voulant protéger des jeunes filles contre
Pinabel, est entraîné par son adversaire dans le Rhin où ils se noient
tous les deux. L'on ne peut plus du tout comprendre pourquoi le
souvenir de Renaud demeura, à Cologne et à Dortmund, l'objet d'un
véritable culte.
DES QUATRE FILS AYMON 45
Li batelier entrèrent très enz oa Bin par non,
Li cors ont aporté très enmi le sablon.
Le sac ont descosu li nobile baron :
20 . C'est 11 ovriers saint Père qu'ont ocis li larron.
Au mostier Tenportèrent sanz nule arestoison,
Devant Tautel saint Père li dus Renant mit on.
Les ovriers qui i sont, à raison mis a Ton.
Larrons, ce dist li mestres, par le cors saint Faron,
25. Vos l'avez mort vos toz, que nos bien le savon.
Vos en serez pendus en haut comme larron.
Sire, font li ovrier, jà ne vos celeron :
Voirement l'avons mort, come traïtor félon.
Pendus en devons estre, que deservi l'avon.
30. Seignor, dist li evesques, jà ne vos destruiron ;
Mes por ce que vos estes traïtor et larron^
Vos forjugerez mes à tôt dis ce roion.
A icete parole trestoz les banion.
A TApostole alèrent por querre le pardon.
35. Seignors, dist TApostoile, oez que vos jujon.
Que penensier soiez .VII. anz parmi le mont,
Touz nuz piez et en langes, ainsi le vos dison.
Sire, moult volontiers, chascuns d'aus li respont.
Or lairons des penans, de Renaut vos diron.
40. Enterrer le voloit li clergiez à bandon.
Moult fu grant la miracle à la messe chantant.
Enterrer le voloit le bon clergié sachant.
Quant vint à l'enterrer le cors Renaut le franc.
Le cors Renaut s'esmut par le Jhesu commant,
Du mostier s'en issi, que le virent la gent.
45. L'evesques s'escria hautement en oiant :
Baron, or tost après, sanz nulz atargement.
Adont sont arotez li petit et li grant,
Et li saint cors Renaut s^en est alez devant,
Droitement vers Tremoigne se va acheminant.
60. Quant fu près une liue, si com trovon lisant,
Il n'ot saint* en la vile por li n'alast sonant.
Les cloches tôt par eus ont el mostier soné.
Li clergié s'en merveille de celé poesté.
L'evesques ist de la vile, n'i a plus demoré,
1 « sain u = cloche.
46 DESCRIPTION D*UN MANUSCRIT
55. Et Gaichara et Alars sont avec li aie,
Et Richars ensement et le clergié séné.
L'evesque vint an cors, B*a le poile levé ;
Et qnant connut Benaut, 8*a dn cner sospiré.
A tonz commnnement a tôt dit et conté,
60. Que c'est li dus Renans, le nobile chasé,
Celi de Montanban, qni tant fn redoté,
Qui vient droit à Tremoigne reposer sa cité.
Qnant li frère Toirent, de dolor sont pasmé.
Pais si Tont durement tout plaint et regreté.
65. Haï, Renaus, font-il^ franc chevalier membre,
Que porons devenir chetis, maleuré ?
Adont ont lor chevez et lor dras désiré.
Touz cens qui les regardent, si en ont grant pité.
Mes li gentis evesque les a reconforté :
70 . Baron, aiez en vos et pès et amité.
Nos irons après li, ]k n*en ert trestomé.
El mostier Pont porté, en fiertre fn levé^
Des fait por li miracles, le roi de majesté.
Saint Renaut a à non en iceli régné.
Le voyage miraculeux du corps de Renaud prêtait aux
variantes, et Ton en rencontre en effet plusieurs. Le ms. 766
donne une des versions les moins anciennes, ainsi qu'en
témoigne la langue, et le récit est abrégé en certains points,
mais aux dépens de ce qu'il y avait de poétique dans la nar-
ration : le fait, malheureusement, n'est pas isolé.
L'église de Renaud, à Dortmund, possédait ses restes dans
un cercueil d'argent. Le crâne était conservé dans une chasse
particulière en forme de tête. Lorsque, le 22 novembre 13T7,
Charles lY vint à Dortmund, il fut accueilli par une procession
solennelle où étaient portées les reliques du saint chevalier :
quand le prince fut arrivé près de ces restes vénérés, il des-
cendit de cheval et baisa la tête de Renaud. Le jour suivant,
il entendit la messe à Saint-Renaud , et, après le service,
demanda qu'on lui fît don d'une partie des reliques. Les
Bourgmestres ouvrirent le cercueil et lui accordèrent deux
os. On lui remit, en outre, le livre contenant les hauts faits
de saint Renaud, que l'on avait l'habitude de chanter lors de
sa fête.
DES QUATRE FILS AYMON 47
L*aiinée suivante, Tépouse de Charles, Elisabeth, vint à
Dortmund et obtint un autre don, celui d'un des bras. Ces
reliques ont été léguées, avec d'autres, par Charles lY au
royaume de Bohême, et elles étaient autrefois montrées au
peuple une fois par an dans TEglise du Saint- Sacrement
(Corporis Christi) au Petit-Prague. De là, elles passèrent, en
1618, à Karlstein. Depuis 1645, elles sont à la cathédrale de
Prague, au Hradschin. Les reliques de Karlstein se trouvent
dans un grand meuble avec cases distinctes, don du comte
Bernard Ignace de Martinicz: au numéro 3 de la dixième et
plus basse rangée, Stradomir^ plaçait, en 1515, Reinoldt Ducis
de monte Albano brachia duo, quodlibet eorum in argentea theca
inlra vitrum. Et d'après des renseignements pris à Prague en
1886, les reliques cataloguées par Stradomir se trouvent très
exactement au Hradschin. Ainsi u*e t à Prague qu'il faut aller
honorer aujourd'hui les restes de Renaud, car, à Cologne, l'on
ne possède, à Saint-Maurice, que quelques parcelles provenant
de l'ancienne chapelle des Augustines.
L'église de Saint-Renaud, à Dortmund, existe encore, bien
que, depuis la Paix de Westphalie, elle soit affectée au culte
Ëvangélique. Mais, en 1792, il y eut une grande famine dans le
pays, on battait monnaie de tout, et Ton finit par vendre, le
18 décembre, l'on ne sait à qui, pour la somme de SSOthalers,
la chasse d'argent qui contenait les reliques de Renaud de
Montauban.
Le D' Pfaff me semble ne pas tenir compte d'un événement
qui dut jeter quelque désarroi dans Je pays et qui pouvait
suggérer l'idée de transformer en valeurs aisément transpor-
tables les richesses de l^église. Les Français venaient d'occuper
Majence, avaient passé le Rhin, étaient à Francfort. On s'ima-
gine, sans peine, l'émoi qui se produisit à l'approche des armées
de la République, émoi dont Goethe a conservé le vivant sou-
venir dans le premier chant de son immortel poème d'Hermann
et Dorothée. La description du long défilé des émigrants qui
fuient devant l'ennemi, et, au YP chant, le tableau des espé-
rances qui s'éveillèrent d'abord partout, a quand le premier
f Auteur d*un catalogue des reliques de Karlstein, que Pessina de
Czechorod a reproduit dans son Phosphorus septicomis^ Prague, 1673.
4 8 DESCRIPTION I)'UN MANUSCRIT
éclat d'un soleil nouveau apparut, que Ton entendit célébrer
les droits communs à tous les hommes, l'enthousiasme de la
liberté, Thonneur de Tégalité, » et des déceptions et des luttes
sanglantes qui suivirent, sont au nombre des plus belles pages
de Tépopée moderne.
Aujourd'hui, dans l'Eglise de Saint*Renaud, entre le chœur
et la nef, à droite et à gauche, l'on a deux statues de bois
colossales sous des baldaquins. L'une représente Gharlema-
gne, fondateur de Dortmund, l'autre an chevalier armé de
mailles et d'un petit bouclier triangulaire. On suppose que
c'est la statue de Renaud, mais l'attribution est contestée.
La chronique de Westhoff raconte, qu'en 1377, une armée
ennemie lançait contre les murs de Dortmund, d'énormes bou-
lets de pierre : Renaud apparut sur le rempart conrme.ain
ange du ciel, et rejeta, de sa main, ces boulets sur les HiAié-
géants. On éleva donc, sur le mur, une statue du défenseur
de la ville: il était représenté, le bras étendu, et Westhoff
prétend avoir vu cette statue en 1538. D'ailleurs, remparts
et statue n'existent plus depuis longtemps.
Le musée de Dortmund possède un gantelet de fer, attri-
bué à Renaud, et un fer à cheval attribué à Bajard: il a plus
d'un pied de large, et n'est probablement qu'une vieille ensei-
gne de maréchal -ferrant.
Des monnaies de Dortmund portent Timage de saint Renaud :
les plus anciennes remontent au XIV* siècle.
On constate qu'au XIIP siècle, la corporation la plus
considérée de Dortmund avait saint Renaud pour patron.
L'on rencontre, en dehors de Cologne et de Dortmund,
deux églises consacrées à Renaud; l'une est l'église parois-
siale de Iloxel, près de Munster, l'autre est une chapelle à
Hœhscheid, au sud-ouest de Solingen. Elle est agréablement
entourée d'arbres et voisine d'un bois. Le second dimanche
après la Pentecôte, un grand marché se tient près de la chapelle
et Ton y vient de toute la contrée. Dans le chœur est Uiie statue
de Renaud, tenant un marteau, en souvenir de l'arme que ses
meurtriers employèrent pour le tuer; mais il faut avouer que
les habitants ne conservent de la légende qu'une forme très
altérée.
Quel est l'homme dont les restes ont été, pendant des
DES QUATRE FILS AYMON 49
siècles, Tobjet de la dévotion de tout un peuple? M. Pfaff, au
terme de sa patiente étude, s'est posé la question sans pouvoir
y répondre. Il est à peine besoin de dire qu'il n*y a nulle part
aacnne trace d'une canonisation de Renaud.
Je serais assez disposé à croire que les villes de Cologne
et de Dortmund furent engagées à honorer la mémoire de
Renaud, par l'exemple de Saint-Jacques de Compostelle,
d'Aix-la-Chapelle, de Saint-Denis, dont les prétentions sont
la seule explication de la composition de l'Histoire de Charte-
magne et de Roland^ attribuée à Turpin, et du Voyage de Charte-
magne à Jérusatem et à Comtantinopte, Vous me permettrez de
rappeler ce que j'ai dit à propos de ce dernier texte dans notre
Remèdes Langues romanes: u La légende monastique, naïve
et sir îère, quand elle reste sur son véritable terrain et se
bort à raconter les merveilles de la Vie des saints, prend un
caractère tout autre quand elle aborde la matière des Chan-
sons de Geste. Ce n'est point, en effet, pour célébrer les hauts
faits de Charlemagne et de ses Paii's que les auteurs de la
Chronique latine de Turpin ont le soin de tracer l'itinéraire
qui mène à Saint- Jacques de Compostelle, de nous apprendre
les noms de toutes les églises où, d'après eux, auraient été
ensevelis les glorieux morts de Roncevaux : c'est pour
stimuler le zèle des pèlerins et les encourager à suivre le
chemin par lequel ont passé, d'après eux, Charlemagne et son
armée. De même, quand les moines de Saint-Denis rédigent
l'histoire d'un voyage de Charlemagne en Orient, c'est uni-
quement en vue de justifier l'authenticité des reliques qu'ils
étalaient à la foire du Lendit. »
Pour Cologne et Dortmund, il est possible que la vanité soit
seule en cause. C'était un grand honneur pour ces deux villes
d'occuper une place importante dans une des Chansons de
Geste qui devint le plus tôt populaire, et il était tout naturel
d'en profiter, en entourant d'une vénération publique la mé-
moire du chevalier dont la gloire effaçait celle de tous les
compagnons de Charlemagne, à l'exception du seul Roland.
Un point demeure obscur. Comment la dernière branche
des Quatre-fils-Aymon peut-elle parler d'un culte rendu à
Renaud, si elle est elle-même l'origine de ce culte? L'auda-
cieuse imagination du trouvère est-elle seule en cause et ne
4
50 DESCRIPTION D*UN MANUSCRIT
poorraii-on admettre qae déjà, à Cologne oa àDortmiuidy était
honoré un saint personnage d*un nom semblable à celai de
Renaad ? D'antres hypothèses, suggérées par Texamen attentif
des nombreux documents à consulter, sont encore possibles.
Une seule remarque. M. Pfaff (p. LUI) suppose que le
Beinolt van Montelban^ imitation allemande, en vers, de notre
Renaud de Montauban, le Renaui van Montalbaen, imitation
hollandaise en vers, sont les seules versions où Renaud
périsse écrasé par une pierre que ses compagnons de travail
laissent tomber sur lui. Il n'en est rien, et nous trouvons éga-
lement cette variante dans le ms. 766 de la Bibliothèque
nationale, auquel j'ai emprunté le récit du vojage du char
portant le corps de Renaud.
Dans les Nouveaux Essais de Critique et (THistoire, Taine
consacre quelques pages à l'édition de Michelant. Sur bien
des points, je serais obligé de marquer mon désaccord avec
l'illustre critique. Il insiste beaucoup trop sur le commence-
ment de la Chanson, le Beuues d Aigremont^ si différent de
l'histoire proprement dite des Quatre-Fils-Ayman. Il n'y con-
state que brutalité : « Ils sont trop forts, trop prompts aux
coups, trop enfoncés dans la vie animale... Ils ont passé leur
vie à chasser ou à se battre, mangeant de fortes viandes et de
la venaison, habitués au sang et aux coups, encore voisins,
pour les muscles et les instincts, du lion et du tigre. » Ce n'est
pas ainsi que nous sommes accoutumés à voir Renaud de
Montauban ^
Dans la seconde partie, Taine reconnaît que Renaud est le
modèle de la loyauté féodale, mais à expliquer les origines
de ce lien de la société du moyen âge, il néglige de montrer
quelles en furent les conséquences morales de toute sorte.
Renaud est un caractère autrement complexe que Taine ne
1 Renaud unit les qualités de Roland et d'Olivier :
Rollans est preuz et Oliviers est sage,
Ambedui sunt merveillus vasselage.
Taine ne voit pas qu'à côté de la Chanson de Geste, vrai chant de
bataille, se développait toute une poésie très différente dans les romans
dits bretons: un des derniers ouvrages de Ghrestien de Troyes, le Pe»*-
ceval ou Conte du Graalj a été composé vers 1175. Il n'est pas démontré
que nos versions des Fils Aymon soient de date beaucoup plus ancienne.
DES QUATRE FILS AYMON 51
suppose, et, de tous les héros de notre épopée, c*est celai en
qui commence le plus nettement à se marquer révolution dont
le terme devait être Thomme moderne.
Il est singulier que le personnage de Tenchanteur Maugis,
du bon larron, qui finit dans un ermitage, n*ait pas attiré
l'attention de Taine.
Mais, au commencement de son article, il a écrit quelques
lignes, qui expriment une méthode : « Le principal service
que les écrits littéraires rendent à Thistorien, c'est qu'ils lui
mettent devant les jeux les sentiments éteints. Aucun autre
document, surtout dans les temps lointains et les peuples
incultes, ne rend ces sentiments visibles. Les chartes, les lois
et les constitutions montrent les pièces de la machine sociale,
et non le ressort de Taction morale » .
C'est ce que Bacon, le maître de Taine et de toute Técole
expérimentale, a exprimé par une de ses images un peu
étranges, mais qui ont le mérite de représenter vivement sa
pensée et de se graver dans la mémoire : a Nul doute que si
rhistoire du monde était destituée de cette partie (de This-
toire littéraire), elle ne ressemblât pas mal à la statue de
Poljphème ajant perdu son œil ; car, alors, la partie qui
manquerait à son image, serait précisément celle qui aurait
pu le mieux indiquer le génie et le caractère du personnage^. »
Ainsi rhistoire de nos aïeux est dans Tœuvre de nos trou-
vères : c'est là que nous retrouvons leur génie, leur caractère,
et, dans une jeunesse intacte et naïve, ces sentiments, moiixs
éteints que ne le suppose Taine, qui firent Tàme française :
vaillance, droiture et courtoisie. L'âme française. Messieurs,
1 Bacon, De la Dignité et de l'Accroissement des Sciences^ L. II, ch. 4.
Après avoir distingué; 1" l'histoire sacrée ou ecclésiastique; 2« l'histoire
civile proprement dite, qui retient le nom du genre ; 3^ enfin, l'histoire
des lettres ou des arts, il juge que, pour cette dernière partie, l'on n'a
que de maigres traités sans utilité : « Mais parle-t-on d'une histoire
complète et universelle, jusqu'ici on n'en a point publié de telle, disons-
le hardiment. Nous indic[uerons donc le sujet d'une telle histoire, la
manière de la faire et le parti qu'on en peut tirer. » En développant
ce programme, il constate que « l'on peut, dans une semblable histoire,
observer les mouvements et les troubles, les vertus et les vices du monde
intellectuel, tout aussi bien qu'on observe ceux du monde politique. >
52 DESCRIPTION D'uN MANUSCRIT
on en pent médire, nuûs doos, romaninnts, nous saTons que,
pendant des nèeles, elle fat la fleur de la cÎTilisation chré-
tienne.
D*ane part, ia pins ancienne Tersion de la Chanson des
Qnatre-Pils-Ajmon, de Tantre les derniers vestiges de la
légende, conservant, à la fin du XIX* siècle, une existence
TiTace dans les pays Rhénans, tels sont les termes extrêmes
que nous avons marqués dans cet exposé sommaire.
Bntre ees deux termes, qu'est dcYenue la légende ?
Le personnage de Renaud présentait un triple caractère :
d*abord le chevalier en lutte avec son suzerain, réduit aux
pires extrémités, aventureux et prudent, champion indompta-
ble, ami fidèle etlojal; c*est le Renaud de Tépopée italienne,
tel que Pulci, Boiardo, Arioste, Font vu, modernisé d'ailleurs
à leur goût ^ L'imagination populaire admirait en lui la bon-
homie, le dévouement aux siens, Tindalgence pour les petits,
répoux de la douce Clarice et le père des gentils bacheliers
Ajmon et Y von, le cousin de l'ingénieux Maugis, le maître
du cheval-fée, de Timmortel Bajard, qui reparait tous les
ans à la nuit de la Saint-Jean, dans la forêt d'Ardennes : le
succès de la version en prose, dans toute l'Europe, est un des
faits les plus intéressants de l'histoire littéraire. Mais il a
vaincu les Maures à Toulouse > ; il a expié ses fautes en allant
pieds-nus en Terre-Sainte, par ses exploits à Jérusalem et en
Sicile, par sa fin pieuse et repentante, par sa mort, lorsque
0 ouvrier de Dieu », il est traîtreusement assassiné : c'est le
défenseur de la chrétienté, c'est un pénitent illustre, c'est un
martyr : par là il appartenait à la dévotion commune : son
front sera couronné de l'auréole sainte.
1 M. Rajna a rencontré le nom de Filz Aimon à demi italianisé sous
la forme Fizaimoney employé comme nom propre à la date de 1261
(Romania^ janvier 1889, p. 59). C'est une preuve curieuse de la prompte
diffusion du récit français en Italie.
* La bataille de Toulouse, où le roi Eudes d* Aquitaine (le roi Yon des
FiU-Aymon) repoussa une première invasion musulmane, eut lieu en
721, le dernier mois de Tan 103 de THégire, sous le Kalifat de Yésid II.
Le Wali d'Espagne^ Alsama ben Melik el Hadrami, y périt avec nom-
bre d'autres des premiers conquérants de TEspagne (Gonde, Historia de
la daminacion de los Arabes en Espana^ 1. 1, c. 21).
DES QUATRE FILS AYMON 53
Nous ne savons si la figure de Renaud a droit à une place
dans l'histoire : le problème est un des plus difficiles à résou-
dre. Mais, qu'importe? les héros qu'a consacrés la longue
admiration des peuples, continuent à vivre d*une vie sur
laquelle le temps ne peut rien, dans la mémoire reconnais-
sante de rhumanité. De notre courte enquête, il résulte que
nous pourrons fêter, en janvier prochain, Renaud de Mon-
tauban sans scrupule : le bon chevalier demeure digne de
notre hommage.
Ferdinand Castbts.
CONTES LENGADOUCIANS
Dau pioch de Sant-Loup au pioch de Sant-Gla
(Suite)
VIII
PICHOTS CONTES DE MOUN GRAND
AS COULLÂGAS DE « PAUL BBRT »
AiQO*s de contes vièls e pus vièls, d*aqaeles que se disoun
un pauc pertout dins nostre béu Mièjour. Ce qu'empacha
pas que sountoujour nous. E mêmes, mai-que-mai, lou que
lous conta se preten èstre lou moussu en quau Tafaire es
arrivât. Ou se Tafaire es pas arrivât à-n-el, arrivèt à soun
fraire, à sa sorre beléu, à soun cousi se eau, franc que seguès-
se à sa cousina. Aiço's anfin de contes de ma Grand-la-Borgna.
léu, lous ai batejats de moun grand, d'abord qu'es el que me
lous countèt lou prumiè. Lou laisse parla que parlarà milhou
que iéu.
VIII
PETITS CONTES DE MON GRAND-PÉRE
AUX OOLLBGDES DE « PAUL BERT »
Ce sont ici des contes connus, archi-connus, de ceux qui ont cours
un peu partout en pays d'Oc. Ils ne laissent pas, néanmoins, d'être
toujours de mise. Et même, d'habitude, celui qui les dit se donne
comme l'un des acteurs ou des témoins de l'aventure qu'il rapporte.
A moins que la dite aventure ne soit tout simplement arrivée à son
frère, à sa sœur peut-être, à son cousin au besoin, ou, s'il le faut, à
sa cousine. Bref, et pour tout dire, ce sont ici des contes de Grand-
mère rOie. Je les ai baptisés <c Contes de mon grand-père » parce
que c'est mon grand-père lui-même qui, le premier, me les narra. Je
le laisse parler : il parlera bien mieux que moi.
CONTES LANGUEDOCIENS 55
1. — Lou Perrouquet
Ere anat, — i'a d'aco mai de quatre matis, — enco de
mèstre Picarede, lou bouché de la Tripariè-Vièlha, per ie
croumpà sas pèls.
Intrère dins la boutiga.
— Holà ! te vejaqui, coullèga?me faguèt. Es pas debesoun
de te demanda couma sian : se vei prou que tas fèbres soun
pasmarridas. Nautres anan pas trop mau atabé: veja, sièi
Ion pus malaute... Saique vènes querre aquelaspèls?...
— Acha un pauc ! Se vos que vengue per jougà de
Tauboi?...
— Moun ome, te caudrà'sperà 'n moumenet. La fenna es
aoada faire la plaça, e pode pas quità la boutiga soula. Assèta-
te: sièspas pressât?
M'assetère, e barjacaven, — que Picarede ie sabiè à la bar-
jacada e, iéu, dounave pas ma part as chis, — quoura intrèt
una genta doumaiselota.
— Avez-vous du bœufe^mossieu Piquer ède'i
1 . — Le Perroquet
J'étais allé, — il y a de cela plus de quatre matins, — chez maître
Frappefort, le boucher de la Triperie -Vieille, pour lui acheter ses
peaux.
J'entrai dans la boutique.
— Holà ! te voilà, collègue ? me cria-t-il. Pas besoin de te demander
comment ça va : Ton voit assez que tes fièvres ne sont pas mauvaises.
Cane va pas trop mal chez nous, merci: vois- tu, c'est encore moi le
plus malade... Tu viens, peut-être, prendre ces quelques peaux?
— Belle demande!... Voudrais-tu pas que je vienne jouer du
hautbois?...
— Mon ami, il te faudra m'attendre un petit moment. Ma femme
est allée faire son marché: je ne puis laisser le magasin. Assieds-toi;
tu n'es pas très pressé ?...
Je m'assis et nous babillions, — car Frappefort était docteur-ès-
babillage, et je ne donnais pas, non plus, ma langue aux chiens, —
lorsqu'une petite demoiselle entra.
— Avez-vous du bœufe, mossieu Frappefort ?
56 CONTES LANGUEDOCIENS
— Voui, madoumaisèla, e dau rei das biôus. Dequé vons
baile? Una trancha de mola?... You 'n lecarés loas dets.
— Non, baillez-mot une livre de l'épok*
le bailèt de l'épole; mes, cop-sus-cop, lou perrouquet — '
s'ai pas dich que i'aviè' n perrouquet, ara hou dise, — lou
perrouquet se fourrèt à cridà coama un avugle :
— Es de vacal... Es devaca!... vaca!... vaca !
— A tus, couoàrrou ! repouteguèt nostre bouché. Sap pas
mai qu'aquela antièna^ e série de lapin que diriè ce mêmes.
Boutas, n'en fagués pas cas, madoumaisèla.
Sabe pas s*èra de vaca ou s'èra pas de vaca, tant i' a que,
pas pus lèu la filheta partida, Picarede agantèt moussu lou
perrouquet per las pèls dan col e lou trempoulhèt dins un
ferratat d'aiga, couma un paquet de rabetas.
— Aco t'aprendrà, sou-dis, à garda ta lenga.
La bèstia, pecaire! ne quinquèt pas una, e, de-ravaletas,
venguèt au canton dau ûoc per se caufà e se secà. Lou cat se
ie trouvava que beviè la calou e s'alisava, afeciounat.
— Vouij mademoiselle, et du roi des bœufes. Que vous donnerai-
je ?... Une tranche de filet?... Vous vous en lécherez les doigts.
— Non, baillez-moi une livre de l'épole .
11 lui donna une livre de Vépole ; mais soudain, le perroquet, — si
je n'ai pas dit qu'il y avait un perroquet, je le dis maintenant, — le
perroquet se mit à crier comme un aveugle :
— C'est de la vache !... c'est de la vache !,.. vache !... vache !
— A toi, nigaud ! grogna notre boucher. Il ne sait que cette an-
tienne. Ça serait du lapin, qu'il braillerait même chanson. Allez, allez.
Mademoiselle, n'en faites pas le moindre cas.
Je ne sais si c'était de la vache ou si ce n'était pas de la vache,
toujours est-il qu'il advint ceci : dès que la fillette fut partie. Frappe-
fort empoigna Monsieur du perroquet par la peau du cou, et vous l'é-
broua dans un seau plein d'eau, comme on ferait d'un paquet de radis.
— Ça t'apprendra, dit-il, à retenir ta langue.
La bestiole, — pauvrette ! — ne souffla mot. Elle s'en vint, traî-
nant de l'aile, jusqu'au coin du feu pour se réchaufier et se sécher.
Le chat s'y trouvait déjà, buvant la chaleur et lissant ses poils, fri-
leusement.
CONTES LANGUEDOCIENS 57
Aladounc^ tout embalausit, Ion perrouquet ie fai :
— Coussi?... Amaitus as dich qu'èra de vaca ?..
2. — La Garitat
S*aquel dimenche eriàs estats à la prumîèira messa de
Balharguet, d*ausi lou prone que se ie faguèt ne sérias de-
mourats enclausits touta la senmaiia. Oi^ santa-ûeu ! coussi
prechét moussu lou curât!... Amai vous hou diguèsse d'aqui à
deman...
— E sus dequé prechèt tant ?
Sus dequé?... sus lou malastre, sus la misera de la paura
Gouletouna que, pecaire ! après una longa vidassa de trigos,
de patimen e de cruciûmen, se trapava à la carrièira, ara que
lou âoc venié de ie devouri ce darniè que ie demourava ; sus
la caritat, lou pus grand, lou pus sant devé das crestians,....
dequé te sabe iéu?... Vous dise que prechèt dos ouras de
reloge couma jamai de sa vida aviè pas prêchât, e qu'auriàs
Alors, ébaubi, le perroquet lui fît :
— Comment?... Toi aussi tu as dit que c'était de la vache?...
2. -— La Charité
Si ce dimanche-là vous aviez assisté à la première messe, à 6a-
Iharguet, vous auriez ouï un beau prône. A coup sûr en fussiez-vous
demeurés émerveillés durant toute une semaine... Oh ! saprelotte I
comme il prêcha, Monsieur le curé de Balharguet I... J'aurais beau
vous le dire jusques à | «tmain...
— Et sur quoi prêcha- t-il donc S' bien ?
Sur quoi?... sur le malheur, sur la misère de la pauvre Coulètoune
qui, hélas ! après une longue vie de tracas, de privations et de souf-
frances, se trouvait réduite à Taffreux dénûment, maintenant que
rincendie avait dévoré les derniers biens qui lui restaient ; sur la
charité, le plus grand, le plus saint devoir des chrétiens,... que sais-je
moi ?.. Je vous dis qu'il prêcha, deux heures, d'affilée, comme jamais
de sa vie il n'avait prêché. Et vous eussjez sangloté, ou pleuré ou
5^ CONTES LANGUEDOCIENS
souscat, ou ploarat, ou badat couma lous autres , vautres
atabé, amai segués pas de Balbarguet.
Mes lou que lou mai badèt seguèt lou vièl Crocacebas. Âh !
crese que si que badèt aquel d'aqui, presemple! Pioi, sourti-
guèt un das prumiès, escarrabilhat couma un passerou, la
mina risoulièira, e, sans mai d'armanaos, galoi e ravoi,
s'enanèt querre sa cabra.
^ Tè ! diguèt en la menant à la panra Couletouna, as agut,
per moia ! trop de penas : aqui ma cabra, te la done.
Ë, mai countent qu'una cauquilhada au leva dau sourel,
s'enanèt alandà la porta de soun estable.
Lou vèspre, quand Durand fasiè soun cabus> dos cabras que
passavoun, intrèroun per asard dins Testable doubert; mèsi
quand vouguèroun sourti, adissiàs ! tout seguèt barrât couma
se deu.
Cau vous dire, avans d'anà pus lient, qu'à Balbarguet, lou
curât es pas pus ûer que quaucun mai : nourris de pouls, de
canards, de lapins, e mèmamen dos cabras. Quand a passât
lou tems de sègas, que siègue lou dimenche ou lous jours de
admiré, ébahis, comme les autres, vous aussi, bien que vous ne soyez
pas de Balbarguet.
Mais celui qui admira le plus, ce fut le vieux Crocoignons. Ah ! je
crois qu'il écouta bouche bée celui-là, par exemple ! Puis, il sortit
un des premiers, sautillant comme un passereau, la mine réjouie, et,
sans autre forme de procès, tout guilleret, tout radieux, il s'en alla
quérir sa chèvre.
— Tiens ! dit-il en la menant à la pauvre Goulètoune, tu as eu, par
ma foi ! trop de peines : voilà ma chèvre, je te la donne.
Sur ce, plus content qu'une alouette au lever du soleil, il s'en fut
ouvrir grandement les portes de son étable.
Le soir, quand Durand' faisait son plongeon, deux chèvres qui
passaient, entrèrent, par hasard, dans Tétable grande ouverte ; mais,
quand elles voulurent en ressortir, bonsoir ! tout fut fermé de maî-
tresse façon.
Il faut vous dire, avant d'aller plus loin, qu'à Balbarguet le curé
n'est pas plus fier que les paysans du cru : il élève des poulets, des
1 Nom populaire du soleil.
CONTES LANGUEDOCIENS 59
senmana, dona lou vanc à sas cabras que s*envan cercà soun
vieare per lou campèstre.
De maoièra que dounc, lou dimenche que parlan, las dos
cabras quMntrèroun enco de Crocacebas se capitavoun tout
juste las dau capelan. Aqueste, couma pensas, seguèt, Te ude-
man, prou matiniè per las veni réclama.
— Escusàs, moussu lou Curât, diguèt lou yièl Crocacebas^
aquelas dos cabras soun mieunas.
— Presemple, soun vostrasl... E desempioi quoura, sieu-
plèt!... D'abord n*aviàs pas qu'una e m'en dich que ier la
dounères à Couletouna.
— Es be per aco. Menjan : diguères pas, ier, dins vostre
prone : n Quau baila as paures, baila à Dieu ? »
— Si fèt, hou diguère.
— E i*ajustères pas : a Dieu rend lou double de ce que ie
bailoun ? »
— Tout aco's vrai, mes...
— Ta pas de mes, moussu lou Curât : ai donnât una cabra
à Couletouna, lou bon Dieu me n*a rendut dos. Se i'avèsbailat
canards, des lapins, et même il entretient deux chèvres. Quand le
temps de la moisson est passé, que ce soit le dimanche ou les jours de
semaine, le curé, comme tout le monde, laisse aller ses chèvres en
liberté : celles-ci cherchent leur pâture dans les haies et dans les
guérêts.
Or, les deux chèvres qui entrèrent chez Crocoignons, ce dimanche-
là, c'était tout justement les deux chèvres de Monsieur le Curé.
Celai-ci, comme bien vous pensez, ne tarda pas, le lendemain matin,
à venir réclamer son bien.
— Faites excuse. Monsieur le Curé, répondit le vieux Crocoignons;
ces deux chèvres sont à moi.
— Par exemple, elles sont à vous I... Et depuis quand, s'il vous
plaît?... D'abord, vous n'aviez qu'une chèvre, et l'on m*a môme dit
que vous l'aviez donnée, hier, à Coulètoune.
— Précisément, c'est pour cela. Voyons: ne dites-vous pas, hier ,
dans votre prône : « Qui donne aux pauvres, prête à Dieu ? »
— Si fait, je le dis.
— Et n'ajoutâtes-vous pas : a Dieu rend au double ce qu'on lui
prête ? »
— Parfaitement, mais...
60 CONTES LANGUEDOCIENS
las dos vostras, que voq^d rende quatre ou nou, aco m'arregarda
pas. Mes per aqnestas, soun ben mieunas !
Ë Tagèt pas plan de lou tira d*aqui.
3. — La Musica
La musica, se dis, leva dau languimen lous esooutaires
e fai leva lou pèd asdansaires. Yai ben.E as musicaires dequé
ie leva?... Lous musicaires, aco pot lous leva de pertout.
S'hou voulès pas creire, escoutàs aquesta.
Zinzinzin, lou viôulounaire, s^en tourna va de bon mati, — èra
pas auba, — de la fèsta de Sauta-Rocs. Pourtava, qu'acos èra
un présent d'una amiga, dos fougassas roussèlas e bêlas que-
noun-sai.
E i'ar rivet ce qu'encara, presemple! jamai de sa vida i'èra
pas arrivât : faguèt lou rescontre de dous loups ; dous.
Emb' aco, r- à ce que dis, — se dounèt pas à la pôu e agèt
l'esprit prou pounchut per ie bailà, en espérant, sas dos fou-
gassas tant bêlas e tant roussèlas. Lous dous loups se ie tra-
— 11 n'y a pas de mais, Monsieur le Curé: j'ai donné une chèvre à
Coulètoune, le bon Dieu m'en a rendu deux. Si vous, vous avez donné
les deux vôtres, quHl vous en rende quatre ou point, ça n'est pas mon
affaire. Mais, pour celles-ci, elles sont bien miennes !
... Et il n'y eut pas moyen de le tirer de là.
3. — La Musique
On dit que la musique tire d'ennui les auditeurs et qu'elle fait tirer
le pied aux danseurs. Fort bien. Et aux musiciens que leur tire-t-elle?. ..
Les musiciens, ça peut les tirer de partout. Si vous refusez de le
croire, écoutez un peu l'histoire que voici :
Zinzinzin, le violoneux, s'en revenait de grand matin, — ce n'était
pas encore l'aube, — de la fête de Saute- Rochers. Il portait, pré-
cieux présent d'une bonne amie, — deux fougaces dorées et belles à
miracle.
Et il lui arriva ce qui encore, par exemple! ne lui était jamais arrivé
de sa vie : il rencontra deux loups ; deux.
Dans tout ça, — à ce qu'il prétend, — la peur ne le saisit pas trop,
CONTES LANGUEDOCIENS 6l
guèroun dessus, affamats : e gnieu ! e gnaa ! brafa tus, brafa
iéu! Entramen, Zinzinzin s*entanchèt d*escarlimpà sus un
aubre e, coumaabitava sus la pus grossa branca, vai se capità
qu^un boutou de sa vèsta rasclèt contra una corda de soun
esturmen, ce que faguèt: Zan/.,,
Lous dons loups issèroun las aurelhas.
— Outre, sou-diguèt Tome, semblariè que yoloun dansa!...
B, zou 1 rascla que rasclaràs : « E io tant-là, passa se vos
passa:, »
Ah I moun bel amie, auriàs vist couri aqueles loups!...
Couma quand vous demandoun de pagà vostres vièls deutes.
~ Oh ! sacre -noum-de-sort! bramava Zinzinzin; s'agèsse
iéu sachut qu'aimessiàs tant la musica, auriàs pas agut mas
dos fougassas, voulursl...
4. — De-Profundis per Nostre-Segne
Despioi que i*a de Pénitents blancs à Balharguet, ce que se
leva à las quêtas, oufrandas, e dequé sabe iéu, lou jour dau
Divendres-Sant, es, de drech, per la Counfrariè.
et il eut assez de présence d'esprit pour jeter, tout d'abord, aux deux
maudites bêtes, ses fougaces si belles et si dorées. Les loups se pré-
cipitèrent dessus, affamés : et grouin ! et grouan ! bouffe, toi ! bouffe,
moi !... Pendant ce temps, Zinzinzin se hâta de grimper sur un arbre.
11 atteignait la plus grosse branche, lorsque, par hasard, un bouton
de sa veste racla Tune des cordes de son instrument, ce qui fit izan I
Les deux loups dressèrent les oreilles.
— Ouais ! ... dit le bonhomme, semble-t-il pas qu'il veulent danser?. . .
Et, zou! râcIe que racleras : € Eio ianUlà^ passez et repassez.,. »
Ah I Messeigneurs, vous auriez vu courir ces- loups !... Comme
lorsqu'on vous réclame le paiement de vos vieilles dettes.
— Oh! sacré-nom du sort! braillait Zinzinzin; que n^ai-je connu
plus tôt votre ardent amour de la musique : vous n'auriez pas eu mes
deux fougaces, voleurs !...
4. — De Profandis pour Notre-Seigneur
Depuis qu'il y a des Pénitents blancs, à Balharguet, le produit des
quêtes, offrandes et tutti quanti effectuées le Vendredi-Saint, appar*
tient, de plein droit, à la Confrérie.
62 CONTES LANGUEDOCIENS
Aqnel an, lou capelan toambèt malaute, malaute que de
talamen, lou Dijôus-Sant au vèspre. E caliè pas pensa que se
pousquèsse leva Tendeman, nimai èra pas causa prèsta per
faire veni un curât d'en quicon-mai.
Lous Pénitents^ pecaire ! èroun desvariats. Pas ges de ca-
pelans, pas ges d'oufices,... e pas ges d'argent atabé. Coussi
faire? S'aoampèroun toutes, tant que seguèroun, dins sa Ca-
pèla, chacun diguèt sa moucioun, chamalhèroun dos ouras de
reloge, e, finalamen, decidèroun que lou Prieu fariè lou cape-
lan. Era un orne d'âge, serions, que sabiè toutes lous ouûces
de per cor. Dins d'abilhages de glèisa,las gens lou prendrièn
facillamen per quauque capelan estrangè.
De-fèt, Fouace se diguèt, couma à Tacoustumada. Lou Prieu
s'en tirava mai-que-ben. E mêmes, quand seguèt au moumen
que se eau aloungà au pèd de Tautèl per faire veire que lou
Bon-Dieu vèn de mouri sus la crous, se virant de -vers lou
pople aginoulhat, lou Prieu ajustèt aiço de soun sicap :
— E ara, mous fraires, diguen toutes un de-profundis per
lou paure Nostre-Segne que vèn de mouri : lou Bon-Dieu
reçage soun ama I . . .
Cette année-là, le curé tomba malade, malade gravement, le Jeudi-
Saint dans la soirée. Et il ne fallait pas penser qu'il put se lever le
lendemain. Et c'était trop tard, aussi, pour mander un abbé de quelque
autre paroisse.
Les Pénitents, hélas! étaient tout effarés et consternés. Pas de
prêtre, pas d'offices... et point d'argent non plus. Comment faire ? Us
s'assemblèrent tous, tant qu'ils furent, dans leur chapelle, chacun
émit sa motion, ils chamaillèrent deux heures durant, et, en fin de
compte, ils décidèrent que le Prieur tiendrait la place du curé. C'était
un homme d'âge, sérieux, sachant tous les offices sur le bout du doigt.
Sous des vêtements d'église, les gens le prendraient facilement pour
quelque prêtre étranger.
En effet, l'office fut célébré comme à l'accoutumée. Le Prieur s'en
tirait admirablement. Et même, quand il en fut à cet endroit où l'of-
ficiant doit se coucher au pied de l'autel, pour exprimer plus fortement
que Jésus expire sur la Croix, faisant face au peuple à genoux, le
Prieur ajouta ceci de son propre chef:
— Et maintenant, mes frères, disons tous un de profundis pour
le pauvre Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vient de mourir : Dieu
veuille recevoir son âme I...
CONTES LANGUEDOCIENS 6 3
5. — La Gateta blanca
Un cop Taviè 'n segnou qu'aviè 'n vièl castèl dins un bosc.
Mes dins aqael castèl degus poudié pas ie demourà, de tant
que la nioch ie veniè de trèvas.
Lou segnou faguèt assaupre que bailariè mila francs à
toutes lous qu'anarièn coucha dins soun castèl una soula
niouchada.
Una vièlha, qu'aviè 'na cateta blanca, diguèt:
— léu, i'anarai.
Prenguèt un gigot de moutou e i*anèt embé sa cateta. Alu-
mèt un grand fioc, faguèt coire sount gigot, n'en bailèt la
mitât à sa cateta e mangèt Tautra mitât.
Vejaqui que, quand se sarrèt mièja-iiioch : « Boum I boum !
boum ! )> quaucun tabasèt la porta.
— Ë diga-ie que courdures, que podes pas i'anà doubri,
faguèt la cateta.
— Courdure. Pode pas veni vous doubri.
Un parel d'ouradas après : « Boum ! boum I boum I x>
5. — La petite Chatte blanche
11 était un fois un seigneur qui avait un vieux château dans un bois.
Mais ce vieux château, personne ne pouvait l'habiter, parce qu'il était
hanté, la nuit, par des revenants et des fantômes.
Le seigneur fit assavoir qu'il donnerait mille franco à tout homme
ou toute femme qui coucherait dans son château, une seule nuitée.
Une vieille, qui avait une petite chatte blanche, dit :
— Moi, j'irai.
Elle prit un gigot de mouton et s'en fut au château avec sa chatte
blanche. Elle alluma un grand feu^ fit cuire son gigot, en donna une
moitié à sa chatte blanche et mangea l'autre moitié.
Voilà que, sur le coup de minuit: « Boum! boum I boum ! » quelqu'un
heurta très fort à la porte.
— Dis que tu couds, que tu ne peux pas aller ouvrir, fit la chatte
blanche.
— Je couds. Je ne peux pas venir vous ouvrir.
Une couple d'heures après: u Bopm! boum! boum ! »
64 CONTES LANGUEDOCIENS
— E diga-ie que laves la terralha.
— Lave la terralha. Pode pas veni vons doubri.
Un parel d'ouradas après: « Boom! boum! boum! »
— E diga-ie qu'escoubes Toustau.
— Escoube Toustau. Pode pas veni vous doabri.
E pioi lou jour venguèt. La vièlha sourtiguèt embé sa
catetae anèt enco dau segnou que ie bailèt sous mila francs.
Una vesina d'aquela vièlha venguèt ie dire :
— Prestàs-me vostra cateta que iéu i*anarai, atabé, gagna
mous mila francs.
— Aqui Tavès. Prendrés un gigot e n'i 'en dounarés.
La vesina prenguèt un gigot de moutou e i'anèt embé la
cateta. Alumèt un grand ûoc, faguèt coire soun gigot, lou
mangèt e bailèt pas que lous osses à la cateta.
Yejaqui que^ quand se sarrèt mièja-nioch : a Boum ! boum !
boum ! » quaucun tabasèt la porta.
— E diga-ie que courdures, se vos, faguèt la cateta d'un
er de fougna.
— Courdure. Pode pas veni vous doubri.
— Dis que tu laves la vaisselle.
— Je lave la vaisselle. Je ne peux pas venir vous ouvrir.
Une couple d'heures après : « Boum! boum! boum! »
— Dis que tu balaies la maison.
— Je balaie la maison. Je ne peux pas venir vous ouvrir.
Et puis le jour vint. La vieille sortit avec sa chatte blanche et s'en
fut chez le seigneur qui lui remit ses mille francs.
Une voisine de cette vieille vint lui dire :
— Prêtez-moi votre chatte blanche: j'irai^ moi aussi, gagner mes
mille francs
— La voilà. Vous prendrez un gigot et vous lui en donnerez.
La voisine prit un gigot de mouton et s'en fut au château avec la
chatte blanche. Elle alluma un grand feu, fit cuire son gigot, le
mangea et ne donna que les os à la chatte blanche.
Voilà que, sur le coup de minuit : « Boum ! boum ! boum ! » quel*
qu'un heurta très fort à la porte.
— Dis que tu couds, si tu veux, conseilla la chatte blanche, d*an
air boudeur.
— Je couds. Je ne peux pas venir vous ouvrir.
CONTES LANGUEDOCIENS «5
Un parel d'ouradas après : « Boum ! boum ! boum ! »
— E diga-ie que laves la terralha, se vos.
— Lave la terralha. Pode pas veni vous doubri.
Un parel d'ouradas après : « Boum ! boum I boum ! »
— E doubris-ie, se vos.
La vesina anèt doubri. Intrèt un ome. La cateta, entra-
men^ s*amaguèt dins lou poutagè.
— Boudieu I moussu, qu'avès unagrossa testa?
— Es per milhou tène moun capèl.
— Boudieu! moussu, qu'avès de grands lois?
— Es per milhou veire lou mounde.
— Boudieu ! moussu, qu'avès de longas dents ?
— Es per milhou manjà las fennas trop curiousas.
E la mangèt. Pioi, quand seguèt manjada, s'enanèt. La
cateta aladounc sourtiguèt dau poutagè e s'entournèt enco de
sa mèstra.
— Eh! be, dequ*as fach de la vesina?
— La trèva Ta manjada.
— Goussi?
Une couple d'heures après : « Boum ! boum ! boum ! i^
— Dis que tu laves la vaisselle, si tu veux.
— Je lave la vaisselle. Je ne peux pas venir vous ouvrir.
Une couple d'heures après : « Boum ! boum ! boum ! »
— Et ouvre donc, si tu veux.
La voisine alla ouvrir. Un homme entra. La chatte blanche, cepen-
dant, s'était cachée dans le cendrier.
— Bon Dieu ! Monsieur, que vous avez une grosse tête ?
— C'est pour mieux tenir mon chapeau .
— Bon Dieu! Monsieur, que vous avez de grands yeux ?
— C'est pour mieux voir mon monde.
— Bon Dieu ! Monsieur, que vous avez de longues dents ?
— C'est pour mieux manger les femmes trop curieuses.
Et il la mangea. Puis, quand il l'eut mangée, il s'en alla. La
chatte blanche sortit alors de sa cachette et retourna chez sa mai-
tresse.
— Eh( bien, qu'as-tu fait de la voisine?
— Le revenant l'a mangée.
— Comment?
66 CONTES LANGUEDOCIENS
— Ci. M*ayiè pas bailat que loos osses dan gigot : i*ai
dich d^anà doabrie la trè^a Ta manjada.
Loa gai cantèt
B la Boorneta finigaèt.
Mourala. — S'avès ana cateta, qae siègae blanca ou non,
avûiàa-yoaB an mens de ie bailà... d*argent.
6. ^ Ranba-CkLliaas
CoHintaya per una cassibralha dan promiè namerot. Viviè
pas que à^amoulèn rapidmtis e la soola causa, saique, qu^agèsse
pas raubat èra soun noum. Ah 1 fiques, nàni, Taviè pas raubat 1
Ges lou poudièn pas milhou caussà qu^aquel, d^abord que per
las galinas èra la grèlla e que n*en fasiè fi. N*aviè rapugat, el
soûl, tant e mai que lou pus fier rainard de la creacioun
desempioi que mounde es mounde, e sans que jamai degus
Tagèssepouscut faire agantà, ni per gardas, ni per gendarmas,
ni per foutre ni montre. Me levarièn pas de la testa qu^aquel
paure coulas aviè fach pache embé lou diable.
— Coi. Elle ne m'avait donné que les os dn gigot : je lui ai dit
d* aller ouvrir et le revenant l'a mangée.
Le coq chanta.
Et la sornette finit là.
Morale. Si vous avez une petite chatte, qu'elle soit blanche ou non,
avisez- vous au moins de lui tenir... de Targent.
6. — Fléau des Poules
C'était une canaille de la plus belle eau. Il ne vivait que de rapines,
et la seule chose, sans doute, qu'il n'eût point volée, c'était son nom.
/Vhl mâtin, non, il ne l'avait pas volél Aucun autre ne l'eût chaussé
mieux que celui-là, car, vraiment, il était TAttila des poules, le vrai
fléau des basses -cours. A lui seul, il avait raflé plus de volailles que
le plus fameux renard delà Création, depuis que le monde est monde.
Et jamais personne ne l'avait pu faire prendre, ni par des gardes, ni
par des gendarmes, ni d'aucune manière. On ne m'arracherait pas de la
tête que ce bandit-là avait fait pacte avec le diable.
CONTES LANGUEDOCIENS 67
Eh! be, quand seguèt prou vièl, tout deglesit e mièoh
escrancat, que per força ie cauguèt dire adieu à soun vilèn
mestiè, agèt-ti pas lou front de voudre faïre la bugada de sa
coanciença gamada e de 8*anà counfessà?...
Lou capelan, que counouissiè Toubriè, — èra lou paure
moussu Fangous, pecaire ! — ie diguèt couma aiço :
— M'anés pas cercà d'armanacs^ sieuplèt, e coupon court»
Quant de oops n'avès raubat de galinas ?
— Ah ! presemple, moussu lou Curât, se m'hou caliè dire
serièi be dins Temboul. S'es pas gaire passât de senmanas,
durant una orantena d'ans, sans que n'en faguèsse lou croc per
qaaucas unas.
— Digàs-me, aladounc, quanta es estada vostra pus forta
rafla. Cinq?... dèch ?...
— Dèch, dises?
— Vint?
— Doublas, moussu lou Curât.
— Malurous, quaranta?
— Ni mai, ni mens : Tavès devignat.
— Quaranta galinas d'un oopl... e avès raubat quau sap
Eh bien! quand il fut très vieux, cacochyme et mi-décrépit, quand
il dut renoncer, bon gré mal gré, à son vilain métier, n'eût-il pas le
front de vouloir lessiver sa conscience pourrie, et n'alla-t-il pas se
confesser?...
Le curé, qui connaissait le paroissien, — c'était défunt M. Fangous,
le pauvre I — lui parla comme ceci :
~ N'allez pas, s'il vous plaît, me conter des sornettes, et coupons
court. Combien de fois avez-vous volé des poules ?
— Ahl par exemple. Monsieur le curé, s'il fallait que je le dise,
je serais bien embarrassé. 11 ne s'est guère passé de semaines, durant
une quarantaine d'années, sans que je ne m'en approprie délicatement
quelques-unes.
—Dites-moi, alors, quelle a été votre plus grande rafle. Cinq ?. . Dix ? .
— Dix, dites-vous?
— Vingt ?
— Doublez, Monsieur le curé.
~ Misérable, quarante ?
— Ni plus, ni moins : vous l'avez deviné.
— Quarante poules en une seule fois!... Et vous avez volé qui sait
68 CONTES LANGUEDOCIENS
quant de copsi... Nàni ! oh! nàni , pode pas vous bailà
Tassoulucioun. Aco' s trop. Vous caudriè restitua.
— Mes, vesès be, moussu lou Curât, qu'es pas poussible.
— E coussi voulès, atabéy qu*au Bon-Dieu ie siègue poussi-
ble de vous perdounà quand, au jour dau jujamen, tout aoo
ie sera, amount, per vous enculpà, se restituas pas?,..
— Coussi, moussu lou Curât, las galinas ie seran ?
— Ben segu que ie seran.
— Amai sous mèstres?...
— Amai sous mèstres.
— Dequé me dises aqui I... Restituarai, moussu lou Curât,
restituarai, seguès tranquille. D'abord que las galinas e
sous mèstres ie seran, amoundaut, pas tant foutrau que de
pas restituai... Chacun ie reprendra las sieunas, pas vrai?
Boutas, poudès me bailà l'assoulution sans crenta : vous
assegure que ie las quitarai prene 1...
7. — Pic e Repic
Mèstre Jan Cougourla qu*aviè, saique, las idèias dins lous
nivous, aquelvèspre, intrèt, per distracioun, enco d'un apou-
combien de fois !... Non ! ohl non, je ne puis pas vous donner Tabso-
lution. C'est beaucoup trop. Il faudrait restituer.
^ Mais, vous voyez bien, Monsieur le curé, que la chose n'est pas
possible.
— Et comment voulez-vous, aussi, qu'il soit possible à Dieu de
vous pardonner quand, au jour du jugement, tout ça sera là-haut
pour vous accuser , si vous n'avez pas restitué ?
— Comment, Monsieur le curé, les poules y seront?
— Certainement qu'elles y seront.
— Ainsi que leurs vrais maîtres ?
-— Ainsi que leurs vrais maîtres.
— Que me dites- vous là !... Je restituerai, Monsieur le curé, je
restituerai, soyez tranquille. Puisque les poules et leurs maîtres se-
ront là-haut, pas si bête que de ne pas restituer 1... Chacun y repren-
dra les siennes, n'est-ce pas?... Allez! Allez, vous pouvez me donner
l'absolution : je vous assure que je les leur laisserai prendre !...
7. — Dn Tac an Tac
Maître Jean Citrouille qui avait, sans doute, les idées un tantinet
CONTES LANGUEDOCIENS 69
ticaire de la villa en creseguent d'intrà dins un bnrèu de
tabat. Tout aco pot arriva.
Pamens, un cop en mitan de la boatiga, s'avisèt de sa
bardoutada.
— Ëscusàs, moussu, faguèt au vendeire de poutingas ;
saique me serai troumpat. Dequé vendes aici ?...
L'autre, un jouine escoulan drouguiste, de veire Ter favàs
de Tome, se pensèt qu*aviè à faire en quauque Jan-iou-Sot,
e que ie passava bêla per loa galejà.
— Vendèn, sou-dis, de testas d'ase,
— Badinas?...
— Noun pas de segu... oh ! cerqués pas, las avèn pas aici
dedins : las tenèn dins un membre pus fresc, aqui darriès lou
magasin... Mes se vou*n caliè una?...
— Ara me parlas couma se deul... Tamben, me disièi:
per un magasin de testas d*ase soun pas gaire coussuts, n'en
veses pas mai qu'une... Adissias, moussu: lou bon Dieu vous
la mantengue !
... Tau crei de guilhà Guilhot — Es el souvent que Guiihot
guilha. G. Thbrond.
embrumées ce soir-là, entra, par distraction, chez au apothicaire de
la ville, croyant bel et bien entrer dans un bureau de tabac. Tout
ça peut arriver.
Cependant, quand il fut dans la boutique,il s'aperçut vite de sa méprise.
— Excusez-moi, monsieur, dit-il au vendeur de drogues, je me
serai probablement trompé. Que vendez-vous ici ?
Le marchand, un jeune élève en pharmacie, voyant Tair nigaud du
bonhomme, pensa qu'il avait affaire à quelque Jean -le- Niais, et que
roccasion se présentait belle de rire un brin aux dépens d'autrui.
— Nous vendons, dit-il des têtes d'ânes.
— Vous badinez ?,..
— Non pas, certes... oh I ne cherchez pas, nous ne les avons pas ici
dedans ; nous les tenons dans une pièce plus fraîche, là, derrière le
magasin... Mais s'il vous en fallait une?...
— Maintenant vous me parlez comme il faut!... Aussi, je me
disais: pour un magasin de têtes d'ânes ça n'a pas l'air très assorti, on
n'en voit qu'une... Bonsoir, Monsieur: le bon Dieu vous la conserve !
... Tel cuide se gausser d'aultrui — Qu'aultrui souvent de lui se
gausse.
(il suivre.) G, T.
ÉTABLISSEMENT DU MARCHÉ
A MONTAGNAC
Le document suivant n'est pas daté, mais récriture et sur-
tout le nom de Tévêque d*Agde, par lequel il débute, permettent
de suppléer à cette absence de date. L*écriture paraît être de
la fin du XIIP ou du commencement du XIV* siècle. Le nom
de l'évéque est, sans conteste possible, bien qu'une partie de
la première lettre soit déchirée, Tésive ou Tésine. Or, si Ton
se rapporte à la Gallia christiana^ on trouve un nom d'évêque
qui se rapproche beaucoup de celui-ci, c'est Thédise, qui
occupa le siège épiscopal d'Agde de 1215 à 1233. Thédise est
incontestablement l'auteur de la concession d« la charte
qu'on va lir^, parce qu'il est le seul évéque d'Âgde qui ait
été seigneur de Montagnac. On peut donc dater du premier
tiers du XIII* siècle l'établissement du marché hebdomadaire
du chef-lieu de canton de l'arrondissement de Béziers.
Mais ce n'est qu'une copie que nous avons eue sous les
yeux, ne portant pas plus de date que de signature ou de
sceau, et l'écriture permet d'avancer que cette copie est
postérieure d'au moins cinquante ans à l'original. Là, peut-
être, se trouve Texplication de la mauvaise orthographe du
nom de Tévêque.
Ce document fait partie des Archives communales de
Montagnac^ liasse I, n° 9. Ces Archives, très riches, et qu'il
nous a été donné de parcourir cinq ou six jours durant, ne
sont pas encore inventoriées. Mais nous savons qu'elles sont
en bonnes mains et que l'inventaire se fera un jour. Sou-
haitons , dans l'intérêt de l'histoire et de la philologie, que
ce jour soit prochain.
Aug. Vidal.
Te8ive,divina permi88io[ne] avesque d'Agde, a totz losfizels deCrist
als quais las letras p (mot illisible), salutz e nostre senhor Jhu Crist.
Fer las presens letras volem esser manifestât que nos, de cossell e
ÉTABLISSEMENT DU MARCHÉ A MONTAGNAC 71
de voluntat d*en Ouillem de Montanhac menutz, en Pos de Mod-
tanhac e d*en Guillem de Montanhac, senhors del castel deMontanhac,
conestablem per tosz temps for o mercat el castel davanditzt en aytal
manîeyra empro que aqui feria sexta o el dia de divendres sia fais a
toUs tems ; establem yplamens que las costumas que en la cieutat
d'Agde so servadas, el for el castel de Montanhac sian servadas las
costumas, empro son aytals : Quique majso propria en la cieutat
d'Agde non a, si ven blat quai que sia pagua de cascu sestier una
copa que es la (mot illisible sS^') part d'aquel sestier. Item, quique
caval vendra el for o el mercat, tan comprayre quan vendeyre, sino
n*e8 cieutadas d*Agde, paga XII d. Item, cascus comprayre e ven-
deyre estrang de cascu moto e de cascuna feda paga mesalla. Item,
de cascuna cabra e de cascun boc paga, cascus estrang, poges. Item,
de cascuna porc o trueja, I den. Item, de dozena de pels comprayre e
vendeyre estrang, III mesaillas. Item, de saumada de blat, si es ven-
dada, paga mesalla. Item sabatier e coyratier, si tenon el for e el
mercat, cascus paga pogesa. Item, drapier, cascus, pogesa; si empro
menon bestia, mesalla. Item, de saumada de sebas, de tota frucha,
si alcuna caso la menon ne vendra, dona mesalla. Item, de dotzena
de fromatges menutz o grands, comprayre e vendeyre estrang paga
III mesallas. Item, quique vi estrang aportara, e pueis vendra aquel
vi en la cieutat d*Agde a taverna, sia cieutadas d'Agde o non, paga
II den. de cascu mieg. Item, cascu maselier que buou o vaca vendra
el masel dona la lenga d*aquel meteis buou o d^aquela mesennia
vaca; si empro porc o trueja vendra, dona llllbes. ^; si empro
av[e]rt om que non sia maseliers buou o vaca vendra o porc o
trueyas el masel, si maiso propria non a en la vila d'Agde, paga aco
metens. Item, de cascu cuer de buou e de cascuna bestia grossa
cascus compraire e vendeire estrang paga de cascu cuer I den.
* La vraie lecture est : quatre jambages surmontés du signe abré-
viatif de m et bes avec un intervalle entre b et es. Faut-il lire membres,
ou bien IIII pes ?
VARIÉTÉS
LA SANTO ESTELLO A MAGUELONNE
Le 27 mai 1900, vers les dix heures du matin, la place de la Comédie
est noire de monde. Les félibres arrivent et se dirigent vers la gare
de Palavas pour se rendre à Maguelonne. Devant le square, on aper-
çoit Mistral, Félix Gras, à qui de nombreuses personnes se font pré-
senter.
Le train qui emporte les félibres s'arrête aux Quatre-Ganaux où
les attend un bateau pavoisé. Tandis qu'il remonte lentement vers
Maguelonne, on chante en chœur lou soulômi de la Rèino Jano.
Le cortège félibréen a déjà été précédé d'une foule de personnes
venues les unes à pied, les autres à bicyclette ou en voiture. Il y a,
sur les vertes pelouses de Maguelonne, près de trois cents personnes,
disposées soit à se ranger auprès des longues tables placées à Tombre
des grands arbres, soit à entamer, derrière les massifs, les provisions
qu'elles ont apportées.
Mais auparavant, M. Fabrège, qui a offert si gracieusement sa pro-
priété pour cette fête, fait visiter Téglise, et donne à son sujet les
renseignements les plus intéressants.
Le temps est magnifique, pas un souffle, la mer bleue est calme et
muette. A midi on se met à table et chacun trouve à sa place Toriginal
menu que voici :
CARTULARI DE LA DINNADA
DB LA SANTA-BSTBLLA MA6AL0UNENCA
27 de mai 1900.
APETISSADISSKS
Saussissot dau Carsi
Burre dau Clapas
Garamotas de Testang de Tau.
RELEVAT
Boucada de Pèire de Prouvença à la Bella Magalouna.
Boui-abaissa de las Cabanas.
INTRADA
Costa d^agnèl dau Pioch de Sant-Loup
Filet de biôu de la Jarjalhada.
VARIÉTÉS 7 3
ROUSTIT
Capoas e pintadas dau mas de Fangousa.
LBGUN
Espàrgous de la Gardiola.
BNTRE-MÈS
Reiaume de la Rèina Jana
Fragas e dessèr.
VINS
Vin blanc dau Sendic
Froimtignan
Saint-Jôrdi.
Servit à Magalouna pèr Toste Favier, de Mount-Peliè.
Vers la fin du dîner, Mistral se lève et, tenant à la main la coupe
d'argent remplie de vieux frontignan, il entonne l'hymne félibréen :
Coupo santo, qui est repris en chœur par toute l'assistance.
Puis, c'est le capoulié Félix Gras, qui prononce le discours sui-
vant :
Messies b gai Gounfrairb,
La Mar nous fai fèsto e la Coupo felibrenco esbrihaudo coume un
Sant-Soulèu I
La Mar, la grando Mar latino que nous adiiguè dins la barqueto di
très Mario la civilisacioun que de Prouvènço s'es espandido sus tôuti
li mounde ounte dardaio lou soulèu, la grando Mar latino, vuei,
oundejo verdouleto, lusènto e sedouso coume un blad de printèms
e nous adus sus Tesquino de Terso Santo Estelle la miraclouso !
Es emé Tajudo de Santo Estelle la miraclouso, Santo Estelle mirau
de venta, tourre depouëslo e rousié d'amour, que lou Felibrige mounto
à soun pountificat !
Nosto revoulucioun se coumplis grando e pacefico : li pourtau de
rUDÎversita an vira, noun sènso gémi, sus si goufoun enrouveli e nosto
divine lengo prouvençalo es intrado coume uno clarta dins Tareoupage
universitàri. Deman li bachelié de tôuti li bacheleirat, lis estudiant
e coulegiau de nosto raço miejournalo s'esplicaran en prouvençau sus
la literaturo felibrenco davans li bericle e li mourtié cstabousi di
proufessour e catedrant di faculta.
Saludelou fiéude Gascougno, menistre patriote, que s'estent rapela
qu'èro lou vesin de Montaigne e lou counteirau de Jausserniu, a
ounoura li letro franceso en fasènt soun dre i letro prouvençalo !
74 VARIETES
Mai la revoulacioun felibrenco, fau que se coampligae fin-qa'au
bout ; fau que la daveren, la branco dis aucèu I
Quand li fiéu di bonrgés e di catau, quand li grato-papié dis
amenistracionn auran gagna si diplôme en fasènt, tant bèn que mau,
une versioun prouvençalo, auren pancaro esclapa li grasiho dôu grand
couvent, auren pancaro sauva la lengo dôu nis de la serp. Es pas lou
tout de planta Taubre, fau encaro donna la bono faturo e la drudiero
à si racinage, e iéu vous lou dise. Ion païsan es à la raço, es à Tuma-
nita ço que la racine es à l'aubre. Es dounc au pople, es au païsan de
la terro que faudra durbi lou pourtalet de l'escolo primàri, car es dôu
pople, es dôu païsan que fau fisa aquel ôutis de la pensado, es au
païsan, manobro de Dieu e dôu soulèu, que fau fisa aquéu trésor que,
segound la paraula dôu Mèstre, es eu la PatHo, es eu la Libéria I
Messies et gai Counfraire, sabèn qu'aquésti darrié Jour, la flour de
de la sciènci, lis afouga e li saberu, s'acampavon à Mount-Pelié dins
l'interès de Testùdi di Lengo Roumano, sabèn que, se lou pople nous
a garda lou recaliéu de nosto lengo d*0, es li filoulogue majour, en
quau tiran vuei la capelado, qu*an ajuda, mai que degun, à Tespan-
dimen dis obro felibrenco de nosto reneissènço dins lou mounde
savent de nosto terro de Franco e dis estrangi païs ; e es éli, fau lou
dire, que nous an ajuda & buta li pourtau de TUniversita, e sara éli,
osco seguro, que nous ajudaran à durbi lis escolo primàri à noste
pople dôu Miejour. Messies li sôci di « lengo roumano », vosto
messioun es auto e belle, es à vàutri de counserva lis archiéu de
nôsti tradicioun ounte deraoro eternamen vivènto la fe d*uno raço
dins soun dre de resta soubeirano sus la terro siéuno 1 Es vôsti
nebout, es vôsti rèire-nebout, soci d'aquelo jitello dôu Felibrige que
s'apello la Soucieta di Lengo roumano, qu*estudiaran dins milanto
an, à constat di tensoun e di serventés cavaleirous de Bertran de
Bom, li cansoun rustico d*un païsan dôu Paradou. Es vôsti nebout e
rèire-nebout que faran is estudiant d^alor lou raconte de nosto
reneissènço, que deschifraran dins li crounico que ié laissaren ; ié
diran nôsti lucho, nôsti desfèci, nôsti vitôri, ié diran que tau jour que
vuei sian vengu à Magalouno en festo Santés telenco, et que la Mar,
la grande Mar latino, nous dansavo à Tendavans, e nous aclamavo
de la voues, de tôuti sis ausso, e que la Coupo felibrenco esbrihau-
davo coume un Sant-Soulèu; ié diran que rèn mancavo à noste
triounfle, ni Testrambord, ni lis aclamacioun dôu pople, ni même lis
esclau insultaire que courrien desalena dins lou revoulun de la pôusso
de noste càrri, mai que li proutestacioun messourguiero d'aquéli
vento-bren latin èron cuberto pèr lis aplaudimen de la foulo e pèr lou
cant d'aqueste refrin nouvèu de noste grand pouèto naciounau :
VARIETES 75
V La maire Prouvènço qu'a bâta Taubado,
La mam ProaTènço que tèn lou drapèu,
La panca crebado
La peu
D6u rampèu I »
Après ce discours, accueilli par les applaudissements de la foule,
sans cesse accrue, M. Fabrège souhaite la bienvenue à ses hôtes en
ces termes :
TOAST DB M. FABREGE
An nom de la Belle Maguelonet ressuscitée dans la reine Marie-
Thérèse^, à qui j'adresse un respectueux et sympathique souvenir,
et de Pierre de Provence ^ dont tout félibre est le féal, au nom de vos
ancêtres, Bernard de Tréviez, qui a immortalisé ces deux héros
légendaires du littoral dans le roman le plus populaire du moyen
âge, et de Daudes de Prades, qui chanta, ici môme, la nature et les
oiseaux, je rends hommage au suzerain du génie méridional, sacré
par la République des lettres, roi d'Arles et empereur du Midi, à
Mistral I à Mistral, qui a fixé Pidiome de nos pères et la langue des
Troubadours, dans des monuments plus durables encore que ces
marailles cyclopéennes, chefs-d'œuvre d'inspiration biblique, d'un
charme homérique, aux stances en vers inégaux, mélodieuses comme
un écho de la Jérusalem délivrée ! à Mistral, type incomparable de
simplicité, de dignité, de bonté, personnification de la foi antique,
de l'espnt chevaleresque, de l'originalité provençale et de cet amour
du clocher, principe et force du patriotisme, et qui, au Munster de
Strasbourg, a élevé si haut les aspirations indéfectibles
D'un viei poplefièr et libre ^.
Mistral a chanté Hé Isclo d'Or. La plus fortunée des îles est au-
jourd'hui celle qui le reçoit, celle qui vous reçoit, Mesdames et
Messieurs, vous, illustre capoulié et maîtres du gai savoir^ profes-
seurs des antiques Écoles, l'honneur de l'Église de Maguelone, et
représentants des Universités nationales et étrangères, tous, dans
votre domaine, sur cette terre classique de la légende et de l'épopée,
de la chevalerie et de la poésie, de la science et de l'art, dans la
vraie patrie des Benoît d'Aniane et de Guillaume d'Aquitaine, de
Bernard de Tréviez et de Raimbaud d'Orange, de Guillaume Durand,
* Mademoiselle Marie-Thérèse de Ghevigné, reine du félibrige.
' Mistral, La Coupo santo.
76 VARIETES
le Specidator, et de Gaillaume Pélicier, un des pères de la Renais-
sance.
Si ces ruines parlent à votre imagination, si la poussière des
siècles se soulève pour former, autour de vos fronts inspirés, comme
une auréole historique, honneur surtout aux félibres qui prêchent,
avec un zèle d'apôtre, la religion des traditions locales et la dévotion
des francs-parlers.
Sénèque raconte que Fempereur Auguste, pendant son séjour en
Gaule, éleva un temple à Girius, miûtre des vents, dieu qui fait la
salubrité du monde, salubritatus cœli. Ce mistral aérien, n'est-il pas le
symbole du divin Mistral ?
Comme ces gentianes d'azur au pistil d'or, autour de la Coupo
santo, primeurs des Alpes, cueillies par de blanches mains, à son
intention^, sa poésie éthérée ne prend naissance que sur les sommets
de la pensée; elle ne descend jamais aux bas-fonds du réalisme : et,
en recevant les nobles passions de l'âme, ainsi que la brise rafraî-
chissante de la Méditerranée, elle fait tressaillir les cœurs d'amour
et d'enthousiasme pour doulce et chière France :
Pèr la glori dôu terrai re
Lis estrambord
E l'en avans di fors.
La coupe passe ensuite de main en main et nous devons nous con-
tenter de donner les noms de ceux qui lahaussenten portant des brinde.
C'est d'abord notre président M. Léon-G. Pélissier, puis MM. Jean-
roy, Marsal, Messine, Chabaneau, Arnavieille, Vermenouze, Mouzin,
Henri Teulié, le D^ Banal, Antonin Glaize qui dit les vers charmants
que voici :
LI CAPRICE DÔU TEMS
A PRBDBRI MISTRAL.
Di caprice dôu tèms n'i 'a pèr perdre la tèsto ;
L'ome es coume un jouguet de vèire entre si man ;
Lou peg^n dôu dilun lou dimars devèn fèsto ;
Ço qu'es facile vuei fara trima deman ;
Lou tèms mestrejo tout : lou bon Dre, la Justiço,
Pèr faire flôri n'an tout-bèu-just qu'un moumen ;
1 M"* Marguerite-Blanche de Rives, dont le père, archéologue érudit,
a composé un magnifique volume sur quelques tissus antiques et du
haut moyen âge, jusqu'au XV« siècle.
VARIETES 77
Se vèn à i* escapa aoon implacablamen ;
Courseja pér un veat d'Ënvejo e de Maliço.
Que noun veniés, Mistral, davant que tant d'enfant
Aguèssoun ôublida la lengo de si grand !
Per sauva lou Miejour, se n'an pas, li Felibre !
Fa tout ço que voulien, an f a ço qu'an pouscu ;
Mai se trento an pulèu, d'asard, ères nascu,
Nostre parla, segur, adeja sarié libre.
MANDADIS
« Me souveta trento an de mai,
» Moun orne ! — Me diras, bessai, —
» Pèr ma fe me la baies bello. »
Mai fau pas lou prendre pèr mau :
Trento an de mai, acô n'es qu'uno bagatelle
Pôr lou qu'es immourtau.
C'est ensuite le tour de notre confrère le D' Marignan :
El FELIBRE E SABENT ACAMPA A MOUNT-PELIÈ
PER LA SANTA- ESTELLA
27 de mai 1900.
Aiço's un liô sacra, lei pouèta, lei sage,
Lei sabent, de tout tèms à la sourça an begu,
Felibre dau miejour segues lei bèn vengu,
Venès renouvela l'antique roumavage.
Autour d'aquel sourgènt mounte tant an trempa
Sei labra qu'avièn set d'aiga limpida e clara,
Autrafes ses vengu, e revenès encara,
Revenès, coume autour dau nis, vous acampa.
Car Mount-Peliè nous es una secounda maire,
La maire de nosta ama e de nos te esperit ;
Lou la que nous pourgè e dount seguèn nourrit
Es aquel dei valent, dei fort e dei troubaire.
Es aquel qu'an begu Pétrarque e Rabelet,
Es aquel, qu'en passant, tambèn beguè Moulièra,
E que donna toujour, la bona nourriguièra,
Desempiei ioch cents an que raja à plen galet.
78 VARIÉTÉS
E pendent ioch cents an, alor qoe ans loa monnde
Sas Pnniver entier, loa ciel s'era escorci,
Vers la para clarta qae raioanava aici,
Lei pèlerin venien de pertoot en aboande.
Chacun acoarrissiè dins soan raive encanta,
Gerçant la fe prefoonda, e la lamiera, e Tauba,
E chacan s'entoamava empourtant dins sa raaba
Un flo de la sciença e de la verita.
Mais aici la sciença es gaia e sens maliça,
N'autre n'avôn pas gès d'aquelei grand sabent,
Que vous portoun sa testa ansin qu'un sacrament,
Ë dount lou regard soûl vous donna la jaunissa.
Nostei sabent soun gai, simple, e sens embarras,
Soun pas, toujour inquiet, penjas sus de cadabre,
Soun fil de Rabelet, cousin de Tabat Fabre ;
E quand ou fau, tembèn, ie van d'un cacalas^
E nosteis escoulan ! Flourida magnifica,
Espér de la patria e dau siècle que nai,
Savoun bèn travailla, bèn rire, aco vau mai
Que de faire à vint an, déjà, de poulitica.
Mais nia proun, Praires, avès, aici, toutei begu,
Mestre, escoulan, felibre à la coupa sacrada,
Toutei coumunian dins la mema pensada,
Adounc segues, aici, toutei lei bèn-vengu !
D' E. Marignan.
Les brinde terminés. Mistral ouvre la Cour d'amour en chantant sa
nouvelle chanson, la Regpelido, que tous les félibres savent aujourd'hui
par cœur.
Vers le soir, les Félibres furent ramenés en bateau jusqu'à Palavas,
où M. le maire Poncet, entouré du Conseil municipal, les reçut et leur
offrit un vin d'honneur. Un train spécial les ramena à Montpellier à
l'entrée de la nuit. Et lorsque, vers les neuf heures, Mistral et les
Félibres traversèrent la place de la Comédie, les orchestres des divers
cafés jouèrent la Coupo, et de nombreux applaudissements les saluèrent
au passage.
A r « Association des étudiants », le Président reçut les Félibres
VARIETES 79
dans la salle des fêtes, et M. Marc Varenne leur souhaita, en gascon, la
bienvenue. Après un discours de Misti'al, Félix Gras chanta la chanson
du RH En Pèire.
Ainsi se termina cette journée qui intéressa vivement les membres
et les invités de la Société des Langues Romanes.
Henri Tbuliâ.
TROIS BILLETS INÉDITS DE FR. GUIZOT
J'ai communiqué jadis à IsiRevue Rétrospective (Nouvelle série, t. XI,
p. 241 sqq.) des lettres adressées au journaliste député Alphonse
Mahul, par divers politiciens du temps de Louis-Philippe, Guizot,
Kémusat, le cardinal de Bonald. De nouvelles recherches dans les
mêmes papiers ^ m'ont fait retrouver les trois billets suivants de
Guizot, adressés au même personnage, et qui ont, à défaut d'autre
importance, l'intérêt d'être les premiers qu*ait écrits l'historien au
futar auteur du Cartulaire de FAude.
L.-G. P.
I
A Monsieur
Monsieur Mahul, secrétaire général
de la Société de la Morale chrétienne.
Rue Jacob, n^ 7, Paris.
Il me sera triste, Monsieur, d*avoir à présider la séance publique
de la Sociéié de la Morale chrétienne^ et de m'asseoir à la place d'un
demes amis les plus chers. Je ne puis me refuser cependant au désir
que veut bien manifester le Conseil, et je m'acquitterai de mes fonc-
tions. Veuillez me prévenir du jour où la Commission centrale se
réunira pour régler l'ordre de la séance. Je ne manquerai pas de
m'y rendre.
Agréez, je vous prie, l'assurance de toute ma considération et de
mon sincère attachement.
Guizot.
Mardi, 11 mars 1828.
11
M. VéroD ira vous voir ce matin, mon cher Monsieur. Voulez-vous
me faire le plaisir de causer avec lui, et de vous mettre un peu au
^ Conservés à la Bibl. de Garcassonne.
no TARIETES
eonrsuit des affaires de la Betwe de Pari» qali tous montrera ? II
faut les bien eonnaitre. Ifflle pardons de toos donner cette peine.
Toot à iroos,
GinzoT.
Mardi, 10 heures et demie.
111
Ne donnerez-Toas pas qoelqoe chose cette semaine, mon cher
Monsieur ? Votre article était excellent et a très bien rénssL NoUe
part on n'a parlé si franchement. N'anries-voos pas quelque chose
à dire sar la natore des complots et des mouTements carlistes possi-
bles dans les départements da Midi et sor les meilleurs moyens de
les prévenir et de les réprimer ? Ou bien pourriez-vous parler de
Bordeaux? Je tous demande de chercher vous-même. Ou bien sur les
élections prochaines et la manière de les préparer bonnes ?
Mille et mille compliments.
GUIZOT.
MardL
. BIBLIOGRAPHIE
A. Blanc. — Le livre de comptes de Jacme Oliviei^ marchand nar-
botmais du XIV^* siècle, publié avec une introduction, un glossaire j des
notes et des tables, tome II, 1" partie; Paris, Picard, 1899; in-8o.
(^ volume de 672 pages ne forme guère que la moitié d*un ouvrage
qae son importance nous fait un devoir de signaler, dès maintenant, à
Tattention des historiens et des philologues. L'érudit auteur, bien
connu des lecteurs de cette Revue ^ j publie non seulement le livre
de comptes (commencé en 1391) de Jacme Olivier, mais plus de
60 pièces inédites, échelonnées entre 1175 et 1311, se rapportant
toutes à Tbistoire du commerce narbonnais, alors si florissant. La
seconde partie du présent volume comprendra d'autres pièces de
même nature, un glossaire des mots provençaux et un index des noms
de personnes et de lieux ; le premier volume sera consacré à Vlntro-
ductîon. On sait assez par les comptes déjà publiés, ceux des frères
Bonis et de Ugo Teralh, par exemple, l'importance de ces documents
pour l'histoire économique et sociale, et il ne m'appartient pas d'y
insister; ce que je puis dire» c'est que la présente publication n'offre
pas un moindre intérêt linguistique. Le texte des Comptes est tout
entier en dialecte et abonde en mots techniques et rares ; il en est de
même des pièces justificatives en langue vulgaire (traités de com-
merce, leudes, inventaires, transactions diverses) ; toutes ces pièces
ont été copiées sur les originaux, et les épreuves corrigées sur ceux-ci,
dont les moindres particularités graphiques, — surtout celles du livre
de comptes — ont été signalées. 11 est donc bien peu de textes de
ce genre qui se présentent au philologue dans les mêmes conditions
de scrupuleuse exactitude ^ M. Blanc lui-même, dans une série d'ar-
ticles récemment publiés ici même, a montré le profit que pouvaient
tirer les études provençales de ces sortes de documents. Il faut le
^ Ils sont, en effets publiés ordinairement par des historiens ou des
archéologues qui s'intéressent plus au fond -des documents qu'aux détails
de forme; ceux qu'a publiés Mouynès,par exemple dans Tappendice de son
Inventaire des archives de Narbonne^ l'ont été sur des copies souvent
assez défectueuses.
82 BIBLIOGRAPHIE
remercier sans résenre de rimmense labeur qall s'est imposé et
souhaiter qa'il puisse terminer à bref délai cette très méritoire publi-
cation.
A. Jkarrot.
Delignières. — Nouoelles recherches sur le lieu d^origine de Raoul de
Houdenc, Trouvère du XIII** siècle, précédées (Tun aperçu sommaire
sur le mouvement littéraire en France à partir du X'^ siècle. Etude
présentée à rAcadémie d'Amiens, dans la séance du 9 février 1900, par
M. Emile Delionibbbs, membre correspondant. Amiens , imprimerie
Yvert et Tellier, 1901 ; in-12 de 38 p.
Si Ton reti'ancbe de cette brochure les généralités banales et les
compliments aux « chers » ou i< illustres confrères », voici ce qui en
reste, qui pouvait être exposé en quinze lignes : M. D. croit avoir
découvert dans les papiers d*un antiquaire amiénois, Nicolas CoUenot
(1732-1815), la preuve que Raoul de Houdenc était originaire de Hou-
dant en Vimeu (on sait que la question du lieu de naissance du vieux
trouvère passionne et divise les érudits picards et franciens). CoUenot
raconte que, « en 1762, un vieux curé de Houdant en Vimeu lui remit,
comme les ayant trouvés dans un coffret ancien» encastré et scellé
dans la muraille de Téglise, des (sic) vieilles pancartes. Ces pièces ,
au souvenir de Tauteur du manuscrit, étaient relatives à Térection (sic),
confirmation des souverains et dotation de divers seigneurs, et aussi
des espèces d'obituaires et cueilloirs. » CoUenot donne copie de l'un
d'eux, pris au hasard et conçu en ces termes : « Obit pour Raoul de
Houdan, genti conteur, pour quoi rend sidrachprost à cheans, six
blancs, trois œufs et deux fouaches, affecté sur manoir, gardin,
courlis faisant le cuing del plache, »
Il n'y a dans tout cela rien qui paraisse suspect à M. D. « CoUenot
était doué, parait-il, d'une mémoire remarquable. (Que nous importe
la mémoire de CoUenot, s'il a, comme le croit M. D., copié textueUe-
ment son original ?) Et, bien qu'il ne sût guère écrire de bon style ,
son activité et son dévouement à la Société d'émulation lui avait fait
décerner le titre de président honoraire. On ne saurait vraiment sup-
poser que cet homme ait, sans intérêt, ou mû par un sentiment
exagéré de patriotisme local, imaginé, composé ainsi de toutes pièces
un document... »
« On ne saurait supposer... » Voilà précisément la question : car ce
sentiment de patriotisme local, dont le faux en question aurait été
une manifestation « exagérée », paraît ailleurs à M. D. « fort
BIBLIOGRAPHIE 83
louable » (p. 24) * et paraissait peut-être encore plus louable à Col-
lenotqu'à M. D. Etait-il plus patriote que consciencieux, ou inverse-
ment ? Voilà la question qu'il faudrait résoudre avant de considérer
son témoignage comme recevable. Nous la laissons volontiers aux
savants locaux, qui pourraient être en mesure de reconstituer la
psychologie du « père CoUenot. »
La prétendue copie textuelle dudit Collenot n*est point faite pour
inspirer confiance. On peut affirmer, à coup sûr, que les formes six ,
œufs, affecté, ne se trouvent point dans un texte du XIII"» siècle.
Et qu'est-ce que si drach prost f Y a-t-il là mauvaise lecture ou
maladroite fabrication ?
Voici encore quelques lignes particulièrement piquantes: « La cer-
titude de l'existence de ce document probant paraît d'autant plus
grande, que l'extrait ci- dessus vient confirmer l'origine picarde, bien
avérée, de Raoul de Houdenc » (p. 35).
J'avoue que je ne comprends plus. M. D., pour établir ladite
origine, s'appuie uniquement sur l'opinion d'érudits a dont les
assertions font autorité » (page 27) ^, sans dissimuler, d'ailleurs, que
cette opinion n'est nullement partagée par d'autres érudits, et Tobjet
de sa brochure est précisément de trancher le différent par un
document « probant ♦».
L'auteur de la Voie de Paradis se donne comme picard et la Voie
de Paradis est de Raoul de Houdenc : voilà , en réalité, le seul
argument en faveur de la thèse de M. D. — Il n'ignore pas que
M. Friedwagner, « docteur autrichien » (page 27), a récemment
(( sapé par la base » cet argument, en soutenant que la Yoie de
Paradis n'est point de Raoul; mais il s'imagine que M. Friedwagner
n'a pas donné les preuves de cette assertion. Ces preuves, tirées de la
langue du poème, ont été fournies dans une note de l'édition de
Meraugis (page LVIII, n° 2). M. D., il est vrai, ne paraît point se
douter de l'existence de cette édition. On se demande même comment
il a pu l'ignorer , le compte rendu qu'en a donné M. G. Paris
précédant immédiatement, dans la Romania ^, les pages mêmes de
M. Friedwagner^ dont M. D. a pris connaissance. Quant aux
arguments par lesquels il prétend écraser son adversaire, en voici
* Cf. p. 35 : « M. Vuilhorgne avait plutôt intérêt (!), comme habitant
près de Beauvais, à cherchep à rattacher ce trouvère à son pays. »
M. D. prête aux autres, il faut Tavouer, des états d'esprit bien
singuliers.
* On est tout étonné de trouver parmi eux, M. Dinaux, « savant belge »
(page 23), et même M. (sic) Fauchet (page 18).
* Tome XXVII, (page 307-18).
B 4 BIBLIOQRAPHIE
un spécimen : « Il n^est gaère admissible que le même manuscrit
aitrenfenné les œuvres de deux poètes différents » (page 29). 11 est dou-
teux que M. Friedwagner prenne la peine de réfuter des arguments de
cette force. — M. D. n*a pas remarqué non plus que le passage du Songe
d'Enfer sur lequel il s'appuie, qui ne se trouve que dans deux manu-
scrits sur neuf ^, est très probablement interpolé; enfin, que ce pas-
sage même ne revendique nullement pour Raoul la paternité de la Voie
de Paradis.
A. Jbanbot.
F. Wnlff. — La rythmicité de Talezandrin français. Lund^ 1900.
[80 p.].
M. Wulff est Suédois et veut à tout prix ritmer les vers français
à la suédoise. Notre alexandrin est essentiellement un vers iambique ;
il peut aussi contenir des anapestes et des péons. G^est une erreur de
croire que le français ne distingue pas les brèves et les longues
aussi bien que le latin et le grec, et les Français n*ont jamais rien
compris à leurs vers. Ils en ont fait de beaux sans le savoir et de
laids en croyant en faire de beaux. Ghénier a gâté notre versification
en substituant trop souvent le schéma anapestique au schéma iam-
bique, et les romantiques en ont consommé la destruction par remploi
des péons et du vers ternaire, qui prouve quMls n'entendaient rien
aux principes fondamentaux de l'alexandrin.
Tout cela n'est pas bien nouveau. J*ai eu un professeur de réto-
rique qui m'enseignait que :
Oui, je viens dans son temple adorer l'Etemel
est un anapestique, et :
Je viens, selon l'usage antique et solennel
un iambique. C'est à peu près tout ce que savait ce brave omme sous la
direction de qui j'ai fait mes « umanités ». Encore n'avait-il pas eu le
mérite de cette importante découverte; c'est un secret qu'il tenait d'un
autre, et, à moins de supposer que cette trouvaille se soit répétée à plu-
sieurs reprises, ce qui n'a rien d'invraisemblable, la tradition en remonte
aisément jusqu'à la renaissance. A cette époque l'étude du latin et du
grec amena naturellement, par l'admiration que ces langues suscitaient
1 M. Friedwagner, Die Ashbumham-Handschrift des Songe d'Enfer y
Graz , 1898 (page 15). ( Extrait de c Festschrift zum VIII allgemeinen
deutschen Neuphilologentage i ).
BIBLIOGRAPHIE 85
et sartoat parle besoin naturel de comparaison, à attribuer au français
les procédés des langues anciennes. De là les tentatives mort-nées de
vers mesurés en français. Quand ce besoin de comparaison, dû à la
faculté A' assù dation de notre cerveau, est bien dirigé et soutenu par
un sens critique affiné, il fait surgir les sciences de comparaison dont
s enorgueillit le XIX® siècle ; mais lorsqu'il est abandonné à son libre
coars, il se laisse prendre à des apparences trompeuses, à des coïn-
cidences fortuites et engendre les comparaisons fausses que nous
déplorons tous les jours. C'est ainsi que tout Français, ignorant la
linguistique, qui étudie l'allemand, déclarera autement que feu et
feuer sont le même mot et sera tout prêt à traiter de « stupide », pour
employer l'expression de M. Wulff, toute opinion divergente. C'est
ainsi que l'on publie encore aujourdui de gros livres où l'on compare
la sintaxe du grec avec celle du latin ; il est, paraît-il, très remarquable
qae dans ces deux langues la plupart des frases aient un sujet, un
verbe et un complément, que dans toutes deux on se serve d'un temps
passé pour exprimer le passé, d'un temps futur pour exprimer le futur
et le reste à l'avenant.
Pour en revenir à la téorie de M. Wulff, il est facile d'i répondre. 11
n'i a pas d'iambes, ni de trochées, ni d'anapestes dans notre poésie
parce que nos poètes n'i en ont jamais mis.
Quant à la distinction entre sillabes longues et sillabes brèves en
français, elle est très peu sensible et n'a aucune importance pour la
versification. Il i a en français des sillabes toniques et des sillabes
atones, mais il est faux de dire que les premières sont longues et les
secondes brèves ; les monosillabes toniques nu, cru, vif, vil^ latte,
crotte y jet, sont Ausai brefs que n'importe quel monosillabe proclitique;
il en est de même de la sillabe finale des mots venu, bourru, esquif,
pistil, écarlate, carotte, projet ; dans les mots en -oMon, Va est beau-
coup plus long que la voyelle tonique •^on. Sans doute on peut
appeler, par comparaison, « iambe » un pied composé d'une atone et
d'une tonique et « anapeste » un pied composé de deux atones et
une tonique. Dans ces conditions il i a, au moins à première vue,
des anapestes dans le premier des deux vers cités plus aut et des
ïambes dans le second. Mais dans ce dernier, dira-t-on que u et
so- » est un iambe au même titre que « Je viens »? 11 i a un accent
secondaire sur « so-», mais un accent secondaire ne vaut pas un accent
primaire. Dans le premier vers, il i a un accent tonique sur « Oui », et
des accents secondaires dus à l'accentuation binaire sur «dans », « a-»,
«TE-)). Ce vers contiendrait donc beaucoup plutôt quatre crétiques que
quatre anapestes ; mais ce n'est jamais que par comparaison que l'on
pourrait appeler ces pieds des crétiques; ils présenteraient même
86 BIBLIOGRAPHIE
cette bizarrerie inconnue aux vrais crétiques d* avoir la sillabe initiale
plus faible que la finale. Et d'ailleurs le fait de comparer un objet à
un autre n'a jamais donné au premier la nature du second. Si Ton
compare une chouette à un chat, comme Ta fait l'étimologie populaire
dans le mot chat-uantj il n'en résulte nullement qu'une chouette soit
un chat.
M. Wulff a beaucoup trop négligé l'istoire de l'alexandrin français
ou plutôt il en a imaginé une qui est toute de fantaisie. En
réalité l'alexandrin primitif est un vers sillabiquey composé de deux
émistiches semblables comprenant chacun six sillabes, dont la sixième
est une tonique et peut à l'occasion être suivie d'une septième,
dite féminine, qui ne compte pas dans la mesure. Et c'est tout ; il n'i
a rien d'autre à chercher dans ce vers. Il s'est beaucoup modifié par
la suite des temps et je n'ai pas à retracer ici les différentes fases
de son évolution. On les trouvera exposées dans mon livre Le vers
français, qui est achevé depuis longtemps, mais n'a pas encore paru
parce que nos éditeurs fuient comme la peste, dans le domaine des
lettres, tout ce qui a Paspect scientifique, et réservent exclusivement
leur mauvais papier aux romans sensationnels et aux tartines litté-
raires vieux-jeu.
M. Wulff, d'accord en cela avec la plupart de nos « éminents »
critiques littéraires, ne sent pas les vers français ; c'est la meilleure
des conditions pour ne pas les comprendre. M. Wulff va de nouveau
me reprocher d'être « sévère » ; les raisons de mon jugement sont
pourtant bien simples: il se scandalise des critiques que j'ai adressées
à ce vers de Lamartine :
Tombe sous son doux fardeau,
donc il ne sent pas qu'elles sont méritées. Il écrit, p. 62, que
M. Rostand voit probablement un ternaire dans le vers suivant :
Une chanson qu'il fit blessa quelqu'un de grand.
Or il est de toute certitude qu'une pareille idée n'a jamais pu venir
à l'esprit de M. Rostand. Autant dire que ce vers de Racine est un
ternaire :
Le flot qui l'apporta recule épouvanté.
« Que n'a-t-il pas été écrit en prose î » dit M. Wulff de Cyrano,
Que n'a-t-il traité du ritme de la prose! dirions-nous volontiers de
M. Wulff; car il paraît avoir étudié de très près la prononciation du
français et il a d'excellentes lignes (p. 6, 11 et 12) sur la « rythmisa-
BIBLIOGRAPHIE 87
tionen arrière >:, c'est-à-dire sur Taccent secondaire dû à l'accentu-
ation binaire et sur les déplacements de cet accent.
Maurice Orammont.
W. Meyer-Lûbke, Die Betonung im Gallischen. — [Sitzungsberichte der
Kais,Akademie der Wissenschaften in Wien^ Phil, Hist. Classe, Band
CXLIII, IL], 71 p. in-8o. Vienne, 1901. (En dépôt à la Librairie Cari
Gerold fils).
Le mémoire de M. Meyer-Lûbke est une importante contribution
à la solution d'un problème qui exerce depuis quelque temps la saga-
cité des romanistes et des celtistes. M. Thurnejsen a attaché son
nom à une théorie d'après laquelle <( les Germains, les Celtes et
les Italiotes ont cela de commun, qu'à l'origine la syllabe initiale
de tous les mots portait Paccent. » (Cf. Rh, Muséum XLIIl, 349.)
M. M. L. admettait, dans sa Grammaire des Languies Rom^ineSy que
l'accentuation gauloise différait, à la vérité, de l'accentuation latine,
mais il se refusait à admettre que l'accent fût uniformément sur la
syllabe initiale. 11 revient sur cette question après avoir rassemblé
un copieux material. Naturellement M. Meyer-Liibke appuie sa
théorie sur l'étude des noms propres de^lieu. Sans se perdre dans les
détails, il prend les principaux groupes et en étudie les divers repré-
sentants. Nous n'avons pas besoin de dire avec quelle rigueur et
quels scrupules scientifiques cette étude est conduite. M. M. L. a
résumé ses conclusions dans les lignes suivantes : ce Les noms de
lieu Gaulois portent presque toujours l'accent sur l'avant-dernière
syllabe, si la voyelle de cette syllabe est longue, sur Tantépénultième,
si la voyelle de l'avant-dernière syllabe est brève. On ne peut dé-
montrer dans aucun cas que l'accent portait sur la quatrième syllabe.»
(P. 59) C'est aux celtistes à nous dire ce qu'ils pensent de ces con-
clusions : ils auront fort à faire pour les infirmer, si l'on songe qu'elles
sortent, non d'un raisonnement, mais de l'examen rigoureux d'envi-
ron cinq cents exemples. Nous nous contenterons pour notre part
de quelques critiques de détail. — P. 8 : écrire Tonnerre au lieu de
Tonnerres. P. 9 : à côté de Esera, de Grégoire de Tours, il faut
mettre les formes Isra, Isera, Esera, de Frédégaire.(Cf. Haag, Die
Latinitat Fredegars^ § 23), Esera de Venantius Fortunatus (éd. Léo)
VII, 4, 15, qui, elles aussi, supposent l'accentuation isara. P. 14 :
Arles. M. M. L. abandonne la théorie qu'il avait soutenue d'abord
(Rom. Qram. 1, 498), à cause de la forme Arlét. II accepte
sans enthousiasme , à ce qu'il semble , l'explication de M . A .
Thomas (dûrfte die Erklârung.,. das richtige treffen). Cette dernière
88 BIBLIOGRAPHIE
donne beaucoup d*importance à un nominatif dans la formation d*uii
nom de lieu. La première explication de M. M. L. rendait compte de
toutes les formes (même à la rigueur d'Arlét, où il n'y avait qu^à
supposer un déplacement d'accent), mais il fallait admettre une fois
au moins V Anfangsbetommg . Au reste, ce mot a eu, dès la période
latine, au moins trois formes : Arelate n., Arelasî,, Arelatus (toutes
trois dans Georges Lat d. W'ért,), On trouve Arlato dans Frédé-
gaire, 75, 14 (éd. Krusch).
P. 15: Ligericcus ^ Loiret. N'y a-t-il pas eu au moins confusion
de îccu-îttu PP. 16. 11 me paraît inutile de songer à une étymologie
populaire pour Aronc^ (fleuve) ^ Aronna, M. M. L. se demande s'il
y a eu dissimi lation de nn en nd après la tonique : la réponse ne sau-
rait être douteuse. C'est en s'appuyant sur cette dissimilation que
M. W. Foerster tire Gironde de Garumna (Garonna dans Itin,
Burdig. éd. P. Geyer 3, 7; Geronna et leronna dans Frédégaire,
(cf. Haag,op.ct^.) et cette étymologie est bien plus vraisemblable que
celle de GarentoTUt (p. 56), dont M. M. L. se défie d'ailleurs. Cf. sur
Gironde, Zeitschrift fur Rom. P^i7.1898, p. 265 (M. W. Foerster y
cite l'exemple de Oronnà ^ Aronde»)
P. 16: Cahors est l'orthographe officielle, mais la prononciation
locale est Côuz (quelque chose comme angl. Coto^^); même phénomène
que dans pa-our ( ^ pauore) passé à pôu.
P. 27. La forme Hehriuno de l'édition Wesseling (lire 665 au lieu
de 535) n'est pas reproduite par le dernier éditeur P. Geyer, qui a
pourtant suivi le texte de P. 11 a Hebriduno (Itin, Hieros. 5, 25) .
P. 29. Aux représentants de Lugdunum on peut ajouter Moun-
legun (village de l'Aude ; formes citées Montlauzunf Montlezun) avec
un g paragogique.
P. 42. M. M. L. reprend l'étymologie de chêne qu'il rapporte à cas-
sanus, comme il l'avait déjà fait dans sa Gram, des Langues
Romanes.
P. 47. Lemausus ue peut pas donner Limoux en languedocien.
Pourquoi ne pas y voir un représentant de lat. limosus (cî, lutosa^
p. 19)? Limosa, orum désigne dans Pline des lieux marécageux
(cf. Georges) ; le locatif Limo^e^ ou même tout autre cas {ssmî limosa)
donnerait la forme actuelle. La situation de Limoux sur les bords de
l'Aude rend cette étymologie vraisemblable.
P. 53. Adesàte est représenté dans la prononciation locale par
Atsàt.
P. 54. M. M. L. a des scrupules à admettre la dissimilation voca-
BIBLIOGRAPHIE 89
liqae de e dans Airthaies: mais le groupe tr joue bien son rôle pour
faciliter cette dissimilation.
Ihxd, Comment Argeniauo donne-t-il Argentalf lly aeu confusion
de suffixe ?
P. 60. Lodévo (avec un e fermé) ne rend pas exactement la pro-
nonciation locale : je suis peut-être pour quelque chose dans cette
inexactitude : Ve est bien fermé et la forme renvoie sans aucun doute
à Lutëua; mais Vo protonique est aujourd'hui ou (allemand u) et le v
doit être remplacé par un b, d'où Loudébo ^
J. ÂNGLADB.
RoMANiA, XXIX, 3 (juillet 1900). — P. 321. Ovide Densusianu.
Sur VaUéraiion du c laUn devant e, i, dans les langues ro77ian68.[Savant
mémoire où sont réunis les faits qui appuient Topinion émise par
M. G. Paris, dans V Annuaire de l'École pratique des Hautes Études
pour Vannée 1893, que « le c suivi de e, i, avait conservé sa valeur
d'explosive sourde simple jusqu'à une époque relativement assez ré-
cente et qu'on ne trouve aucun exemple d'une prononciation altérée
de ce son avant le VI« siècle en Italie et avant le VU* siècle en
Gaule]. — P. 334. R. Menéndez Pidal. Etimologias espaflolas :
abdega (anc. esp.), acuytrar (anc. nav.), aledaflo, altozano, antuzano,
amelga, armatostef azomar, azuzar, basuraf bodigo, breva, camélia,
gamella, cerrojo, cibiella (astur.), cebilla (santand.), colondra (astur.),
corondel, coUazo, columbrar, corambre, cuclillas , chickôn, ciciôn,
cMsme, chtste^ escabeche, enridar (anc. esp.), escamocho, escamvjo^
escamondo, escaramujo, majuelo, escorrozo, escosa, escripia (astur.),
escudir, estrago (nav.), estragal (santand. astur.), estropajo, forgaaa
(astur.), gâchas, golfîn, golfo, grieve^ grulla, hqjaldre, jalear, jaleo
(andal.), jamelgo {ajidgA.)^ jilguero, pint€u:ilgo, lecina (arag.), loro,
manteca, mielga, bieldo, mostrenco,nemigaja (anc. esp.), ovndado,
orofido,par diez, pejiguera, peldaflo, pulgar (aatur.), recadia, recaia
(anc. esp.), recel (anc. esp.), recorro (anc. esp.), rematar, remate,
remedir remeir [Anc. esp.), roano, rogo,arruego (arag.),rMC«o, sangui-
juelttj sanguja, seflerdâ, seflaldâ (astur.), seroja, serondo, seyia, seia
(anc. esp.), tanadal Uenlla (anc. esp.), tolondro, traginary trechar, tni-
chuella,vedegambre, velicomen, verija,xana (astur), yen^o, enguedaty* en-
* P. 32: c'est par erreur que r de prov. freja est accentué; p. 37:
hrittmniques au lieu de britanniques; p. 50: 1. If. Grammont ; itid.
Trêves.
90 BIBLIOGRAPHIE
gar (ane. esp.). — P. 380. F. Lot. Le roi Hoël deKerahèSf Ohès, le
vieil barbé, les « chemins d'Ahès » et la ville de Carhaix. [ L'auteur
cherche à préciser les liens qui existent entre le roi Hoël, de Petite-
Bretagne (père d'Iseut, l'amante de Tristan), Ohès, « le vieil barbé »,
seigneur de Kerahès (du roman d'Aiquin, la princesse Ahès, à qui
le peuple attribue les vieilles routes de Bretagne, et le nom même
de la ville de Carhaix, en breton Ker-Ahes, qui serait, d'après
M. Lot, la transcription bretonne de cimias Osismiorum {Okès=Osismti
ou Osismios): la disparition des Osismii aurait induit à imaginer un
roi ou un seigneur, Ohès, dont Carohès (Carhaix) aurait tiré son
nom]. — P. 403. Paget Toynbee. Benvenutoda Imola andthe Iliad and
Odyssey. [Benvenuto emprunte une partie des citations d'Homère,
qu'il a insérées dans son commentaire de la Divina comedia, à la tra-
duction latine de Leontius Pilatus, que son ami Pétrarque a dû lui
communiquer : le reste, il le doit sans doute à son maître Boccace.
MÉLANGES. — P. 416. G. Paris. La légende de la vieille Ahès.
[Peut-être ce nom cache-t-il le nom de quelque déesse gauloise à
laquelle on aurait attribué la protection et même la construction des
routes (voy. ci-dessus). L*idée qu'un personnage d'une longévité
cependant exceptionnelle renonce à des constructions commencées
(ou simplement projetées), à cause de la brièveté, qui lui est soudain
révélée (ici par la rencontre d'un merle mort), de la vie humaine en
général et de sa vie en particulier, se retrouve dans la légende de
Mathusalem, assez répandue au moyen âge. Les raisonnements et
les textes apportés rendent la thèse très vraisemblable]. — P. 224. E.
Ritter. Une prétendue mention de VArchant arlésien. [Dans le testa-
ment, de 1422, du cardinal Jean de Brogny, cité par M. Suchier (In-
troduction aux Narhonnais, II, p. Lxxxiii), il s'agit d'Archamp (Haute -
Savoie)]. — P. 425. Ch. Bonnier. Un nouveau témoignage de la chan-
son de Basin, [Il se trouve dans le Restor du Pa^oUj de Jean Brise-
barre, composé vers 1330]. — P. 426. G. Paris. Labaustre, [Dans
VEscoufle^ de la hiautes 1728 (rimant avec autres) doit être corrigé en
de labaustre ^ alabastrum, par aphérèse de Va ; de même, dans le
Romande Troie [ vv. 14.560, 14.844 et 20.605), il faut lire de labas-
tre en rime avec emplastre,et mentastre. Pour une aphérèse semblable,
on pourrait rapprocher benus = ebenus]. — P. 429. G. Paris. Osterin
[Non de ostrum, mais du germ.aust, est ; le sens est non « de pourpre »
ou « étoffe de pourpre », mais « étoffe provenant d'Orient »].
Comptes rendus. — P. 433. F. G. Mohl. Les origines romanes.
Etudes sur le lexique du latin vulgaire. [A. Thomas : résumé des
conclusions des 15 articles qui composent l'ouvrage ; le rapporteur,
tout en refusant d'accepter la thèse fa voiite de M. Mohl (voyez t. XLIII,
BIBLIOGRAPHIE 91
compte rendu da fascicule d'avril)) rend hommage à ses brillantes
qualités et à son érudition étendue]. — P. 438. H. Schuchardt, Roma-
nische Etymologien, IL [A. Thomas: réserves; M. Th. n'admet pas
turbare comme origine de trouver et s'en tient k* trôpare], — P. 440.
G. Lené. Les substantifs postverbaux dans la langue française.
[G. Paris : c'est le sujet qu'avait étudié Egger, qui considérait à tort
(comme M. Lené lui-même) les noms tirés des verbes sans l'aide de
suffixes comme formés par apocope de l'infinitif; travail méritoire, bien
que M. G. P. n'accepte pas Popinion de l'auteur sur le mode de for-
mation des noms verbaux, que M. L. appelle postverbaux. M. G. P.
résume ainsi sa manière de voir: « le sujet parlant, ayant noté le
rapport entre cantuni et les diverses formes du verbe dont l'infinitif
est cantare, a créé pour d'autres verbes des substantifs ayant le même
rapport avec les formes correspondantes de ces verbes, et comme
cantum avait l'accent des formes rhizotoniques (=: avec l'accent sur
le radical), il a instinctivement donné à ses créations cette même
forme ». C'est la vérité même]. — P. 445. Rudolf Tobler, Die altpro-
venzalische Version der « Disticha catonis ». [P. Meyer ; quelques
corrections à ce texte mutilé et difficile sont proposées par le rap-
porteur, qui a publié il y a cinq ans des fragments du même texte,
dont une petite partie seulement correspond à ceux de M. R. Tobler].
— P. 447. A. Vidal et A. Jeanroy. Comptes consulaires d'Albi.
[P. Meyer: éloges, quelques critiques de détail]. — P. 451. Matteo
Bartoli. Ueber eine Studienreise zur Erforschung des Altromanischen
Dalmatiens. [M. Roques: favorable]. — P. 452. V. Henry. Lexique
étymologique des termes les plus usuels du breton moderne. [A.
Thomas: éloges, quelques observations et rectifications]. — P. 453.
Correspondance : lettre de M . G. Molh à M. Marins Roques et réphque
de celui-ci. — P. 464. Chronique. — P. 470. Livres annoncés som-
mairement.
4. — P. 489. A. Longnon. Un vestige de Vépopée mérovin-
gienne: la chanson de Vabbé Bagobert, [Aux noms de Floovant
d'aîné des quatre fils de Clovis), de la fameuse reine Hrunehaut, de
Dagobert I»*", des deux premiers Clovis et des deux premiers Clotaire,
une chronique latine du XII • siècle, écrite par un moine de Pontlevoy,
permet de joindre celui de Dagobert II, qui vécut de 650 environ à 679,
comme ayant servi de sujet à des chansons de geste. M. L. appuie
principalement sa thèse sur les noms propres Grimaudus ^ Grimaud,
forme française de Grimoald (le maire du palais qui avait enfermé
dans un cloître le jeune fils de Sigebert III) et Eduardus, transcription
postérieure de Childeberlus, Hildehertus (le fils de Grimoald mis par
son père sur le trône d'Austrasie)]. — P. 501. E. Galtier. Byzantina.
92 BIBLIOGRAPHIE
[L'auteur démontre Torigine byzantine de plusieurs miracles ou contes
dévots du moyen âge, qui nous sont parvenus soit en latin, soit en
français.]. — P. 528. P. Meyer. Le Psautier de Lambert le Bègue.
[Ce psautier appartient au Musée britannique; les noms de saints qui
figurent dans le calendrier prouvent qu'il est d'origine liégeoise et
certains traits particuliers qu'il présente sont dus à Lambert le Bègue,
le fondateur des Béguines. En effet, au v« du f° 7 est une miniature
(reproduite ici en phototypie) avec, en tête, ces deux vers ;
Cist prudom fist prumiers Tordne de beginage,
Les epistles sain Poul mist en nostre lengage;
et sur une banderole qui s'étend d'un bord à l'autre de la miniature,
on lit:
Ge sui ichis Lambers, nel tenez pas a fable,
Ki funda sain Crisophle, ki enscri ceste table,
et au v° du même f<^ se trouve une curieuse table- calendrier, dunt
M. P. Meyer a découvert l'ingénieux mécanisme, qu'il expose d'une
façon fort claire; enfin aux f" 9 r** et 10 r® on lit deux pièces en vers
français de douze syllabes, relatives la première, à la Nativité ; la
seconde, à la Sépulture et à la Résurrection du Sauveur, qui sont
imprimées à la fin du mémoire. Un court appendice présente quelques
observations sur V Antigraphum Pétri adressé à un « Lambertus,
presbyter de Tectis » (Theux, diocèse de Liège), qu'on a peut -être
eu tort d'attribuer à notre Lambert, écrivant sous le pseudonyme de
Petpus. ]. — P. 546. C. Salvioni. A proposito di amis.
MÉLANGES. — P. 559. Paget Toynbee. Tartar cloths {Infemo,
XVII, 14-17). [Parlant delà peau bigarrée de Geryon, Dante dit que
les étoffes des Tartares et des Turcs n'ont pas de plus nombreuses
couleurs soit pour le fond, soit pour le dessin. Les étoffes dites tar-
tares, au moyen âge (a. fr. tartaire)^ étaient des étoffes de soie fabri-
quées en Chine, mais transportées à travers les pays soumis à la
domination tartare. D'après le commentateur Casini, sommesse, dans
le texte en question, désignerait le fond uni, soppraposte les applica-
tions de couleurs et de figures variées.] — P. 564. A. Longnon. Les
deux Coquillart. [Le traducteur de Josèphe, qu'on confond ordinai-
rement avec le poiite rémois, serait son père]. — P. 570. A. Johnston.
Development of latin ë in tuscan-mente awd-mento forme. — P. 574.
R.-J. Cuervo. Acudia. [ Ce mot, qui figure dans tous les diction-
naires au sens de « espèce de luciole » (commune dans les Indes Occi-
dentales, en particulier à Cuba), n'est nullement espagnol: il est dû
à une en*eur d'interprétation d'un passage de VHistoria de Indias de
BIBLIOGRAPHIE 93
Herrera, où il est question du cocuyo, — P. 578. Ch. Joret. Norm,
ecaré, « mettre hors de soi, troubler. » [ Ge mot est d'origine Scan-
dinave],
Comptes rendus. — P. 579. Forachimgen zur romanischen Philo-
logie, [M. G. Paris fait un compte rendu élogieux de ces onze
mémoires offerts à Péminent romaniste Hermann Suchier, à Pocca-
siondu 25™« anniversaire de son professorat]. — P. 586. W. Bruckner,
CJuirakienstikdergermanischenElemente »mito2ient8cAen(C. J.Cipriani :
éloges avec quelques restrictions de détail). — P. 589. E. Walberg,
le Bestiaire de Philippe de Thaiin (G. Paris : favorable ; corrections
assez nombreuses proposées à ce texte difficile). — P. 593. Ed.Cooke
Armstrong, le Chevalier à répée(Q, Paris: assez bon travail; le texte
pourrait être encore amélioré ; la partie la meilleure de ce travail est
celle qui est consacrée à Tétude comparative des trois ou plutôt des
deux éléments dont se compose le récit et qui donne occasion à Pémi-
nent critique d'exposer ses vues propres sur la façon dont est traitée,
dans le poème, la curieuse aventure attribuée à Gauvain). — P. 600.
H. Knust et Ad. Birch-Hirschfeld, El libro de loa enxiemplos del Conde
Lucanor et de Paironio^ de Juan Manuel (Maria Gojri: édition meil-
leure que les précédentes, mais non définitive). — P. 602. F.-G.Mohl.
Note rectificative à propos du rapprochement du mavrti de Vienne
et du MAVRTB archaïque de Tusculum. (Voy. ci-dessus, au compte
rendu de XXIX, 3). — P. 604. J. Loth, Le nom de Carhaix (observa-
tions sur Tarticle de M. F. Lot sur Le roi Hoèl de Kerahès, dans
Romania, XXIX, 380 et suiv.). — P. 605. Réponse de M. F. Lot.
Périodiques. — P. 611. Stuclj di FUologia romanza, vol. VIII
(P.Meyer).— P. 613. Zeitschrift fur romaniiche Philologie, H^lll, 2-3
(G. Paris). — P. 616. Zeitschrift fur franzosUche Sprachs und Lite-
rotor, XIX, 2« partie, XX et XXI (A. Jeanroy). — P. 620. BuUetin
histmqiie et philologique (années 1896, 1897, 1898). — P. 623. Sechster
Jahresbericht des Instituts fur Eumcmische Sprcmhe {Rumœnisches
S«ninar)«tt Leipzig , herausgegeben von... Prof. D»" Gustav Weigand
(M. Roques : ce volume contient Tétude de M. Weigand sur les
Samosch-undTheissdialekte et la fin du Codex de la famille Dimonie;
mais la partio la plus importante est Vlatrorumamisches Glossar, de
M. Arthur Byhan). — P. 624. Chronique. — P. 628. Livres annoncés
sommairement.
Léopold CONSTANS.
CHRONIQUE
Le comité réqionaliste de Toulouse. On nous prie d'insérer la
communication suivante :
Le Comité régionaliete fondé le 18 février dernier se propose
d'organiser à Toulouse, le 25 mai prochain, un Congrès régionaliste
où seront discutées les questions qui intéressent plus spécialement le
Midi. La date de ce Congrès coïncide avec les fêtes de la Santo-
Estèlo, qui vont se célébrer à Pau, le lundi de la Pentecôte, et permet
ainsi de réunir à leur passage les félibres qui se rendront à cette fête.
Le Congrès se divisera en trois parties :
I. — Décentralisation administrative ;
II. — Décentralisation économique ;
III. — Décentralisation intellectuelle : 1° Enseignement; 2^ Œuvre
de ïïnitiative privée dans le domaine des Lettres, des Sciences et des
Arts : Le Félihrige.
Nous avons pensé que vous ne resteriez pas indifférent à cette
réunion et que vous tiendriez à y participer. Des billets de chemin
de fer à moitié prix seront délivrés aux congressistes qui en feront
la demande au Comité.
Nous vous prions instamment d'envoyer votre adhésion avant le
15 avril, date de rigueur, soit à M. Armand Praviel, secrétaire du
Comité régionaliste, 9, rue de l'Université, soit à M. Berthoumieu,
trésorier, rue Denfert-Rochereau, 15.
Seuls, les adhérents au Congrès pourront participer à ses travaux
et y faire des communications.
Ce droit de participation est fixé à 5 francs.
Veuillez agréer, M., nos civilités confraternelles.
André Sourreil, capiscol de lEscolo Moundino ; J.- Félicien Court,
secrétaire de Zra Terro d'Oc; Armand Praviel, directeur de UAme
Latine; René de Marans, rédacteur à UAme Latine; Charles De-
LORME, directeur de la Revue Provinciale; Marc Lafargue, homme
de lettres ; Alphonse Moulinieb, directeur de L'Art Méridional;
Baron Désazars de Montgaillard, directeur de la Revue des Pyré-
néen ; Emile Cartailhag, correspondant de l'Institut, secrétaire de la
CHRONIQUE 95
Société d'Archéologie ; Edouard Privât, archiviste -paléographe ;
ToUNY- LÉBYS, directeur de GaUia;G, Berthouhieu, administrateur
de La Terro d'Oc,
Ont déjà adhéré :
Maurice Babbès;H. Beauquier, député ; De Bbaurbfaire-Frohent,
rédacteur en chef de La Tradition; J. Charles-Brun, secrétaire de
la Fédération Kégionaliste française ; Camille Chabaneau, professeur
de Littérature romane à TUniversité de Montpellier ; L. Constans,
professeur de Littérature romane à l'Université d'Aix ; Emmanuol
Delbousquet, Gaston Jodrdanne, félibre majorai ; Joachim Gasquet,
directeur du Pays de France ; Ch. Le Goffic ; René Grivart, secré-
taire général de l'Union Régionaliste bretonne ; Emile Pouvillon ;
Charles Ratier, félibre majorai ; L. Xavier de Ricard, président
de la Fédération Régionaliste française ; F. Mistral.
Lb Cartulaire db Maguelonb. — - Deux membres de l'Académie
des sciences et lettres et de la Société archéologique de Montpellier,
M. F. FABRàGK, le savant et brillant écrivain, propriétaire et historien
de l'antique cathédrale de Maguelone, et l'érudit archiviste du dépar-
tement de l'Hérault et de la ville de Montpellier, M. J. Bbrthelé,
viennent d'entreprendre la publication d'un des manuscrits les plus
importants de nos archives locales, le Cartulaire de Maguelone, recueil
en six énormes in-folios, constitué au XIV® siècle et qui contient près
de deux mille cinq cents documents^ relatifs aux différentes localités
comprises dans l'ancien diocèse de Montpellier.
On y trouvera l'histoire seigneuriale, ecclésiastique, commerciale,
agricole, etc., de la plupart des bourgs, villages et mas de notre
arrondissement, depuis le XI® siècle jusqu'au XIV®.
Une dizaine de paléographes et d'auxiliaires ont été embrigadés
pour la préparation de cette œuvre considérable. Nous citerons
d'abord quelques anciens étudiants du cours de paléographie de la
Faculté des lettres, notamment, M. B. Gailhard, docteur en droit,
bibliothécaire universitaire, et M. Maurice Tbissier, diplômé d'études
supérieures d'histoire. L'Université de Montpellier se trouve ainsi
payer sa dette de reconnaissance à IVL Fabrège qui, en tant de cir-
constances, et notamment lors de la fondation de l'Institut Bouisson-
Bertrand, lui a témoigné une sympathie si dévouée. Mentionnons
encore la collaboration de M. Tabbé Léon Cassan, archiviste diocé-
sain, qui publie en ce moment, dans les Mémolirs de la Société
archéologique de Montpellier (en collaboration avec M. Paul Alads,
ancien archiviste du département de l'Aude, et avec M. Metnial,
professeur à la Faculté de droit de Montpellier), les cartulaires des
abbayes d'Aniane et de Saiht-Guilhem-le-Désert.
96 CHRONIQUE
La publication du Cariulaire de Maguelone formera une quinzaine
de volumes in-4^. Le texte des documents sera accompagné de notes
historiques, topographiques, etc. Chaque volume sera muni de tables
chronologiques et méthodiques. Plusieurs cartes y seront jointes, qui
présenteront la reconstitution de Tancien diocèse de Montpellier au
moyen âge.
Aucune de nos Sociétés savantes ne disposant de ressources assez
considérables pour pouvoir se lancer dans une entreprise aussi impor-
tante, il semblait que ce vaste manuscrit dût toujours rester inacces-
sible au grand public. Grâce à la munificence de M. Fabrège, le
Cartulaire sera bientôt à la portée de tous les amis de notre histoire
locale. L'érudition montpelliéraine a trouvé son Mécène.
{Le Midi Mondain.)
Mot nouveau. ^ Quelques lecteurs de la Rbioub ont sans doute
remarqué un mot nouveau que les journalistes emploient volontiers
en parlant des affaires d'Allemagne ; c'est le mot mondial ; politique
mondiale traduit Weltpolitik. 11 ne paraît pas dater de loin, et, quoi-
qu'il soit difficile de prédire sa fortune, il n*y a pas de raison pour
qu'il ne prospère pas! Les diplomates furent moins bien inspirés,
quand, il y a quelques années, il nous gratifièrent du Hinterland ;
il leur aurait été si facile de dire arrière-pays,
J. ÀNGLADB. ^
Le Gérant responsable : P. Haublin.
ONOMATOPÉES
ET MOTS EXPRESSIFS
On appelle onomatopées les mots dont le son imite celui
de Tobjet qu'ils désignent. Les unes sont voulues, comme
glouglou^ frou-frou^ tictac^ c'est-à-dire qu'elles n'ont pas
d'autre origine que l'imitation même d'un bruit de la nature.
Les autres sont accidentelles, c'est-à-dire qu'elles ne doi-
Tant leur valeur imitative qu'à l'évolution fonétique normale
d'un mot qui n'était nullement onomatopéique. Tel est le
verbe vha. fnehan « souffler » , qui a toutes les qualités
nécessaires pour peindre le souffle et remonte à une forme
inexpressive prégerm. * pnek-, cf. gr. îtvê'w. Dans la pratique
il est souvent inutile et il serait parfois difficile de distinguer
ces deux catégories.
Les poètes ayant généralement senti avec une remarqua-
ble intensité et souvent utilisé avec boneur la valeur expres-
sive des mots dont nous allons nous occuper, nous citerons
maintes fois à l'appui de nos explications des vers où ils l'ont
mise en relief et renforcée.
I
L'onomatopée n'est jamais une reproduction exacte, mais
une approximation. Les sons du langage ont certaines qualités,
les bruits de la nature en ont d'autres, et les uns ne peuvent
pas recouvrir strictement les autres. Un musicien qui vou-
drait reproduire le bruit du tambour au moyen d'un piano,
xuv. - Mars- Avril 1901. "7
98 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
n*aiTi¥erait jamais qn^à Timiter, qu'à faire quelque chose qai
en donnerait ridée; son œuvre ne serait qu^une adaptation
et à proprement parler une traduction. De même lorsque
nous rendons par une onomatopée un son extérieur nous
le traduisons en notre langage. On peut même dire qu'il i a
une double traduction; non seulement nos organes émet-
teurs de sons traduisent à leur manière les données que leur
fournit notre oreille, mais déjà Pore il le avait interprété et
traduit les impressions qui lui parvenaient. Le mot coucou
reproduit assez bien le cri de Foiseau qu'il désigne. Un soir
que j'entendais un coucou répéter son chant monotone, je
priai un de mes amis de Técouter avec attention et de me
dire si c'était bien coucou qu'il entendait ou quelque autre son.
c Alors, me dit-il, tu voudrais que le coucou ne fasse pas cou-
cou? — Je ne veux rien du tout ; écoute et dis-moi ce que tu
entends ». Au bout d'un instant il me répondit qu'il entendait
bien coucou c à n'en pas douter» et qu'il trouvait d'ailleurs
ma question assez saugrenue. « Saugrenue tant que tu vou-
dras ; je prétends que tu n'entends que ou-ou, c'est-à-dire la
même voyelle ou répétée deux fois avec une légère dijfference
d'intonation , mais aucune occlusive, aucun c devant elle. »
Après quelques minutes il était convaincu que j'avais raison.
Mais pourquoi avait-il cru entendre coucoit jusqu'au moment
où je l'ai averti qu'il n'i avait pas de c? Parce qu'il avait des
abitudes, comme nous en avons tous ; parce que dès sa plus
tendre enfance on lui avait appris que le cri de cet oiseau
était coucou , et que son oreille prévenue n'avait jamais
entendu autre chose ; parce que d'autre part il n'était
guère accoutumé à prononcer deux fois de suite la même
voyelle sans consonnes et que coucou était d'après nos abi-
tudes rinterprétation et la traduction presque obligatoires
de ce qu'il entendait. En effet si quelqu'un imite à quelque
distance au moyen du mot coucou le cri du coucou, son imi-
tation se confondra absolument avec le vrai cri de l'oi-
seau, parce qu'à un certain éloignement nous confondons les
occlusives ou même nous ne les percevons pas du tout ; de
là notre abitude de les restituer dans les mots que nous re-
connaissons et d'en supposer dans les autres. Dans ces sortes
de suppositions ce n'est pas le asard qui nous guide ; ainsi
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 99
le cri d*un oiseau que l'on entend ou-ou, c'est-à-dire à peu
près le nom du grand-duc en allemand ûku, ne saurait être
traduit poupou, boubou^ toutou, doudou, ni même gougou ; ce
seraient de mauvaises traductions. Les seules occlusives que
nous supposions naturellement devant une voyelle sont celles
qui ont le même point d'articulation qu'elle. Les introduc-
trices normales de la voyelle vélaire ou sont les occlusives
vélaires qei g ; mais cette dernière comporte une sonorité
qui est excellente pour rendre la résonnance prolongée d'une
cloche dans Tonomatopée ding-dong^ mais qui serait ici une
superfétation. La sourde c (g) convient donc seule absolu-
ment, et coucou est une traduction irréprochable.
Le mot tictac, désignant le bruit que fait le balancier
d'une pendule, est un autre exemple fort instructif. Si Ton se
met en face d'un balancier et qu'on Técoute en commençant
au moment ou il bat à gauche on entend ttctac, tic-tac ; si
l'on cesse d'écouter, et que l'on recommence au moment où
il bat à droite, il semble que l'on doit entendre tac-tic, tac-tic.
Il n'en est rien: le balancier fait toujours tic-tac, tic-tac, ce
qui montre bien que par ce mot tic-tac pous ne reproduisons
pas exactement le bruit du balancier ; nous croyons entendre
tic-tac parce que c'est là ce que nous nous attendons à en-
tendre, et si nous essayons de changer l'ordre pour entendre
tac-tic nous entendons encore tic-tac parce que la force de
Tabitude domine les impressions de notre oreille. Et pourtant
tictac est une excellente onomatopée; le balancier fait en-
tendre en réalité deux petits bruits secs qui forcément
différent un peu l'un de l'autre; c'est cette différence qui est
marquée par la modulation que produisent les deux voyelles
teta. La répétition de ces deux sillabes analogues qui com-
mencent et finissent de même marque que le bruit est répété.
Les deux voyelles, extrêmement brèves et sèches, peignent
bien un bruit bref et sec. Cette qualité est encore accentuée
par les deux occlusives sourdes qui ouvrent et ferment chaque
sillabe. C'est donc une onomatopée parfaite, mais ce n'est
pas une reproduction exacte des bruits qu'elle imite.
Si c'est l'abitude qui nous contraint à entendre tic-tac,
qu'est-ce qui a déterminé ceux qui ont créé le mot à ranger
ses deux sillabes dans cet ordre plutôt que dans Tordre
100 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
inverse? C'est une antre abitude beancoup plus générale qui
domine tons les mots à redoublement de formation purement
onomatopéiqae. Quand ils ne sont pas constitués par la répé-
tition pure et simple d'une même sillabe, comme coucou^ ron-
ron, glouglou, an cri, ils ont une apofonie spéciale (cf. Gram-
mont, La dissimilation, p. 170), absolument indépendante de
l^apofonie ordinaire des langues indo-européennes, et qui veut
que leurs voyelles toniques soient toujours t, a, ou, sans que
cet ordre puisse être interverti. Quelquefois, mais rarement,
Va est remplacé par o ouvert, voyelle de valeur à peu près
équivalente, comme nous le verrons plus loin. En voici quel-
ques exemples : fr. pif-paf, pifpaf-pouf, — bim-boum, bim-
bam-boum, — flic-flac, flic-floc, — cric-croc^ cric-croc, — cli^-clac ;
— ail. pimpampum, — p^ffpoffp^fft — flickflack, — klippk/app,
— klitschklatsch, — ripsraps, — s^hwippschtoapp, — lirum-
Idrum, — klimperklàmper, — klingklang, — singsang; —
angl. criddle-craddle, — widdle-toaddle.
II
Lorsque Victor Hugo a écrit dans Napoléon II :
Le flot sur le flot se replie ,
il n'a pas voulu dire qu'un âot se replie sur un autre une fois
pour toutes, mais il a fait sentir ti'ès nettement que les flots
se succèdent et se replient les uns sur les autres continuelle-
ment et d'une manière indéfinie. De même dans les onomatopées
le redoublement à la propriété de suggérer l'idée d'un bruit qui
se reproduit d'une façon continue et un nombre de fois indé-
terminé (cf. La dissimilation, p. 164 sqq.). Ou bien le bruit
qui se répète est toujours à peu près identique comme celui
que désignent les mots fr. glouglou, ronron, murmure, gr.
jSa^à^ca a je bégaie», ou bien il présente une certaine modu-
lation comme ceux qui sont traduits par les onomatopées cric-
crac, pif'paf'pouf,bim-bam'boum.
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 101
Il n'est d'ailleurs nullement indispensable que la répétition
porte sur une siliabe tout entière ou sur un groupe de sons.
Dans cet émistiche de la fable Le coche et la mouche :
Va, vient, fait Tempressée,
rallitération dut; qui commence les deux premiers mots a suffi
à La Fontaine pour rendre en quelque sorte matériellement sen-
sibles l'agitation et les allées et venues continuelles de la mou-
che. Il n'en faut pas davantage à un mot qui désigne un bruit
pour devenir onomatopéique et faire sentir que ce bruit S(3
répète. Tels sont la plupart des mots à réduplication brisée
{Dissimilatiorif p. 168 sqq.), comme lit bambétt a grommeler »,
burbéti « bégayer », lat. balbus « bègue», gr. ^ofA^iw «je
bourdonne », v. irl. bablôir «bavard», lit. hlaburis «bavard »,
tijtarns « dindon », gr. T«Tap«ç « faisan », fr. caqueter, tinte-
ment, barboter j gargouiller. Le fonème dont la répétition fait
onomatopée n'est pas nécessairement une consonne ; il peut
aussi bien être une voyelle comme dans ce vers de M. de
Heredia :
Et Pan, ralentissant ou pressant la cadence.
C'est le cas pour le mot monotone dont les trois o semblables
peignent si bien un bruit identique répété indéfiniment; dans le
mot cliquetis les deux e jouent un rôle également suggestif pour
un bruit d'une nature précise, celui qui résulte de l'entre-
choquement des armes & ceux qui sont analogues à celui-là.
Il faut ajouter qu'un mot peut désigner un bruit répété,
comme ail. plaudern « bavarder, caqueter », klirren « clique-
tis », sans faire aucunement sentir que ce bruit est répété;
n'ayanten lui aucun fonème répété, il ne présente rien qui puisse
suggérer l'idée de la répétition. D'autre part un mot peut
posséder plusieurs fois le même son, voire la même siliabe,
sans exprimer en rien la répétition si l'objet désigné ne com-
porte pas cette idée. Tels sont lat. teter « noir », att. TérTapsç
« quatre », fr. bourbier, encens^ angl. pickpocket « filou ». La
répétition des fonèmes n'est donc expressive qu'en puissance
et sa valeur ne vient en lumière que si l'idée exprimée le
comporte.
102 ONOMATOPÉES ET MOTS EXPRESSIFS
m
Nous avons vu qu'une onomatopée comme pif^pat-pouf
contient une modulation produite par son apofonie vocalique.
Chacune dessillabes de ce mot constitue aussi une onomatopée
monosillabique servant à désigner un bruit unique; mais elles
ne s'emploient pas indifféremment pour n^importe quel bruit.
Ainsi pt/ peut désigner celui que fait un chien de fusil en
s' abattant sur la cheminée, paf celui d'un coup de fusil, pouf
celui de la chute d'un omme qui tombe sur son derrière. Si
l'on nous disait qu'un sac de farine en tombant par terre a
fait pif, nous demanderions immédiatement comment il a
bien pu produire un bruit aussi insolite. C'est donc que les
différentes voyelles ont pour nous des valeurs spéciales. En
effet les voyelles sont des notes variées qui impressionnent
diversement notre oreille. Les unes sont des notes aiguës, les
autres des notes graves, les unes sont des notes claires, les
autres des notes sombres, les unes sont voilées, les autres
éclatantes. C'est la disposition des organes buccaux nécessaire
pour leur émission qui détermine leur qualité. Toutes celles
qui ont leur point d'articulation sur la partie antérieure du
palais sont des voyelles claires^ à savoir t\ w, e, è, eu fermé (ô,
comme dans le mot feu). Parmi ces voyelles claires, les deux
qui sont le plus fermées et qui se prononcent le plus en avant,
Vi et l'w, peuvent être mises à part sous le nom de voyelles
aiguës. Toutes celles qui se prononcent sur la partie posté-
rieure du palais, ou au niveau du voile du palais, ou même
plus en arrière, sont des voyelles graves. Il i a aussi lieu de
ranger ces dernières en deux catégories, et de désigner par
le nom d'éclatantes Va,Vo{p ouvert, comme dans le mot corps),
Veu ouvert (é, comme dans le mot peur)^, et par le nom de
1 II ne faut pas s'étonner de trouver dans deux classes différentes Veu
fermé (ô) & Veu ouvert (et). C'est par suite d'abitudes dues à la pauvreté
de notre alfabet que l'on a une tendance à considérer l'é & Vé d'une
part, Vd & Vô d'autre part comme des voyelles à peu près semblables.
ONOMATOPÉES ET MOTS EXPRESSIFS 1 0 3
sùmbres Vu {ou) et V6 [o fermé, comme dans le mot clos). Les
Yojelles nasales sont toutes comme voilées par la nasalité,
mais appartiennent d'ailleurs chacune à la même classe que
la voyelle orale qu'elles ont pour substratum : i" , w' sont
aigus, è^ est clair, a»», d^, é^ sont éclatants, ô' , m" sont
sombres.
Les voyelles aiguës, t & u, sont naturellement propres à
exprimer des bruits aigus, comme nous Tavons vu tout à
^'eure dans l'onomatopée pif; il en est de rrême de Tonoma-
topée pim qui désigne le bruit du marteau frappant sur
renclume. Le cri-cri ou grillon domestique, que les Lituaniens
appellent czyczys^ fait un bruit aigu et strident ; il en est de
même du tri-tri ou bec-âgue. Aigu y appliqué à un son,
possède une voyelle claire, puis une voyelle aiguë qui le
rendent très expressif; lat. acutus^ d*où il sort, était inex-
pressif. Si ce que désigne le mot cri se distingue avec tant de
précision des éclats de voix de la colère, des clameurs de
la foule, du grondement de la mer en courroux, c'est que la
voyelle aiguë de ce vocable lui assigne exclusivement des
bruits aigus pour domaine. Cette qualité a été parfaitement
sentie et renforcée par M. de Heredia dans ce vers :
Avec un m sinistre, il tournoie, emporté
(La mort de l'aigle).
En lit. kifkti signifie c jeter des cris aigus » ; krykszti a à
peu près le même sens ; il en est de même de mha. krîschen &
krîzen ; mais ail. moderne kreischen ne peint pas aussi bien
En réalité il i a plus de différence entre l'articulation de Vè & celle de
IV qu'entre celle de Vé & celle de l'i, entre l'articulation de Va & celle de
IM qu'entre celle de l'a & celle de l'ô, qu'entre celle de l'd & celle de Vu
{ou). Si dans notre classification Vé & Vé se trouvent dans la même
catégorie, c'est qu'ils se prononcent tous deux sur la partie antérieure
du palais ; si Va & Va sont dans une même catégorie, quoique dans deux
subdivisions différentes, c'est que tous deux s'articulent dans la partie
postérieure de la bouche. Le domaine des deux eu est intermédiaire
entre celui des deux e & celui des deux o, mais de telle sorte que l'un
a son point d'articulation d'un côté et l'autre de l'autre côté de la limite
qui sépare les claires des graves.
104 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
Tacuité du son que mha. krîschen d'où il sort. Parmi les
instruments à vent, nous avons le fifre, le sifflet & la flûte qui
soufflent des sons aigus :
Le fifre aux cris aigus....
dit Lamartine dans Jocelyn, Quand A. de Vigny écrivait dans
Le bal :
.... et la, flûte soupire,
il ne faisait que renforcer Vu du mot a fiûte » et mettre en
lumière sa valeur expressive. V. Hugo de son côté rend sen-
sible Tacuité du sifflement dans ce vers des Burgraves :
Semer, dans les débris où sifflera la bise....
L'évolution fonétique a ôté au mot ail. pfeife « siffet, fifre »
Texpression de Tacuité ; mais elle était bien nette dans les
formes antérieures mha. pfîfe^ vha. pfifa & aussi dans leur
point de départ lat. pipa, AU. zirpen a pépier, en parlant des
petits oiseaux » est un peu moins expressif que fr. pépier^
parce qu'il n'a pas de redoublement ; lat. pipilare était une
onomatopée plus exacte. Ail. zwitschem «gazouiller » ne vaut
pas mha. zwitzern qui a deux z, ni surtout vha. zwizzirôn qui
présente z et t dans deux sillabes consécutives ; les formes des
dialectes qui n^ont pas subi la seconde lautverschiebung ne
donnent pas tout à fait la même impression, car leur t convient
plutôt au pépiement et le z au gazouillis ; tels sont moj. angL
twiteren^ angl. twitter; la forme germanique d'où sortent
celles du aut allemand et de l'anglais est supérieure aux
unes et aux autres parce qu'elle réunit tous leurs éléments
imitatifs et n'est qu'une copie immédiate du bruit qu'elle
exi^rime :* twi-twiz'ôn. Le mot fr. bise que nous venons de
rencontrer dans un vers de V. Hugo convient admirablement
au vent sifflant et mordant qu'il désigne. La Fontaine l'a bien
senti lorsqu'il écrivait:
Quand la bise fut venue.
Ail. klirren s'applique au cliquetis des armes, au bruit des
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 105
chaînes, au choc des verres, c'est à- dire toujours à des bruits
aigus. AU. knistem « crépiter, pétiller » désigne aussi des
petits bruits aigus. Ail. kichem veut dire « faire de petits cris,
ricaner ». Gr. "ktyùç «clair, aigu, perçant en parlant d'un son »
86 passe de commentaire.
Quand une voyelle aiguë se trouve en contact immédiat avec
ane consonne nasale, la mollesse de cette dernière (cf. in/ra
les vojelles nasales p. 145etles consonnes nasales p. 146) fait
perdre à la voyelle ses qualités d^acuité par une sorte de réac-
tion qu'elle exerce sur elle et cette voyelle aiguë ne fait plus
sur nous une impression plus violente qu'une voyelle clair>^
non aiguë, un é par exemple. Comparez à ce fénomène révo-
lution fonétique qui a transformé In latin en la voyelle nasale
m, ein (è') du français. C'est ce qui explique que murmure^ mur-
murer n'expriment pas une répétition de bruits aigus, mais
de bruits clairs. Victor Hugo nous a donné un exemple mer-
veilleux de cet effet dans ce passage de Petit Paul:
. les ttlds
IHiiriiiiiraient l'hymne obscur de ceux qui sont bénis ,
où presque toutes les voyelles aiguës reçoivent du contact
d'une consonne nasale une douceur inûnie. Ail. kltngel,
klingeln s'emploient pour la sonnette ou la clochette et son
bruit argentin ; klingen peut s'appliquer au son d'une cloche,
mais presque uniquement lorsqu'il s'agit d'un tintement; dans
les autres cas on a le substantif A /any et les formes verbales
kiang^ geklungen ; il serait absolument choquant d'employer
une forme de ce verbe contenant un i pour désigner le son
du bourdon, de la brummghcke \ au contraire ^6A:/t(n^en fait
à merveille dans cette circonstance. Lat. tinnire qui signifie
« rendre un son métallique, un son clair, tinter», tinnitus qui
tlésigne ce son, tintinnabulum qui s'applique à différentes
espèces de clochettes, sk. kinkinié a clochette», possèdent des
qualités semblables.
Les voyelles claires ^^ é, è^^ ô produisent un effet analogue.
On le sent dans ail. hell, fr. clair ^ léger appliqués à un son :
Le nmrnmre léger des abeilles Adèles
(Lbconxb db Lislb, Poèmes antigues)^
i06 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
ou dans fr. tmier :
• fait tinter dans sa malm
Les deniers d'argent clair qu'il rapporte de Rome
(Hbbbdia).
Ail. sàuseln convient bien aussi au doux murmure qu'il dési-
gne:
In dttrren blftttern sàuselt der wlnd,
dit Q-oethe dans VErlkônig, et si vous voulez savoir quelle est
la note de ce bruissement du vent dans les aunes, voyez les
paroles que croit i entendre l'enfant malade et combien leur
vocalisme clair les rend légères, mielleuses, douces et char-
mantes :
Du Uebes klad, komm, géh mit mlr!
Gar schœne splele splel' Ich mit dir.
Les voyelles éclatantes a, d, é, d% é' sont par déânition
même propres à exprimer les bruits éclatants. Ce sont elles
qui donnent la meilleure part de leur valeur onomatopéique
aux mots éclat et éclatant eux-mêmes, puis au mot fracas qui
désigne le bruit de quelque chose qui vole en éclats, au mot
fanfare qui s'applique à une certaine musique éclatante :
La victaire aux cent valx sonnera sa fanfare
(Huoo).
La liste des mots qui désignent un bruit éclatant est assez
variée dans chaque langue; sans parler des exclamations ail.
/?a/f, patsch^ klacks, klaps^ knacky knacks, schwapp^ schwapps^
fr. paf, pan, vlan, flac, crac^ clac, on peut citer tout d'abord
fr. craquer, ail. krachen « craquer», fr. claquer, ail. klatschen
«claquer», klappen «claquer», klappern «claquer, craquer»,
knallen «éclater», knarren «craquer», knacken « craquer ».
Le mot fr. croquer a un sens analogue et peint le bruit de
quelque chose qui craque sous la dent. Ses éléments, sauf la
voyelle, sont les mêmes que ceux de craquer. Cette voyelle
aussi est éclatante, brève et sèche ; pourtant elle diffère assez
sensiblement d'un a pour qu'une nuance d'expression puisse
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 107
exister. Elle est moins ouverte et un peu moins éclatante, et
par suite elle est plus propre à peindre un son qui se produit
à rintérieur de la bouche, à Tendroit même où elle a son point
d'articulation, ou d'une manière plus générale un bruit que
nous n'entendons pas directement, mais à travers un obstacle
ou une paroi. Tel est celui que nous percevons lorsque quelqu'un
frappe à notre porte et que nous désignons en disant qu'il fait toc
toc, et non pas tac-tac. Nous retrouvons en effet cette voyelle o
dans ail. klopfen a eurter à une porte » , vha. klopfôn et
klockôn «même sens»^ ail. pochen qui s'applique à ce même
bruit et aussi à celui des battements du cœur ; enûn nous disons
en français cogner à une porte. Gr. ^pà;^(, ccvc^pa;(c, qui signifie
« craquer, éclater », contient des éléments assez voisins de
ceux de craquer ; il peut aussi s'appliquer au tonnerre, non pas
quand il prodqit un sourd grondement, mais seulement lors-
qu'il éclate soudain. Le mot cataracte s^appUque bien à une
chute d'eau au bruit éclatant et répété ; cascade désigne une
chute analogue^ mais plus faible à cause de son s et de son d*
et sans grondement (c'est Vr qui rend cette dernière nuance,
cf. p 113). Sonore, quoiqu'il ait un emploi assez général, n'a
toute sa valeur expressive que lorsqu'il est appliqué à des bruits
éclatants :
Ouvrait les deux battants de sa parte sonore
(Hugo, Le Satyre),
Une clameur n'est ni un grondement ni un murmure ; c'est
un eosemble de cris tumulteux et éclatants :
Une brusque clameur épouvante le Gaage
(Hbrxdia).
Lé motaôoj/er désigne d'une manière générale les crisdes chiens
quand ils ne urlent ni ne grognent ; il n'a pas d'expression
lorsqu'on l'applique à la voix aiguë des tout petits chiens ou
à la voix rauque des chiens de grande taille ; mais ses sons
entrent en pleine valeur lorsqu'il s'agit de chiens de taille
Dïoyenne. Surtout certaines formes de sa conjugaison sont
particulièrement onomatopéiques , tel ce prétérit qu'Hugo
a employé et renforcé dans ce vers du Satyre :
108 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
La meute de Diane aboya sur TOeta.
Le mot japper qui contieut aussi Va s'applique également
aux aboiements des chiens de taille médiocre. Les éclats de
rire sont des bruits de même nature, aussi trouvons- nous
ordinairement Va dans les mots qui les désignent : sk. kàkhati^
kâkkati, kâkkhattj gr. y.ay;tâÇw, xayxaç, xayxaXaw, lat. cackinnus^
et aussi ail. lachen = mha. lachen^ vha. lahhên^ lakhan, hlah'
hariy got. hlahjan.
Les voyelles claires servant à peindre un bruit clair, les
voyelles éclatantes un bruit éclatant, les voyelles sombres
peindront bien un bruit sourd, comme dans le mot sourd lui-
même :
Elle écaote. — Un bruit sourd frappe les sourds éch«s
(Huao, Orientales)^
ou dans les exclamations fr. pouf^ poum, boum^ ail. puff^ bums^
plumps. Le bruit exprimé par le mot glouglou, qu'il s'applique
à celui d'un liquide qui s'échappe d'une bouteille ou au cri
du dindon, est un bruit sourd peint par la voyelle ou ; la même
voyelle apparaît dans les verbes dXX.glucken^ glucksen qui dési-
gnent aussi ce glouglou ou ce gloussement. Lit. bub§nti signifie
« gronder sourdement ». Ail. munkeln s'applique à une sourde
rumeur, puffen à un bruit sourd comme celui d'un objet qui
fait pouf en tombant. Le urlement a pour essence une
voyelle sombre ; nous la trouvons dans sk. ulûlus, ululis a ur-
lant », lit. ulûti, ululôti « urler », lat. ululare^ gr. o'kokùÇa
« je me lamente o. Tandis que la voix du renard ou du petit
chien qui glapit est aiguë et celle du chien moyen éclatante
comme nous l'avons vu plus aut, celle du gros chien est sourde ;
c'est ce que rend le jSav^au du grec, le wauwau de l'allemand,
le baubari du latin, le bukkati du sanskrit.
Lorsqu'une voyelle nasale éclatante se trouve dans un mot
qui contient une voyelle sombre, elle prend elle-même, grâce
à l'assourdissement que lui donne la nasalité, la valeur de
voyelle sombre. C'est le cas pour les mots grondant^ gronde'
ment et quelques autres que nous verrons plus loin. Ce féno-
mène est particulièrement net dans ces deux vers de V. Hugo :
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 109
Le lion qui jadis au bord des flots ridant,
Rugissait aussi haut que rOcëan grondamt
\Les lions).
11 va de soi que si Tobjet^ la qualité ou Taction qu'un mot
désigne ne comporte aucun bruit, il aura beau posséder une
ou plusieurs fois n'importe quelle vojelle, elle n'entrera pas
en valeur. Les vojelles que nous venons d'étudier ne sont
pas onomatopéiques par nature ; elles ne deviennent expres-
sives que si la signification des mots où elles se trouvent les
met en relief. Qu'il suffise de considérer les mots fr. p/i, bis^
nie, fibule, fi^uit^ tituber, figure^ ciguës crime^ lime^ cime^ dune,
bitume, légume, métier, crétin^ ébreu , péché, impair, effet,
déchet, simple, vin, pimbêche, roc, sœur, peur, bloc, trappe,
plaque, enfant, tour, cour, jour, rond, donjon, dôme^ trône,
manchon, brandon, tombeau.
IV
Les consonnes demandent à être examinées à deux points
de vue. Il faut considérer d'une part la nature de leur arti-
culation et d'autre part leur point d'articulation.
La nature de l'articulation les répartit en occlusives, na-
sales, liquides & spirantes. Les occlusives ou explosives,
frappant l'air d'un coup sec, contribuent à l'expression d'un
bruit sec dont les voyelles indiquent le timbre. Si elles sont
répétées, elles saccadent le mot & font sentir par là même
que le bruit est répété. Nous avons vu plus aut tictac qui
est un exemple excellent ; cliquetis n'est pas moins remar-
quable. Les vojelles de tinter indiquent un bruit clair ; ses
deux i font sentir qu'il est sec et répété :
Et faisant à tes bras qu'autour de lui tu jettes,
Sonner tes bracelets où tentent des clocbettes
(Lbcontb de Lislb).
110 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
Le claquet et le cliquet font tous deux entendre des bruits
secs et répétés. Crépiter et pétiller s'appliquent l'un etPautre
à de petits bruits se succédant sans interruption ; ils sont tous
dans la note claire ou aiguë, et les occlusives sourdes font
sentir qu^ils sont secs et pour ainsi dire momentanés ; mais
comme la même occlusive n'est pas répétée rien n'indique
qu'ils soient semblables entre eux, et cette variété du conso-
nantisme donne même l'impression du sautillement, comme la
produit, dans un autre ordre d'idées, la variété sillabique des
mesures de nos vers de sept sillabes. Trotter suppose des
bruits secs et répétés dans la note propre à Vd, c'est-à-dire,
comme nous l'avons vu plus aut, dont l'éclat est un peu
amorti. Si dans gr. )ta;^otÇft>, sk. kdkhati la reproduction de
l'a indique une suite de bruits éclatante, celle de l'occlusive
sourde qui ouvre les deux premières sillabes ne marque pas
moins la répétition et fait sentir en outre que ces bruits
explodent brusquement. Fr. casser indique un bruit sec et
éclatant, mais sans répétition. Lat. tussis a toux », zd. tusan
(( ils toussaient », fr. toux peignent un bruit sourd commen-
çant aussi par une explosion brusque.
Les occlusives sonores sont loin de donner une impression
aussi sèche ; qu'il suffise de comparer ail. babbeln à pappeln^
gr. 7«77uÇccv « murmurer, roucouler » à xoxxuÇccva chanter comme
le coq », ^opSopvTiô à xopxopuyig qui désignent tous deux le bruit
des intestins, mais avec une nuance très sensible.
Les consonnes nasales sont, par définition même, propres
à imiter des bruits réellement ou apparemment nasaux. C'est
le cas dans fr. nasiller^ ail. nàseln, sk. minminas « qui parle
du nez d'une façon peu claire », gr. ytyypaç a flûte nasillarde,
sorte de autbois », sk. mâyûê a rugissement, bêlement »,
mimàti « il rugit, il bêle », gr. pc{Ac;^6ç u ennissement » , lat.
hinnire « ennir », sk. tnesds « bélier », mesî « brebis », gr.
fAY)xao|xoc< « bêler », fx^xccç a chèvre », lat. mugire, fr. mugir ^
meugler, mha. mûgen a rugir », lett. maunu a je rugis ». Les
mots qui désignent un léger grognement appartiennent à la
même catégorie ; tels sont vha. muccazzan^ ail. mucken^
mucksen. Un marmottement est quelque chose de fort ana-
logue, d'où la valeur onomatopéique defr. marmotter, v. si.
mûmati « balbutier, bégajer », ail. murmeln « marmotter,
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 111
grommeler, rognonner ». Quand une nasale suit une vojelle
dans la même sillabe elle constitue, grâce à sa qualité de
contiDue sonore, comme une résonnance qui prolonge cette
vojelle; il en est ainsi dans Tonomatopée bim-bam- boum,
dans lat. tintinnabulum^ fr. il résonne^ ail. brummbàr, brumm-
glockCy klingen^ klang^ gr. x^ayTiô, lat. ciangor^ ail, trommeln
« battre le tambour », gr. /3povT^ « tonnerre », v. si. gromû
a tonnerre », gr. jSofi^oç « bourdonnement».
Les deux liquides /et r doivent être soigneusement séparées.
La première, l, est seule purement une liquide et propre à
exprimer la liquidité. C'est un élément qu'il est parfois bien
difficile d'isoler dans les sons. Si pourtant on fait porter son
attention sur le mot claquer comparé à craquer, ou sur Texcla-
mation onomatopéique clic-clac comparée à cric-crac, mots
qui ne diffèrent entre eux que parce qu'ils ont à la même
place lès uns un / et les autres un r, on sentira vite que 17
donne Fimpression d'un son qui n'est ni grinçant, ni raclant,
ni raboteux, mais au contraire qui file, qui coule, qui schleift^
comme disent les Allemands, qui est limpide^ ne fût-ce qu'à
an des instants de sa durée, celui que peint l'émission de 1'/.
C'est le bruit d'un liquide qui coule avec un léger glissement,
lequel n'est pas toujours réellement audible, mais que nous
croyons entendre parce que nous le supposons. Il i a là une
sorte d'illusion due à une série de traductions et d'associations
auxquelles nous sommes abitués et dont nous trouverons de
nombreux exemples tout à l'eure quand nous quitterons le
domaine proprement dit des onomatopées pour celui des mots
expressifs. Cette limpidité du son nous l'avons dans quelques
bruits métalliques et argentins, dans le cliquetis des armes,
dans la klingel allemande, dans le ntkiitaLyitéç d'HésjchiuSjdans
certains aboiements tels que ceux qu'expriment ail. bellen,
klàffen, fr. glapir, v. si. lajati. Ce glissement c'est celui qui
précède le choc dans clic-clac, flac, vlan, claquer^ ail. klatschen^
klaffen, klappen^ gr. xa^^^àÇw. Dans le mot glouglou, VI peint le
glissement qui précède le oquet du liquide ; dans clapotis,
clapotage^ c'est le glissement des ondes ou des vagues dans
les intervalles de leurs entrechoquements. On sent une
impression du même genre dans le mot laver, quand on dit
que les vagues lavent le rivage, dans lit. lêju, lêti « verser »,
112 ONOMATOPÉES ET MOTS EXPRESSIFS
V. si. lèjg,y lijati « verser », dans lat. linere a oindre » , gr. aktifftv»
« frotter d'uile », v. norr. fljôta « couler », flaumr « courant»,
vha. flatoen a laver », lit. plâutia laver », v. si. pluti « couler »,
plavitia laver», sk. plâvate <x il nage », ail. fliessen « couler »,
gr. irKvM (( je lave ». Enfin le bruit d'un objet qui glisse dans
Tair ou d'an souffle qui passe possède un élément de liquidité
analogue ; c'est ce qui met en valeur 17 des mots fr. voler^
ail. fliegen, fr. flotter:
I^es souffles de la nuit flottaient sur Galgala
(Huoo, Booz)^
lat. flare « souffler », ail. blasen « souffler », fr. souffler^
siffler^ ail. flûstem, flispern « murmurer en parlant du vent ».
L'autre liquide, r, est une vibrante qui se prononce avec un
roulement plus ou moins net et plus ou moins fort ^ S& valeur
n'est pas exactement la même selon qu'elle s'appuie sur des
voyelles claires ou aiguës ou bien sur des voyelles éclatantes
ou sombres. Dans le premier cas elle exprime un grincement
comme dans le mot grincer lui-même, dans cri-cri a nom du
grillon », dans ail. kritzeln « écrire avec une épingle sur un
carreau, cracher en parlant d'une plume », fr. crisser^ frire ^
griller^ ail. zirpen c chanter en parlant de la cigale, grésll-
lonner en parlant du grillon, gringotter », fr. tri-tri « nom d*un
petit oiseau », lit. kifkti «jeter des cris aigus, perçants», v. si.
krecetUt « cigale », sk. tittiris « perdrix », fr. criquet ^ gr. rpiiity
« pousser un cri aigu, siffler, grincer >>, ail. knirschen « grincer
des dents, crisser», v. norr. krikta « pousser des cris aigus »,
V. si. kriku «cri », lit. hykszti a jeter des cris aigus », ags.
grimetan n grincer », lat. frendo a grincer des dents », frin-
gilla (( pinson », fritinnire « gazouiller, chanter en parlant de la
cigale », lit. grészti n grincer », czirszkinu a je tire un son aigre
d'un violon », lat. stridor « son aigre ou perçant », fr. stri-
dent ^ stridulanty enfin dans les mots qui signifient faire un bruit
1 Nous avons surtout en vue ici IV lingual ; IV grasseyé ne s'articule
pas de la même manière, mais les différentes impressions qu'il produit
au point de vue expressif suivant la nature de la voyelle sur laquelle il
s'appuie, sont tellement analogues à celles que produit l'r lingual dans
les mêmes conditions, qu'il n'i a pas lieu de le considérer à part.
ONOMATOPÉES ET MOTS EXPRESSIFS 113
aigre en se cassant, analogue à celai d'une vitre qui se brise,
eoDune gr. lep^Cw, Ixpcxov, fr. briser^ got. brikan^ y. irl. brissim.
Quand IV s^appuie sur une voyelle grave, son vibrement
donne Timpression d'un craquement^ d'un râclement si la
vojelle est éclatante et d'un grondement si elle est sombre. On
en a d'excellents exemples dans fr. craquer, racler^ râper ^ lat.
fragor^ fr. fracas^ lit. braszkéti «craquer», brakszmas « cra-
quement », ail. krachen « craquer, croquer (sous la dent),
éclater, tomber avec fracas », fr. gratter , ail. kratzen « gratter,
racler », fr. croquer^ grogner, grommeler :
Les lions hérissés dorment en grommelant
(Mu88BT, RoUa),
gr. Pop|3opv7pi6ç, fr. écraser, broyer que son vocalisme distingue
si nettement de briser et dont tous les éléments détaillent si
bien toutes les fases successives du broiement. La note sombre
nous l'avons dans fr. rompre comparé à briser^ craquer et
hoyer; Racine l'a mise en relief en l'opposant à la note aiguë
et grinçante dans cet émistiche célèbre :
L'essieu crie et se rompt.
Fr. gronder^ grondant j grondement sont de véritables tipes :
Et le peuple en rumeur gronde autour du prétoire
(Lbgontb SB Lislb),
Au-dessus du torrent qui dans le ravin gronde
(Huoo, Burgraves),
Avec des grondements que prolonge un long râle
(Hbrbdxa).
Fr. ronron se passe de commentaire; fr. rauque s'applique à
un bruit âpre et sourd :
Un rauque grondement monte, roule et grandit
(Lbgontb db Lislb).
De même fr. ronfler, lit. m'umiu, niuméti « gronder » , lit. kro-
fctt «je râle », v. norr. kura « gronder », v. si. grukaii a rou-
couler», ail. murren c gronder», fr. bourdon, bourdonnement ^
8
114 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
ail. brummen a gronder en parlant de Tours, da tonnerre,
bourdonner en parlant des mouches, d'une toupie^ ou de la
cloche appelée bourdon »•
Les spirantes, comme leur nom l'indique, sont toutes propres
à exprimer un souffle ; mais les diverses spirantes ne donnent
pas la même impression. Ainsi les chuintantes ch et/ (c^est-à-
dire i & i) conviennent pour un souffle accompagné de chu-
chotement. On le sent d'une manière intense en écoutant dans
ce vers de Gœthe le chuchotement de VErlkônig :
Gar «eliône spiele spiel icii mit dir.
Le mot chuchoter est évidemment le modèle du genre ; Musset
en a savamment relevé les éléments expressifs au mojen
d'autres spirantes dans RoUa :
C'est toi ([\x\f chuchotant à'^Xï.B le souffle du Tent
Les langues slaves & germaniques sont particulièrement
riches en mots de cette catégorie : lit. szvtlpiù « siffler avec
les lèvres », ail. zischen « siffler en parlant de Teau dans
laquelle on plonge un fer rouge, d'une flèche, d'un serpent»,
lit. cziarszkiù « même sens )>. L'idée de souffle est d'ailleurs
très secondaire ; l'essentiel c'est le bruit chuintant et nos spi-
rantes ne l'expriment pas moins bien lorsqu'il est produit par
un léger frottement comme dans lit. apcziuhczyju « je traîne
quelque chose en le faisant glisser », ail. schleichen « se glis*
ser, se traîner», schleifen a glisser », huschen « se glisser ».
En outre les chuintantes sont propres à peindre par onoma-
topée les gémissements comme dans fr. gétnir^ geindre ; cer-
tains poètes l'ont parfaitement senti et ont abilement entre-
mêlé les chuintantes aux labiales et aux sifflantes dans les
paroles qu'ils ont voulu empreindre d'une profonde tristesse :
#'en ai fait pénitence; et, le ffenou plié,
J'ai vingt ans au désert pleuré, ffémi, prié
(Huoo, Burgraves),
Peut-être, 6 mon enfant, seul, sans nom, sans patrie,
Gémis-tu, vagabond, par la pluie et le vent,
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 1 1 5
Sar la terre barbare où sur le flot mouvant ;
Oa, pour toujours, le long des trois Fleuves funèbres.
Chère âme, habites-tu les muettes ténèbres,
Tandis qu'un plus heureux, qui n'est pas de mon sang,
Prend ton sceptre et Jouit du Jour éblouissant.
(LsGONTE DE LtsLK, V Appollouidé),
Les spirantes labio-dentales f et v ne peuvent exprimer
qu'an souffle mou, presque muet, ou du moins accompagné
d'an bruit très sourd. Tel est le t; de différents mots qui dési-
gnent le vent :
IToilà le vent qui s'élève
(Lamartine),
ail. ioind n vent », toehen « souffler », lat. ventits, got. vinds
«vent », vaian « souffler », lit. véjas a vent », v. si. véfa « je
souffle ». Dans le mot fr. voler on sent un effet analogue qu'a
parfaitement rendu M. de Heredia dans ce vers:
Flottait, crêpe viTant let;o/ mou des vampires.
Limpression de Vf n'est pas tout à fait la même parce que
c'est un fonème sourd tandis que le v est une sonore. On trouve
d'ailleurs assez rarement ly isolé ; le plus souvent il est com-
biné avec une liquide et forme avec elle un groupe que nous
étudierons plus loin. On peut néanmoins, même dans les grou-
pes, sentir sa valeur de souffle pur et simple, par exemple
dans ail. pfuscher « bruit de la poudre qui s'enflamme », vha.
fnehan « souffler », lat. flare «souffler »,all. flûstern « murmu-
rer en parlant du vent », fr. zéphyr:
L'an<ften zéphyr fabuleux
Soullie avec sa joue enflée
Au fbnd des nuages bleus
(Huao, Contemplations)^
fr. siffler^ souffler :
Un soufflement de forge emplit le firmament
(Huao, Suprématie).
116 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
De Y h aspiré nous n'avons pas grand* chose à dire. On saisira
bien sa valeur si Ton compare ail. Austen à fr. tousser; tandis
que dans ce dernier mot la vojeile sombre est précédée d'une
explosion dentale, dans le mot allemand elle Test d*un souffle
qui sort librement de la gorge, la bouche n'étant plus occludée
nulle part au moment où commence la toux. Nous retrouvons
à l'A la même valeur dans ail. haiAch « souffle ».
Les spirantes dentales ou sifflantes supposent un souffle
accompagné d'un sifflement léger ou violent, ou inversement
un sifflement accompagné de souffle. Le z, étant sonore, est
plus doux que Y s et plus propre à peindre un léger bruisse-
ment comme dans ce vers de M. de Heredia :
Et les vent* alises inclinaient leurs antennes.
C'est la qualité du premier élément du mot zéphyr que
nous citions tout à l'eure pour son /:
D'un zéphyr éloigné glissant sur des roseaux
(Musset, Lucie).
Comparez cèq. bzikati « fredonner » , angl. huzz « bour-
donnement ».
Quant à la note du sifflement elle est déterminée par la
voyelle sur laquelle s'appuie la sifflante ; le simple rappro-
chement de siffler et souffler vaut mieux qu'un commentaire.
Certains poètes semblent avoir nettement senti cette diflérence
lorsqu'ils ont rapproché de voyelles claires les sifflantes qui
devaient relever dans leurs vers celle du mot siffler :
Dans les buissons séchés la bise va sifflant
(Saintb-Bbuyb),
et de voyelles graves celles qui renforçaient Vs du mot
souffler :
Mais il n'a pas prévu
Que je saurai souffla de sorte....
(La Fontaikb).
Nous retrouvons ces deux notes dans ail. lispeln « siffler
1
ONOMATOPÉES ET MOTS EXPRESSIFS 117
en parlant » d'une part et summen^ sumsen « fredonner »
d'autre part, ou bien encore dans fr. cigale :
Ainsi la cigale innocente,
Sur un arbuste amiise, et ne console et chante
(A. Ghbnibr, L'aveugle),
et soupir :
Jamais rien de leur sein ne soulève un soupir
(Lamartine, Jocelyn),
Nous avons essayé dans ce qui précède d^isoler chacun
des fonèmes pour déterminer sa valeur propre et spéciale.
Isolément et détermination parfois difficiles; il est rare en
effet qu*une onomatopée produise une impression absolu-
ment simple et ne contienne qu'un seul fonème expressif, en
sorte que la valeur de ce fonème soit exactement définie par
l'impression même que produit cette onomatopée. Le plus
souvent Timpression d'une onomatopée est complexe et les
divers éléments qui concourent à la produire se combinent
entre eux, réagissent les uns sur les autres, se renforcent,
s'atténuent, de telle sorte que nous avons dû parfois pour
dégager la valeur de Tun d'eux nous appuyer sur les
données de la fonologie générale. Quel qu'ait été le moyen
employé y nous sommes aptes maintenant à analiser l'effet
produit par leur emploi combiné et à déterminer strictement
la part qui revient à chacun dans l'effet total.
Ainsi nous avons déjà vu que le vibrement de l'r donne
une impression de grincement si ce fonème est en contact
avec une voyelle claire, et au contraire de râclement ou de
grondement s'il s'appuie sur une voyelle grave. LV peut en
outre être combiné soit avec une occlusive, soit avec une
spirante. Si c'est avec une occlusive, l'impression est que le
son vibrant retentit brusquement et qu'il rompt le silence
118 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
sani transition en explodant soudain. Mais l^explosion est
beancoap plus douce si rocclusiye est sonore, beaucoup
plus sèche si elle est sourde ; il suffit pour s^en rendre compte
de comparer craquer et gratter . Cette nuance est généralement
très bien observée dans les diverses langues. Lit. traszkéti
signifie « craquer » tandis que grâiuzti signifie « ronger » ;
un rat qui ronge une porte fait un bruit analogue à un gratte*
ment. Fr. crépiter et grignoter se distinguent par une diffé-
rence de sens et dMmpression analogue. Les crû débutent
généralement par une explosion brusque et sèche, bien qu*ils
puissent retentir dans des notes différentes: mha. krizen
u crier »f lit. kirkti a pousser des cris aigus »« véd. krôçati
a il crie », gr. xpavyiQ a cri ». Les cris ou chants de certains
animaux semblent souvent débuter par une explosion du
même genre, affirmée pour le coq et la poule par lat. cocoeoeo^
fr. eoq^ cocotte^ v. si. kokotûàL({\xe Ton trouve en combinaison
avec IV, par exemple dans gr. xixtppoç « coq », lat. cueurire
c chanter en parlant du coq », lit. kakaryku a chant du coq »,
ail. kràhen a chanter en parlant du coq », ail. kikeriki « chant
du coq », sk. krka-vâkuS a coq », lit. kifkti n crételer )i, gr.
xspxoç « coq », V. irl. cerc <x gallînacé ». Cette même initiale
nous est attestée pour la corneille et quelques autres oiseaux
par sk. kàkas a corneille », lett. kakis « choucas », gr. x^Ç
« sorte de mouette », lit. kovà « choucas », sk. kukkubhas
a faisan » ; on la trouve combinée avec IV dans gr. x($paf
(( corbeau », xoooivu a corneille », lat. coruos a corbeau », sk.
kâravas a corneille », gr. xpûC», xpâ;» « croasser », lit.
krànkti, kraukti « croasser », v. si. krukû a corbeau », kra-
kati (( croasser », ail. kràchzen « croasser », sk. karkaras^
krkaras, krkanas, krakaras « perdrix », v.pruss. Aer/ro c plon-
geon », gr. xfpxiOaXiç (( héron », lat. querquedula a sarcelle »,
croctrea croasser», sk. tittiriê « perdrix», v. si. tètrja « faisan
femelle», gr. réxapoç, rarûpaç « faisan», v. si. /e/réi;{* a faisan»,
lit. tetervas « coq de bruyère », v. pruss. tatanoisa gelinotte »,
gr. wpaf, TiTpaJîMv « coq de bruyère », lat. tetrinnire a crier
comme un canard ».
Ces exemples suggèrent trois observations qu'il est bon de
noter avant de nous engager plus avant: 1^ Il n*i a pas de
différence entre c et / pour Teffet produit, quand la seule
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 119
qualité qai vienne en lumière est, commeici, Texplosion sourde.
2^ L'impression n'est pas la même selon que IV est ou non
en oontact immédiat avec Tocclusive, comme dans coruos^
xopaf en face de crocto^ xpu((u. LV qui suit une voyelle débute
par des éléments sonores, tandis que celui qui est précédé
d'une occlusive sourde commence en sourde ; d'autre part les
impressions que nous éprouvons se produisent dans Tordre
où les fonèmes frappent notre oreille, et si dans coruos nous
avons l'impression d'une note vocalique ouverte brusque-
ment par une explosion et prolongée par une sorte de roule-
ment, dans crocio le roulement suit immédiatement l'explosion
et aboutit à une voyelle où l'on ne sent plus aucun vibrement.
Ce n'est là qu'une nuance, mais très nette, quoique souvent
l'effet résultant de la somme des impressions produites
par les divers éléments d'un mot soit dans les deux cas
équivalent. 3^ La signification d'un mot onomatopéique
ne fait que mettre en lumière la valeur que les sons ont en
puissance, elle ne saurait jamais leur en donner une diffé-
rente : ail. kratzen ne fait pas la même impression que fr.
gratter, ni esp. grida la même que fr. il crie,' les signiûca-
tions de ces mots sont les mêmes, leur valeur onomatopéique
diffère.
Quand l'occlusive est sonore, l'attaque est plus douce, et,
bien que nous ne percevions de sonorités qu'au moment de
l'explosion, nous sentons qu'elles ont commencé avant et que
le mot ne figure à notre oreille que quelques moments du
bruit; de là naît facilement l'impression que ce bruit est
continu. Nous en avons de beaux exemples dans fr. gro'
gner^ grognement^ ail. grunzen, lai. grunnire, fr. grommeler^
gronder, gr. p^iizv» m frémir », jSpeifAoç « bourdonnement », ail.
brummen « gronder, bourdonner », ail. drôhnen « gronder »,
ags.c/ran «bourdon », 9,\\,drohne « bourdon», fr. bourdonner^
bourdonnement^ iv, grincer^ lit. grészti « grincer», ags. gri-
metan « grincer », vha. gramizzôn « gronder », fr. broyer^ v,
sax. grindan « broyer », fr. briser, got. brikan « briser »,
russ. bormotat* a murmurer », gr. jS^pÇopy/^Jç, fr. gargouillet\
grouiller, gr. ypàw «je ronge », lit. grémszti « gratter bruyam-
ment », (^r^5ft a frotter » , griâuszti a ronger », ^ruAszé^t ((grin-
cer sourdement comme du sable sur lequel on marche ».
120 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
Nous pouvons comprendre maintenant la différence qa*il i a
entre v. irl. torann « tonnerre », fr. lowi^rre et ail. donner^
gr. Ppovrq, Y. si. gromû; dans les mots irl. & fr. (le mot fr.
est très médiocre comme onomatopée) le brait da tonnerre
éclate soudain et se prolonge en grondant ; dans le mot ail.
la sonorité précède l'explosion ; dans les mots gr. et v. si. le
grondement et Texplosion sont simultanés.Yha. karm s*appli-
que à un bruit ou à une clameur que Ton considère au
moment de son explosion, corn, garni à une clameur déjà
commencée et qui continue; même différence entre ags.ctrmt
cyTTn « bruit » & v. si. grimaii ce sonare », entre gr. xp«CM &
y. si. graja « je croasse », & même entre v. si. kruku & v.
irl. bran qui désignent tous deux le corbeau ; ces deux noms
imitent Tun et l'autre le cri de Toiseau, mais le mot slàye
saisit l'instant même où le silence est rompu, tandis que Tirlan-
dais peint l'espèce de râclement qui semble accompagner ce
cri au moment où il est déjà pleinement sonore.
Ajoutons qu'au point de vue où nous nous plaçons ici, il n'i
a pas de différence de valeur entre dy g èib: compares ail.
drôhnen & fr. gronder, v. si. gromû &. gr. jSpovri}.
Lorsque l'élément qui entre en jeu avec une occlusive est
un / au lieu d'être un r, rimpression de vibrement ou de
râclement est remplacée par une impression de liquidité ;
rien d'autre n'est changé. Nous venons d'étudier la valeur des
occlusives en combinaison avec r, nous avons détaillé plus
aut ( p. m ) celle de /; nous pourrons donc passer très
vite. Lorsqu'un / est précédé d'une occlusive sourde l'impres-
sion produite est que le son, dont la note est donnée par la
voyelle, se produit aussitôt après l'explosion sans rien de rude
ni de raboteux, mais au contraire avec une limpidité et une
égalité parfaites. Rappelons le son limpide des cloches que
l'ail, exprime si bien par son verbe klingen; rappelons les
claquements qui ne sont accompagnés d'aucun craquement,
comme celui d'un fouet, comme le bruit des claquets et des
cliquets, comme celui des vagues qui clapotent. Il est des rires
limpides comme celui qu'exprime lit. klegù; il est des cris
tellement éclatants et tellement « liquides » que l'oreille n'i
trouve aucun point de repère et qu'on ne saurait dire s'ils
sont réellement dans la note éclatante ou dans la note aiguë ;
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS IZ\
tel est le cri des aigles & Tappel clair des trompettes, tels sont
les cris que les Grecs désignaient par x\àÇ(u, x^a77iQ & les Latins
par clango, clangor. Les mots lat. calare, clamare, lett. kalada
« cri » supposent aussi des sons pénétrants et limpides.
Entre lat. glocire, fr. glousser & gr. xX&xTffM, x^u^u, il i a la
même différence qu'entre v. si. graja à gr. xpwÇw; les formes
à occlusive sourde peignent le bruit au moment où il rompt
le silence, et les autres au moment où il est déjà une suite.
Nous avons déjà eu Toccasion de noter combien nous per-
cevons mal les sons étrangers à notre langage, & combien
nous les traduisons de façon défectueuse. Il vaut la peine
de remarquer ici que certains peuples ont senti comme
coulants des bruits ou des cris que d'autres ont perçus comme
raboteux. Sans parler de Topposition entre gr. x^^^i^ c grêle»
et V. si. gradûj lat. grando, où les uns ont pu être plutôt
frappés par le glissement & les autres par le crépitement, il
est certainement instructif de comparer v. norr. hlakka
c( croasser » àxpwÇw, crociOj &c., ou v. irl. cailech « coq » à
kràhen, xipxoç, &c., ou gr. x^ucjorecv « crier comme un geai » au
nom latin de l'oiseau qui pousse ce cri, graculus^ & au cri qu'il
pousse, friguiaty ou encore n. si. krketati « crier comme un
dindon » & lit. ty taras u dindon » au gloussement que fait
cet oiseau à notre sentiment. Qu'on ne vienne pas nous objec-
ter que ces mots sont dérivés de racines différentes & que
les lois fonétiques ne permettaient pas de modifier tel ou tel
fonème de la forme originaire ; nous répondrions en deman-
dant pourquoi de deux langues possédant un jeu de racines
à peu près également riche et varié, Tune a choisi précisé-
ment les formes qui la choquaient. Nous verrons d'ailleurs
un peu plus loin le cas que font les langues des mots qui ne
leur conviennent pas et comment elles se procurent ceux
dont elles croient avoir besoin.
La combinaison de la spirante f avec r, c'est-à-dire du
souffle avec le grattement produit Timpression du frotte-
ment, du frôlement^ du frou-frou. Frôler désigne une action
plus douce que frotter^ parce que ce dernier marque avec
son t une explosion après la voyelle, tandis que frôler donne
à la même place, avec sa liquide, l'impression d'un glisse-
ment ; aussi M. de Heredia a cru bon dans ce vers où il
122 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
emploie le mot fràk d'en relever au moins autant 17 que Vf
et IV :
lia Tiole que fràh encor sa frêle main.
Froisser commence par un frottement dont la note, d*abord
sombre, puis éclatante, est détaillée par le vocalisme wa^ &
qui se termine par un léger sifflement indiqué par Ts. Lat.
fritinnire a chanter en parlant de la cigale » exprime un
frottement grinçant et saccadé^ les saccades étant marquées
par Tocclusive dentale t qui sépare les deux voyelles aiguës.
Lat. frendere « broyer avec les dents, écraser, froisser,
grincer des dents » exprime un frottement à note claire.
Fr. fracas^ lat. fi*agor, franco peignent par leur première
sillabe un frottement à note éclatante, analogue au son rendu
par un objet dur qu'on écrase ou qu'on broie ; mais le plus
expressif de ces trois mots est fracas avec son occlusive qui
arrête la voyelle éclatante pour exploder sur la même note.
Combiner Vf avec 17, c'est réunir le souffle avec la liqui-
dité et obtenir comme résultante une impression de fluidité.
Nous Tavons dans flotter :
Et la Toile flottait aux vents abandonnée
(Raginb, Phèdre)^
dans lat. flare « souffler», ail. fliegen « voler », fr. flatuosité^
Isit. fluere «couler », dans le nom de la flûte qui souffle des
sons limpides et aigus, & même dans fr. renifler dont Tn in-
dique que le souffle est nasal. Souffler est un peu plus com-
pliqué, car, outre la spirante f qui indique le soufflement & 17
qui en marque le glissement, il possède une autre spirante s
qui exprime le sifflement possible de ce souffle, tandis que la
voyelle ou prévient que ce bruit sera sourd s'il se produit.
Siffler possède exactement les mêmes éléments, sauf un, Vif
qui suffit à différencier radicalement le sifflement du souffle-
ment; un sifflement c'est un souffle accompagné d'un bruit
aigu qu'exprime cette voyelle :
Et voit sous les st;^/5 s'enfuir dans la coulisse
Cet écuyer de Franconi !
(Hugo, Châtiments),
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 1«3
Les autres combinaisons de spirantes aveo des liquides
sont rarement représentées. On doit pourtant une mention
k b1\. schliefen et schleichen « glisser» pour le bruissement
qu'ils font sentir. Pr. glisser était en v. fr. glier de vha. glitan ;
glier ne faisait pas onomatopée, c'était simplement un mot
expressif ayant une valeur analogue à celle de ail. glatt
(( lisse, poli », cf. p. 147. Si plus tard on a fait glisser de glier,
sans doute en mélangeant ce mot avec glacer qui signifie
souvent a glisser » en vieux français, c'est probablement
qu'on éprouvait le besoin d'avoir dans ce vocable un fonème^
la sifflantes, qui pût donner Timpression du bruit que pro-
duisent beaucoup de glissements. En allemand gleiten ne
fait pas plus onomatopée que glier^ mais la forme populaire
glitschen exprime un bruissement qui vaut le sifflement de
glisser. Fr. ruisseler présente une spirante avec les deux
liquides / et r ; cet ensemble donne Timpression d'un bruis-
sement produit par un liquide. Y. Hugo a mis en relief tous
ses éléments, mais en donnant la prééminence à 1'/, c'est-à
dire à la liquidité, dans ce vers des Burgraves :
■«'huile et le plomb fondu ruisseler sur leurs calques.
AU. schtoirren « siffler en parlant d'une flèche, vibrer » unit
l'impression d'un souffle chuintant produit par le v et le i à
celle d'un vibrement aigu due au groupe tr. Fr. fuser^ fusée
n'ont que deux spirantes sans liquide, ly qui exprime un
soufflé & le z qui fait sentir le sifflement sonore de ce souffle.
A côté de cette combinaison des effets de deux spirantes
on d*une spirante avec une liquide, il faut noter celle d*une
occlusive avec une spirante, comme dans (fèq. bzikati a fre-
donner », qui fait entendre un bruissement labial par sa sif-
flante sonore z appuyée sur une occlusive sonore labiale. Le
mot anglais buzz « bourdonnement d contient les mêmes élé-
ments, mais la voyelle nous indique un bruissement sombre
tandis que celui du mot cèque est clair. AU. pfuschen « produire
un bruissement léger » n'a pas tout à fait la même nuance ;
c'est un souffle labial qui produit une note sombre et se termine
en chuintant. La bise et la brise sont deux souffles qui sem-
blent sortir d'une bouche, mais tandis que le premier se con-
124 ONOMATOPÉES ET MOTS EXPRESSIFS
tente de produire un sifflement aigu et sonore, le second
commence par nn bmissemeot qui réagit sar le sifflement poar
en atténuer Tacaité. Dans lit. hreiéti « bruire » on a presqae
les mêmes éléments que dans fr. hri$e^ mais la spirante den-
tale est remplacée par one chuintante qui donne Tidée d'un
chuchotement. Fr. bouffer a manger gloutonnement » exprime
un bruit labial et le sonfflement de quelqn*un qui mange trop
vite ; bâfrer nuance la même expression en indiquant que le
souffle produit un bruit de frottement. Ail. paffen « fumer en
faisant entendre un certain bruit des lèvres » présente une
explosion labiale qui donne passage à un souffle également
labial ; fr. bouffée^ une bouffée de fumée^ contient à peu près
les mêmes éléments, maisTexplosion labiale étant sonore est
beaucoup plus douce, et le bruit qui la suit est dans la note
sourde, comme Tindique la voyelle ou ; fr. pouffer retrouve
le p de paffen et ne diffère de bouffée que par la violence plus
grande de son explosion.
Ce que nous avons dit à propos des voyelles, nous le répé-
terons pour les consonnes: la valeur que nous leur attribuons
ici et qu^elles ont en puissance ne devient une réalité que si
la signification du mot où elles se trouvent s'i prête. Voici
pour chacun des cas que nous avons examinés et dans le
même ordre un exemple où les consonnes considérées res-
tent inertes: ptnter^ clapier^ crotter, catafalque, tout, bébé,
papat bourbier, pourpie7% naissance, minimum^ mai, mimique^
machine, mécanique, moucher, marner, marbrier, mortier, mar-
mite, lat. cincinnus, ail. bang, kund^ fr, plaquer, traquer, cliché,
classer, larder, flirter, plier, fléchir , souplesse , safran, grin-
galet, grimaud, cribler, créer, trier, griser, frégate, fripon,
brimer, raccommoder, fraise, framboise, braquer, crapaud,
crottin, gorgone, broder, écrémer, rondeau, grondin, robinet,
courtier, chiper, chou, villa, voter, fougère, défi, ail. haus,
fr. liste, cigare, soupière, crépu, critérium, courir, carrière,
cortège, tarière, trident, drapeau, garçon, clef, clôture, calotte,
glose, grâce, frère, frêne, froc, fleur, ficeler, flanc, fisique, bouse,
bise {nom de couleur), pavé, café.
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 125
VI
Dire qae la valeur expressive des sons ne vient en lumière
que poussée en avant par la signification des mots, c*est
énoncer une proposition juste en somme, mais qui ne rend pas
compte de toute la vérité. Il faut ajouter qu^in mot n'est une
onomatopée qu'à condition d'être senti comme tel. Sans doute
il en est, comme frou-frou, ronron^ qu'il n'est pas permis de
ne pas sentir ; mais d'autres, qui sont peut-être moins adé-
quates, seront saisies comme onomatopées par l'un et point
par l'autre. Le fait pour un mot d'être onomatopéique est
donc subjectif. Cette subjectivité apparaît plus nettement
encore si l'on entre dans le détail et que l'on recherche dans
un mot dont la signification permet la mise en valeur de fonè-
mes expressifs, quels sont ceux qui entrent en jeu pour l'ono-
matopée. Le téoricien vous dira exactement lesquels sont
susceptibles de le faire, quelle est la valeur propre de chacun
et quelle est celle de l'ensemble ; mais souvent il n'i en aura
que quelques-uns qui agiront réellement sur l'esprit du sujet
parlant ou du sujet écoutant, & ce ne sera pas toujours les
mêmes. De là les changements de nuance dans la signification
des mots onomatopéiques ; si le sujet parlant emploie un de
ces mots en lui attribuant telle nuance qu'il croit sentir expri-
mée par quelques-uns de ses fonômes, il peut se faire que le
sujet écoutant i sente une autre nuance parce que ce sont
d'autres fonèmes du même mot qui l'ont surtout frappé. Dès
lors il sera tenté d'employer ce mot avec cette nouvelle
nuance^ qui pourra s'établir à côté de la première ou même
8e substituer à elle.
Prenons quelques exemples. Le mot sk. bhramaras « abeille »
débute par an bh qui annonce un bruit labial, & ce bh est
combiné avec un r, ce qui constitue le groupe le plus propre
à exprimer le bourdonnement. Mais nous savons que ce n'est
pas ce groupe qui frappait le plus les Indous dans ce mot ;
ce qu'ils i sentaient avant tout ce sont les deux r, puisqu'ils
appelaient fréquemment cet insecte dvirephas^ c'est-à-dire
126 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
c qui a deux repha dans son nom ». Il i a beaucoup d^autres
mots sanskrits qui contiennent deux r, mais on ne les i
remarquait pas.
Lat. vulg. *frustiarey dérivé de frustum « morceau », signi-
fiait « mettre en morceaux » et ne pouvait avoir d'expressif
avec cette signification que son groupe ru, le même que celui
de ail. bruch « rupture » ; c'est-à-dire que son /*, sa combinai-
son /> et son 5, propres à peindre respectivement le souffle,
le frottement et le sifflement restaient inertes. * Frusttare
devient en fr. froisser qui a anciennement le même sens
« mettre en morceaux » et dont le groupe roi a la même
valeur que dans broyer. Mais peu à peu les éléments négligés
viennent en lumière et infiuent sur révolution sémantique
du mot. Par des dégradations insensibles il arrive, grâce au
groupe /r, à désigner Faction de mettre en pièces par un
frottement dur, puis de broyer ou simplement d'écraser par
le même frottement, c'est-à-dire que l'idée de mise en mor-
ceaux disparaît. Nous disons par exemple que quelqu'un s'est
froissé un muscle. Jusque là Vs est resté dans l'ombre; quand
son siffiement apparaît, la nature du frottement change à
cause du bruissement qui l'accompagne. Dès lors tous les
éléments de ce mot sont en relief et l'impression résultante
produite par les valeurs combinées de son consonantisme et
de son vocalisme est apte à rendre de façon très eureuse le
bruit du papier, du satin que l'on fripe brusquement.
Ind.eur. *6Arem-(vha. brëman^ ail. brummen, lat. fremere)
commençait par un groupe propre à exprimer un bourdon-
nement, lequel pouvait être plus ou moins clair ou plus ou
moins sombre selon l'apofonie (*Mrem-,*^Arom-). En latin
le bh devient./*» ce qui accroît notablement l'effet vibrant de
Yr & rend le mot inapte à exprimer un bourdonnement léger
comme celui des abeilles. Les bruits violents seront son
domaine ; dt comme il n'a plus d'apofonie, que sa voyelle est
toujours 6, parmi les bruits qui donnent l'impression d'un
frottement, ceux qui sont grinçants et de note aiguë lui con-
viendront particulièrement: /r^mtï sonipesYirg. « le cheval
ennit », fremunt uenti Ov. « les vents sifflent ». Mais ce mot
a conservé par éritagela faculté d'exprimer desbruits sourds.
Il n'i a donc rien de surprenant à le voir s'appliquer à des
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 127
bruits non moins violents, mais dans la note sombre. Il suffit
pour cela que la voyelle ne vienne pas en lumière : frémit leo
« le lion rugit », frémit ttgris « le tigre gronde » (son essen-
tiellement rauque).
Lit. birbiu qui désigne souvent un bruit strident ou aigu
grâce aux éléments qui sont dans àruity drm're, s'applique fort
bien au fredonnement et au bourdonnement gràoe au b & kVr,
bien que Vr soit palatal.
Lit. birbinu qui est formé des mômes éléments, s'applique
aussi au bourdonnement d'un rouet, d'un insecte, à un ron-
flement, mais peut désigner non moins bien^ grâce à l'acuité
de ses voyelles, le bruit de la clarinette ou de la crécelle.
Âli,summen£Lsumsen sont à peu près équivalents et signifient
«fredonner ». Ils possèdent un s qui indique un bruissement
(le second en possède deux et est de ce fait plus expressif),
un ti qui marque que ce bruissement est dans la note sombre
et la consonne m qui est à la fois nasale et labiale ; suivant
que c'est l'une ou l'autre de ces deux qualités qui entre en
valeur, le mot exprime un fredonnement nasal ou un fredon-
nement labial, d'où le sens de « bourdonner » qu'il possède
aussi.
Gr. jSpvxeiv « croquer, ronger» a des éléments communs avec
croquer, mais à l'époque où son v se prononce â son initiale
se rapproche davantage de celle de grignoter^ d'où le sens de
« rousiller x>. Il peut même lorsque son û entre particulière-
ment en lumière signifier « grincer des dents » (sens rare)
gr&ce aux éléments qui font impression dans briser^ grincer.
C'est pour des raisons analogues que des mots tirés d'une
même racine prennent souvent des sens différents suivant
les asards de leur apofonie ou la forme de leur suffixe. Ainsi
de la racine ten- le latin tire tinnire qui veut dire « rendre un
son clair et métallique » à côté de tonare qui s'applique au
bruit éclatant du tonnerre, et le vieux slave tg,tïnû qui s'ap-
plique à un bruit sourd. Lit. grâuziu « je ronge » n'a pas le
même sens que gr. fip^x^i^ ^^ grincer des dents » auquel il est
apparenté parce qu'il contient plutôt les éléments de gratter ;
mais got. kriiistan qui appartient à la même racine signifie
« grincer » parce qu'il a comme ^p^x^tv un r appuyé sur une
voyelle aiguë.
128 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
Gr. ^pc» désigne essentiellement le frémissement^ le mur-
mare, et il en est de même de Ppépioç parce que c*est le substantif
correspondant ; mais le Yocalisme de ce dernier lai permet de
désigner aussi le bourdonnement et même le grondement, et
cette signification pourra être aussi attribuée par réaction au
verbe, dont la vojelle restera alors inerte par le fénomène
que nous constations plus aut à propos de fremere. Quant à
ppovrii qui est dérivé de la même racine, il ne pourra s'appli-
quer qu*au bruit du tonnerre parce que sa formation l'isole du
verbe.
C'est ce sentiment du rapport entre le timbre de la vojelle
et la nuance sémantique qui a donné naissance à une apofonie
spéciale, que nous avons déjà signalée (p. 100) & que Ton peut
appeler Tapofonie onomatopéique. Elle a trois degrés : vojelle
claire t (e), vojelle éclatante a (d) & vojelle sombre ou (d).
Elle n'a rien de commun istoriquement avec Tapofonie indo-
européenne, bien que cette dernière lui ait dans une certaine
mesure servi de modèle. A côté de fî*. claquet « petite latte
de bois qui frappe continuellement sur la trémie d'un moulin »,
cliquet n*a pas d'autre origine que les besoins onomatopéiques
pour désigner un objet analogue en métal et dont le son est
par conséquent aigu. Les trois mots allemands de formation
récente, knirren <x faire un bruit aigre », knarren a craquer»,
knurren « gronder » sont un bel exemple d'apofonie onoma-
topéique. On en peut dire autant de Ut. treszkéti « crépiter »,
traszkéti « craquer », truszkéti <( faire entendre un craquement
sourd, comme celai d'un arbre qui se rompt ». Considérez
encore ail. klippem « cliqueter » et klappem «claquer », klit-
schen et klatschen « mêmes sens respectifs », knistem « cré-
piter » et knastem « craqueter », knittem et knattem « mêmes
sens respectifs », kritzen « griffer » et kratzen « gratter», &c.
Ënân^ il faut constater que dans des mots à modulation
vocalique comme fr. tintamarre, clapotage^ clapotis, ce qui a
déterminé le choix du suffixe^ c'est uniquement le sens ono-
matopéique, c'est-à-dire le besoin de peindre dans le premier
cas un bruit qui, après être passé de la note claire à la note
éclatante, continue à retentir dans cette dernière ; dans le
second cas un bruit saccadé (par les occlusives) dont les
modulations ne sortent pas des notes éclatantes; et dans c/a-
ONOMATOPEES BT MOTS EXPRESSIFS 129
potis un bruit varié de notes éclatantes entremêlées par
endroits de notes aiguës.
VII
Sauf dans ces dernières lignes, nous n'avons enoore presque
rien dit de la formation, de Torigine, de Tétimologie et de
révolution des mots onomatopéiques. Nous en avons rappro-
chés qui n'ont aucun lien de parenté, nous en avons séparés
qai sont frères. C'est que pour les questions que nous avons
étudiées jusqu'à présent, il n'i avait pas lieu de faire autre-
ment ; il fallait constater l'état et la valeur des différents mots
que nous signalions dans diverses langues, et toute autre con-
sidération eût été digressive.
C'est cependant sur ces points que nous avons négligés que
FoQ a le plus écrit jusqu'à maintenant. On a prétendu que les
mots onomatopéiques échappaient aux lois ordinaires de l'évo-
lution ; on a dit aussi que les langues possédaient d'autant
plus d'onomatopées qu'elles étaient plus jeunes, plus sauvages
même, qu'elles en semaient tout le long de la route qu'elles
étaient obligées de suivre pour s'afûner, et que les langues
les plus perfectionnées, celles qui correspondaient au degré
de civilisation le plus avancé, n'en présentaient plus que
quelques vagues débris. Aucune de ces opinions ne repose
sur une étude attentive des langues et de leur évolution,
Vojons les faits.
Les mots onomatopéiques obéissent servilement aux lois
fonétiques qui dominent les autres mots de la langue à laquelle
ils appartiennent, même si les transformations que leur impo-
sent ces lois doivent leur ôter toute valeur expressive. Lat.
querquedula^ qui fait onomatopée par la combinaison de ses
deux occlusives sourdes avec la vibrante r, est devenu en fran-
çaissarce/Ze, mot absolument inexpressif. L'indo-européen em-
ployait pour désigner l'éternuement une racine * pster- dont
la forme insolite décèle au premier coup d'oeil une création
9
130 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
purement onomatopéique et qui est en effet bien remarquable
avec son explosion labiale suivie d'un sifflement que vient
interrompre une occlusive dentale explodant sur un bruit que
prolonge le vibrement d'un r. Le grec en a tiré irrapw/xc
à qui révolution fonétique a fait perdre la spirante, o'est-à.-
dire Félément essentiel, celui qui donnait la vie à tous les
autres, si bien que ce mot n'est en définitive guère plus dig'ne
du nom d'onomatopée que Trrcpva « le talon ». Le latin, qui
obéit à des lois différentes, en fait stemuo ; il n'a perdu que
le /), et la perte est petite, car tous les éléments essentiels
subsistent, et l'onomatopée reste excellente. Mais stemuere
devient en français étêrnuer^ qui est aussi inerte comme ono-
matopée que éterniser* Les langues germaniques possèdent
pour désigner la même idée diverses formes qui semblent pou-
voir être toutes ramenées à une sorte de racine * qsneus- ; elle
n'est pas moins expressive que * pster-^ mais elle ne désig^ne
pas le même éternuement; ^pster- exprime un de ces éter-
nuements dus à un picotement dans le nez comme en produit
le soleil du printemps, & qui vous surprennent au moment où
vous vous i attendez le moins & où vous avez par conséquent
la bouche fermée, comme le montre l'explosion labiale du
début; la racine germanique mqsneus- peint au contraire Téter-
nuement de quelqu'un qui a contracté un bon rume de cerveau
et qui ne pouvant plus respirer par le nez a d'avance la bouche
ouverte ; pas d'occlusion labiale en effet, pas même d'occlusion
dentale ; les muscles en se contractant ne peuvent produire
d'occlusion qu'au fond de la bouche, au niveau du voile du
palais, commele marque le ^; cette explosion est immédiatement
suivie d'une sortie violente de souffle exprimée par la sifflante s
et dont le trop plein passe par le nez qu'il dégage momentané-
ment(n) en produisant un bruit que marque la voyelle & qui se
termine par un nouveau sifflement. Ajoutons que les langues
baltico-slaves ont une troisième formation, lit. cziûsti, cziàtAdèti^
russ. cixâf dont l'élément essentiel est celui de notre onomatopée
atsché, atschiy qui suppose aussi l'occlusion des fosses nasales. Il
serait puéril de rattacher des considérations etnograflqu es à ces
trois expressions différentes de l'éternuement ; lorsqu'on
cherche à imiter un bruit complexe et variable, il est tout
naturel qu'on le reproduise de façon plus ou moins inexacte
ONOMATOPÉES ET MOTS EXPRESSIFS 191
et tantôt d'une manière tantôt d'une autre. La seule chose
qui nous importe ici, c'est de constater que si révolution foné-
tique a ôté à ind.-eur.^psfer- toute valeur expressive en le fai-
sant aboutir à fr. étemuer^ elle n'a pas plus respecté germ.
*çsnetÂS', Ce dernier est en effet devenu d'une part ags. fnéo-
san^ m. angl. fnésen, holi. fniezen qui ne peignent qu'un
souffle mi-labial et mi-nasal, d'autre part m, angl.snesen, angl.
to sneeze qui marquent un sifflement dental sufvi d'un souffle
nasal, enfin v. norr. hnjôsa qui indique bien encore un souffle
nasal, mais dans les dialectes ou l'A est tombé on a vha. niosan^
m. angl. néseh^ ail. niesen qui ne font pas plus onomatopée
que ail. nàhen 9 coudre ». Les correspondants de sk. kroças
« cri », gr. xpavyq « cri », si expressifs avec leur groupe
cr^ sont en got. hruks « chant du coq » , hrukjan « chanter
comme un coq » que la lautverschiebung a rendus presque
inertes en détruisant l'occlusive sourde initiale. Même obser-
vation pour ail. rufen « appeler » q«i sort d'un prégerma-
nique *krob' ou " krâi'j pour ali. lachen « rire » qui sort de
*klak- (cf. gr. nlàÇa, xXûaau), pour ags. punjan a tonner »
qui correspond à véd. tânyatt\ lat. tonare^ pour v. norr.
pidurr qui correspond à gr. wpaÇ « coq de bruyère », pour
gr. aufft, ônp, avp«, lat. aura^ v. irl. aial a souffle, vent » à côté
déracine ^toè-, v. si. véja «je souffle», lit. véias a vent »,
got. vaian « souffler », vinds « vent », ail. wehen « souffler »,
mnd a vent », lat. uentus.
Puisque l'évolution agit impitoyablement, sans souci de
l'onomatopée, il est évident que si elle la détruit parfois elle
doit tout aussi souvent et avec la même inconscience, la
créer. Ainsi ind-eur. *6A/â-ou *bhlë- « souffler» donne au vha.
plâen^ blâen qui est inexpressif, mais au \dX,ftare qui vaut vha.
fnëkan examiné plus aut, p. 97. Vfr. afan a effort », it. aff'a-
nare «chagriner», prov., esp., port, afanar « se donner de la
peine, travailler avec effort » supposent une forme romane
d'origine inconnue *affanare. Tous ces mots sont inexpressifs.
A côté de cette forme il i en avait probablement une autre
avec un seul /*, ^afanare^ sortie de celle-là par simpliflcation
de la consonne double dans les formes où elle se trouvait
devant l'accent, comme dans mamilla de mammay curulis de
currttô, uacitiare de uaccillare^ farina defarris, ofella de offa^
132 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
dmittOj Messalina de Messalla. *Afanare aurait donné fr. ahaner
comme deforis est devenu dehors. Or ahane fait onomatopée
par son iatus, comme ce vers do M. de Heredia :
Et bondis à travers \m liAletante orgie,
et ahan d'autre part par sa nasalisation qui le fait coïncider
pour sa deuxième siilabe avec Tinterjection des gens qui font
effort, hani
Il est inutile de citer ici un plus grand nombre d'exemples
de ce genre. On en pourra glaner plusieurs dans les chapitres
qui précèdent et on en rencontrera beaucoup dans ce qui
nous reste à exposer. Qu'il nous suffise pour le moment de
constater que ce que révolution fonétique fait perdre d'un
côté à une langue au point de vue de l'onomatopée, elle le lui
rend d'un autre côté. Led pertes et les gains se balancent à
peu près.
Les langues subissent-elles passivement cet état? On ne les
voit guère rejeter un mot parce qu'il fait onomatopée. Mais
lorsque l'évolution fonétique leur fait perdre une onomatopée,
on constate sou vent qu'elles la refont ou la remplacent. Quand
il s'agit simplement d'imiter un bruit bien déterminé, on le
recopie de son mieux en abandonnant le mot éréditaire devenu
inexpressif. L'istoire des noms du coucou dans les langues
indo-européennes est fort instructive à cet égard. Ils ont tous
quelque élément commun, mais la question est de savoir
dans quelle mesure ils le doivent à l'érédité et à leur parenté.
Il convient d'abord de signaler sk. kôkas « coucou (RY, vu,
104, 22), — loup, sorte d'oie (olass.) » avec son dérivé kaki*
las « coucou », lat. cucus (?), v. irl. cûach, gall. côg qui
remontent aux formes parallèles *qeuqos, *qouqos, *qugos,
*quqàf * gouqà. Ce sont des mots à réduplication brisée que l'on
peut rapporter à une racine onomatopéique *qeu-, attestée
par sk. kâuti^ kunàU\ kavate « retentir, faire entendre un son,
gémir » , v. si. kujati « murmurer , gronder » , gr. xmxvu
« je pousse des cris de douleur », lit. kaûkti « urler i), etc. A
la même racine peuvent se rattacher lat. cuculus, v. si. kuka-
vica c coucou », lit. kukûii c faire le cri du coucou »; mais
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 188
rien ne prou76 que tel de ces mots n*a pas été refait directe-
ment sur le cri du coucoa.
En grec on a xoxieuÇ qui ne correspond exactement à aucun
des mots cités jusqu'à présent. Faut-il , à cause de son
occlusive redoublée , i voir une formation grecque tirée
d*une nouvelle imitation du cri du coucou, à savoir xoxxu?
Ce n*est nullement nécessaire ; sans doute, si xdxxvf était un
mot inexpressif sa dérivation de la racine signalée plus aut
serait anomale ; mais lorsqu*il s'agit d'un mot onomatopéi-
que,8on xx n'a rien de plus surprenant que le wic de mmcit^u à
côté de irtir^^M ou le x;^ de xaxxa(ft> à côté de xa;^âC«>. Le redou-
blement d'une occlusive dans les cas de ce genre est un pro-
cédé qui a pour effet d'accentuer le redoublement, de le
rendre plus sensible, & qui plonge par ses origines jusque
dans rindo-européen; qu'il nous suffise de rappeler ici en face
de 9r<irir{(tt sk. pippakà c nom d'un oiseau >, en face de xaxxà(a>,
xaxâÇâ) sk. kakkhatty kakhati. Est-il permis de supposer que
notre forme xdxxvf remonte aussi aut? On a certainement
le droit d*en rapprocher sk. kukkubhas a faisan », kukkuvàc
c espèce d'antilope », tant qu'il ne sera pas démontré que ces
mots sont des formes prâkrites sanskritisées. La différence
de signification ne saurait être un obstacle ; la racine dont
nous avons parlé a un sens assez large pour que ses dérivés
puissent s'appliquer à des animaux divers pourvu que leurs
cris aient entre eux quelque vague analogie. Nous avons déjà
vusk. kokas désigner « le loup » et c une sorte d'oie o ; v. si.
kucika signifie « ie chien •, lat. cucubare veut dire « faire
entendre le cri du ibou », enfin gr. xoxxv(tt lui-même con-
vient aussi bien au chant du coq qu'à celui du coucou.
Dans les langues germaniques la forme la plus ancienne
qui nous soit connue est vha. gouh = ags. géac = v. norr.
gaukr « coucou » , représentée encore aujourdui par ail.
gauch c coucou, — niais ». Elle ne peut en aucune façon
être rapprochée fonétiquement des formes que nous avons
signalées dans les autres langues ; elle est sans doute appa-
rentée à sk. hàvaie, hvdyati* il crie, il appelle d, hàvas a cri »,
jôhamti € il appelle », v. si. zova « je crie, j'appelle ». Au
point de vue expressif ce mot est très défectueux à différents
égards et en particulier parce qu'il n'indique pas de redou-
134 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
blement alors que le cri du coucou est toujours répété. Aussi
▼oit- on surgir au XVI* siècle à côté de gouch des formes telles
que guckgauch, gutzgauch. Mais longtemps auparavant le
néerlandais avait recopié directement le cri de Toiseau dans
son mot koekoek, qui pénétra en Allemagne dès le XV' siècle
sous la forme kuckuck, aujourdui très répandue. L'anglais a
cuckooqyiLiX ne doit sans doute ni a un éritage ni à un emprunt,
mais qu'il a calqué sur le cri du coucou. De même en russe
kukûska n'est pas le représentant de v. si. kukavïca^ mais une
imitation du cri du coucou suivie d'un suffixe très usité.
Le cûcus de nos dictionnaires latins n'est livré nulle part
d'une façon certaine, pas même dans Isidore (Orig, ^12, 7). C'est
assez dire que si un pareil mot a réellement existé en latin,
nous ignorons sa forme exacte et en particulier la quantité
de sa première voyelle. Rien ne saurait donc faire obstacle
au *dkcus que demandent ital. eticco, roum.CMC,port. cuco.
Ce *ctkcus serait à *cUcus ce que cûppa est à cùpa. Le mot
ordinaire en latin pour désigner le coucou est bien connu
sous la forme dkulus et son doublet cumllus. Dans les langues
romanes prov. cogul-s répond bien a cûcûlus^ mais en italien
au lieu du *cugûlo attendu on a cucûlo qui demande fonétique-
ment *cikcUlus. En français il n'i a pas lieu de séparer les mots
désignant l'oiseau coucou de ceux qui s'appliquent au mari
cocUf à celui dont la femme, comme la femelle du coucou,
ante des nids étrangers. Vfr. *coucu^ attesté par Godef.
coucuaultj peut sortir comme ital. cucûlo d'une forme "cûcculu;
de même langued. coucut suppose *cûccUtUy et franc-comt.
coucue a l'erbe au coucou », *cûccUta. Ces formes cucûlo^
*coucu^ coucut^ coucue peuvent recevoir deux explications :
1** le texte de Plaute, 7Wn., 245 paraît exiger la longueur de
la première sillabe dans le mot cuculus, c'est-à-dire cûc- ou
cûcc' & tous les autres passages où ce mot se trouve dans le
même auteur peuvent s'accommoder de cette scansion (cf. éd.
Brix). Cûcûlus serait à cûccûlus comme uacillat à uaccillat et la
coexistence de ces deux formes en roman ne serait pas plus
surprenante que celle de cuppa à côté de cupa ou celle de
pullicinu « poussin » à côté de pulicinu c pussin » (Revue des
langues romanes^ 1898, p. 287) ; 2* *Cugûlo^ *cougut^ &c.,
pouvaient devenir d'une façon normale cucûlo, coucut^ &c.
ONOMATOPÉES ET MOTS EXPRESSIFS 135
par le sentiment du redoublement, comme fr. verveine de uer-
bena^ lat. valg. codna de coquina^ y. esp. bierven de uermi-
nem^ &c. (cf. Grammont^ La dissimilaiionj p. 169).
Fr. coucou est probablement une nouvelle imitation directe
du cri de Toiseau, mais il pourrait aussi être sorti de *coucu
par une assimilation vocalique progressive due à Tinfluence
de Tonomatopée. Enfin cocu^ coqu^ au lieu d'avoir subi,
comme le pense le Dict. gén.^ Tinfluence de coquart, coquin,
&c., n'est autre chose que vfr. cucu dissimilé normalement
comme devin de diuinu, voisin de uicinuj fanir de finire.
Quant à ce cucu^ c'est ou bien ''cowiu assimilé régressivement
par le sentiment que ce mot fait onomatopée et exige le
redoublement de la même sillabe, ou bien une reproduction
directe et approximative du cri de l'oiseau. Comme nous
l'avons déjà indiqué (p. 98 ), les deux notes du cri du coucou
ne sont pas absolument identiques ; la première est plus claire
que la seconde, et si coucou est une imitation plus exacte que
cucu^ ce dernier présente pourtant une approximation très
suffisante. Seulement il fait Timpression d'un cri plus aigu
que coucou» On trouve la même différence entre les mots dési-
gnant le urlement que nous avons signalés à la p. 108 et le
mot fr. urler (hurler), La voyelle essentielle des premiers
est un ou, ce qui ne les empêche pas de servir à l'occasion
pour les urlements aigus ; au contraire fr. urler donne
rimpression d'un urlement aigu et par extension désigne
aussi les autres. Mais d'où vient son û et aussi son h qui
s'est prononcé assez tard puisque nous disons encore aujour-
dui le urlement sans élision ? Le point de départ de ce mot
est évidemment latin ululare qui n'a ni ti ni A ; ce ululare bien
qn'il s'applique essentiellement au urlement des chiens et des
loups est un dérivé de ulula « chat-uant ». Le rapport qui
existe entre le urlement et le cri du ibou ou du chat-uant
paraît avoir été saisi de différents côtés, car ail. heulen
« urler » de mha. hiulen^ hiuweln est apparenté à mha.
hiuwel^ vha. hiuwila « ibou, chat-uant ». C'est ce qui permet
de supposer que le mot fr. a subi une infiuence germanique
et qu'il s'est mélangé avec vha. hûwila « ibou, chat-uant ».^
• Hûwila + iUiilare peut donner soit *hûlûlare d*où hurler, soit *hûwilare
136 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
Le mot uer (huer\ que Ton persiste à tirer de rinterjection
hu, appartient à la même famille ; il signifie encore en terme
de fauconnerie « crier comme le ibou » & n'est autre chose
qu*un dérivé de vha. hnwo « ibou, chat-uant d.
Lorsqu'il s'agît de bruits moins précis ei moins bien déter-
minés, les langues ont d'autres ressources pour réparer lears
pertes. Elles ont toujours en magasin, si Ton peut s'exprimer
ainsi, les fonèmes qui sont propres à en peindre les carac-
tères essentiels, par exemple l'apofonie onomatopéique qui
suffit, comme nous l'avons vu plus aut, à en exprimer la note
dominante, puis les occlusives qui marquent les sons à explo-
sion brusque^ puis les combinaisons d'occlusives avec des
liquides ou des spirantes , dont la valeur nous est aussi
connue. Ainsi la lautverschiebung ôte au correspondant ger-
manique (vha. kuoh^ que nous retrouverons plus loin) de gr.
xa^aÇeiv « rire aux éclats», lat. cackinnus^ sk. kakhati tout
ce qui rendait ces mots si expressifs; mais le vieux aut alle-
mand retrouve dans son propre fonds les éléments qui avaient
servi à former ces mots en indo-européen, & il en fait kichaz--
zen^ kackazzen. Le «geai » se dit en vha. AeAara (qui ne fait
pas onomatopée) et en gr. xio-va -, en sanskrit on trouve kikiSt
mot refait qui éveille bien le sentiment des cris aigus et sac-
cadés de cet oiseau ; mais la forme attendue Vteti n'avait pas
les mêmes qualités. Indo-eur. *A:^aA;- devient en germanique
par la lautverschiebung A/aA-& même en ail. lah- qui n*ont plus
d*où yfr. huler ; le dérivé normal de hûvHla, sans mélange avec ûlûlare,
ne pourrait d'ailleurs avoir une autre forme que *hûwilar€. M. Meyer-
Lubke a donné {Grôber's Zeitschr,^ XXII, 6 sqq.) une explication fort
ingénieuse de Vu fermé de la sillabe initiale ; mais elle ne paraît pas
pouvoir être acceptée parce qu'elle n'est pas indispensable pour expli-
quer obw. urlar & surtout qu'elle ne rend pas compte de Vh. Déjà en 1894
M. Th. Braune avait songé à une origine germanique {Grôbei''s Zeitschr,,
XVIII, 527), mais il n'avait pas touché juste parce que hurreln aurait
donné fr. *houvler^ parce que plusieurs formes romanes ne permettent
pas d'écarter ululare^ enfin parce que sard. uruiare & roum. url prou-
vent surabondamment que l'r n'est pas d'origine germanique, mais est
le produit d'une dissimilation tout comme le d de cat. udolar qui ne
lort pas de hurdeln (cf . Grammont, La dissimilation, p, 50, 55, 81, 84).
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 137
da tout la valeur onomatopéique de gr. xkfxrffh^ lat. clangor;
inais on refait klingeriy klang.
Au lieu de fabriquer un mot de toutes pièces pour combler
une lacune, les langues peuvent l'emprunter à un idiome
voisin ou le tirer d'une racine qui n'a pas le même sens.
L'indo-européen se servait des deux racines onomatopéiques
* perd- & *pezd' pour exprimer deux nuances nettement
distinctes. La première avec son explosion labiale, son voca-
lisme YdkTié(* perd -, *prd'^ *pord-), le léger roulement de son
r et Tocclusion finale, est une merveille. Elle est attestée par
sk. pârdate , gr. TrcpcTerac , lirpacTov , sTrapcTov , irsirop^a , iropcfq ,
lit. joérrfim, pérsti, cèq. prdéti^ ail. furzen^ farzen^ &c. La laut-
verschiebung a modifié Texpression dans les mots germaniques,
mais il n'i a pas lieu d'insister sur ce changement. La seconde
racine, *pezd', remplace excellemment la vibrante r par la
spirante sonore z, mais on peut trouver que l'explosion mar-
quée par la labiale du début est trop violente. Quoi qu'il en
soit elle donne naissance dans le domaine ellénique a un
verbe * bzdeyo qui serait parfait si les lois fonétiques grecques
ne le rendaient inexpressif en lui faisant perdre son z ; gr.
|3(fcw garde la signification de *pezrf- parce que 7r«p(?- sub-
siste en face de lui, mais il ne l'exprime plus. En baltico-slave
et em germanique '^p^zei?' apparaît dans slav. pezdèii qui garde
toutes les qualités de l'indo-européen, dans pet. russ. bzdHty et
lit. bezdéfi (sans doute emprunté au russe) qui sont plus par-
faits, et dans mha. vist^ ail. fisten qui sont irréprochables. En
Uiin *pezdo devient normalement pétio ; il reste la labiale,
mais plus rien de caractérisant. C'est désormais un mot à
peu près quelconque, plus propre pourtant avec son explosive
labiale sourde à remplir les fonctions de * perd- que celles de
*pezd'f et comme iln'iapas à côté, comme en grec, un repré-
sentant de * perd-^le domaine de ce dernier lui échoit ; mais il s'i
comporte simalabilement, qu'on éprouve souvent le besoin de
le remplacer par crepare. Quoi qu'il en soit, la place de * pezd-
reste vacante ; on a recours alors à uisire^ qui est fort juste
comme expression, mais qui trouve là un emploi nouveau,
car,bien que son origine ne soit pas certaine, il semble se ratta-
cher à une racine * veis - signifiant « couler, exprimer un
liquide » . En vieux français pèdere donne poire qui n'est pas
138 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
beaucoup plus expressif que le frait dont le nom se prononce de
même ; mais du substantif ;>e^ on tire un dérivé /^eVer qui doit à
son occlusive dentale sourde un regain d'expression. L'autre
nuance est rendue par vesser^ vfr. vessir^ qui a toutes les
qualités désirables et sort de * mssire^ doublet de timre.
Non seulement les langues réparent souvent, soit en créant,
soit en empruntant, les pertes que leur a causées l'évolution
fonétique , mais il n'est pas rare, lorqu'un mot vient mal ou ne
présente pas les qualités requises, qu'elles le réduisent à un
rôle secondaire, ou le rejettent complètement et le remplacent
par des mots plus expressifs qu'elles prennent où elles les
trouvent, soit qu'elles les forgent, soit qu'elles les empruntent
Ainsi lat. vulg. meiare (class. meteré) donne sard. meare,
esp. mear^ port, mijar, mots inexpressifs. Dans les autres lan-
gues romanes on emploie les représentants de * pistiare, à
savoir it. pisciare^ rétor. pischar^ prov. pissar^ fr. pisser^ picard
ptcheTj cat. piixar^ roum. pt§, Q est probable que si l'on a eu
recours à ce mot de signification si éloignée (sur son origine
et son évolution sémantique, cf. Ulrich, A, IX, 117 et
Eôrting, Lat.- rom. wôrt.^ n* 7195), c'est parce qu'il est
expressif & rappelle le bruit d'un filet d'eau qui coule par
terre (cf. le mot des nourrices qui veulent faire uriner
leurs nourrissons, /)5, ps^ avec s palatal), tandis que meiare
& ses représentants sont totalement inertes.
Le latin rendait l'idée de crier par clamare; on en a fait en vfr.
damer, je claim, qui signifiait « appeler à aute voix » & qui n'est
plus guère vivant aujourdui que dant les composés proclamer ^
acclamer, réclamer; mais pour rendre Tacuité d'un cri qui
vibre soudain, le latin ne fournissait rien ; le lat. vulg. a* critore
qui est excellent. Où l'a-t-il trouvé? On le voit généralement
dans lat. quiritare a appeler le peuple au secours », & il n'i a
en effet pas grand chose à dire contre cette étimologie ; mais
il nous a toujours semblé qu'il i avait tout autant de chances
pour que ce mot vînt de go t. * kreitan « crier », attesté par
mha. krîzen. Et ce got. * kreitan d'où sort-il lui-même? Pas de
l'indo-européen, qui ne connaît pas *^et(rf-; il est vrai que l'on
pourrait songer à un élargissement de la racine * |fer-, attestée
par sk. jârate « il fait du bruit », lit. gàr$as « voix », v. irl.
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 139
gair « appel, voix •, v. norr. kura « gronder », vha. karm
a brait, clameurs », &c. ; mais il est beaucoup plus probable
que kreit- est une fabrication germanique apparentée onoma-
topéiqaement(& non pas istoriquement) avec indo-eur. "^ greti]^-
« pousser des cris aigus » que Ton voit représenté dans gr.
Expaov, V. si. krikû « cri », lit. krikséti « crier », v. norr. hrikta
«pousser des cris aigus », vha. hreigir « héron ».
Le latin ne disposait guère que de crepare pour rendre les trois
nuances craquer ^ croquer^ claquer ; les langaes romanes gardent
ce mot à cause de ses qualité8(it. crepare, roum. crëp, prov. cre-
barrir. crever^ esp.jport.ywc^rar), mais elles limitent sa signifl-
cation et suppléent à son insuffisance en recourant qui au ger-
manique comme l'espagnol qui en tire crujir^ qui- aux forma-
tions onomatopéiques comme le français, qui a tiré des verbes
des interjections crac,croCf clac; ail. A/a/seA^n est dérivé de la
même manière de klatsch & krachen de krak ; il n'i a évidem-
ment aucun rapport istorique entre ces mots et ceux qui leur
correspondent en français. Pour désigner le cliquetis des
armes, le latin se servait d'un dérivé du même crepare^ à
savoir crepitus; l'espagnol Ta remplacé par chischas et le fran-
çais par cliquetis qu'il a tiré de cliquet au moyen du même
suffixe qui lui a servi à distinguer le clapotis du clapotage^
k cliquet lui-même n'a pas d'autres aïeux que Tinterjection
clic. Ces nuances ne suffisaient pas encore aux langues moder-
ûes;pour ne considérer que le français, decraquer il a tiré cra-
queter, craqueler; il a même repris au latin par voie savante
ce crepitare qui était excellent et qui ne lui était pas venu par
voie populaire.il s'est encore tourné d'un autre côté, & ajou-
tant à un substantif inexpressif qu'il possédait le suffixe -tV/er,
il a fait pétiller dont tous les éléments sont en valeur; car le
jodj spirante palatale sonore, est propre à exprimer un léger
bruissement, bruissement aigu si la voyelle qui précède est
ûguë comme dans le cas présent, bruissement sourd si elle
est sombre comme dans gargouiller, grouiller que le français
Ajoute à la liste en tirant l'un d'un élément onomatopéique à
redoublement garg- & l'autre de l'initiale de grogner^ gron-
^' Tous ces mots> et d'autres que l'on pourrait citer encore
remplacent l'unique crepare du latin et son dérivé crepitare.
On ne trouvera pas sans doute qu'il i ait eu appauvrissement
du vocabulaire onomatopéique.
140 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
Il serait facile de multiplier les exemples ; mais oe serait
nous écarter de notre sujet & écrire un chapitre de la « Vie
des mots j». 11 nous suffira d'avoir indiqué ces faits, car noas
avons âte d'aborder une dernière question que nous avooA
fait pressentir dès le commencement.
VIII
Nous n*avons guère étudié jusqu'ici que des mots désignant
une action ou un objet susceptibles de produire un son et nous
avons vu dans quelle mesure ces mots imitent ce son ou en
suscitent l'idée, c'est-à-dire coastituent, d'après la définition
donnée au début, des onomatopées.
A côté des onomatopées il i a dans les langues quantité
de mots, désignant non plus un son, mais un mouvement, un
sentiment^ une qualité matérielle ou morale, une action ou
un état quelconques, dont les fonèmes entrent en jeu pour
peindre l'idée ; c'est ce qu'on peut appeler les mots expressifs.
Comment donc des sons peuvent-ils peindre une idée abstraite
ou un sentiment? Grâce à une faculté de notre cerveau qui
continuellement associe et compare ; il classe les idées, les
met par groupes et range dans le même groupe des concepts
purement intellectuels avec des impressions qui lui sont four-
nies par l'ouïe, par la vue, par le goût, par l'odorat, par le
toucher. Il en résulte que les idées les plus abstraites sont
constamment associées à des idées de couleur, de son, d'odeur,
de sécheresse^ de dureté, de mollesse. On dit tous les jours,
dans le langage le plus ordinaire, des idées graves, légères, des
idées sombres, troubles, noires, grises ou au contraire des idées
lumineuses, claires, étincelantes, des idées larges, étroites,
des idées élevées, profondes, des pensées douces, amères, insi-
pides, on dit de quelqu'un qu'il broie du noir, qu'il a le cœur léger.
Lorsqu'on emploie cette expression u des idées sombres » ,
on fait une comparaison ; il est évident que les idées n'ont pas
de couleur par elles-mêmes, mais cette comparaison est par-
faitement claire et intelligible grâce à une série d'associations.
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 141
EnoDeer cette comparaison sans dire que Ton fait une compa^
raison, o*est traduire ; nous traduisons une impression intellee-
toelle en une impression visuelle. Si la traduction est bien faite,
ridée n'aura en rien perdu de sa clarté, pas plus qu'une frase
firançaise traduite en allemand. Une fois notre frase française
traduite en allemand, nous pouvons la traduire en russe ou en
toute autre langue sans que IMdée soit en rien modifiée, pourvu
que notre traduction soit exacte. On peut de même traduire une
impression visuelle en une impression audible. Le langage ordi-
naire nous fournit les premiers éléments d'une traduction en
impressions audibles de celles qui nous sont données par les
autres sens : il distingue des sous clairs, des sons graves, des
sons aigus, des sons éclatants, des sons secs, des sons mous,
des sons doux, des sons aigres^ des sons durs, &c. Nous avons
vu nous-mêmes quMl i avait lieu de distinguer des vojelles
claires, aiguës, graves , sombres, éclatantes, des consonnes
sèches, dures, douces, molles. Il est donc évident qu'une
voyelle sombre pourra traduire une idée sombre, et une vojelle
grave une idée grave.
Ce sont les traductions de ce genre que nous allons étudier,
ce qui nous sera facile maintenant que les principales valeurs
des sons du langage nous sont connues par les onomatopées.
Pour celles qu'il nous reste à déterminer nous procéderons
comme nous l'avons fait plus aut, c'est-à-dire que nous nous
appuierons sur des considérations étrangères aux mots dans
lesquels apparaissent les fonèmes à examiner, et relatives à la
nature même de ces fonèmes. Les mots ne viendront qu'après
comme des exemples destinés à illustrer la téorie. Nous
échapperons ainsi au danger d'attribuer à tel son telle valeur
expressive , telle signification parce qu'il apparaît dans un
ou plusieurs mots qui contiennent cette signification.
Nous avons vu que la répétition d'une sillabe comme dans
cûueoUf d'une voyelle comme dans cliquetis ou d'une consonne
comme dans tinter donne l'impression d'un bruit répété. Elle
peut aussi exprimer la répétition d'un mouvement ou d'une
action quelconque ; ainsi quand on dit que la chair des victimes
palpite, on n'entend pas par là qu'elle fasse le moindre bruit,
142 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
mais les deux p qui commencent les deux premières sillabes
du mot palpiter donnent l'impression des mouvements répétés
de cette chair :
A rappel du plaisir lorsque ton sein palpite
(MussBT, Rappelle-toi).
On a de même l'expression de mouvements répétés dans les
mots tituber, titiller, tortiller, tâter, tâtonner :
Ces mains vides, ces mains qui labouraient la terre.
Il fallait les étendre en rentrant au hameau,
Pour trouver à tâtom les murs de la chaumière
(MussBT, Une bonne fortune)^
dans gr. âsv^iWsiv « regarder tantôt d'un côté, tantôt de Tautre » ,
mha. zwinzen^ zwïnzem n cligner, clignoter». Le mot répéter
lui-même, avec ses trois e, est bien propre à faire sentir une
répétition quelconque.
Les voyelles aiguës lorsqu'elles expriment des sons aigus ne
traduisent pas, elles imitent ; mais par traduction elles peuvent
donner l'impression de l'acuité matérielle d'un objet, comme
dans le mot aigu lui-même, dans ail. spitzig, fr. piquer ^ épine^
ail. ticken «picoter», ou de Tacuité morale ou intellectuelle
comme dans le mot fr. ironie lorsqu'il s'agit d'une ironie aiguë,
sarcastique, mordante, dans Venvie, \2l jalousie^ dans la malice,
la ruse, Vastuce, la list allemande, Vesprit français lorsqu'il est
vif et piquant, le witz allemand lorsqu'il est un ou mordant.
Ënûn comme les voyelles aiguës pénètrent dans notre oreille
ainsi qu'une pointe acérée et nous font parfois une impression
voisine de la douleur, elles mettent en valeur un certain nombre
de mots (savants pour la plupart, mais dont les poètes ont fait
grand usage à cause de leurs qualités), qui expriment la tris-
tesse ou l'orreur et qui sont comme un cri : sinistre^ livide, lu-
gubre, terrible, horrible.
Les voyelles aiguës, nous le savons, ne sont qu'une espèce
dans le genre voyelles claires, et il se produit souvent telle
circonstance, ne fût-ce que la signification du mot, ou, comme
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 14S
nous TavoQS vu, le contact avec une consonne nasale, qui
empêche leur qualité spécifique, Tacuité, de venir en lumière.
Dès lors la valeur expressive d*un i se confond à peu près avec
celle d*nn é^ par exemple. Toutes ces voyelles palatales, que
Ton appelle dans certaines langues voyelles minces par oppo-
sition avec les voyelles larges qui sont les graves, s'expriment
avec une ouverture buccale moindre que les graves, et sont
plus ténues, plus douces, plus légères. Elles sont donc parti-
culièrement aptes à exprimer la ténuité, la légèreté, la douceur
et les idées qui se rattachent à celles-là. Dans les onomatopées
eUes expriment les bruits ténus, clairs, les murmures doux et
légers ; parmi les objets qui ne rendent pas de son, ceux dont
ridée peut être suggérée par les voyelles claires sont ceux qui,
8*il8 rendaient un son, feraient entendre, semble-t-il, un petit
bruit clair, ténu, doux et léger. C'est-à-dire que d'une manière
générale les voyelles claires peuvent peindre à Toreille tout
ce qui est ténu, petit, léger, mignon. C'est le cas pour les ad-
jectifs ténUf petit y léger j menu, fin, subtil, débile^ frêle :
J'aime vos pieds, petits à tenir dans la main
(Vbrlàins),
et pour les substantifs étincelle^ gazelle^ plume :
elle a passé sans brait.
Balle, candide, ainsi qu'nne plume de cygne
(Huao),
duvet:
Et le clair iUssos d'un flot mélodlenx
A baigné le duvet de vos ailes légères
(Lbgontb db Lislb).
Citons enûn silfe avec cette description de V. Hugo qui est
un vrai commentaire linguistique :
Je snis Tenfant de l'air, un sylphe, moins qu'un rêve,
Fils dn printemps qui naît, dn matin qui se lève.
L'hôte dn clair foyer durant les nnits d'hiver,
L'esprit que la Inmlère à la rosée enlève,
Diaphane habitant de l'Invisible éther.
A l'idée de légèreté se rattache immédiatement, comme étant
144 ONOMATOPÉES TT MOTS EXPRESSIFS
de même natare, celle de rapidité et de YÎTaeité : vif, swtbtt^
niiez
Je ]mm tirai bica vUe et je les l«l donnai
(Musasr).
Les idées gaies, riantes, douces, gracienses, idilliqoes sont
continuellement associées dans notre esprit à celle de la légè-
reté. De là Texpression des mots gai\ joyeux^ joH, ail. Imd^
geUnde « doux en parlant de la peau, de la voix, do caractère »,
ail. sù$$n doux au goût, suave, charmant », gr. yliixûc «doux».
La lumière aussi est gaie, tandis que les ténèbres sont tristes :
L'éther pl«s par luisait dans les cieax plas sablimes
(Huoo).
Aussi les mots fr. clair ^ ail. kell ne sont-ils pas moins expres-
sif appliqués à la lumière qu*au son. Il convient d^ajouter que
les diminutifs français en -ette^ dont quelques-uns sont si gra-
cieux, ne doivent souvent leur charme qu*à la voyelle de leur
sufiâxe : fauvette j bergeronnette, chansonnette^ violette ^fleurette.
Les voyelles éclatantes conviennent à Y Mat de la lumière
que la langue même compare à celui du son, à celui de la
beauté, & à tout ce qui semble comporter quelque éclat, à
tout ce qui est grand, puissant, fort ou majestueux. De là
rimpression que font des mots abstraits comme splendeur,
orgueil :
Velx de V Orgueil: un cri puissaat comme d'un car.
Des étalles de saag sur des cuirasses d'ar
(Ybrlainb),
courage, vaillance, gloire, ampleur, grandeur :
Qu*e8t-ce que le Seigneur va donner à cet hamme
Qui plus grand que César, plus grand même que Rame,
Absarbe dans son sart le sart du genre humain ?
(Huao),
des noms concrets comme colosse :
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 145
M«l, je suis Béhém«t, TéléphaMt, le colosse
(Th. Gautixr),
ou des titres onoriâques comme empereur :
Ainsi Charles de France appelé Charlemagne,
Exarque de Ravenne, empereur d'Allemagne,
Parlait dans la montagne avec sa grande voix
(Huoo).
L*autre catégorie de voyelles graves, les sombres convien-
nent à Texpression de tout ce qui est sombre dans Tordre
fisique ou moral, comme dans les mots sombre j ail. dumpf^
dunkel «sombre », es munkelt u il fait sombre», v. irl. dub
«noir », fr. ombre :
Quelle est V ombre qui rend plus sombre enoor man antre ?
(Hbbboia).
La légèreté s* exprimant par des voyelles claires, les voyelles
sombres rendront bien la lourdeur, comme dans les mots
kmrdj lourdaud; Foppositîon de ces deux valeurs est bien
marquée dans ce vers de La Fontaine :
Un raltelet | ponr vans est nn pesant fardeau.
Parmi les voyelles ni sales il en est de claires, d'éclatantes,
de sombres, et elles jouent le même rôle que les voyelles
orales du même ordre qu'elles; seulement leur note est moins
nette parce que la nasalité la voile. Il peut arriver que le
voilement du son par la nasalité devienne la qualité domi-
nante, celle qui fait particulièrement impression sur nous, le
timbre passant au second plan : dès lors les voyelles nasales
sont propres, même si leur substratum oral est clair et surtout
s'il est grave, à exprimer la lenteur^ la langueur^ la mollesse^
la nonchalance^ comme dans les mots que nous écrivons en
italique dans les vers suivants :
cependant
Elles tournent en rond lentement, & s'attendent
(Mussbt),
10
146 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
Et du fond des boadoin les belles mdolentei^
BaUuiç«Bt mollenimt leurs tailles nanehalante$^
Sons les vieux marronniers commencent à venir
(Musobt),
Où la Mort avait elos ses \mmgB jeux languissants
{Esmsdia),
Dans r^Bsbre traaspareaite indolemment il rAde
(Hxbmdll).
Enfin la même apofonie vocalique qne nous avons reconnue
dans les onomatopées existe aussi dans les mots simplement
expressifs, & tandis que dans les premières elle peignait les
modulations des bruits *■ , elle marque dans les seconds la
variété, la diversité ou rirrégnlarité des mouvements. Nous
nous contenterons de signaler les mots : fr. zigzag^ micmac,
cain-caaj ail. mïschmasck, toirrtoarr ; le fénomène est trop clair
pour qu*on s'i appesantisse.
Le rôle des consonnes dans les mots expressifs est plus con-
sidérable que celui des voyelles. Nous avons vu les occlusives
peindre dans les onomatopées des bruits secs ; elles peuvent
aussi donner Timpression de mouvements secs, saccadés,
comme des coups, ou au contraire de mouvements assez
doux, mais toujours saccadés, comme dans les mots palpHer^
barboter, tâtonner, tituber:
Que ne Tétouffais-tu, cette flamme brûlante
^ue Ion sein palpitant ne pouvait contenir?
(Mussst),
Que Taugure, appuyé sur son sceptre d'érable,
Interroge le foie et le cœur des moutons
Et iendie dans la nuit ses dieux mains à tâtons
(Huoo).
< G*e8t la même apofonie qui domine nombre de refrains populaires :
fr. tontaine, tonton, — la faridondaine^ la faridondon, — tra déridera^
— girofle, girofla, — tirelirelire^ tirelirela, — i, t, a, a, — turlurette,
turluron, — reguinguette^ reguingo, — riquandaine, riqtiando ; — ail.
juchheidi,juehheida, — valleri, valleraf âtc.
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 147
Les consonnes nasales, grâce à la mollesse de leur articu-
lation, sont propres à exprimer, comme les voyelles nasales,
la douceur, la mollesse. C'est une impression que Ton éprouve
par exemple dans les mots fr. mou^ mollesse, ail. mild^ lind,
gelinde a doux », lat. mitis « doux », ail. sanft « doux ».
L7, que nous avons vu plus aut exprimer le bruit du glisse-
ment ou d'une manière plus générale la liquidité en tantqu*elle
comporte un bruit, peut convenir aussi bien à un glissement
muet, et même à Tétat de liquidité. C'est le cas pour les mots
couler, laver ^ voler ^ lit. lêti « verser », lat. linere « oindre »
qui désignent des actions muettes, pour le mot liquide lui-
même, pour ail. lange u lessive ». Ce fonème peut aussi pein-
dre l'état de ce qui est glissant comme dans lat. lëuis « poli»,
îr.poli, lisse, gr. XeToç a lisse », ^ctouv « lisser », ou de ce qui
est visqueux, autre manière d'être glissant, comme dans
fr. co//e, uile^ ail. leim « colle », lehm n argile », lat. lutum
« boue», limus a limon », lit. lutynas « bourbier », v. irl. loth
« saleté gluante », v.norr./at^dr « savon, écume », ags. leâdor
«même sens ».
Si la liquide est combinée avec une occlusive, celle-ci ne
fait que l'appuyer et la mettre eu lumière, loin d'en effacer
la valeur. Cet effet est surtout sensible quand l'occlusive est
sonore, c'est-à-dire douce, comme dans fr. glisser, ail. glati
« lisse, glissant », v. norr. glaàr, vha. glat^ lit. glodas, v. si.
gladOkii « même sens n), fr. glu, gr. yX^a a glu », lett. glîwe
« mucosité, vase, fange », lit. glitùs n glissant, gluant », lat.
glus, gluten a colle, gomme, glu », fr. glace, lat. glacies
« glace », gr. yX^xpo? « visqueux », lit. glepti a être glissant »,
lett. ^/ums « glissant, visqueux», glemas « mucosité», gr.
jSXiwa « morve d , yXafAupôç « cbassieux ». Si l'occlusive est
sourde, l'effet produit est analogue, mais une explosion vio-
lente convient moins bien à l'idée exprimée que l'explosion
plus douce d'une sonore: vha. clat « lisse, glissant », vha.
klenan a coller, adérer », ail. kleben « coller (ntr.), poisser ».
Enfin la liquide / peut, comme les nasales, grâce à la dou-
ceur de son articulation , contribuer à l'expression de la
douceur, de la mollesse, soit seule comme dans gr. Xayapdç
c mon » , soit en combinaison avec une occlusive comme
148 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
dans lat. blandus « caressant », blandtri u caresser », soit
surtout en concurrence avec une nasale comme dans gr, ^ay^céÇAi
« je languis », ail. mildf iind a doux », lat. ienis a doux »,
lentus « souple », ou avec une spirante comme dans got.
slepauj ail. schlafen a dormir », schlaff « mod », lit. slygtt
« sommeiller». Nous étudierons plus loin le groupe fL
LV, lorsqu'il s*appuie sur une vojelle claire, est grinçant
comme nous Tavons vu plus aut (p. 112 ) & convient, parmi
les mots expressifs, à ceux qui désignent une action analogue,
quoique muette, à celles qui produisent un son grinçant. Il
peut être seul comme dans ail. ritzen « égratigner a, ou com-
biné avec une occlusive comme dans fr. griffer^ ail. kriizein
a égratigner », lit. brészti « griffer, en parlant d'un chat par
exemple ».
Appuyé sur une vojelle grave, IV donne Timpression d*an
craquement, d'unrâclement si la vojelle est éclatante et d*un
grondement si elle est sombre (p. 113). On ne peut guère
dire que le mot orage est une onomatopée, mais son r, placé
entre deux voyelles éclatantes de note variée, suscite Tidée
des craquements du tonnerre qui accompagnent généralement
un orage, et rend ce mot expressif :
Roulaient et redoublaient les foudres de Vorage
(YiaNT, Moïse},
Ouragan appelle une observation analogue; il fait songer
au craquement de tout ce qu'un ouragan brise sur son pas-
sage :
Au bruit de Vouragan courbant les branches d'arbres
(Huoo, Burgraves),
Mordre est en général une action sans bruit, mais ce mot
contient l'o et Yr de croquer et nous fait sentir par là quelle
serait la nature du bruit qui pourrait se produire. Vorreur
donne parfois une sorte d'angoisse qui fait frémir le corps et
contractant les poumons en expulse un courant d'air qui passe
entre les dents avec un vibrement analogue à celui d'un r
appuyé sur une voyelle grave :
ONOMATOPÉES ET MOTS EXPRESSIFS 149
Ta frémiras d!*horreur si je romps le silence
(Racine, Phèdre),
Ce qai est dar, rude, raboteux produirait un râclement au
contact d*un autre corps ; c'est ce qu'exprime ail. hart qui
remonte à prégerm. *kartûs. Le même mot kartùs signifie
en lituanien « amer » et produit une impression analogue
transportée par une nouvelle traduction dans le domaine du
goût ; ce qui est amer, âpre racle la gorge et fait craquer les
dents lorsqu'elles frottent les unes contre les autres. L'amer-
tume existe aussi dans le domaine moral, d'où la valeur du
mot ail. gram « le deuil, la douleur ». Fr. courroux suppose
un sourd grondement et de même lit. grumoti a menacer»,
ail. drohen « menacer » ; enfin un homme bourru est toujours
prêt à gronder.
Le tremblement d'une personne ou d'une matière molle est
en général un mouvement silencieux, mais il peut être accom-
pagné chez une personne d'un claquement des dents ou d'un
frissonnement d'air sortant de la bouche, et en tout cas il est
toujours comparable au tremblement d'un objet sonore ; c'est
pourquoi la combinaison d'une occlusive sourde avec un r
convient à l'expression de tous les tremblements, Tocclusive
marquant les mouvements saccadés et l'r les vibrements : gr.
Tpépiw «je tremble », lat. tremo, lit. trimu^ triszu, v. si. tresa
w «je tremble », sk. trasati <c il tremble », ail. schioUèrn
«branler, trembloter », v. irl. crith a tremblement, fièvre »,
ail. zittem «trembler, vibrer». Cette dernière forme remonte
à*ft*-(romt qui est fort remarquable, parce que son redouble-
ment bien net accuse davantage la répétition des mouvements ;
c'est précisément sans doute le sentiment de la valeur expres-
sive de ce redoublement qui l'a fait conserver, car les redou-
blements au présent sont tout à fait exceptionnels en germa-
nique ; on ne pourrait guère citer comme autre exemple que
^ben qui signifie aussi a trembler », mais surtout a trembler
de peur », & où par conséquent le redoublement indique aussi
des mouvements répétés. Dans beben l'idée d'un vibrement
n'apparaît pas ; la double labiale sonore fait plutôt songer au
bégaiement de celui qui a peur. La peur et le tremblement
1^6 sont d'ailleurs pas choses séparables, puisque la première
150 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
est souvent cause de la seconde ; aussi les moyens d'expresaion
convenables pour le tremblement sont excellents pour la peur:
gr. TpoftcTv signifie n trembler », mais surtout c trembler de
peur, avoir peur » , rpeVdat « avoir peur i) , àrpetTroç , sk.
atrastas c qui ne tremble pas, qui n'a pas peur, intrépide »,
V. pers. tarçatiy « il a peur », lett. tramdit « effrayer », lat.
terreo « j'effraie », terror^îv. terreur^ lett. tremju « je chasse,
c'est-à-dire j'effraie, je fais trembler de peur ».
Les chuintantes sont des souffles chuchotants. Dans les mots
qui désignent des actions muettes elles ne peuvent être
expressives que grâce à une traduction. Lit. szuszinu « fendre
Pair en sifflant, comme un éclair » est un excellent exemple,
car il n'i a rien au monde de plus muet qu'un éclair ; mais
nous comparons malgré nous cette lueur qui fend l'espace à
celle d'une fusée par exemple et nous lui attribuons le bruit
do l'objet auquel nous la comparons. Ce mot lituanien est
rendu expressif par le même fonème que l'exclamation alle-
mande husch qui s'emploie pour marquer un mouvement très
rapide et souvent muet. AU. blitz « éclair » est expressif
grâce à une traduction semblable ; avec son i aigu, son t sec
et son sifflement final, il suscite tout à fait l'idée d'une fusée.
Les spirantes labio- dentales sont des souffles mous et pres-
que sans bruit. Elles peuvent contribuer à Texpression de la
mollesse, comme le w de ail. weich a mou n.welk a fané, mou »,
fr. duvet^ ou susciter l'idée d'un flottement comme dans fr.
voguer^ ou dans ail. feder « plume », ags. fider « aile ». Ces
deux derniers sortent de la racine * pet- qui est absolument
inexpressive : gr. mxstjOai^ lat. penna^ sk, pàtati. Dsins lat. fulmen,
fulgur nous retrouvons la comparaison de la foudre avec une
fusée.
Les combinaisons de spirantes avec des liquides ou des
occlusives produisent des effets plus complexes, parce que
chaque fonème garde sa valeur propre et ajoute une nuance
à l'effet total. La combinaison de f avec / réunit le souffle
à la liquidité , ce qui donne l'impression de la fluidité ,
comme dans fr. fluide, lat. fluere « couler », fluctus a flot »,
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 151
fr. flotter, flottement. Fr. flatter exprime une caresse sans
secousses (cf. ail. flat n plat, uni »), douce comme un souffle
ou comme Tattouchement d*un liquide. On dit d*un tableau
qu'il est flou lorsqu'il ne présente aucune teinte dure on crue,
mais que les couleurs se fondent, se noient les unes dans les
autres. La flamme est aussi quelque chose de fluide et dont
les mouvements peuvent être dans une certaine mesure com-
parés à un souffle ; cette impression, nous Tavons non seule-
ment dans le mot flamme, mais dans le verbe flamber^ dans
effluve^ dans ail. flackem u flamber », flammen u flamber » &
flimmen « scintiller, vaciller en parlant de la flamme » ; ce
qui fait la différence de sens et d'expression de ces deux der-
niers mots, c'est uniquement leur voyelle, et cette apofonie
est purement artificielle, c'est-à-dire créée pour les besoins
même de l'expression.
Il suffit de comparer frotter à flotter pour sentir qu'elle
différence d'expression il i a entre fr et fl; fr c'est le frot-
tementy le frôlement, le froissement et dans l'ordre des mots
expressifs, c'est-à-dire de ceux qui ne désignent rien de
brujant, c'est le frémissement^ c'est le frisson^ surtout si le
mot contient en outre la spirante dentale s :
Jusqu'au frémissement de la feuille fitoïmmée
(Huoo),
la Lombardie
Trembla^ quand elle vit, à ton souffle d'enfer.
Frissonner dans Milan l'arbre aux feuilles de fer
(Huao, Burgraves).
L'effroi donne le frisson et son groupe fr l'exprime ; ce mot
6st apparenté à ail. friede « paix » dont le groupe fr reste
inerte parce que la signification ne lui permet pas d'entrer
en jeu. Le mot souffrir a une expression analogue ; c'est le
frisson de la douleur et le frémissement qu'il suscite. Dans
&11. fwrchten Yf et Yr ne sont pas en contact immédiat, mais
rimpression résultante est à peu prés la même. Fr. affres,
affreux^ qui sortent des formes inexpressives asperas, asperosu
comme nèflede mespilu, supposent aussi frémissement et frisson.
152 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
Le mot froid est le plus souvent employé sans la moindre
expression, c'est-à-dire sans la mise en œuvre de ses moyens ;
mais il i a des manières de dire « il fait froid » qui donnent le
frisson et réveillent le groupe fr:
Frôle d'un pied craintif Teau froide dubawiin
(Hsrbdià).
Nous avons vu plus aut que le glissement peut produire an
bruissement qui s'exprime bien par la combinaison d'un/ avec
une chuintante. Le même moyen d'expression peut entrer en
valeur même si le glissement, & à plus forte raison le bruisse-
ment qui en résulterait, n'est qu'une possibilité comme dans
ail. schlicht « lisse, plat », schlûpfrig « glissant ».
L'emploi combiné de l'occlusive dentale t avec la spirante
sourde « et un r produit l'impression d'une sorte d'affriquée ts,
tr reproduisant par onomatopée l'explosion interdentale qui
précède les sanglots. Cette combinaison est par conséquent
propre à peindre la tristesse, la douleur. Dans le mot triste
il faut remarquer, outre ces trois éléments, i't aigu qui rend IV
grinçant et Vs sifflant et renforce l'expression :
Et qu'à ee triite prix tout doil être aebeté
(MussBT, Nuit d*octobre).
Jusqu'à présent nous avons surtout considéré dans les
consonnes la nature de leur articulation, et nous ne nous
sommes occupé que rarement du point de la bouche où se
forme cette articulation, des organes qui entrent enjeu et des
mouvements qu'ils font dans ce jeu. Or il nous reste à examiner
une catégorie de mots expressifs dans lesquels certains fonèmes
prennent leur valeur dans les mouvements de ûsionomie que
nécessite leur prononciation. Cette sorte de grimace qu'ils
nous obligent à faire se confond parfois avec des jeux de
fiisionomie muets dont la signification nous est connue par
ailleurs, et cette signification se reporte par une traduction
sur le fonème qui a engendré ce mouvement du visage, si bien
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 15d
que nous pouvons interpréter ce son aussi aisément et aussi
sûrement qu*un geste fait avec la main. Les labiales et avec
elles les labio-dentales, exigeant pour leur prononciation un
gonflement des lèvres, sont propres à exprimer le mépris et
le dégoût. Qui a vu les bas-reliefs de Reims se souvient du
gonflement de la lèvre inférieure des vierges sages regardant
avec mépris les vierges folles. On pourrait citer bien des pas-
sages où nos écrivains ont noté ce jeu de flsionomie et sa
valeur ; celui-ci nous sufSra :
Uange sans dire un mot regarda le fantôme
Fixement, et gonfla sa lèvre avec dédain
(Hugo, La fin de Satan).
Nos exclamations de dégoût et de mépris exigent presque
toutes un mouvement des lèvres analogue ; les nuances qui
marquent leur valeur particulière sont données par les autres
fonèmes qu'elles contiennent : fit avec son i pour seule vojelle
exprime toute la sécheresse et toute la auteur d'un mépris
aristocratique ; angl. fie est moins sec ; ail. pfui exprime plutôt
le dégoût queie mépris, ou plus exactement c'est un mélange
des deux ; franc-comt. poui, d'origine germanique, n'exprime
que le dégoût ; fr. potuih est plus gras, si Ton peut dire, &
communique le dégoût. La différence d'impression produite par
i/etle w est très considérable parce que Vf se prononce du
bout des lèvres et par conséquent est plus apte à exprimer le
mépris, tandis que le to, partant du voile du palais, communique
le sentiment du dégoût parce qu'il imite la nausée. Fr. fétide
contient les éléments de fi ; bête est généralement inexpressif,
mais son b devient méprisant si l'on dit par exemple : « peut-on
être assez bête pour... » ; le t; du mot vil est le plus souvent
mis en relief ; vt/ain est inexpressif lorsqu'on cite le proverbe :
«Oignez vilain, il vous poindra; peignez vilai«n, il vous oindra»,
mais il devient expressif si l'on dit : o Fi ! le vilain monsieur! »
De même flétrtr peut être méprisant par son /*, vain pur son t; ;
le p de puer^ puant peut exprimer le dégoût comme le b de
lit. bûstis a éprouver du dégoût pour quelque chose ». Il i a
dans nos langues plusieurs autres mots dont les labiales ou
labio-dentales peuvent entrer en valeur pour exprimer le
154 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
dégoût on le mépris ; Y. Hugo en a réani quelques-ans dans
les trois vers suivants :
Ce n^est pas ■aêine un juif! C'est un païen iHaasondey
Un renégat, Vopprobre et le rebut du monde,
Un fétide apostat, un oMique étranger.
S'il est vrai que les labiales et labio -dentales ne sont aptes
à exprimer le mépris et le dégoût qu'à cause de la grimace
que produit leur prononciation, un autre fonème qui obligerait
à faire une grimace analogue deyrait être susceptible de la
même valeur. Or les chuintantes sourdes obligent à relever la
lèvre supérieure à peu près comme 1'/* et même d'ane façon
plus nette ; aussi ne devons-nous pas nous étonner de trouver
en lituanien pour exprimer le mépris, sans parler de fui qui
est emprunté à l'allemand, l'interjection cztui. C'est une chuin-
tante analogue, i, qui lorsqu'on la prononce avec une intensité
particidière peut rendre méprisants des mots tels que 9ÀLscheu
«aversion, erreur », sckufit « gueux, fripon n^schurke a coquin,
pendard».
Les jeux de fisionomie dus essentiellement* à un mouve-
ment des lèvres sont nombreux et correspondent à des idées
diverses. Ainsi le baiser est produit par un mouvement des
lèvres qu'accompagne le plus souvent un bruit caractéristi-
que ; le mot français baiser^ avec sa labiale et sa spirante
sonore, produit un mouvement et un bruit qui suggèrent
l'idée du baiser ; il en est de même de l'interjection litua-
nienne bùczy qui sert à demander un baiser.
La moue est un autre mouvement labial ; le mot moue par
son m en reproduit le jeu, et le mot bouder par son b nous
oblige à ébaucher un mouvement de moue.
Un sourire ironique et moqueur relève le coin des ailes du
nez ; si le rire l'accompagne, c'est un rire spécial, essentielle-
ment nasal et dont la note est donnée par le timbre de la voyelle
0, c'est-à-dire d'une voyelle dont le point d'articulation se
produit dans la région du voile du palais. Cette voyelle est si
bien caractéristique de ce genre de rire que lorsqu'elle
apparaît par évolution fonétique dans les correspondants
germaniques de sk. kâkhaii^ gr, xa^âÇu, lat. cacAtVinui, à
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 155
savoir vha., mha. huoh, vha. huohdn, mha. huohen^ ces der-
niers cessent de pouvoir s'appliquer à Téclat de rire et pren-
nent le sens de « raillerie, railler», parce qu'ils contiennent
la voyelle du rire moqueur. Aussi tout mot exprimant Tironie,
la raillerie, la moquerie, qui contient une nasale, devient par
là expressif, parce qu'il nous force à ébaucher un sourire
ironique : sk. gahfanas t méprisant, railleur » , gr. yayyavsvccy
a mépriser, railler )),ags. canc^ ^ecanc a raillerie ». S'il contient
en outre la voyelle o, il fait presque onomatopée ; tels sont fr.
ironie, moquerie, ail. kohn, gr. fAuxio/iat.
IX
Le domaine de l'onomatopée est beaucoup plus vaste, nous
pensons l'avoir montré, qu'on ne paraît le croire en général ;
celui des mots expressifs^ qu'il convient d'i ajouter, n'est pas
moins considérable. Entre les deux il n'i a pas de frontière
l)ien nette ; la ligne de démarcation est un peu flottante, et
de même qu'on ne peut pas dire exactement où finit tel dia-
lecte et où commence tel autre, il est quantité de mots que
nous devons considérer tantôt comme des onomatopées, tantôt
comme des mots expressifs, suivant l'idée qui nous domine
an moment même où nous les employons. Ainsi le mot glisser
est, comme nous l'avons vu, parfaitement propre à exprimer le
bruissement que fait entendre un objet en glissant doucement
sur un autre ; s'il s'agit d'un glissement de ce genre et surtout
âubruitquienrésulte,9/m^est une onomatopée sans le moin-
dre doute. Mais si nous parlons d'un glissement muet, comme
celui d'une étoile filante par exemple, notre mot franchit la
frontière et entre dans le domaine des mots expressifs, parce
qu'il n'est plus que susceptible d'exprimer le bruit que ferait
le glissement en question s'il en faisait un.
Nous avons vu les mêmes fonèmes servant à exprimer des
idées diverses; c'est que leur valeur expressive n'est due qu'à
156 ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
des tradactions,et qae le nombre des nuances d'idées à expri-
mer étant illimité tandis que celui des moyens d'expression
est très restreint, chacun d'eux sert forcément à tous les
usages auxquels quelqu'un de ses éléments peut lui permettre
de convenir d'une façon approximative. Il n'est pas moins
vrai que les diverses valeurs d'un son dépendent strictement
de sa nature, et qu'il lui est impossible d'avoir jamais une
expression qui soit contraire à cette nature. Si bien qu'en
analisant dans tous ses détails la nature d'un fonème donné,
on peut déterminer d'avance et a priori toutes les valeurs
qu'il pourra posséder au point de vue expressif. C'est même
la métode la plus sûre, la plus exempte d'erreur, et nous
l'avons employée à plusieurs reprises dans ce qui précède. Il i
a en effet un écueil et un danger à partir des mots dans
lesquels un fonème apparaît, pour déterminer sa valeur ex-
pressive ; il suffit qu'on le trouve dans plusieurs mots qui
rendent une idée analogue pour que l'on croie que ce fonème
exprime cette idée. C'est souvent faux. Ainsi M. Polie dans un
petit livre intitulé Was denkt dos volk ûber die sprache & qui
est d'ailleurs nourri d'observations fines et ingénieuses, toache
un instant (p. 81 et 82) aux questions qui font l'objet de cet
article, & il dit p. 81 : « Die lautverbindung gr klingt wie das
durcheinanderrollenkleiner rundersteine oder wie das schar-
ren mit dem fusse auf solchen steinen » . C'est vrai dans cer-
tains cas, mais la question est beaucoup plus complexe et
plus nuancée. Il cite griesy grus, ajoutons-i gravier; il oite
groupe, grûtzey ajoutons-i gruau, grain; mais ces mots ne
sont pas à proprement parler expressifs. Us peuvent seule-
ment le devenir si leurs éléments susceptibles d'expression,
pr, sont mis en relief par la répétition de ces mêmes élé-
ments dans d'autres mots de la frase et s'il est question du
roulement des grains les uns sur les autres & du bruit qui en
résulte. Mais à ce taux tous les mots seraient expressifs:
ainsi le mot peuple ne l'est nullement, mais si l'on en relève
l'élément essentiel p qui est susceptible d'expression mépri-
sante, il le deviendra, comme dans ces deux vers de La Fon-
taine où le b du mot imbécile a suffi au poète pour obtenir ce
résultat:
ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS 157
Quoi I toujours il me manquera
Quelqu'un de ce peuple imbécile !
M. Polie cite ensuite graupel « petit grâlon », & ici nous
ne ferons pas d'observation ; puis grob, auquel nous pouvons
ajouter ^ros, grossier, Ue&t évident quegrob et ^ro^^ier quand
on insiste sur cette idée que quelque chose est rude, raboteux ,
peuvent devenir expressifs ; mais lorsque le mot grob signifie
gros, il ne Test pas plus que ce mot français. Il cite
enQOTe granat \ sans doute la grenade est un fruit essentielle-
ment composé de petits grains ; mais en quoi cela rend-il le
mot expressif? et en quoi peut bien Tétre granat désignant la
codeur grenat ? L'auteur est évidemment tombé dans cette
erreur qui consiste à croire que parce qu'un mot signifie
telle chose, il l'exprime par ses sons. On ne voit d'ailleurs
pas comment il retrouve même Tidée dont il parle dans
d'autres mots qu'il cite sous le même chef, tels que gràte qui
désigne c l'arête » d'une pierre de taille, un angle, ou aussi
une « arâte de poisson ».
Les valeurs d'un son au point de vue expressif résultant
uniquement de sa nature, il ne dépend pas de nous de lui en
attribuer telle ou telle, qui serait contraire à cette nature.
Nous commettrions une erreur aussi grossière qu'au cas où
nous dirions que le mot ténèbres signifie lumière. Tout ce
que nous sommes en droit de faire c'est de sentir ou de ne pas
sentir dans un cas donné la valeur expressive que tel fonème
possède en puissance ; voilà où se borne l'élément subjectif
de ces questions. Le jour où un groupe d'individus perçoit
dans un mot une valeur qui i était jusque-là restée latente, ce
mot change de sens ; nous en avons vu des exemples. Le jour
où une valeur cesse d'être perçue le mot change encore de
sens; ainsi nous avons reconnu que le mot ail. pfui était con-
stitué à souait pour exprimer le dégoût ; mais si cette valeur
cesse d'être sentie, si les fonèmes de ce mot demeurent
inertes, il ne lui reste qu'une chose, sa qualité d'exclamation.
Quittant le domaine du dégoût, cette exclamation peut
s'emparer du premier qu'elle trouvera vacant, fût-ce celui
de l'admiration. Aussi ne devra-t-on pas s'étonner d'entendre
15S ONOMATOPEES ET MOTS EXPRESSIFS
dans certains dialectes allemands des frases comme celle-
ci: Pfuil wie schônl « al que c'est beau I »
C'est là un des faits qui montrent combien les onomatopées
et les mots expressifs sont un terrain changeant. Pour peu
qu'on suive leur istoire, qu'on voie l'évolution fonétique en
anéantir et en créer sans relâche, les langues rejeter le mot
dont l'expression ne les satisfait plus et s*en procurer un meil-
leur en l'empruntant ou en le forgeant, on éprouvera conti-
nuellement la surprise du voyageur qui, traversant les sables
du désert, s'étonne de trouver une vallée à l'endroit même où
la veille une montagne s'élevait.
Maurice Grammont.
RESTITUTION D'UNE CHANSON
DE PEIRE D'ÀUVERNHE OU DE RAIMBAUT
DE VAQUEIRAS.
U s'agit ici delà pièce 323,10 (G, 180. M G. 226) attribuée
par le recueil de Bernart Amoros (a S 340) à Raimbaut de
Vaqueiras.
Elle a été publiée tout récemment par M. R. Zenker.qui
vient de donner dans les Romanische Forschungen (1900) de
M. VolmôUer, une bonne édition critique de Peire d'Au-
vemhe *.
Fort méthodiquement composé, ce travail est rédigé avec
un grand soin. Néanmoins, la biographie de ce troubadour
reste encore à peu près inconnue ; M. Zenker a pourtant
élucidé un certain nombre de questions quelque peu obscures
et plusieurs des principaux points qu'il a ainsi mis en lumière
sont tout à fait sûrs. L'auteur a eu, de plus, la très heureuse
idée de traduire les pièces et d'j ajouter un bon lexique.
Une étude de ce travail n'est pas dans notre intention ; nous
voulons seulement relever les variantes très importantes de a *
du texte : Be rnes plazen , et ensuite établir une nouvelle
édition critique de cette pièce.
La chanson se compose de onze strophes et d'une tomada.
M. Zenker en relève les exemples à p. 209, mais il oublie de
citer, àproposde lapièce293, 20, lapublicationde M.E.Monaci :
Testiant. provenz. Roma, Forzani, 1889, p. 37.
Nous donnons intégralement la chanson d'après les deux
inanascrits qui l'ont conservée. Les deux textes présentent des
* Die lieder Peires von Auvergne kritisch herausgegeben mit Einlei-
tttng, Uebersetzung, Kommentar und Glossar von R. Zbnkbr. — Erlan^
9«n, 1900. no XIV : (extr. de 265 pages).
160 RESTITUTION d'uNE CHANSON
différences très notables: les vers 6 et 18 de C ne ressemblent
point anx vers correspondants de a\ Tordre des strophes II
et III est interverti, les simples variantes de mots sont nom-
breuseSy etc. Le manuscrit C, qui ne donne que 8 strophes,
représente une tradition corrompue, et les leçons fautives
qu*il contient le rendent inférieur à aS par exemple : dans C
le vers 3 est trop court, et c'est à tort que M. Zenker l'a con-
servé tel quel dans son édition ; le vers 6 est inintelligible et
les efforts de M. Zenker, pour Tinterpré ter, sont trop évidents ;
van du vers 13 est sans doute un mot fautif du msc.t ot il
valait mieux le corriger que le traduire par haltloSy etc.
On ne peut pas considérer le texte de G et celui de a ' comme
remontant à une même source. Depuis les recherches de
M. Gr5ber {Ram. Studien^ II, 504), une étude des sources de
Bernart Amoros serait des plus intéressantes ; nous n^avons
pas cru, cependant, devoir établir, pour cette pièce, les rap-
ports des deux leçons.
Gr. 323,10.
C, 180. — a*, 340 *. Zbnkbr, n« XIV.
I. Be m'es plazen
e cossezen
que hom s*aizine de chantar
ab motz acus
5 cubertz e dus
c*om no'ls tengua de ver ....
IL Ben es auranz
totz orestianz
qui en van si vol encombrar
10 ni sobre *1 cais
I. V. 3. Zbnk: qui s*aizina de chantar (C), vers trop court -^ A. acns]
alqaus G. Zbnk. cub.] serratz G. Zbnk.~ 6. a ^ : . . . .] dizar. (lire ditart)
qaom tem ja de vergonhar G. et Zbnk. que om] Zbnk. qnom G.
II. ( = G. Zbnk. III.) 7-8. auranz — crestianz] C. Zbnk. auras-crestias —
9. qui en van] G. Zbnk. qu*el mezeis. — 11. cargar] leva G. Zbnk. — 12.
non posca] no*l pnesca G. Zbnk.
DE PEIRE d'aUVERNHE 161
cargar tal fais
qae corren non posoa portar.
III. D'aut chai em bas
qui per compas
15 beu ûo sap lo segle menar ;
aquelh i falh
que tan trassalh
que non puesca atras tornar.
lY. Qu*eu sai e sen
20 mon escien
— 6 vuelh vos a totz chastiar —
per trop captens
val om trop mens
e ten om plus vil son afar.
V. 25 Mais am un ort
serrât e fort
c'om ren no m'en puesca emblar
que cent parranz
sobre puegz planz
30 qu'autre los preng(a)' e ieu los gar.
VI. Que'l reprochiers
es vertadiers
que dels antics dire auzic
« lo rie al rie
e Tom mendie
35 que d'eis semblan troba son par » .
VII. De tôt can suelh
amar me tuelh
e so qu'ei amat desampar ;
III. ( =C. e Zbnk. II.) 13. D'aut] Van G et Zenk. — 15. ben, etc.] no
s. 1. s. demenar. 16 aq.] alques. ai —17. tan] nemps a*. — 18. que non etc.]
rfa temps non pot tornar, a* ; vers trop court,
IV. 19. sai] cug G. et Zenk. e] un a *. — 21. e] ieu G. et Zbnk. — 23. trop]
mot G. et Zbnk. ~24. e ten om] e-n G. Zbnk. tenen a i.
V. 27. G. et Zbnk : on om no*m puesca ren e. — 30. los preng'e i. los] las
tcnha ez i. las G. Zenk.
VI.-YII. Seulement dans a 1. 13. auzic] au^ics a^
il
162 RSSTITCTION D*UNS CHANSON
qa*ea non am re
40 ni antr*e me
e ynelh me totz d'amor loinhar.
VIII . Qa*el reire temps
aiamatnemps
e Tnelh m^en atreasi laiasar :
45 qui m'a amat
non aura grat
ni m'aYia en cor d'anar.
IX. Car ai nn cor
et an demor
50 et an talan et an pensar
et an amie
Yas cai m*abric
et a cai me vaelh aatreiar.
X. Si mal m*en pren,
55 per eis mon sen
vaelh a ma vida foUeiar;
après ma mort
no'm fass^om tort
d*aquo m*es obs ad oblidar.
XI. 60 Dans maintas pars
me for* afars
en prendre o en gazanbar ;
fers e parvenz
es mos talenz
65 vas m*amiga qai*m te plus car.
XII. Amors, de loin,
tan gran bezoin
qn^ai de temps e de bailiar !
Gialio Bbrtoni.
yill. 42 el r.] arreire G et Zbnk. — 44. atressi] atrazach G et Zbnk. —
47.m'a.en cor] encorm. G. Z.
IX. 48. car] Qu'iea G. et Zbnk. — 50. talan] ardit G et Zbnk. — 52. ras
c.m'a.] et un a. G. et Z. — 58. no'm] no G. no'm Zbnk.
XI.-XII. Seulement dans 9l^. y. 60. Dans] dois a ^. — 65. qui'm te] coi
tem a'. — 68. bailiar] baaljar a^.
BIBLIOGRAPHIE
Zeitiehriit fur romanische Philologie hgg. von G. Orôber, 1899^
XXIII, 1-2 (Ces deux cahiers ont paru à la fois sous la même couver-
ture.)
P. 1-47. 6. Mann. La langue des poésies de Froissart, [L'auteur
prend comme texte Tédition Scheler (Poésies de Froissart, Bruxelles,
1870-72, 2 vol.) M. M. n'a pu utiliser le MéUador (Société des an-
ciens textes français) qu'après avoir terminé son travail. 11 étudie la
phonétique et la morphologie de la langue des poésies de Froissart. ]
P. 47-79. J. MoLLER. Les poésies de Guillem Augier Novella,
[Bartsch indique dans le Grundriss trois troubadours du nom d* Au-
gier ; M. J. Mûller nous démontre que ces trois (déjà réduits à deux
par E. Lévy) ne font qu'un. Les différents noms qui nous sont donnés
par les mss. (Guilhem Augier, Ghiilhem de Bezers^etc.) représentent
une seule personne : le jongleur Augier de Saint-Donat. Cet Augier
vivait entre 1185 et 1235 ; il vécut d'abord à Béziers, après 1209 il
alla en Italie où il reçut le surnom de Novella. M. M. donne à la
saite une édition critique des neuf pièces de ce poète ; malheureuse-
ment les notes sont beaucoup trop rares : à peine une douzaine en tout.
Pourquoi s'astreindre aussi à nous donner dans une édition criti-
que, la graphe ae de C. ? (Cf. n'» 3, v. 2-4.) ]
P. 79-116. WiLHELM Mann. Les chansons du poète Eohert de
RainSy surnommé La Chievre. [La Chievre et Robert de Bains sont
une seule et même personne. M. M. étudie le contenu de ces poésies
lyriques, groupe les manuscrits qui les contiennent et en donne le
texte. L'étude des rimes, la comparaison de sa langue avec celle
d'autres auteurs rémois permet de conclure que l'auteur appartient à
la fin du XII« siècle. La Chievre est aussi l'auteur d'un poème célèbre
sur Tristan et Isolde qui est perdu, mais auquel font allusion le
Boman de Renart et l'auteur d'un miracle du XII® siècle.]
P. 118-134. V. DE Ba.rtholoma.eis. La lïngua di un rifacimento
chieUno delïa Fiorita d'Armannino da Bologna. [Ce rifacimento se
trouve dans ub manuscrit de la B. Nat. de Paris et est le seul docu-
ment en langue vulgaire de la ville de Chieti (1418). Mais il est
1^4 BIBLIOGRAPHIE
écrit daiuB une langae bien mêlée dont M. B. essaie de fixer les
trait«, L^étude comprend nne phonétique assez détaillée, quelques
notes de morphologie et un court vocabulaire.]
E. Wbchssler, Beeherckeê mr Uê ronumê du Graal. [M. W. com-
plète sur quelques points son livre : La légende du Samt-Graol dans
êon développement jusqu'au Parsifal de Richard Wagner. Le point
traité ici est une étude sur VEsioire del Graal de Robert de Borron
(p. 130j sur les manuscrits qui nous Tout rapportée, sur les quatre
branches de ce cycle, sur les sources du cycle du Graal de Ro-
bert, etc.]
P. 174-200. H. ScHDCHAROT. Contribution à l'ibérique, au romano-
banque, à Tibéro-roman^ [Suite — un peu lardive — des études sur
le romano-basque, commencées dans la Zeitschrift Rom. Phil. (XI,
4nA'b\2,), M. Sch. étudie toute une série de formes rapportées à
ribérique par M. Giacomino et qui ne sont, le plus souvent, que des
déformation3 de mots romans. P. 181, dernière ligne, autre forme
du provençal moderne mousti, moustiz. Parmi les dérivés detuitMi, il
faut encore citer Novacelles^ dans l'Hérault, qui répond à Nazelles
(p. 184) d'Indre-et-Loire. Nave, si fréquent en espagnol dans les
noms propres (Navarre) est nauis et n est pas d'origine ibérique
comme le pensait Meyer-Lûbke. Aux dérivée de garvlla (p. 192j
ajouter langued. deskrulhado, subst. tiré de deslarulka (peler, surtout
en parlant d'amandes). P. 196 : ajouter le languedocien ^otcAar, dans
le sens de pousser, regriller en parlant d'herbe. P. 200 : ajouter le
catalan-roussillonais eskèr (la ma 'skèra «s la main gauche).]
P. 201-248. 0. SoLTAU, Les œuvres du troubadour Blacatz. [Cet
article est la deuxième partie d'un travail complet sur Blacatz, dont
la première partie a paru comme thèse de doctorat à Berlin sous ce
titre : Blacatz, ein Dichter und Diehierfreund der Provence. L'édi-
tion critique des œuvres de Blacatz est précédée d'une étude en cinq
chapitres sur les interlocuteurs des tensons, sur le caractère de ses
poésies, sur leur date, sur leur métrique; enfin, un dernier chapitre
traite des poésies faussement attribuées à Blacatz. P. 237, VII, v. 11,
lire : al meu vejaire ? P. 243, v. 12, lisez : nova de coindia (au lieu
àémova).]
P. 249-287. R. Zbnker. Additions à l'étude sur Isembart et Gor-
mont, (Halle, 1896). [Réponse aux objections faites à la thèse de M. Z.,
par Ph. Aug. Becker (Zeitschr. f. rom. Phil, 20, p. 549) et subsi
diairement aux critiques de M. Ph. Lauer et F. Lot, dans le Romama
(1897-1898). P. 271, arguments nouveaux produits par M. Z., pour
défendre sa théorie sur l'origine àUsembard et Gormond.]
P. 288-312. 0. Dittrich. Sur la composition des mots (d'après le
BIBLIOGRAPHIE 165
français moderne écrit). Suite du long article consacré par M. D. i;
cette question dans le tome XXII de la Z^tschrifU
MiLA.NGBS. — I. Grammaire. — I. P. 313-320, F. d'Ovidio. Encore
sar les formes italiennes aTikzno, dicono (Lettre au prof. W. Foerster).
M. d*0. n'admet pas la théorie exposée par M. F. sur Torigine des
formes verbales italiennes en -&no P. 317, ligne 3 : quelle difficulté
y a-t-il à admettre un changement de suffixe pour expliquer le sarde
vstrina, sicilien strina à côté de espagnol estrena, fr. étrenne ? 2. —
P. 321-325 Ake Wison Munthe, Nouvelle contribution à la connais-
sance de dialectes asturiens. [Il s'agit d'un lexique publié par un
joamal asturien {La opinion de Villavicioaà) et dû à Don Branlio
Vigôn. M. A. W. Munthe esquisse une phonétique de ce dialecte].
IL— Histoire des mots. 1. 325-331, H. Schuchardt, Ambulare.
[M. Sch. est d'accord avec M. W. Foerster pour dériver aZarc -anare
de ambulare ; seulement il admet une seconde forme ambitare (dérivée
naturellement de ambulare) pour expliquer andare] 2. P. 231-33, Id.
Toccare, caporale, cmlir, [Défend contre Ascoli son opinion sur l'ori-
gine de ces trois mots déjà exprimée dans la ZeitBchrift, XXII, 394.
Donne trois exemples nouveaux de métathèse pour expliquer cochlea^
ritti» ^ cuelir.] 3. H. Schuchardt, It. a ^ lat. ac [Se retrouve dans
quelques expressions italiennes. M. Schuchardt voudrait aussi voir
un reste de a^ en fr. En écrivant quomo(do)ac M. Sch. songe sans
doute à fp. commet 4, P. 334, Id. Le génois camallu <^ arabe Jiam-
mal, 5. P. 334, Id. Carilium, [Ajoute d'autres représentants romans
da mot aux innombrables exemples qu'il en a déjà donné, p. 192 et
suivantes]. 6. — P. 334-336, 0. Schultz-Gorra, A. fr. Sartaigne.
[Intéressante étymologie : viendrait de Cerriiania (fr. Cerdagne, dép.
Pyr, -Orientales.) Uor de Sartagne n'aurait rien d'étonnant et n'aurait
pas besoin pour s'expliquer du voisinage de la riche Cartage : plu-
sieurs rivières venant du massif Pyrénéen ont roulé des paillettes
d'or ; on en trouve encore des traces dans les sables de l'Ariôge et
peut-être même de l'Aude : pour l'Aude c'est en tout cas une croyance
très répandue parmi les populations de la haute vallée. Dans la ^^ édi-
tion des Extraits de la Ch, de Roi, (1899; c'est sans doute la 5« que
désigne M. Sch. G. en ajoutant 1896) se trouve le même point d'in-
terrogation ; la 2* édition de la Chrest, de Vanc, fr. contient aussi la
même note].
Comptes rendus (parus avec la 3« livraison). P. 339-447. Giomale
StoricodeUa letteratura italiana, vol. 31 , fasc, 2, 3 ; suppl. n° 1 . vol. 32,
fasc. 1, 2, 3 (B. Wiese). — P. 347-350, Revue des Langues Romanes,
tome 38, 39 (0. Schultz-Gorra). — P. 350-351 , iîomanwi, n<» 106 (avril
1898), (G. Grôber, W. Meyer-Lubke). — P. 352 : Réponse de M . Grôber
166 BIBLIOGRAPHIE
aux critiques de M. Grammont (Cf. Retfue des Langues Romanes, 1898,
p. 287, 433.)
E. Hbrzog, Histoires des formes de l'infinitif français, p. 353-381 .
[Première partie d'un important travail dont les principaux chapitres
sont les suivants : Extension géographique des formes en -are, yare
avec leurs nuances ; conditions qui déterminent les formes en -yare ;
passage de la première conjugaison a la seconde et réciproquement ;
nouveaux verbes en -are,]
P. 382-409, A. Pellbgrini, Il Piccino. [Poème en sept chants, en
octosyllabes par Alexandro Streghi (milieu du XV« siècle ;) n'a jamais
été publié en entier. Il en existe trois manuscrits à la bibliothèque
de Lucques. M. A. P. donne ici les deux premiers chants (à suivre).]
MÉLANGES. — I. Histoire littéraire. P. 410. H. Suchier, L'ori-
ginal latin du Miroiter de l'église de Vignay. [Se trouve dans plusieurs
manuscrits de la bibliothèque nationale, mais les catalogues Tattri-
buent à un autre auteur]. II. Grammaire. — P. 41 1-412. M. W. Meyer-
Lubke. Les adverbes latins de lieu en -orstis en roman. [S'occupe des
adverbes suivants : aliorsum fr. mod. ailleurs. N'admet pas l'explica-
tion proposée par M. G. Paris, d'après laquelle ailleurs est dû à
l^analogie des nombreux mots en -eurs, M. M. L. abandonne aussi
la théorie qu'il avait soutenue (Rom. Gram. I,§. 141, Rem.) et pense
que le latin vulgaire avait remplacé -ôsu par -ôr ; d'où aillour, fr.
mod. ailleurÇs) : autres adverbes étudiés : Sinistrosum, auorsum .]
P. 413-415, M. A. Horning, Passage de s devant consonne à ^ en
France. [S'occupe des cas d'amuïssement de s signalés par M. A.
Devaux, M. Chabaneauet par moi. M. H. ajoute quelques autres cas
empruntés au picard, au wallon et aussi à l'ancien français. Le fr.
poêle de pesile l'expliquerait de la même manière.] 3. P. 415-416,
P. MsiTchot, Fisient etpermessient du Jonas. [L'i représente une réson-
nance de z qui s'est éteinte, si Von peut dire, petit à petit. L'explication
paraît bien invraisemblable.]
III. — Histoire des mots. I. P. 417. W. Meyer-Lubke, it. corhez-
zolo, [N'est pas un dérivé de cornus ; corbezza pourrait venir de *cucur'
hitea,] 2. P. 417. J. Ulrich, fr. blanches paroles. [5tonc^e« provient
d'une confusion ; blandus avait donné blanty flatteur, confondu avec
blanc.] 3. P. 418, J. Ulrich, fr. desver. [Viendrait de disaeqtiaref qui
a donné les deux formes desiver -desver']. 4. P. 418-422. H. Schu-
chardt, Contribution à l'histoire des mots en roman. [Basque zerga =
impôt ; se rattache au béarnais cercarj chercher (cf. quèste en béar-
nais) ; basque donge, mauvais, composé de donum et de ge^ suffixe
privatif; carilium (ajoute de nombreux dérivés à la longue liste déjà
donnée)]. 5. P. 422-429, W. Foerster, Etymologies françaises. [Fr.
BIBLIOGRAPHIE 167
moà. landier ; composé de l'article -{- andier, lat. du moyen êkgeande-
riuit, renvoyant à un amitarium formé sur âmes, itis. 11 faut ajouter
que le narbonnais andèr (as chenet) n'est sans doute pas un emprunt
français, car Ve ouvert n'a pas subi la diphtongaison. Fr. permaine
(pomme), d'après Littré depermagna. La plus ancienne forme fran-
çaise (XII« siècle) est parmain. Le mot viendrait àeparmanns (pomme
de Parme).
Comptes rendus. P. 430-454, Obras de Lope de Vega Vol. V-
VL (Suite de l'important compte rendu de A. Restori). — P. 454-459,
Chansons et dits arlésiens du XIII*' siècle p par A. Jeanroy et
H. Guy. (F. Ed. Schneegans). — P. 459-461, D' J. Subak, Die
CoDJugation im Neapolitanischen... (P. Savj-Lopez). — P. 462-465,
W. Cloetta, Die Enfances Vivien (Ph. Aug. Becker). — P. 465-466,
J. Voigt, Das Naturgefuhl in der Literatur der franzôsischen Renais-
sance (Ph. Aug. Becker). — P. 466-469, Rydberg, Histoire du
français e (E. Herzog). — P. 409. Périodiques. — P. 409-480, Arcki-
m glottologico iialiano, tome XIV (W. Meyer-Lûbke).
4. — P. 481-490, A. HoRNiNG, Passage de wè (venant de oi) à é en
français. [M. H. prend pour point de départ l'élude sur le patois d'Ezy
faite par M. P. Passy dans la Remte de Phil.fr. t. VIII. Le passage
àetoèkè dans les mots où cette diphtongue est précédée d'un groupe
ùms. + r a été déterminé par ce groupe. La série frein, veine, peine,
à côté de avoine, foin reste obscure. P. 485 et sqq. explication
des formes en oie et en aie (lamproie, français). P. 486, noter une
autre réduction de uè après le groupe p^ dans prov. mod. pl^o 'pUjo
= plu^o, pluôjo. Pour les noms propres la vraie explication reste
encore à trouver. La dernière partie de l'article (487-490) traite de wè
dans les patois franc-comtois.]
P. 491-513. Th. Kalepki, Zur franaosischen Syntax (Cf. Zeitschrift
fùrrom. Phil. XX, 277). [VII. Mélange de style direct et indirect?
li s'agit d'expressions comme est-ce que dans des phrases comme la
suivante : Elle n'était pas venue f C'est donc qu'elle ne pouvait pas
vmrf M. Tobler avait observé que le présent est-ce que se trouve
toujours dans ce cas-là au lieu de l'imparfait, mais M. Th. K. cite
plusieurs exemples de Zol&Rome avec était-ce que {Etait-ce donc que
tout allait crouler avec eux, Zola Roine p. 167). M. K. ne veut pas
qu'il y ait là mélange de discours direct ou indirect, il propose une
expression nouvelle, peu traduisible en français d'ailleurs { v. r.
[^verkleidete, verhûUte Rede, discours caché.]
P. 514-532. G. Salvioni, Appunti etimohgici e lessicali (2^ série).
[Mots principaux : alandier «^ limitariu, fr. haussière, non de germ.
^Is mais de lat. helciariu, la base matutinus dans les dialectes ladins.
168 BIBLIOGRAPHIE
fr. mie (M. S. n'admet pas svdica ; le prov. mod. Hèjo postule *sddia
-addicaf comme pmo *plâuia), vignoble ^ uineae *opuZtt.]
MÉLANGES. — I. Grammaire. — P. 533-535, G. Baist, A. fr./efe.
[Il ne faut pas voir dans ce mot un cas de dissimilation de «,-« mais
un cas d*anologie, sur véis], — II. — Histoire des mots. P. 535-536,
A. fr. fraite (G. Baist). Vient de fracta. 2. P. 536-537. Fr, fiente,
roman, niente, (J. Ulrich). le s'expliquerait dans le premier mot par
un croisement defœx et àefoetere. Pour niente M. U. propose ni -himite,
bien invraisemblable.) 3. 537. A. fr. gagnon, wagnan (P. Marchot).
Se rattache au verbe gaaignier; le gagnon est à l'origine le chien qui
gaaigne (fait paître).
Comptes rendus. — P. 538-553. H. Paul, Primipien der Sprach-
getchichte (0. Dittrich). — P. 354-358, Le troubadour G. Montanha-
gol^, J. Coulet (C. Appel). — P. 559-566, G. Kôrting, Die Formen-
lehre derfr. Sprache (J. Subak). — P. 566-567, V. Rossi, // Quattro-
cento (B. Wiese).
PÉRIODIQUES. — GHomale Storico delta Letteratura lialiana, vol.
XXXIII, fasc. 1, 2, 3(B. Wiese). — P. 572-574, Revue des Langues
Romanes, tome XL (0. Schultz-Gora). — P. 574-575, Romania,
n« 107 (W. Meyer-Lûbke, G. Groeber). — P. 576-583, Archiv, f. d,
Studium d, neueren Sprachen und Litt Tome 86-95 (W. Cloëtta). —
P. 584-587, Livres nouveaux (G. Groeber). — Index.
J. Anglade.
Histoire de Magnelone, par Frédéric Fabréob. T. I, I-GIV, 1-511;
T. II, 1-598 ; in-4*>, Paris, Alphonse Picard ; Montpellier, Baumevibllb :
1894-1900.
Il est des monuments vénérés sur lesquels rien d'abord n'appelle
Tattention, qui semblent se cacher dans Tombre et quHl faut chercher
le <( Guide du Voyageur » à la main, comme cette petite chapelle,
Santa- Maria-delle - Fiante , qui a été élevée dans la banlieue de
Rome, au point de rencontre des voies Ardéatine et Appienne, à
Tendroit où Jésus apparut à Pierre fuyant de Rome : « Quo vadisf
Où allez -vous? » demanda l'apôtre. «Je vais, répondit le Sauveur,
à Rome subir une seconde fois le martyre. j> Pierre comprit la leçon,
rentra dans la ville et fut martyrisé peu de temps après. De là le
nom de <t Quo vadis », par lequel est désignée d'ordinaire la petite
église. L'on y montrait autrefois la pierre d'un tuf verdâtre où Ton
distingue en un dessin léger l'empreinte des pieds du Sauveur,
BIBLIOGRAPHIE 169
picaUe; mais cette relique aujourd'hui y est représentée par un fac-
similé, et, pour la retrouver, il faut aller plus loin, suivre la voieAp-
pleane et entrer dans la basilique Saint-Sébastien, où elle est conser-
vée avec la colonne où fut attaché Sébastien, et nombre d'autres reli-
ques moins illustres. Saint-Sébastien est lui-même placé en contre-bas,
n'attire aucunement le regard. Bien des touristes n*en feraient point
le terme d'une excursion, s'ils ne savaient que là est l'entrée des
catacombes les plus intéressantes au point de vue de l'archéologie et
de l'art chrétien primitifs.
Comme les origines mêmes du christianisme furent humbles et
cachées, de même les monuments qui en gardent les souvenirs les
plus précieux se dérobent souvent à l'œil indifférent et réclament
d'être l'objet d'un pèlerinage qui leur soit vraiment consacré. Bien
des gens n'auraient jamais connu le nom de Quo vadis, s'il ne fût
devenu le titre d'un roman, dont l'auteur, s'inspirant des sentiments
qai avaient dicté les Martyrs à Chateaubriand et les Derniers jours
de Pomjm à Bulwer, a su faire vibrer des cordes endormies et inté-
resser des âmes que les crudités matérialistes récemment en vogue
avaient lassées jusqu'au dégoût.
Maguelone appartient à l'âge triomphant où la foi chrétienne
dressait vers le ciel les hautes voûtes des cathédrales. Dominant les
flots bleus de la Méditerranée, les étangs et les plaines, il est vu de
toutes parts, et l'on ne saurait venir à Montpellier sans être tenté
de faire une visite à ce monument, d'où l'œil embrasse tout le Lan-
guedoc, d'où la pensée a comme une vision des siècles écoulés.
L'année dernière, les Félibres ont tenu leur fête annuelle au pied des
murs de l'église féodale, à l'ombre des pins dont le feuillage, agité
par le souffle de la mer, bruissait légèrement sur nos têtes. Le regretté
Félix Gras nous présidait. Mistral était des nôtres. Quand les maîtres
modernes du Gai Savoir entonnèrent des chants où revivent la
langue sonore et l'âme ardente de nos pères, au milieu de ce paysage
enchanté, dans l'éblouissement de la resplendissante lumière qui en-
veloppait l'île, il y eut un moment d'illusion puissante : nous nous
sentions au pays de Féerie ; et si Pierre de Provence et la belle
Maguelone fussent venus s'asseoir au banquet de Sainte-Estelle, à
côté de l'auteur de Mireille, leur présence n'eût point surpris.
Mgr Dupanloup a donné en quelques lignes éloquentes l'impression
grande et religieuse qu'il avait ressentie : u Maguelone, beau lieu,
austère, paisible ; une petite île, et dont les pentes douces descendent
vers les flots bleus, au delà desquels se déroulent les montagnes de
la Provence, dont les lignes se perdent dans la brume. Désert dominé
par le géant (la cathédrale) et par la croix. Cette basilique canonicale,
par ses formes sévères» s'harmonise avec ce paysage, cette solitude,
170 BIBLIOGRAPHIE
cet horizon, cette grandeur. C'est un de ces lieux qui ont une âme et
que doivent chercher les âmes placées dans certaines conditions mora-
les. Là on doit contempler, prier, pleurer. C'est un lieu consacré
par les grands souvenirs, saisissant par ce qui est mort et par ce qui
survit : une ruine et une croix, au milieu de quelques pins, voilà ce
qui reste de la ville romaine, refuge des Sarrasins au VII^ siècle*
détruite au VIII* par Charles-Martel, rebâtie au XI« et devenue ville
papale et épiscopale, berceau de Montpellier et capitale ecclésiastique
du pays *. »
M. Fabrège a pour le monument qu'il a restauré avec un soin
pieux, une admiration et un amour qu'il tient à faire partager. Il a
donc entrepris de raconter l'histoire de Tîle légendaire où l'église
seule subsiste, île qui fut grande dans la pensée des hommes, bien
que la nature en eût parcimonieusement limité l'étendue : « Il faut le
dire, cette île a eu, pendant le moyen âge, une vie toute spirituelle,
une influence seulement morale. Jamais le nombre et la splendeur de
ses édifices n'a répondu à ce que son nom, si connu et si vénéré,
semblerait indiquer ^. »
- En deux forts volumes in-4<* nous passons des origines au XIV«
siècle. Le tome III, dont la préparation est fort avancée, aura pour
titre général : « L'Université à Montpellier. Translation du siège
épiscopal à Montpellier. Ruine de Maguelone. »
Dans la Préface (p. i — viii), M. Fabrège indique les sources
qu'il a dû consulter, énumère, en les appréciant, les travaux où il a
été question de Maguelone. Il répond à l'avance à ceux qui pourraient
lui reprocher de s'être laissé entraîner par l'importance du sujet:
ce Nous ne pouvions cependant, dit-il, négliger des événements d'un
intérêt capital, unique même, puisque Maguelone fut, au moyen âge,
un fief pontifical, refuge des souverains pontifes, le seul point d'accès,
avant saint Louis, de la France sur la Méditerranée, centre privilé-
gié de l'orthodoxie et de la liberté dans le Midi. Sur toutes ces ques-
tions, il fallait mettre en lumière les trésors de la critique et de
l'érudition contemporaine, dispersés dans une série d'ouvrages ou de
recueils aussi précieux que peu connus. En ne dédaignant d'ailleurs
aucun détail, nous avons pu saisir sur le vif les traits et les mœurs
de nos ancêtres, suivre dans leur existence, à travers les siècles, nos
évêques et nos seigneurs, apprécier, en toute justice, l'action du
Saint-Siège, les bienfaits de l'épiscopatetlerôledes Ouillems, admirer
la formation et les développements de la nationalité française, carac-
1 Cité par M. Fabrège, T. I, Introduction^ p. C.note.
• Renouvier, Maguelone, p 20, cité par M. F., 1, 192, note.
BIBLIOGRAPHIE 171
tëriser les traditions et les services de TUniversité de Montpellier. »
L'Introduction (p. ix — civ) a pour titre « Le site et les souvenirs »,
et comprend quatre parties : « L'horizon de la terre, Thorizon de la mer,
la Belle Maguelone, la cathédrale. » Trois planches, à la fin du tome
1*', dues au crayon de M. Marsal , donnent Vhorizon de la terre, tel
qa'on le voit du haut de la cathédrale, vaste demi-cercle où du rivage
aux montagnes lointaines : le Canigou, le Larzac, la Sérane, le Mont-
Lozère, le Ventoux, depuis le cap Bear jusqu'aux Saintes-Maries-de-
la-Mer s'étagent les étangs, les plaines et les collines.
Sans. songer à faire l'analyse d'un ouvrage si étendu, et où sont
traitées des questions très diverses, nous croyons utile de marquer
du moins un des points de vue auxquels on peut se placer en le lisant.
Il nous semble que l'on aura ainsi quelque impression du vif intérêt
qu'il présente.
Maguelone vaut dans l'histoire par son évôché dont la destinée
fat liée si étroitement à celle de Montpellier. Les Guillems, la Muni-
cipalité Montpelliéraine, les rois d'Aragon et de Mayorque ont des
rapports constants avec l'évoque, dont l'autorité religieuse et morale
était fort augmentée par l'importance de fiefs qn'il devait à une
8uite de libéralités dont la principale est assurément l'acte du 27
avril 1085, par lequel Pierre de Melgueil faisait hommage au Saint-
Siège du comté de Substantion et de ses droits sur Maguelone.
Plus tard, à la suite de la guerre des Albigeois, le pape Innocent III,
ayant retenu pour fief le comté de Melgueil, la ville de Montpellier,
qui s'était déjà placée sous la tutelle du Saint-Siège, obtint en 1215
que le pape inféodât le comté à l'évêque de Maguelone et à ses suc-
cesseurs. La décision du pape, qui fut suivie de plein effet, reposait
sur le droit reconnu alors au suzerain de punir un vassal révolté» ce
qui était le cas de la maison de Toulouse ^
Dès les premiers temps les évêques avaient eu une juridiction spé-
ciale sur Montpelliéret, partie méridionale de la ville de Montpellier.
Une bulle pontificale du 12 juillet 1228 détermine les possessions de
l'Eglise de Maguelone à cette époque ; elles comprenaient : « l'île de
Maguelone, l'étang, le grau, la plage entre la mer et l'étang, dans
toute leur étendue et avec leurs pêcheries, l'Ile d'Isclion ou Ësclavon,
dans Tétang de l'Amel, l'église Saint-Etienne de Villeneuve, l'église
* Par une snite d'héritages, le comté de Melgueil était passé en 1172
aux mains des comtes de Toulouse. V. t. I, p. 336, suir. Mais le pape
pensait sans doute pouvoir se prévaloir encore de Tacte antérieur de
Pierre de Melgueil. Pour les revendications de la maison d' Alais sur le
comté de Melgueil, et l'accord qui intervint. V, t. II, p. 131, suiv.
1 7 S BIBLIOGRAPHIE
et la métairie de Maurin, Téglise Saint-Sauveur de Rouet, le Gapi*
toul ou maison et domaine de la communauté à Villeneuve, Téglise
Sainte-Marie d'Exindre, les tours sur le Lez et la Mosson, les mon-
tagnes de Montceau et de Saint-Bauzille, le bois d'Aresquier, le châ-
teau de Maureillan, la villa de la Mosson, Tîle de Fleix, les domai-
nes dans les paroisses de Saint- Jean-de-Cocon, de Saint-Michel de
Montels, de Saint-Michel de Sautejrargues, de Saint-Pierre de Mon-
taubéron, de Saint-André de Novigens, de Notre-Dame de Castelnau,
de Saint-Jean de Substantion, de Saint-Etienne de Soriech, de Saint-
Drézéry, de Jacou, de Clapiers : la ville de Lauret, le mas avec la
baume ou grotte de Londres ; les villas de Saint-Brès et de Saint-
Sauveur de Pérols, avec leurs dépendances, terres, bois, prés, droits
de justice ; le château de Lattes, les propriétés dans Tintérieur de
Montpellier, Pîle et Téglise de Niout, les églises d'Aix ou de Balaruc,
de Frontignan, de Sainte-Eulalie, les biens de la sacristie de Mague-
lone, les églises de La Vérune, de Pignan, de Fabrègues, la métai-
rie d'Agnac ; les église de Saint-Firmin, de Notre-Dame des Tables,
de Sainte-Foy de Montpellier, de Saint-Denis de Montpelliéret, de
Saint-Brès, de Pérols, de Novigens, de Soriech, de Sautejrargues,
de Gastelnau, de Saint- Vincent, de Saint-Jean de Buèges, de Saint-
Drézéry, d'Auroux, de Sainte-Marie de Melgueil, de Sainte-Marie de
Lunel, toutes ces possessions, avec leurs appartenances, dîmes et
droits d'usage , enfin Téglise et l'hôpital du Saint-Sépulcre à Marseille.
— Le pape a bien soin de rappeler que si le chapitre a droit à la
dîme sur tous ces points, il ne la doit au contraire à personne; il
n'exige pour cette protection spéciale du Saint-Siège qu'un tribut
annuel de trois oboles d'or^ »
Mais Fauteur le reconnaît lui-même, l'administration de droits
temporels proprement dits n'était point sans offrir des difficultés :
(c L'élévation des évoques de Montpellier ne fut pas utile à leur
Eglise. Comtes de Melgueil, ils se trouvent distraits par les préoccu-
pations temporelles et perdent dans les soucis des affaires la ferveur
qui avait assuré leur prestige contre les Albigeois. Ils sont obligés
de suffire aux charges du gouvernement, et comme ils imposent leurs
sujets, ils ébranlent leur fidélité traditionnelle*. »
L'action bienveillante de la Papauté sur les affaires de l'évêché de
Maguelone, et même sur celles de la ville de Montpellier, ne saurait
être contestée; la démonstration que présente M. Fabrège est docu-
mentée de la façon la plus complète et la plus concluante. Mais on
1 T. II, p. 49-51.
«T. II, p. 34.
BIBLIOGRAPHIE 17d
ne peut 8*empêcher de remarquer qu'à côté de la suzeraineté du
Saint-Siège, Ton recherchait également celle du roi de France, aux
époques elles-mêmes où son autorité dans le Midi paraît le plus
réduite : « Dès 1 163, Jean de Montlaur et son chapitre reconnaissaient
Louis le Jeune pour leur seigneur, et le remerciaient de Taccueil
favorable fait à leurs envoyés. En 1208, Guillaume d'Autignac avait
obtenu de Philippe- Auguste d*être confirmé dans toutes ses posses-
sions, surtout dans celle de l'île de Maguelone, civitatiê Magalone et
aUorum locorum temporalium;.., . et, en 1230, saint Louis étend les
prérogatives des évêques en leur donnant juridiction sur les sujets
royaux et sur les écoles de Montpellier * . »
Ainsi persistait dans les esprits la pensée que le roi de France
était le suzerain légitime, qui avait toigours le droit, sinon le pouvoir,
d'intervenir dans Tadministration d'une région qui, depuis des siècles,
n'était plus sous son autorité réelle.
A la fin du XIII* siècle, l'enchevêtrement des pouvoirs et de leurs
prérogatives fut au comble. Le seigneur de Montpellier dépendait de
Tévêque, seigneur de Montpelliéret. « Le roi de Mayorque, Jayme II,
était de plus vassal des rois d'Aragon ; l'évêque de Montpellier,
suzerain du roi de Mayorque, s'était à son tour reconnu vassal du roi
de France*. » De leur côté, les consuls de Montpellier, mettant à
profit les conflits de leurs divers suzerains de tout degré, recourent au
roi de France contre l'Official de Maguelone, et obtiennent que le
roi de Mayorque, malgré les plaintes de l'évêque, refuse d'intervenir.
Le 17 juillet 1291, Bernard de Viviers, officiai de Maguelone, lance
au nom de l'évêque un interdit général contre la ville et les consuls
de Montpellier. Le sénéchal de Beaucaire, représentant le roi de
France, agit en faveur de la Ville et saisit le temporel de l'évêque.
Enfin l'archevêque de Narbonne lève l'interdit et fait promettre aux
uns et aux autres de s'en rapporter à la décision du roi : Et en aquel
an, estet erUredig Montpellier per VII meses o diprop: el senescalc de
Bekayre près la terra de lavesque, e la tene 20 jom, quar non voUa
retoocare Ventredig ; e pueis larcevesque de Narhona entrâmes seu, e
révoquât las sententUts e Ventredig e vole que lavesque els consols se
com/promesesson en la eoncell del rei de Fransa^,
Ces conflits ne sont plus de notre temps. Formés à l'exacte disci-
pline de la centralisation administrative, nous serions même portés à
jeter on regard dédaigneux sur cette dispersion de privilèges et de
»T. II, p. 51-52.
»T. II, p. 296.
^PetU'Thalamus, chron. rom.,p. 340; cité par M. F., II, p. 305.
174 BIBU06BAPHIE
prérogatives qui surexcitait les passions locales, et Bous la jugerions
volontiers ane sorte d'anarchie. Mais il ne faut point méconnaître que
les intérêts particuliers éUient armés pour se défendre, que la liberté
a son prix et façonne les caractères autrement que la sujétion la
mieux réglée, que la vie provinciale était intense, et qu'en fin de
compte on arrivait à s'entendre, qu'il fallût s'en référer au pape ou
au roi. La prospérité de Montpellier et la dignité du siège épiscopal
traversèrent sans dommage cette crise, et nous ne voyons pas
qu'après la réconciliation on ait gardé des souvenirs amers du
désaccord qui avait troublé les rapports de Tévêque et de ceux qui
étaient à la fois ses vassaux et ses fidèles.
D'ailleurs l'évêque de Maguelone prit le moyen le plus sûr d'éclair-
cir une situation confuse. Avec une sagesse qu'il est juste de louer,
il abandonna en 1292 à la couronne de France le fief de Montpelliéret,
la suzeraineté sur Montpellier et le château de Lattes en échange
d'une rente de 500 livres melgoriennes, environ 50.000 francs de
notre monnaie actuelle.
On lira dans M. Fabrège l'exposé intéressant des procédés, habiles
plus que scrupuleux, par lesquels Philippe le Bel sut faire valoir les
droits qui lui étaient reconnus.
On peut ne point partager l'avis de M. Fabrège sur toutes les
questions qu'il est amené à traiter. L'histoire du moyen âge est le
domaine où la controverse trouve le plus d'occasions de s'exercer.
Mais Tampleur elle-même qu'il donne à ses développements, la variété
des faits apportés, la richesse de la documentation et l'indication
constante des sources, rendent Tœuvre instructive au plus haut degré
et mettent le lecteur à même de se faire une opinion personnelle.
Comme il en avertit dans sa Préface, Tauteur a tenté, à propos de
chacun des événements importants qu'il rencontre, de reconstituer le
milieu et le moment précis. Ainsi nous expose-t-il, ou peu s'en faut,
une histoire complète du moyen âge, éclairant son sujet particulier
de toutes les lumières qu'il emprunte à l'histoire générale. On peut
juger, et il l'a prévu lui-même, qu'il s'étend parfois au-delà du cadre
exact où a été enfermée la destinée de Maguelone et de son évêché ;
mais il était difficile de ne pas entrer dans quelques détails sur la
guerre des Albigeois, étant donnée la situation géographique et féo-
dale de Montpellier ; et, quand on rencontre un Nogaret pour instru-
ment de Philippe-le-Bel dans la querelle de ce roi avec Boniface, l'on
n'est pas mécontent de connaître de près le personnage et de savoir ce
que sa famille est devenue.
M. Fabrège aime le moyen âge et l'Eglise catholique, et se plaît à
réfuter des préjugés que la science moderne a rejetés, sans pouvoir
BIBLI0GRAI>HIE 175
déraciner complètement. Bien des gens ne s'imaginent point
qu'il soit démontré et reconnu aujourd'hui que dans l'exercice de ses
droits, l'Eglise fut d'ordinaire plus modérée et plus libérale que le
pouvoir civil, que l'arbitrage des papes s'employait dans l'intérêt
des mœurs et de la justice ; qu'ainsi s'est faite l'éducation de l'esprit
public en Europe ; que de bonne heure le servage n'était plus qu'un
souvenir dans beaucoup de nos provinces ; que l'industrie, le com-
merce, les sciences et les arts florissaient dés le XIII^ siècle ; que
nos bourgeois du moyen âge étaient des administrateurs économes et
habiles, dont l'exemple peut être proposé à l'imitation de nos muni-
cipalités du XX* siècle. Je recommande la lecture du chapitre XI,
« l'Eglise de Maguelone à Montpellier 3>, à tous ceux qui s'intéres-
sent à l'histoire des œuvres de charité. Il était utile et équitable de
rappeler qu'au siècle dernier, la « Miséricorde » de Montpellier a été
prise par les Anglais comme modèle pour la création d'un dispen-
saire destiné à secourir les malades indigents^ ; de mentionner cette
institution admirable, le « Prêt gratuit », qui continue à venir en
aide aux besoigneux de toute condition, sans rémunération aucune ^.
Que savons-nous, pour la plupart, du passé de notre pays? Une
sorte de résumé somm aire de l'histoire des rois qui se sont succédé
sur le trône. Les provinces nous sont connues au fur et à mesure
de leur entrée dans le domaine royal, au moment où elles disparais-
sent dans ce grand tout, y perdant leur vie propre et leur origina-
lité. Qu'étaient devenus jusque-là l'Aquitaine, le Languedoc,la Pro-
vence ? Quels étaient d'abord les usages, les mœurs, les institu-
tions, le degré de culture et de prospérité de ces Etats, qui s'étaient
dégagés d'eux-mêmes, par une heureuse et riche spontanéité, des
ruines de l'empire de Charlemagne ? L'on sait quelques généralités
sur le rôle de l'Eglise, sur la féodalité, sur les communes, et c'est
tout pour le plus grand nombre. Cette indifférence est regrettable,
car il est mauvais et dangereux d'ignorer par quelle voie ont passé
les générations qui nous ont précédés, quels efforts elles ont dû s'im-
poser, quels résultats elles avaient atteints, et comment les petites
patries provinciales ont contribué au progrès commun de la grande
patrie.
Les ouvrages tels que celui de M. Fabrège produisent l'effet
d'une sorte de révélation, d'une évocation de la vie ancienne de notre
Midi.
* T. II, p. 27, note.
' T. II, p. 29. Cf. Histoire du Prêt Gratuit de Montpellier, 1684-1891,
par L. Mandon, docteur es lettres, Montpellier, 1892.
1 7 « BIBLI0GHAPH1E
Cest d'abord une barqae phénidenne oa cartàaginoise, montée par
de hardis rftdeurs des mers, demi-corsaires, demi-marchands, qui prend
possession de Ttle, et en fait on comptoir qae les Gaulois des plages
voisines s*accoatnment àfiréqnenter. Pois c'estla guerre de deux grands
peuples : Tannée d*Annibal, les légions romaines occupent tour à tour
M aguelone dont le port attire les trirèmes aussi bien que les yaisseaux
marchands. Enfin Rome a vaincu, la Narbonnaise est la province latine
par excellence ; la grande paix des rivages de la Méditerranée va dorer
pendant des siècles : le christianisme fait la conquête des âmes. Des
sarcophages, des stèles, des monnaies sont les témoins de cette époque
prospère.
Soudain l'invasion des Huns pousse vers l'occident les peuples de
l'Europe barbare : sous la pression de ces nations guerrières, les fron-
tières de la Romanie, mal défendues, s'écroulent. Voici qu'après avoir
ravagé l'Empire, les hordes se pressent sur la route de l'Espagne. A
travers la Naibonnaise passent, saccageant le pays, Alains, Suèves,
Vandales. Puis viennent les Wisigoths qui asseoient leur domination
sur la Gaule méridionale et l'Espagne et rétablissent Tordre à leur
profit. Le premier évêque deMaguelone dont nous connaissions le nom,
Boêce, est représenté en 589 au Concile de Tolède qui consacra la
conversion du roi Wisigoth et de son peuple. Son successeur Génies
est représenté au IV* Concile de Tolède qui interdit de tourmenter les
Juifs pour leur croyance et qui prescrit l'étude du grec.
Un peuple nouveau descend dans le Midi de la Gaule et tente de
l'arracher aux Wisigoths : Théodebert, puis Gontran, envahissent la
Septimanie qu'ils ne peuvent garder. La paix est bientôt après troublée
par Tinsurrection du comte Paul qui veut créer un Etat indépendant,
comprenant la Tarraconaise et la Septimanie, provinces qui dès lors
tendaient à s'unir. L'évêque de Maguelone, Gunhild, s'associe à la
révolte qui est réprimée par l'énergique roi Wamba. Maguelone fut
assiégée, dut se rendre, et Gunhild qui s'était réfugié à Nimes avec Paul ,
subit sans doute le même châtiment que le malheureux comte.
Un siècle s'écoule. Les Goths, amollis par une longue paix, ne
peuvent résister à Tassaut fanatique de Tlslam. La Septimanie est
submergée par le torrent, séparée un moment de la chrétienté. Mais,
après leur victoire à Poitiers, les Francs continuent à refouler le flot
musulman. C'est d'abord Charles-Martel, qui, sans distinguer entre
les habitants du pays, ruine et incendie Maguelone comme Béziers,
Agde, Nimes, Avignon . Les habitants de 1^6 sont contraints de chercher
un asile sur la terre-ferme, à Substantion. Des tombeaux trouvés à Ma-
guelone semblent provenir des occupations successives des Sarrasins
et des Francs.
BIBLIOGRAPHIE 177
Magaelone n'existera plus comme cité. Ses évêques néanmoins ne
rabandonnent qu'à demi, et s^établissent à Villeneuve d'où ils contem-
plaient ce qui subsistait de leur cathédrale. La partie tragique de son
histoire est terminée: sous Charlemagne, les noirs cavaliers de l'Islam
oDt repassé pour toujours les Pyrénées. L*ère de la paix chrétienne
commence.
Au XI^ siècle on n*a plus à redouter le retour des Sarrasins. L'évêque
Arnaud va rebâtir l'église de Maguelone, et le pape Jean XX l'y en-
courage. La cathédrale s'élève rapidement, château-fort autant qu'é-
difice consacré au culte, car cette mer si belle sera encore longtemps
infestée de pirates musulmans. Un pont la rattache au continent, où
Tévêque a son domaine religieux et ses possessions féodales. Du haut
sommet du monument roman, des hommes souvent éminents, pour la
plupart d'une piété exemplaire, veillent aux intérêts de toute nature
du vaste diocèse que leur regard embrassait tout entier, s'arrêtant de
préférence sur la ville où les habitants anciens de Maguelone étaient
revenus s'établir d'une façon définitive, sur Montpellier. Un lien na-
turel rattachait la cité nouvelle au lieu de sa première origine et main-
tenait entre l'évêque et les Montpelliérains une sorte de parenté. Mais
Montpellier, avec les Guillems d'abord, puis grâce aux privilèges qu'ils
lui avaient reconnus, grandissait, s'enrichissait, illustre par ses écoles,
son commerce, ses industries. Le jour n'est pas loin où le siège épis-
copal y sera transféré. Avec le moyen âge, la destinée de Maguelone
est accomplie.
Mais, pour l'histoire et le poète, Maguelone, ainsi abandonnée et
déserte, n'est que plus attrayante :
La vieillesse couronne et la ruine achève.
Il faut à l'édifice un passé dont on rêve.
Voulez -vous qu'une tour, voulez- vous qu'une église
Soient de ces monuments dont l'âme idéalise
La forme et la hauteur?
Attendez que de mousse elles soient revêtues,
Et laissez travailler à toutes les statues
Le temps, ce grand sculpteur l ^
Ainsi la cathédrale, deux fois vénérable par les vertus qu'elle a
abritées et par cette empreinte ineffaçable que les âges marquent sur
la pierre, ruine chrétienne, ruine antique, est un lieu de pèlerinage où
* Victor Hugo, 1' « Arc de Triomphe, »
12
178 BIBLIOGRAPHIE
ron se complaît à repasser dans sa pensée les époques évanouies, en
considérant le vaste théâtre où se sont déroulés les événements de
l'histoire du Languedoc.
Vers le Midi, c'est Narbonne, déchue aujourd'hui de sa gloire, la
ville forte qu'il fut si malaisé d'enlever aux Sarrasins, souvenir con-
sacré par J.^7n€riZ^o<. Vers le couchant, c'est Saint-Guillem-du-Désert,
où se retira Guillaume, duc d'Aquitaine, vainqueur des Musulmans
à Villedaigne, dont le souvenir s'est confondu avec celui de Guil-
laume de Provence, de sorte qu'il est devenu dans TEpopée nationale
le champion le plus célèbre de la chrétienté avec Roland, l'invincible
Guillaume au Court-nez, le héros d'Aliscans, l'un des huit guerriers
saints, que Dante voit se mouvoir, flammes étincelantes, sur les bras
de la croix où resplendit le Christ. ^ Vers l'Est nous apercevons le
Grau d'Aigues-Mortes d'où saint Louis partit pour la croisade.
Et en ramenant notre regard sur Montpellier, nous voyons apparaître
|a grande et chevaleresque figure de Jacques le Conquérant qui con-
quit trois royaumes, gagna trente-trois batailles, fonda deux mille
églises, monastères ou hôpitaux. 11 mourut à Valence, et demanda
que son corps fût transporté au monastère de Poblet. 11 y a reposé
de 1278 à 1835. « Le tombeau ayant alors été violé, la dépouille du
conquistador fut recueillie dans le village de la Espluga de Francoli,
où, le 18 janvier 1843, un négociant catalan vint officiellement la
retirer pour Tinhumer dans la cathédrale de Tarragone, dont la pro-
vince et celle de Barcelone lui érigèrent un monument, style Renais-
sance. » ^ L'inscription latine mentionne que Tarragone obtint la
bienveillante autorisation de la reine Isabelle: Bénigne annuente
ElUabêth II j Ilispaniarum regina '.
On ne sait ce que Ton doit admirer le plus, de la brutale ignorance
1 Paradiso, c. XVIII, v. 46. Lea autres guerriers sont Josué, Judas,
Macchabée, Charlemagne, Roland, Renouart (le géant Renouart au
Tinei de nos chansons de geste), Godefroy de Bouillon et Robert Guis-
card. C'est dans ce chant que Béatrix, pour rappeler son amant à la
contemplation du spectacle divin, lui dit : ^ Tourne- toi et écoute, car ce
n'est pas dans mes yeux qu'est le paradis. « Mais Béatrix n'est antre
que la théologie personnifiée, et il faut entendre, paraît-il: guia non
solum in coniemplatione tkeologiae est félicitas et beatitudo, sed etiam in
exemplis valentium virorum ; Scartazzini en est convaincu. Le doute est
permis.
a T. II, p. 198.
3 ibid. note 5. — Dans ces dernières années. Ton a apposée sur la
façade de la Tour des Pins une plaque de marbre, qui donne les dates
de la naissance et de la mort du conquistador^
BIBLIOGRAPHIE 179
des malheureux qui outrageaient la sépulture du libérateur de leurs
pères, de la nécessité d'obtenir l'autorisation administrative pour
réparer cet outrage, de Tindifiference de Théritière du grand homme.
Il est beau d'inscrire au fronton d'un monument « aux grands
hommes, la Patrie reconnaissante! » et Victor Hugo a eu raison de
consacrer, en vers harmonieux, le Panthéon à
Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie ;
mais de Sésostris à Jacques, que de héros ont été arrachés à l'éternel
repos par l'avidité, la haine ou simplement par une curiosité niaise !
Que de tombes saintes ont été insultées dans nos églises, simples pierres
portant un nom et une date, ou œuvres de l'art le plus exquis ! Mague-
lone a eu sa part de ces profanations sacrilèges. Heureuse l'Italie où,
malgré les révolutions sanglantes de ses républiques, les monuments ont
toujours été respectés, patrimoine que les générations se transmettent
avec une admiration pieuse ; où il paraît absurde de défigurer la
statue, pour se venger de celui dont elle conserve l'image ; de sorte
que les chefs-d'œuvre n'y ont souffert que des injures du temps qui
vieillit le marbre et le bronze, mais ne les détruit pas, les embellit
plutôt en les revêtant de l'inimitable patine qui en fait valoir le
modelé I Toute ville italienne est ainsi un musée.
En pensant aux évêques et aux seigneurs de la région qui reçurent
la sépulture à Maguelone, nous nous rappelons aussitôt les noms de
tous ces papes que M. Fabrège nous montre honorant la cathédrale
de leur visite paternelle. Urbain II» après avoir prêché à Clermont la
première croisade, s'arrête à Maguelone en juin 1096 S bénit l'île,
y célèbre la fête de saint Pierre, patron de l'église ; l'évêque Godfrid
qui l'avait accueilli part lui-même peu de temps après pour la Terre-
Sainte, y tombe malade et meurt près de Tripoli : son dernier acte
fut d'envoyer sa bénédiction à ses fidèles.
Nombreux furent^ pendant les croisades, les personnages illustres
qui, avant de partir, léguèrent une partie de leurs biens à l'Eglise de
Maguelone.
Les temps étaient durs pour la Papauté qui soutenait avec l'Empire
la guerre des investitures. Gélase II, dès le premier jour de son ponti-
ficat, est frappé, jeté en prison. L'empereur Henri V approchait,
(jélase et quelques-uns de ses partisans s'enfuient sous les flèches
des Allemands et ne rentrent à Rome que lorsque l'empereur en est
parti. Mais les Frangipani assaillent encore le malheureux pape qui
se résout à quitter Rome une seconde fois. Après avoir touché à Pise
' n venait de Toulouse, où il avait consacré la célèbre basilique de Saint-
Sernin.
180 BIBLIOGRAPHIE
et à Gênes, il débarque à Saint-Gilles où il est accueilli par la noblesse
de la contrée, puis il se rend à Maguelone. C'est là que le trouva un
envoyé du roi de France, le célèbre Suger *. Le pape prend quelque
repos et repart pour Cluny, où il meurt après un pontificat d^n an et
quatre jours, martyr des devoirs que lui imposait sa haute dignité.
Son successeur, Calixte II, allant au concile de Toulouse, s'arrête
également à Maguelone, en 1119.
Le 9 février 1155, c'est le roi de France, Louis VII, qui assiste à
Maguelone aux cérémonies du chapitre et déclare à l'évêque et à la
communauté qu'il prend sous sa protection tous les biens présents et
futurs de celte église.
Mais voici un Anglais, Nicolas Brakespeare, plus tard Adrien IV :
il est simple clerc à Mauguio, et c'est à titre d'hôte étranger qu'il est
reçu à Maguelone. Un grand nom clôt cette liste authentique de
visiteurs illustres. — Alexandre III, chassé dltalie par Frédéric
Barberousse et l'antipape Victor II, aborde à Maguelone, le 11 avril
1 162, avec une suite de cardinaux et d'évêques, consacre le maître*
autel, est reçu triomphalement à Montpellier par Guillem VII. Il
tient un concile à Montpellier, et demeure en France jusqu'à ce que
la mort de l'antipape le décide à revenir en Italie. C'est à Maguelone
qu'il s'embarqua dans des circonstances dramatiques : peu s'en fallut
qu'une flottille impériale ne s'emparât de sa personne ^.
11 est à présumer que d'autres papes vinrent aussi à Maguelone,
bien que nous n'en ayons pas de sûr témoignage : Nicolas IV, qui
érigea les Facultés de Montpellier en Studium générale; Clément V,
qui séjourna deux fois à Montpellier. D'autres avaient appartenu au
clergé ou aux écoles de Montpellier: Clément IV, qui, comme légat
du pape, conféra la licence en droit à la Salle-l'Evêque, Jean XXI,
ancien élève de l'Ecole de médecine, Urbain V, professeur pendant
vingt ans de droit canon à l'Ecole de droit.
Les papes aimaient cette petite île, sentinelle avancée sur la
Méditerranée de la France catholique, de la France en qui ils voyaient
un point d'appui contre les prétentions germaniques au gouvernement
de l'Eglise et de l'Italie. Ils se plaisaient à confirmer et à augmenter
* Ce voyage de Suger nous a valu une description de Maguelone : appli-
cuit Magalonam, arctam in pelago insulam, eut super est, solo episcopo,
ciericis et rara familia, contempta, singularis et privata^ muro tamen^
propter mare commeantium Sarrecenorum impetus, munitissima civitas,
Sugerii abbatis vita Ludovici Grossi, ap. Dom Bouquet, Historiens de la
France, t. XII, p. 46 ; Fabrège, I, p. 215.
2 Fabrège, I, p. 283.
BIBfiIOGRAPHIE 181
les privilèges d^un évêché et d*un chapitre dont Torthodoxie et la
fidélité aa Saint-Siège ne se démentirent jamais. Par les noms
d^hommes tels qu'Urbain II, Calizte II et Alexandre III, Thistoire de
Maguelone se rattache à l'histoire universelle, et je ne sais pas de
lieu où l'on éprouve un sentiment plus intense de ce que fut TEiirope
chrétienne au moyen âge : l'invasion barbare, la lutte avec l'Islam,
les croisades, leffort de la Papauté pour recouvrer son indépendance,
cette éclosion d'Universités à laquelle ont une part si belle les Ecoles
de Montpellier, sous le patronage de l'évoque de Maguelone ; et, à
côté de l'œuvre de TEpiscopat, celle desGuillems et de la bourgeoisie
laborieuse et intelligente de Montpellier. Dans le lointain d'abord, puis
se rapprochant tous les jours davantage : le roi de France.
L'histoire de Maguelone est bien un chapitre de notre histoire
nationale, et il méritait d^être écrit.
Tout en employant ses loisirs à composer l'histoire de Maguelone,
M. Fabrège a voulu faire encore davantage pour l'antique évêché et
pour Montpellier. 11 a décidé la publication du Cartulaire de Mague-
lone, recueil d'une valeur inestimable, comprenant des documents de
toute origine, qui a été constitué au XIV^ siècle. Cette publication,
confiée à la science et au dévouement de M. Berthelé, comprendra
quatorze ou quinze volumes in-4<*. Le nom de M. Berthelé nous est
une garantie que l'on trouvera dans cette œuvre de bénédictins le
plus précieux instrument de recherches et de travail.
Propriétaire de Maguelone, M. Fabrège croit qu'il a une dette
particuhère envers ce lieu vénérable: il ne pouvait l'acquitter avec
un plus généreux désintéressement ni donner un plus bel exemple
d'intelligent patriotisme.
Ferdinand Gastbts.
Schnchardt (H.). — Romanische etymolooien, II, WieUt 1899, in-8*
[222 p.]. (Extrait des Sitzungsberichte der kais. akademie der wissen-
s:haf'ten in Wien^ Philosophisch-historische classe^ band GXLI).
Reprenant dans la Grôbers Zeitschr., XXV, p. 244 sqq. un des
points de détail qu'il avait esquissés dans l'ouvrage dont nous allons
rendre compte, M. Schuchardtse plaint de n'avoir pas rencontré l'ac-
cueil qu'il méritait, et nous pensons en effet que certains ont traité son
étude avec trop de légèreté ou de désinvolture.
La métode employée dans ce second fascicule est la même que
dans le premier (voyez Revue des langues romanes, 1899, p. 564).
L'auteur commence par revenir sur cette métode pour la justifier, &
182 BIBUOGRÂPHIE
montre surtout combien il faut se défier des conclusions que Ton peut
être tenté de tirer des mots relativement aux choses, et qu^il est
indispensable de bien connaître les objets désignés par les mots et
l^istoire de Tapplication de ces mots à tels ou tels objets. C'est une
vérité que personne n'ignore, mais il faut bien avouer que la plupart
des chercheurs d*étimologies n'en ont qu'un médiocre souci.
A l'appui de sa téorie, M. Schuchardt revient tout d'abord sur
quelques étimologies dont il s'était occupé autrefois, et entre autres
sur celle du mot gilet, dont il rend l'origine, iurcjéleJCf désormais
indiscutable; puis il essaie d'établir celle du mot cloche, ou plus exac-
tement de lat. vulg. *clocca. C'est ici, à nos ieux, la pièce de résis-
tance, et nous i reviendrons tout à l'eure avec quelque détail.
Après cette première partie (53 pages), l'auteur étudie comme
application de la métode qu'il vient d'illustrer ainsi qu'il a été dit,
l'origine du mot fr. trouver et de ses frères romans. Il montre que
ft«r6ar€ pouvait devenir *iruhare, que truhare pouvait à&wemv *trohare
& même qu'un 'trçhare sortant de turbare pouvait devenir prov. iro-
bar ; il montre au point de vue sémantique comment tous les seas de
fr. trouver f it. trovare^ prov. trobar, lad. truvar ont pu sortir du sens
latin de turbare ; mais ce ne sont là que des possibilités et l'on ne peut
pas dire que l'étimologie turbare est démontrée. Puis, il reste une
ombre à l'orizon, c'est *tropare, qui au point de vue fonétique est
indiscutable. Sans doute cette forme schématique a contre elle que
son origine et par suite sa signification primitive seraient fort obscures,
et d'autre part qu'on ne voit pas bien quel besoin le roman aurait
éprouvé d'aller chercher dans un domaine étranger au latin un mot
pour exprimer l'idée de « trouver ». Mais ces arguments ne suffisent
pas pour écarter définitivement *tropare. Certainement tout ce qu'on
pouvait dire en faveur de turbare se trouve dans le travail de
M. Schuchardt; mais il n'aboutit pas à démontrer réellement son
ipotèse parce qu'elle n'est pas démontrable. Notre connaissance du
vocabulaire latin vulgaire a de grandes lacunes & *tropare n'est pas
condamnable par défaut. La conclusion à tirer de cette étude est, à
notre avis, la suivante : trouver sort de turbare, à moins que 'tropàre
n'ait existé. 11 conviendra de s'en tenir là jusqu'au jour où surgira
quelque argument nouveau en faveur de l'un des deux concurrents,
— mais on ne voit pas trop d'où cet argument pourrait sortir.
Revenons à 'clocca. C'est une recherche tout à fait analogue à la
plupart de celles que nous avons faites dans la troisième partie de
notre livre sur La dissimilation, et nous sommes très eureux de voir
que son auteur aboutit d'une manière générale aux mêmes résultats
que nous, bien qu'il n'ait pas connu notre travail (cf. p. 210) au
BIBLIOGRAPHIE ISS
moment où il a fait le sien. Son champ d'études n*est pas aussi vaste
que le nAtre en ce sens qu'il ne remonte pas aussi aut & ne s*étend
pas aussi loin, mais il est moins limité parce que M. Schuchardt
ajoute aux fénomènes de dissimilation, ceux d'assimilation et de
métatèse. Il n'expose aucune téorie, mais de Tordre même dans lequel
il présente les exemples, il serait facile de déduire celle qu'il possède
évidemment par devers lui.
Il signale tout d'abord la possibilité de tirer *clocca du verbe ono-
matopéique *cloccare^ en constatant à bon droit que cette explica-
tion est en somme satisfaisante ; mais il s'empresse d'ajouter qu'elle
n'est pas la seule possible, et il va s'efforcer de démontrer que * clocca
sort de cochlea. Il commence par dresser un tableau des formes
auxquelles pouvait donner naissance cochlea^ c'est-à-dire lat. vulg.
cocUa^ codia . Trois formes pouvaient en sortir directement : coda,
coMla, docia. De la première coda peuvent sortir directement cocula
& doca ; de cocula on peut tirer coca ; du mélange de cloca avec coda
sort docla ; du mélange de cocula avec coda sort codula ; du mé-
lange de cocula avec cloca sort clocula ; du mélange de codula avec
clocula sort doclula. De la seconde forme coJeila , sort directement
cocila, de cocila sort cocula ; de cocula on peut tirer coca ; d'autre
part cocula peut devenir par simple métatèse éocula ; enfin le même
cocula en se mélangeant avec la troisième forme docia peut donner
clocula. Ge tableau est irréprochable et nous pouvons le signaler
comme un modèle, mais un modèle qui ne peut servir que pour
les mots à redoublement, réel ou apparent. Il repose sur une série
de déductions rigoureuses qui répondent bien au développement
ordinaire des langues , quoiqu'elles paraissent légèrement en con-
tradiction avec ce que prétend démontrer M. Schuchardt : « wie
wenig aile Gesetze des Laut- und des Bedeutungswandels fiir die
geschichtliche Erklârung der Wôrter ausreichen » (p. 13). Ces
étemelles discussions sur les lois du langage sont surtout affaire
de mots et de définitions. La métatèse et l'assimilation obéissent
à des lois, tout comme la dissimilation ; seulement, ces lois, comme
toutes celles du langage, sont des possibilités; nous nous sommes
suffisamment étendu sur ce point dans notre Dissimilation, pour
qu'il n'i ait pas lieu d'i revenir ici.
Voilà donc les diverses formes auxquelles cochlea pouvait donner
naissance. On voudra bien remarquer tout d'abord que * clocca ne
figure pas dans le tableau, puis se poser cette question : ces for-
mes qui pouvaient sortir de cochlea en sont-elles effectivement
sorties? M. Schuchardt croit répondre suffisamment en montrant,
avec la profonde érudition et la richesse d'exemples qu'on lui connaît.
184 BIBLIOGRAPHIE
que chacune de ces formes est représentée dans les langues romanes
par des mots dont la signification n'est nullement incompatible avec
celle de cochlea. Le fait qu'un mot pourrait remonter à telle forme ne
prouve pas qu'il en descende réeliemeut ; fr. foin aurait pu sortir de
*foniu, si *foniu avait existé, mais il sort defênu. il i a donc une
lacune dans le raisonnement de notre auteur ; il en doit résulter
une certaine défiance, que l'examen du détail peut seul anéantir ou
confirmer.
La première forme examinée est * cocUiy avec son doublet * coccla,
qui n'en diffère que par la coupe des sillabes. 11 est incontestable
que * coda pouvait sortir de cochlea, mais le grec possédait xàj^oç,
Qu*est'Ce qui nous prouve que le latin vulgaire , dont le vocabulaire
nous est en grande partie inconnu, répétons-le, n'avait pas emprunté
ce mot au grec, et n'en avait pas tiré un féminin *cocla ? A côté de
de * cocla nous avons un autre doublet * caclu, * cacla, qui nous amène
au point repris .dans la Grohers Zeitschr., 1. 1. Cet échange d'à avec o
est une simple apofonie que M. Schuchardt signale avec raison à
plusieurs reprises^ au grand scandale, paraît-il, de quelques-uns de
ses lecteurs. Nous i avions déjà fait allusion en 1895 dans notre
Dissimilation , p. 170 sqq. et nous pouvons aujourdui renvoyer
pour ce qui la concerne à nos Onomatopées et mots expressifs, ci-
dessus pp. 100, 128, 146.11 s'agit d'établir l'origine de îv,chail, caillou
& de leurs congénères. On al'abitude de ne pas séparer ces deux mots,
et M. Schuchardt ne veut pas les séparer non plus, tout en concé-
dant qu'il n'i a rien qui empêche absolument de le faire. Mais il
Jes tire tous deux de cochlea, et ici nous avons des doutes. On
rapporte d'ordinaire chail à calculus , devenu par dissimilation
* caclu [La dissimilation, p. 60 sqq.) et chaille à son féminin " cacla ;
pourquoi pas? Pour tirer de * caclu ou * cacla, quelle qu'en soit l'ori-
gine, la forme caillou, il faut arriver à un dérivé * caclacu ou *ca^lagu ;
mais où est le modèle de ce dérivé? Où le latin avait-il un suffixe
'Ocu ou agu ? Le grec possède dans le même sens xa;^'À>jJ, c'est-à-dire
Xft;(>âf ; qu'est-ce qui prouve que le latin vulgaire n'avait pas pure-
ment et simplement emprunté ce mot ?
La plupart des formes considérées par M. Schuchardt pourraient
donner lieu à des observations du même genre. Nous nous contente-
rons de les avoir signalées pour la première forme.
A la troisième forme *clocta, l'auteur rattache vfr. cruche « coquille
de noix », cruise, &c.,et ail. krause « pot à boire», kràu8el,&c,, puis
à la cinquième forme, 'clocay fr. cruche « vase de terre ou de grès
d'une certaine forme », ags. crôg, &c. 11 i a là deux difficultés, l'une
relative au consonantisme, l'autre au vocalisme. On ne voit pas pour-
BIBLIOGRAPHIE 1 86
quoi des langaes romanes auxquelles le groupe cl est très familier
l'auraient dans ces mots remplacé par cr. S'ils n'étaient entrés dans
les langues romanes où on les trouve que par l'intermédiaire du ger-
manique, ce qui n'est pas l'opinion de M. Schuchardt, leur groupe
cr ne demanderait pas d'explication ; mais il faudrait alors montrer
pourquoi et comment les langues germaniques qui sont abituées au
groupe kl par leurs mots indigènes & qui le conservent intact dans
ceux qu'elles empruntent au latin (cf. p. ex. ail. klausé), l'auraient
changé en kr dans ces mots. D'autre part vfr. cruche « coquille de
noix » paraît accuser un il bien net que Ton ne peut pas rapporter
sans justification à Vo de 'clocia. Quant à Vu de l'autre mot cruche
« vase », qui ne fait aucune difficulté lorsqu'on tire ce mot de franciq. ,
V. sax. krûkay il surprend étrangement quand on veut remonter à
*cloca.A\\. krug, c'est-à-dire vha. kruoÇfChruoc et&ga.crôg supposent
une forme *krôgu- dont Vo ne peut pas être tiré de celui de *oloca, car un
* chca sortant de côchlea ne peut être que *cloca. Sans doute ce *krôgu'
est en germanique un emprunt; mais on ne voit pas bien ce qui peut
induire à s'adresser à lat. vulg. *cloC' alors qu'on a la forme deman-
dée hrôk- dans gr. xpû)(T(T(5ç « vase, urne » ^ * xpcox-coç . Non que
nous supposions que l'emprunt ait été fait parle germanique au grec ;
mais puisque ce krôk- existe en grec avec cette signification, il n'est
pas impossible qu'il ait été possédé aussi par quelque autre langue
indo-européenne où la tradition ne nous l'a pas livré, mais où le ger-
manique l'aurait pris.
Ceci nous ramène a *clocca. De cochlea pouvait sortir *clocaf mais
non 'clçcca. Si devant un l la duplication du c s'explique sans diffi-
culté, comme nous l'avons vu tout à l'eure à propos de *cocla, *coC'
c2a, il n'en est pas de même quand le c est intervocalique. Lorsqu'il
s'agit de *coca, *cocu devenant *coccaf *coccUy le voisinage de coccurriy
gr. xdxxoç, xoxxallioç, &c. suffit à justifier la seconde forme; mais
*cloca est isolé. Nous n'avons d'exemples sûrs de l'alternance d'une
occlusive simple avec une occlusive double, entre voyelles et après
l'accent, que ceux du tipe cûpa, cuppa ; c'est dire que *clocca pour-
rait correspondre à un plus ancien *clôca. Or nous avons *klôk-^ avec
une signification très satisfaisante pour le cas particulier, dans le
groupe gr. xXoxjow, got. hlahjan, hlôhy&gs. hleahtor.
Ce que nous opposons aux conclusions de M. Schuchardt, on
vient de le voir, ce sont plutôt des doutes que des faits. 11 n'est pas
arrivé à une démonstration, et nous ne pouvons pas lui opposer une
"^^oûstation contraire. Les questions soulevées sont par leur nature
'"eme indémontrables: nous n'avons pour retrouver l'origine de
18« BIBLIOGRAPHIE
*clocca que des indices plas ou moins ipotétiques et nous sommes
obligés de combler par des suppositions les lacunes d*un vocabulaire
en ruines. Les réserves que nous avons faites et les doutes que nous
avons émis, n'ôtent rien au mérite du livre de M. Schucbardt, l'un des
plus originaux qui aient paru depuis plusieurs années. La solution
des problèmes qu'il a posés est à proprement parler irréalisable, mais
à la poursuivre il a semé sa route d'observations utiles et de rappro-
chements suggestifs. Sans doute son étude sur trouver tourne à un
certain moment à un article sur Fis toi re de la pèche ; il n'est pas
nécessaire que Tétimologiste expose à son lecteur tous les détails de
ses recherches, quand leurs résultats pourraient suffire à Téclairer ;
maiat M. Schuchardt a montré comment on doit fouiller les questions
de sémantique. Il faut donc reconnaître, même en n'acceptant pas
ses conclusions, que son livre est très remarquable; aussi n'en sau-
rions nous trop recommander la lecture : tous i pourront profiter.
Maurice Grammont.
Paris (G.). — Ficatum en roman, 23 p. (Estratto dalla Miscellanea lin-
guistica in onore di G. Ascoli, Tori?io, E. Loescher^ 1901).
La dernière fois qu'il m'a été donné d'assister à une séance de la
Société de Linguistique, le 14 mars 1896, j'ai eu la bonne fortune d'i
entendre une communication de M. G. Paris sur les différentes formes
qui ont donné naissance au mot foie et à ses frères romans. Frappés
de la netteté et de la logique avec laquelle venait d'être exposée cette
question si difficile et si embrouillée, plusieurs d'entre nous engagèrent
vivement le maître en le quittant à publier les résultats de son étude.
Notre désir vient d'être satisfait. L^article que j'extrais des Miscellanea
linguistica en l'onneur de M. Ascoli est bien ce que nous avions
entendu, augmenté des développements et des justifications que ne
comportait pas une simple causerie.
M. Paris commence par établir les diverses formes qui sont repré-
sentées dans les langues romanes, à savoir : 1 fîcâtum, 2 ficatum,
d'où /ïciïwm (non représenté), d'où, ftctdum, à'oiifîdîcum, Sfëcàtum,
^fëcàtum, d'où fecîtum (non représenté), d'où fêtîcum &fêctdum (non
représenté), d'odfédîcurrk. Il explique avec une grande rigueur l'ori-
gine de chacune de ces formes en particulier, et le point capital et
véritablement neuf est ici l'étude de ce que devient l'accent grec
dans les mots empruntés par le latin. Les proparoxitons de la liste
précédente, où Ton avait trouvé jusqu'à présent une difficulté insur-
montable, sont désormais clairement expliqués.
BIBLIOGRAPHIE 187
Apres avoir étudié les formes, M. Paris cherche à établir leur
filiation. C'est une de ces questions, comme la plupart de celles qu'a
traitées M. Schuchardt dans le livre dont je rendais compte tout à
l'eare, où les points de repère nous manquent et où Tinconnu tient
tant de place, qu'on ne peut en définitive aboutir qu'à une ipotése,
ou à diverses ipotèses. La meilleure, c'est la plus vraisemblable. Voici
celle de l'auteur: ^uxurôv aurait donné en latin par traduction ficâtum,
mais 8y*cotum existait à côté de lui par emprunt pur et simple, et cette
dernière forme aurait réagi sur fîcâtum à diverses reprises de façon
a le transformer en fêcâtum d'une part, et d'autre part en fîcàtum et
fêcâtum, A côté de cette ipotèse M. G. Paris nous en offre une autre,
note 94 : M. L.Havet, qui a lu cette étude en épreuves, se représente
la filiation d'une autre manière. Pour lui aruxwrdv aurait donné ficÔtum
par simple mélange avec fîcua, et ce/îcdtum serait devenu par la suite
ftcâium et fîcïtum à cause de l'impression étrange que devait faire
à un Latin la finale -ôtum. Ficâtum serait postérieur et dû à une in-
fluence plus ou moins savante. Enfin les formes qui commencent par
/&- au lieu deytc-« pourraient être dues à un vague rapprochement avec
faex, à cause de la couleur lie de vin du foie ».
Il me semble qu'entre ces deux ipotèses il i a place pour une troi-
sième qui les combine dans une certaine mesure, mais en diffère nota-
blement. Elles se distinguent surtout Pune de l'autre en résumé en
ce que dans la première ficâtum est un point de départ et dans la
seconde un, aboutissement. La première n'est pas vraisemblable, parce
que du jour où fîcâtum existe en latin, il a un caractère tellement
latin et il est tellement transparent pour un Latin, qu'il reste inatta-
quable ; jamais une forme aussi singulière et d'aspect aussi étranger
que èécotum ne pourra agir sur lui de façon à faire remonter son
accent, a abréger sa seconde sillabe et même à changer son i en ê.
A plus forte raison ce ficâtum ne pourra pas devenir ficotum (p. 11),
c'est-à-dire sans doute ficotum, qui est une forme absolument barbare
pour un Latin. Il est probable que ces difficultés ont été senties par
M. Havet et que ce sont elles qui l'ont déterminé à renverser l'ordre
des facteurs ; mais dans l'ipotèse de ce dernier, il faut rejeter l'in-
fluence de/aeaf, qui est peu vraisemblable au point de vue sémantique
et inadmissible au point de vue fonétique, ae latin devenant è et non
pas é en roman. Cet é (é) est un représentant normal de gr. u ;
M. Paris l'a démontré, p. Il & 12. Dès lors ce second échafaudage
s'écroule, parce que les formes avec ê restent sans explication & que
ficâtum ou fîcïtum n'ont pas de raisons sérieuses de devenir fîcâtum,
A mon avis, il faut séparer nettement /tcà^um des. autres formes.
Ce ficâtum n'est qu'une traduction élénoent à. élément de aviunàv,
188 BIBLIOGRAPHIE
tout à fait comparable, quoique populaire sans doute dans une cer-
taine mesure, à celle qui a fait du latin pronomen Tallemand/ânoori.
Les autres formes constituent une série, dont nous ne saurions dire si
elle est antérieure ou postérieure, mais qui est à part. Jlvxanàv devait
devenir en latin, indépendamment de toute influence, * sëeoium; grâce
à ficus ce * sêcôtum devient instantanément * fëcotum comme crassus
devient grassus en se mélangeant avec grossus ; de ce * fëcotum sor-
tent tout naturellement fécàtum, fécttum, &c. C'était là une manière
d'éviter ce '' sêcôtum quMl fallait écarter à tout prix à cause de son
aspect extraordinaire ; mais on pouvait en sortir autrement. En effet,
dans d'autres régions, le même ficus vient se mélanger avec lui
d'une façon plus profonde, et lui donne aussi sa première voyelle
comme en italien porco a donné la sienne à sporco de spurcus. De là
ficëtum qui évolue de son côté comme * fëcotum pour devenir yïcâ^ttm,
ficttum, &c. 11 ne manque au tableau que fëcâtum, forme peu sûre
(cf. p. 3, & notes 31, 32, 33), et à laquelle, pour ma part, je ne crois
pas. Il est invraisemblable qu'un *fëcâtum ne soit pas devenu instan-
tanément ficôtum. Selon toute apparence c'est à une époque tardive
qxuefécato est devenu fecàto sous l'influence des nombreux mots en
^àto, comme l'indique M. Paris, note 33.
Maurice Grammont.
Marias Sopet, Origines catholiques du théâtre moderne, Paris, Lethiel-
leux, 1901, 8.
Le nouvel ouvrage de M. Marins Sepet : Origines catholiques du
théâtre moderne, est un recueil d'articles qui s'étagent depuis 1901
jusqu'en 1878, date où avait paru un recueil du même genre publié
par le même auteur : le Drame chrétien au moyen âge. Ce mode de
publication a des inconvénients faciles à constater: répétitions, la-
cunes, manque de proportion, contradictions même parfois ; mais ces
défauts sont fort atténués lorsque l'auteur, au lieu de réunir tardi-
vement sous un titre commun des études qui dans sa pensée avaient
été d'abord bien distinctes, s'est au contraire toujours proposé de faire
un livre, en a patiemment et dans toutes les occasions amassé les
matériaux, et ne manque guère qu'à fondre en un tout parfaitement
suivi ce qu'il a ainsi accumulé. Or tel est le cas de M. Sepet, qui,
depuis son Drame chrétien, et auparavant même, depuis son remar-
quable mémoire sur les Prophètes du Christ dans le théâtre du moyen
i\ge, était résolu à écrire, sous une forme ou sous une autre, le livre
qu'il nous donne actuellement.
Et ce livre, en effet, s'il n*est pas aussi complet que l'eût pu faire
BIBLIOGRAPHIE 189
son savant aateur, forme du moins un ensemble très net et très inté-
ressant. La première partie nous montre le théâtre du moyen âge
prenant naissance dans les drames liturgiques et les jeux scolaires,
dont certains spécimens caractéristiques sont ici étudiés avec un soin
extrême. — Dans la deuxième partie, nous voyons le mystère s'étendre,
en prenant de plus en plus la forme cyclique, depuis les premiers
drames, courts et raides, en langue vulgaire jusqu'à la Passion, longue
de trente quatre mille vers, d'Arnoul Gréban. Deux chapitres sont
consacrés aux jeux dramatiques de la Fête-Dieu et aux origines du
théâtre en Italie. — La Comédie est étudiée de façon plus brève. Mais
les origines en sont ingénieusement démêlées, et les destinées indi-
quées, dans trois chapitres sur la moralité, la sotie et la farce. — Et
enfin voici la Renaissance, à peine sensible dans les comédies chré-
tiennes de Marguerite de Navarre, puis ne faisant plus qu'une bien
faible part à l'art du moyen âge dans une tragédie latine de Jeanne
d'Arc et dans nos premières tragédies françaises.
Ce qui contribue à Tunité de Touvrage, ce sont les idées directrices
et les préoccupations constantes de Tauteur.
Pour M. Marins Sepet, Tétude littéraire des œuvres dramatiques ne
se sépare jamais d'une soigneuse enquête sur les conditions où elles
se sont produites, les acteurs — clercs ou laïques, bourgeois ou baso-
chiens — qui les ont représentées, la mise en scène qui les a enca-
drées. L'étude n'en devient pas seulement plus vivante ; c'est à cette
condition seulement qu'elle a chance d'être exacte.
Puis, à regarder ainsi, de tous les points de vue, les origines et le
développement de notre ancien théâtre, on gagne de saisir sans cesse
des ressemblances curieuses avec les origines et le développement du
théâtre grec, qui lui a d'ailleurs été si supérieur et qui en diffère à
tant d'égards.
Le caractère essentiellement catholique de notre théâtre sérieux, et
même, à l'origine du moins, de notre théâtre comique a aussi cons-
tamment préoccupé M. Sepet, qui l'a voulu marquer dans son titre. Et
peut-être l'a-t-il trop préoccupé en un endroit, s'il est vrai que l'étude
des pages 243 et suivantes sur un miracle de Notre-Dame intéresse
l'histoire du rosaire beaucoup plus que celle de Part driimatique. Mais
en général le livre gagne au zèle avec lequel l'auteur soutient une
thèse qui flatte aussi bien en lui le croyant que Pérudit.
Enfin, une autre thèse est chère à M. Sepet, qui y revient avec
prédilection : « Pour se délivrer de ses défauts, et pour développer
quelques-unes de ses aptitudes les plus hautes, le génie français avait
certainement besoin de l'étude des modèles de Pantiquité classique.
Mais il ne suit pas de là que la France, coutumière de pareils excès,
190 CHRONIQUE
ait eu raison de passer, au XVI^ siècle, d'une regrettable ignorance
de ces modèles à une imitation servile, et de délaisser une tradition
dont la fécondité est suffisamment démontrée par l'exemple de Sha-
kespeare. Les excès du mouvement de retour aux lettres antiques ne
doivent pas nous conduire à en nier l'utilité, mais cette utilité, le
besoin même qu'on avait de ce retour, ne doit pas nous amener non
plus à en justifier l'exagération, à en glorifier les folies. Les défauts
de Gréban peuvent excuser, mais non justifier Jodelle. » Si le livre
se termine par une étude sur les représentations d'Oberammergau et
sur de récents essais de théâtre populaire chrétien, c'est parce que
M. Sepet ne peut s'empêcher de rêver à ce qu'aurait dû devenir, sans
la brusque solution de continuité qui s'est produite au milieu du
XVI* siècle dans son histoire, notre art dramatique national, à ce que
peut-être il pourrait devenir encore. Et quant à notre ancienne comé-
die, si elle du moins s'est enfin épanouie dans l'œuvre éternellement
admirable de Molière, était-il besoin pour cela d'une aussi longue et
aussi indiscrète intervention de l'Italie comme de l'antiquité?
On voit sans doute par ce rapide aperçu, quel est l'intérêt du livre
de M. Sepet. Nous l'aurions voulu un peu différent, plus complet,
plus serré et plus méthodique; mais, « puisqu'il fallait qu'il fût tel ou
qu'il ne fût pas », remercions l'auteur de ne nous en avoir pas privés.
Eugène Rigal.
CHRONIQUE
Notre savant confrère, M. Maurice Grammont, vient de réunir
en un volume, récemment paru chez l'éditeur Bouillon (67, rue de
Richelieu, Paris), ses études sur le Patois de la Franche-Montagne
et en particulier de Damprickard [Douhs)^ précédemment communiquées
à la Société de linguistique et insérées dans ses Mémoires^ tomes
VII à XL
o o
Une oolleotion intéressante. — Une collection de volumes de
Philologie Romane paraîtra incessamment à la librairie Cari Win-
ter, à Heidelberg. La collection est publiée sous la direction de
M. W. Meyer-Lûbke. Elle sera divisée en trois séries : Grammaires,
Manuels d'histoire littéraire^ Lexiques. Dans la première série sont
annoncés les volumes suivants :
CHRONIQUE 191
Introduction à Vétude de la Philologie Romane^ par Meyer-Lûbke.
Mcamel d'ancien français^ par W. Cloëtta.
Manuel d^ ancien provençal^ par 0. Schultz* Gora.
Grammaire de Vanden français, par Meyer-Liibke, etc.
Dans la deuxième série paraîtront :
Manuel d'histoire littéraire de l'ancien français, par Philippe-Aug.
Becker.
Mcmuel d'histoire littéraire du XV^ siècle, avec grammaire et
chrestomathie, par M. F. Ed. Schneegans.
Manuel d'histoire de i'andenne littérature provençale, par M. V.
Crescini, etc.
Dans la troisième série enfin paraîtront :
Lexique de l'ancien français, par M. K. Warnke.
Lexique d'ancien provençal (différent du Supplement'W'ôrterhuch
actuellement en cours de publication), par notre collaborateur
M. Emil Levy.
o o
M. Salverda de Grave est nommé lecteur de Philologie Romane à
l'Université de Leyde.
o o
Le gouvernement allemand a décidé de créer dans les trois Uni-
versités de Berlin, Bonn, Marbourg, des chaires de professeurs
extraordinaires (professeurs adjoints) de français moderne. Le cours
sera fait en français par des professeurs nés dans des pays de langue
française. M. Bouvier, professeur à TUniversité de Genève, ancien
lecteur à l'Université de Berlin, a refusé lé poste de professeur qu'on
lai offrait dans cette dernière ville.
o o
Le premier dimanche dé mai, ont eu lieu, à Cologne, sous les aus-
pices de la Litterarische Gesellschaft, les Jeux floraux annuels. M. le
D' Fastenrath présidait la cérémonie où se sont fait entendre,
comme les années précédentes, de nombreux Minnesinger. Nous em-
pruntons au Kôlner Tageblatt du 6 et du 7 mai quelques détails sur
cette fête. La reine d'honneur des Jeux floraux était l'Infante Dona
Paz, épouse du prince Louis Ferdinand de Bavière ; la reine effec-
tive était M^^MiA Hbuser, apparentée par sa mère avec Cornélia, la
sœar de Goethe. Le Président des Jeux floraux a annoncé que le
Félibrige limousin avait fondé un prix à décerner Tannée prochaine
pour les villages de la Souabe où se parle un dialecte provençal. Le
Président du Félibrige limousin, M. J. Roux, avait envoyé une
adresse en vers limousins. D'autres adresses du même genre avaient
1 9t CHRONIQUE
été envoyées par les félibres Roque- Fkrribr, Julrs Roniat, etc..
On aura une idée de la vogue des Jeux floraux rhénans quand on
saura que le nombre des envois, qui était de 300 la première année
et de 500 la seconde, est montée cette année à 2.000, La Sainte
Estelle germanique a entendu le vœu classique crescant, Jloreant !
4»
4» 4»
Nous signalons à nos lecteurs de la Catalogne une série d*articles
publiés dans le Temps, sous la signature de M. Xavier de Ricard,
sur le Catalanisme et le mouvement CatalaniHe.
4»
o o
Le CoTuistoire félihréen, réuni en Arles le 21 avril, a donné nn
successeur au regretté capouîié Félix Gras. Les compétiteurs étaient
assez nombreux. Parmi les vétérans du félihrige, A. Tavan a refusé
de laisser porter sa candidature. Quelques félibres languedociens
ont compté leurs voix sur le nom d'un des plus sympathiques félibres
du Languedoc, M. A. Arnavielle, collaborateur de notre Revue; ils
estimaient^ peut-être avec quelque raison, que le Languedoc a assez
fait pour la renaissance des lettres méridionales, pour avoir au moins
une fois son capouîié, La majorité du Consistoire n'a pas partagé ces
vues et son choix s'est porté sur M. Pierre Dévoluy, auteur de
poésies françaises, publiées dans la Revue Blanche, de nombreuses
poésies provençales, les unes et les autres d'une très belle allure, et
d'une Histoire de Provence encore manuscrite. Le nouveau capouîié
fera ses premières déclarations aux fêtes de Pau (27-28 mai) où la
Société des Langues romanes sera représentée par son président,
M. Paul Chassary.
o
o o
Erratum. — Tome XLIII, p. 473, lig. 12 (dans l'article de M. Ri-
gal, sur « Le Glaive » de Victor Hugo, lire : « Ce qui semble bien
indiquer que la légende do l'ascension dans les airs ne s'est pas
formée...., c'est que.... »
Le Gérant responsable : P. Hamblin.
VOLTAIRE ET L'ABBÉ ASSELIN
UNB « PRBMlàRB » OBLàBRB AU COLLteB d'HÂRCÛURT
La Mort de Gésar, représentée le 11 août 1755
I
A Gaillaume Dagoumer \ qui avait habilement administré
pendant dix-sept ans le collège d'Harcourt ', en qaalité de
1 G. Dagoumer se retira, en 1730, à Gourbevoie, où il mourut à qua-
tre-yingt-cinq ans, le 15 avril 1745. On lit dans son épitaphe (voir
Lebeuf, Hist, du Dioc, de Paris, tome VII, p. 110) : c Natione Norman-
nus (il était, dit-on, de Pont-Audemer) professione et ingenio nobili
philosopbus... Uniyersitatis Parîsiensis non semel Rector et Yindex
acerrimus, GoUegii Harcuriani provisor beneficus... » Grandement
apprécié dans TUniversité, nous dit Thistorien du Collège d'Harcourt,
6. Dagoumer n'avait qu'un petit défaut, c II ne se contentait pas d'admi-
rer les vers latins de son professeur de rhétorique, Bénigne Grenan,
sur le vin de Bourgogne, il appréciait un peu trop, dit-on, le crû lui-
même. Un soir, en rentrant chez lui après un bon dîner, il fut obligé de
s'arrêter auprès de la fontaine Saint-Séyerin, qui portait alors ce dis-
tique de Santeul :
Dum scandunt juga montis anhelo pectore Nymphœ,
Hic una e sociis, vallis amore, sedet.
Dagoumer, croyant que Teau qui ne cessait de couler de la fontaine
^tait son fait, ne quittait plus la place, en sorte qu'un ami dut Tayertir
de son erreur. » Voir Mgr Bouquet : L'ancien Collège d'Harcourt et le
lycée Saint-Louis, Paris 1891, p. 358. Cf. Dict de Ladvocat ; Le Sage :
OU Blai, liy. IV, ch. 6, et la Biographie générale, tome XII.
* Le collège d'Harcourt, fondé en 1280, par Raoul d'Harcourt, était
destiné tout particulièrement aux pauvres étudiants normands. Sur
▼ingt-huit écoliers pauvres, étudiants en Arts et en Philosophie, il devait
y en avoir quatre du diocèse de Goutances, quatre du diocèse de Bayeux,
quatre du diocèse d'Evreux et quatre du diocèse de Rouen. Et sur les
douze pauvres écoli^s, soit déjà gradués, soit simplement étudiants de
U Faculté de Théologie, deux devaient être du diocèse de Goutances,'
XLVi. — Mai-Juin 1901. 13
194 VOLTAIRE ET l'aBBÉ ASSEUN
proviseur, saecédait, en 1730, Thomas Gilles Asselin ^, né à
Vire, an diocèse de Bajeux, le 21 décembre 1684. L*abbé
Asselin^ docteur en Sorbonne, était connu des lettrés de son
temps par les succès poétiques qu*0 avait obtenus au Palinod
de Caen, aux Jeux Floraux, à TAcadémie Française, et sur-
tout par Tamitié dont Tavait honoré Thomas Corneille.
En 1701, encore étudiant, Asselin remporta le prix de la
Ballade au Palinod de Caen. Aux Jeux Floraux, il ne fut pas
couronné moins de cinq fois en trois ans, la première fois en
1710, pour un poème sur la Vérité, en 1711, pour un poème
sur Pétat de F Hommes et surtout pour une idjlle assez tou-
chante sur la mort de Paléman (traduisez sur la mort de Tho-
mas Corneille)^ et, en 1713, deux fois également pour une ode
sur le mépris de la Fortune et pour une E pitre au roi Louis
X/ F. A l'Académie Française, il avait obtenu, en 1709, le
prix de poésie pour une ode sur le roi Louis XIV protecteur
des beaux-arts au milieu de la guerre.
Toutes ces pièces « couronnées » ont été réunies par
Asselin, en 1725, à la suite de son Poème sur la Religion et
de son Discours (en prose) pour disposer les déistes à r examen
de la vérité *.
deux du diocèse de Bayeux, deux du diocèse d'Evreux et deux du diocèse
de Rouen. — Ajoutons c[ue beaucoup de professeurs de ce collège
étaient Normands, et que, dans la liste des proTiseurs du collège d'Har-
court, liste qui va de 1280 à 1793, trente sur trente-trois sont Nor-
mands. Les trois autres, dont le lieu d'origine n'est pas indiqué, devaient
être Normands, eux aussi. (Voir Mgr Bouquet, op, ciV., p. 592.)
' La plupart des Dictionnaires biographiques et Mgr Bouquet [op, cit,)
font naître Asselin le 31 décembre 1682. Nous avons relevé son acte de
baptême, à Vire. Thomas-Gilles (et non pas Gilles-Thomas) Asselin a
été baptisé, en Téglise de Notre-Dame, le 22 décembre 1684, et dans
l'acte de baptême on lit: « né le jour d'hier. » — C'était le fils d'un
maître apothicaire. — Sur une attestation de prix de thème latin,
décerné par Asselin en 1740, {penès nos) on lit : Thomas-zEgidius Asse-
iin. — M. Jules Finot (Voir les Mémoires de l'Académie de Gaeny 1883)
attribue, à tort selon nous, à l'abbé Asselin une assez longue corres-
pondance (de 1752 à 1754) avec Stanislas, roi de Pologne. Certains
détails que nous avons relevés dans ces lettres nous empêchent de
croire que le correspondant du roi Stanislas fût Thomas Asselin.
* Paris, chez F. G. L'Hermitte M. DCG. XXV, sans nom d'aat6ur«
In-8o, 151 pages.
VOLTAIRE ET l'ABBÉ ASSELIN 195
Le Poème sur la Religion * est dédié à son Altesse sérénis-
sime le comte de Clertnont. « C'était moins, nous dira Asse-
lin, une apologie expresse de la Religion qu'une exposition
simple de son établissement. » L'auteur du Poème sur la Reli-
gion n'était pas de taille à lutter contre « les incrédules du
temps. » 11 avait beau leur dire, dans une assez belle compa-
raison:
Tel qu'un arbre planté sur la rive des eaux
Elève vers le Ciel ses superbes rameaux ;
11 porte en sa fraîcheur des feuilles toujours vertes ;
De fruits dans la saison ses branches sont couvertes,
Et sa cime immobile, ombrageant les vallons,
Brave les vains assauts des fougueux Aquilons,
Telle TEglise croit, s'étend, se multiplie.
le poète en était réduit à se lamenter :
« Qu'une Religion qui ne peut ôtre que divine et qui est en môme
temps si consolante, si conforme à Tétat présent de Thomme et si
proportionnée à ses véritables besoins, trouvât si peu de créance parmi
ces prétendus philosophes, qu'on nomme Déistes, »
Si, comme il est probable, Asselinn'a converti aucun déiste,
nous croyons quMl a conquis tous les suffrages par ses plaintes
touchantes sur la mort de Thomas Corneille. <x L honneur qu'il
me faisait^ nous dira-t-il, en parlant du frère de Tauteur du Cu>,
de me regarder comme son élève^ m'a toujours laissé un tendre
souvenir de ses bontés pour moi, et je satisfais les plus sincères
sentiments de mon cœur en donnant cette marque de recon-
naissance à sa mémoire. » En lisant avec attention la Mort de
Palémonj nous voyons qu'Asselin, jeune encore, avait trouvé
en Thomas Corneille le guide le plus sûr pour son esprit et
pour son cœur.
Quelques passages de cette idylle sont à citer :
Le berger Lycidas dit à son ami Tircis (Asselin) :
De Palémon (Th. Corneille) pour toi j'ai connu la tendresse ;
Ses leçons dans son art ont formé ta jeunesse :
^ Celui de Louis Racine, beaucoup plus important, est de 1742.
196 VOLTAIRE ET l'aBBÉ ASSELIN
A toi seul (quel berger n'en parut point jaloux?)
A toi seul il fit part de ses chants les plus doux.
Et Tircis, à son tour, nous dira :
Il a plus fait pour moi, tu l'as vu sans envie :
C'est à lui que je dois le calme de ma vie.
Au milieu des périls de la jeune saison.
C'est lui dont les conseils ont sauvé ma raison.
Cent Bergers me disoi^nt, trompés par kurs désirs,
Qu'en vivant sans amour, on vivoit sans plaisirs.
L'exemple et les discours tendoient à me séduire :
Mais je crus Palémon qui prit soin de m 'instruire,
Et fuyant un lien dans nos champs si vanté.
Au rang des plus grands biens j'ai mis la liberté...
Les deux Bergers poursuivent l'éloge de leur maître et ami :
Instruit par les conseils d'un si sage Berger (dit Lycidas)
Quel cœur eût pu, Tircis, ne se pas dégager?
Avec lui la vertu n'avoit rien de sauvage.
De nos plus doux plaisirs il permettoit l'usage ;
Lui-même aimoit nos jeux : avec toi dans nos bois
Souvent à nos concerts il a mêlé sa voix.
Quelle voix chantoit mieux Ariane abusée.
Attestant les serments du parjure Thésée?
Je crois l'entendre encor. Les amoureux zéphirs
Dans les forêts alors retenoient leurs soupirs ;
Dé leur palais humide, à ses chants attentives.
Les Nayades en foule accouroient sur les rives ;
Les flots qu'il suspendoit craignoient de s'agiter.
Les échos écoutoient, et n'osoient répéter.
Tircis
C'était dans ses vallons, qu'au retour de l'Aurore,
Quand les près déployoient les richesses de Flore,
Nous venions partager un champêtre plaisir,
Et chanter la douceur de notre heureux loisir,
Là, tandis qu'à leur gré, sur le bord des fontaines.
Les Zéphirs agitoient leurs ombres incertaines.
Qu'à l'envi dans nos bois remplis des plus doux sons,
Les oiseaux attendris soupiroient leurs chansons.
Assis prôs du cristal d'une onde vive et pure.
VOLTAIRE ET l'aBBÊ ASSEUN 197
Nous n'étions jamais las d*admirer la nature.
Momens, que m'offre encore un tendre souvenir,
Etes- vous écoulés pour ne plus revenir?
Enfin, croyant consoler Tircis, Lycidaslui dit que Philémon
(La Motte) a succédé à Palémon (Th. Corneille) ; mais Tircis
n'a qu'un désir, emprunter à La Motte, qui vient de compo-
ser une ode intitulée la Descente aux Enfers, les n charmants
accords » de sa Ijre pour ramener à la lumière du jour
Thomas Corneille...., ou rester avec lui dans les sombres
royaumes :
J'irois, (dit-il) des Destins forçant la dure loi,
Te rendre à la lumière ou la perdre avec toi.
Tircis -Asselin ne descendit pas aux Enfers : il resta sur
terre pour chanter deux années plus tard (1713) Louis XIV,
Tel qu'un rocher, tranquille au milieu de Torage,
et pour envoyer à une jeune personne qui entrait dans le
monde les plus sages conseils :
... Je ne condamne pas un innocent commerce
Dont on se fait un jeu, qui plaît sans engager ;
Mais certain enjoûmeut où notre esprit s'exerce
N'est jamais sans danger.
De l'esprit jusqu'au cœur, le chemin est facile;
Bientôt l'idée en nous se change en sentiment;
Et souvent, pour troubler le sort le plus tranquille,
11 ne faut qu'un moment.
Dans les tendres douceurs de ce trouble agréable.
Des charmes qu'il permet d'abord on est ravi,
Mais, Sophie, apprenez l'effet inévitable
Dont il sera suivi.
Assise sur les fleurs que la simple Nature
Etale aux bords riants d'un ruisseau clair et frais,
Avez- vous quelquefois au fond de l'onde pure
Contemplé vos attraits ?
C'est une autre vous-même, aussi belle, aussi vive.
Mais lorsque du cristal se. trouble le repos>
19S VOLTAIRE ET L'âBBÊ ASSEUN
De ces appms â doux Unsage fogithre
Périt an sein des flots.
Là, des faibles hninaînH tous vojei on exemple
Qu'une ^lemre sensible a toigonrs confinné :
Aisément lliomme en soi soi-même se eontemple,
Quand son cœor est calmé.
lorsqu'il perd la paix, la paix, ce don suprême,
Sans qui les autres biens sont'pour loi siqierflus,
Vainement il se cbercbe, et ses yeux en lui-même
Ne se retrouvent plus.
0 Sophie, à jamais ignorez ces allarmes,
Et, pour que vos beaux jours ne soient point combattus,
Egalez, s'il se peut, à Féclat de vos charmes
Celui de vos v^tus.
Ces stances ne sont pas sans agrément : iontefois, j'incline
à penser que c'est moins à ses talents poétiques qu'à ses
qualités d'humaniste et à ses aptitudes pédagogiques qu'As-
selindut d*être élu, en 1730, proviseur du Collège d'Harcourt,
fonctions importantes qu'il garda jusqu'en 1762, époque où
il fut remplacé par Nicolas Louvel, de Granville '.
Tout ce que nous savons de son long provisorat^ (trente-
deux ans !), c'est qu'au moment où Asselin entrait en fonctions,
le jeune Diderot quittait le Collège d'Harcourt, très regretté
de ses camarades, dont il faisait complaisamment les devoirs,
surtout les vers latins, et particulièrement du jeune de Bernis
(depuis cardinal) qui, aussi pauvre que le fils du coutelier de
Langres, allait diner avec lui, les jours de congé, à six sous par
tête, dans un méchant cabaret de la rue de la Harpe; nous
savons encore qu'Asselin dut un jour intervenir, pour faire
rétablir les feux d'artifice que M* Pourchot , procureur-
syndic de la Faculté des Arts, avait fait interdire dans les
collèges de Paris ; — qu'il vit établir, en 1747, le con-
cours général entre les élèves de rhétorique, de seconde
1 Asselin se retira à Issy, où il mourut le il octobre, en 1767, à Tâge
de quatre-vingt-trois ans.
• Voir Mgr Bouquet, op. cit., p. 376 et suiv.
VOLTAIRE ET l'aBBÉ ASSELIN 199
et de troisième des grands collèges ; — qu^en 1750, ce fut un
élève du collège d'Harcourt, Louis Ame^ de Goutances, qui
obtint le prix d'honneur; qu'enfin, ce prix fut trois fois
encore remporté, sous le provisorat d'Asselin, en 1753, par
Seignelaj-Colbert, de Castle-Hill; en 1756, par La Harpe,
et en 1757, de nouveau par La Harpe , en qualité de vété-
ran ^
II
L'événement le plus considérable du provisorat d'Asselin
eut lieu en 1735.
Jasque-là, au Collège d'Harcourt, comme dans les autres
grands collèges de Paris, l'éclat des distributions de prix
était rehaussé par une représentation dramatique, souvent
accompagnée d'un ballet. Bien entendu, aucune danseuse ne
figurait dans les ballets, et, dans les tragédies, les person-
nages de femmes, ^ quand il y en avait — étaient, jusqu'à
ce qu'on les supprimât tout à fait ', tenus par les collégiens.
* En 1748. Seconde, i«'ppix de thème latin: de Mac-Mahon, Irlandais.
En 1753, Troisième, 1" prix de thème latin : La Harpe.
En 1755, Seconde, 1«' prix de vers latins : La Harpe.
— !•' prix de version latine : La Harpe.
En 1756, Rhétorique, 2* prix de vers latins : La Harpe.
— — 1*' prix de version grecque : La Harpe.
En 1757, Rhétorique, !•' prix de dise. fr. (vétérans) : La Harpe.
— — 2e prix de version grecque (vét.) : La Harpe.
En 1760, Troisième, i«' prix de version latine :Dupuis (le futur auteur
de l'Origine des Cultes.)
— — 2« prix de version grecque : Dupuis.
(Dupuis devait obtenir le prix d'honneur en 1763.)
* Dans Boèce (1682, le personnage d'Amalazonthe, fille de Théodoric,
était tenu par Bernard Joisel de Mouy, de Paris ; celui de Rusticienne,
femme de Boèce, par Jacques de Viennois, de Grenoble. — Dans Sédé-
cias (1697) pas de personnages de femmes. — Dans Joas (1716) Athalie
est remplacée par son frère Achab. — Dans Aàsalon (1723) pas de
femme.
200 VOLTAIRE ET l'âBBÉ ASSEUN
En 1680, sous le provisorat de Jean Le François S on repré-
senta Polyeucte, qui fat snivi d*an ballet, dont le sujet était :
Le combat de V Amour divin et de V Amour profane, a II fallait,
a dit justement Fauteur de la Comédie au Collège ^, une cer-
taine imagination pour trouver là des motifs de danse. »
En 1682, Boèce martyr (auteur inconnu), suivi d'un ballet
en quatre parties ;
En 1684, Thomas Morus (auteur inconnu),
En 1685, Romulus fauteur inconnu). Parmi les acteurs, on
remarque les jeunes Omer Talon, Joly de Fleurj et Charles
Perrault'. Un ballet — Le Triomphe de la Modération — suivit
cette pièce, a II paraît que le jeune Omer Talon était un dan-
seur distingué, car le programme a bien soin de mettre en
vedette ces mots : Omer Talon dansera * ; »
En 1688, Amalius (auteur inconnu) ;
En 1689, A/ane-iS/t<ar(/ (auteur inconnu) ;
En 1697 Sédécias (auteur inconnu), tragédie en trois actes,
avec des chœurs mis en musique par le compositeur Bousset ;
En 1712^ Saûl, ou Nombre de Samuel, par le professeur
Josset, avec chœurs mis en musique par le compositeur Bous-
sard ;
En 1713, Athalie, avec prologue en vers latins par Bénigne
Grenan, Tauteur fameux de VOde en l'honneur du vin de Bour-
gogne ; »
ï Jean Le François, né à Sainte-Marie-Laumont, près Vire ; il rem-
plaça Thomas Fortin, grâce à qui les Lettres provinciales furent impri-
mées clandestinement au Collège d'Harcourt. C'est aussi sous Tadminis-
tration de Fortin que fut inaugurée, au Collège d'Harcourt, la première
fête imiversitaire consacrée à Saint-Charlemagne. (Voir Mgr Bouquet,
op, cit., p. 310.)
• M. Boysse.
3 Le jeune Perrault d'Armancourt, à qui Ton attribue les Contes de
ma mère COye,
^ Mgr Bouquet, op. cit., p. 318.
** En voici les premiers vers :
Testa, Burgundo gravidam liqnore,
Quam Jocus circumvolat et nitenti
Sanitas vultu rabicunda, et insons
Risus, Amorque,
Te canam
VOLTAIRE ET l'aBBÉ ASSELIN 201
En 1716, yoa« (auteur inconnu), adaptation de VAlhalie de
Racine, u pour se conformer aux lois de l'Université qui
excluait de ses théâtres les personnages de femmes ; »
En 1723, Absalon, de Duché. Parmi les acteurs se ût re-
marquer le jeune de Pardailhan de Gondrin.
Comment l'abbé Asselin fut-il amené, en 1735, à corres-
pondre avec Voltaire et à lui demander l'autorisation de faire
jouer par les élèves du Collège d'Harcourt la Mort de César^
tragédie imitée de Shakespeare, que Tauteur de Zaïre avait
esquissée pendant son séjour en Angleterre, et qu'il avait
terminée en France en 1731 ? Asselin avait, très vraisembla-
blement, fait hommage de son Poème sur la Religion à Vol-
taire, et Voltaire, quoique déiste et déjà très fervent apôtre
de la religion naturelle, aurait répondu à Tabbé poète par un
compliment banal ne rengageant à rien. Quoi qu'il en soit»
au commencement du mois de mai 1735, Asselin a dû écrire
à Voltaire* pour lui demander une tragédie qui pût être jouée
par ses élèves. Voltaire, en effet, lui répondit :
A Monsieur Asselin, proviseur du Collège (THarcourt
Mai,
En me parlant de tragédie, Monsieur, vous réveillez en moi une
idée que j*ai depuis longtemps de vous présenter la Mort de César,
pièce de ma façon, toute propre pour un Collège où Ton n'admet
point de femmes sur le théâtre. La pièce n'a que trois actes, mais
c'est de tous mes ouvrages celui dont j'ai le plus travaillé la versi-
fication. Je m'y suis proposé pour modèle votre illustre compatriote,
et j'ai fait ce que j'ai pu pour imiter de loin
La main qui crayonna
L'âme du grand Pompée et l'esprit de Ginna.
Il est vrai que c^esl un peu la grenouille qui s'enfle pour être aussi
grosse que le bœuf; mais enfin je vous offre ce que j'ai. 11 y a une
dernière scène à refondre, et, sans cela, il y a longtemps que je vous
aurais fait la proposition
Adieu, Monsieur, comptez sur l'amitié, sur l'estime, sur la recon-
naissance de V. Point de cérémonie ; je suis quaker avec mes amis.
Signez-moi un A.
' Voltaire était alors à Girey, chez la marquise du Ghâtelet.
20 2 VOLTAIRE ET l'ABBE ASSELIN
Asselin et le professeur de rhétorique durent mettre immé-
diatement la pièce en répétition. Impatient, Voltaire écrivait
au proviseur d*Harcourt dès le 24 mai :
Que devient Jules César, Monsieur? Je voas réitère mes remer-
ciements de Thonneur que vous voulez bien lui faire, et mes prières
d*empêcher qu*on n'en prenne copie et que Fouvrage ne devienne
public...,.
La pièce fut représentée le 11 août 1735, à la distribatîon
solennelle des prix. Elle obtint le plus grand succès, et fut
accueillie parles applaudissements ré pétés des grands seigneurs
de la Cour et des personnages les plus distingués de la société
parisienne.
Nous n'avons pas ici à faire l'analyse de cette pièce bien
connue ; nous n'avons pas non plus à la juger. Aux éloges
dithyrambiques de La Harpe (Une foule de scènes de premier
ordre style proportionné au sujet et aux personnages,
presque toujours sublime ou par la pensée ou par Tex-
prossion ), contentons-nous d'opposer les dernières lignes
(ie la comparaison que Villemain, dans son Tableau de la Litté-
rature au XVI 11^ siècle, a établie entre Toeuvre de Shakespeare
et celle de Voltaire :
a Ce n'est donc pas un diamant brut que Voltaire a taillé,
un essai barbare dont il a fait sortir un chef-d'œuvre. Il a sans
doute ajouté quelques traits éclatants à son modèle ; mais il
n'égala point, dans cette scène (la dernière) la gradation
habile et véhémente de Shakespeare, ni surtout ce dialogue
de l'orateur (Antoine) et de la foule^ ce concert admirable des
ruses de l'art et du tumulte des passions populaires.
Qu'après ce beau mouvement :
Dieux ! son sang coule encore !
Antoine s'écrie:
Il demande vengeance
Il l'attend de vos mains et de votre vaillance.
Entendez-vous sa voix? Éveillez-vous Romains !
Marchez, suivez-moi tous contre ses assassins :
Ce sont là les honneurs qu'à César on doit rendre.
Des brandons du bûcher qui va le mettre en cendre
VOLTAIRE ET L ABBE ASSELIN 203
Embrasons les palais de ces fiers conjurés :
Enfonçons dans leur sein nos bras désespérés.
Ce sont là d'assez beaux vers, mais un discours comme tant
d'autres. Combien plus originale, dans Shakespeare, cette
hypocrite modération d'Antoine, qui fait éclater des cris de
mort sans en proférer aucun, et qui précipite ce peuple qu'elle
a l'air de retenir!
Voltaire n'a donc pas corrigé Shakespeare comme on le
disait. Peut-être même, dans l'impatience de son goût délicat
et moqueur, n'en a-t-il pas senti toutes les beautés, du moins
ne les a-t-il pas reproduites. Toutefois cette étude fortifia son
génie. Il j puisa quelque chose de ces grands effets du théâtre,
de cette manière éloquente et passionnée qui animent ses
drames et en font un grand poète après Racine. »
Ce jugement de Villemain nous semble définitif, aujourd'hui
que nous connaissons Shakespeare. En 1735, on savait gré à
Voltaire d'avoir a nettoyé», j'allais dire «décrassé » le grand
poète anglais qu'on ne connaissait pas, mais qu'on traitait
sans façon de «barbare de génie». «Shakespeare, disait
l'abbé de Lamare, dans V Avertissement de t* édition de la Mort
de César de 1736, père de la tragédie anglaise, est aussi le
père delà barbarie qui j règne. Son génie sublime, «ans culture
et sans goût^ a fait un cahos du théâtre qu'il a créé. »
Voltaire, lui-même, dans aa, Préface^ qu'on a attribuée à tort
à l'abbé de Lamare, nous dira : « Shakespeare était un grand
génie, mais il vivait dans un temps grossier; et Ton retrouve
dans ses pièces la grossièreté de ce temps beaucoup plus que
le génie de l'auteur. M. de Voltaire, au lieu de traduire l'ou-
vrage MONSTRUEUX de Shakespeare, composa, dans le goût
anglais, ce Jules César ^ que nous donnons au public ^ »
11 est vraisemblable, ou plutôt il est certain que le public
choisi du Collège d'Harcourt pensait comme Voltaire, et
trouvait que le poète français avait corrigé et perfectionné
son modèle.
1 En envoyant à Cideville la dernière scène de la Mort de César ^
Voltaire ne se gênait pas pour dire : « Shakespeare, le Corneille de
Londies^ grand fou (Tailleurs et ressemblant plus à Gilles qu'à Corneille. »
Il est vrai qa'il ajoutait aussi : « Mais il a des morceaux admirables, >
204 VOLTAIRE ET L'aBBÉ ASSELIN
Mais ce que nous devons surtout retenir de F A ver^mem^ni de
Tabbé de Lamare et de la Préface de Voltaire, c'est que si réel-
lement la Mort de César fut représentée pour la première fois
en public au Collège d'Harcourt, cette pièce avait été jouée
quelques années auparavant, mais en petit comité, à l'hôtel
de Sassenage, et « très bien exécutée», paraît-il. Nous
ap[)renons également que « la scène imitée de Shakespeare,
dans laquelle Antoine monte à la tribune aux harangues pour
faire voir au peuple la robe sanglante de César, ne put être
représentée, à Thôtel de Sassenage, à cause du petit espace
du théâtre, qui suffisait à peine au petit nombre d'acteurs
qui jouent dans cette pièce. »
«
Cette magnifique scène fut-elle jouée au Collège d'Har-
court? Dans sa lettre à l'abbé Asselin, datée de Cirey, le 24
octobre 1735, Voltaire lui dira :
M. Demoulin, Monsieur, a dû vous remettre un papier qui con-
tient la dernière scène de Jules César, telle que je Tai traduite de
Shakespeare. Je ne vous en donnai qu'une partie^ parce que j'avais
supprimé pour votre théâtre Vassassinat de Brutus. Je n avais osé être
ni Romain, ni Anglais à Paris.
D'après cette lettre, la dernière scène de la Mort de César
n'aurait pas et î donnée, du moins en entier, au Collège d'Har-
court.
Cependant le Mercure d'octobre 1735, après avoir analysé
la pièce, cite quelques vers du discours d'Antoine, entre
autres les quatre derniers de la tragédie :
... Ne laissons pas leur fureur inutile.
Précipitons ce peuple inconstant et facile,
Que la guerre commence S et, sans rien ménager,
Succédons à César, en courant le venger.
Puis il dit :
C'est ainsi que finit cette pièce, digne des applaudissements
qu'elle a eus sur le théâtre et qu'elle aura dans le public. »
1 On lit dans les éditions de Voltaire : Entraînons-le à la guerre
VOLTAIRE ET l'aBBÉ ÀSSELIN 205
Gomment accorder Voltaire et le rédacteur du Mercure * ?
Quoi quMl en soit, la Mort de César obtint, comme nous
Tavons dit, le plus grand succès sur le théâtre du Coliôge
d'Harcourt. « Cette pièce, dit Tabbé de Lamare, fut donnée
par les pensionnaires de ce collège avec une intelligence et
une dignité peu ordinaire à Tâge des acteurs. »
Le Mercure de France^ fut très élogieux ;
« Le jeudy 11 du mois d'août dernier, on présenta sur le théâtre
du Collège d'Harcourt, pour la distribution des prix, la Mort de César,
tragédie nouvelle de M. de Voltaire. 11 y eut à cette représentation
un grand concours de personnes de la première distinction, attirées
par la nouveauté de la pièce, et plus encore par la réputation de son
autheur. On peut dire que rassemblée fut également satisfaite et de
la beauté de cet ouvrage et de la manière dont les acteurs s'acquittè-
rent de leurs personnages. Les princi[)aux rôles étaient au nombre de
six, M. Bernard faisoit celui de César, M. de Léria de Berwick celui
à' Antoine ; Brutus îwi représenté par M. de la Rivière, Cassius par
M. de Paris, Cimber par M. S. Simon de Sandricourt, et Dolahella
par M. de Bérulle. On fut extrêmement content de tous ces messieurs;
mais MM. Bernard et de la Rivière s y distinguèrent d'une manière
particulière, et tout le monde convient qu'ils y atteignirent la perfec-
tion de Part, non comme des écoliers, mais comme les acteurs les
plus parfaits. »
Voltaire n'assista pas à cette belle u première ». « L'auteur,
dit Tabbé de Lamare, aurait sans doute été très satisfait^ s'il
avait pu voir cette représentation. » Mais, dès qu'il eut été
informé du succès de sa pièce, il s'empressa d'écrire à Tabbé
Asselin :
Vassy, en Champagne, ce 24 auguste 1735.
Je voudrais bien, Monsieur, que la Mort de Jules César eût été
digne de Thonneur que vous lui avez fait et de la manière dont elle a
été représentée Je vous prie de vouloir bien faire mes compliments
aux deux acteurs dont on a été si content. Le talent de bien réciter
1 Le Mercure nous apprend encore qu^on joua comme petite pièce les
Plaideurs de Racine. Le jeune de la Rivière « n'excella pas moins dans
le comique qu'il avait excellé dans la tragédie. >
«Oct. 1735, p. 2259.
206 VOLTAIRE ET l'ABBÉ ASSELIN
ne saurait être parfait sans supposer de Fesprit et des qualités aima-
bles qui doivent réussir dans le monde. Des jeunes gens qui ont un
pareil talent méritent qu'on s'intéresse à eux. Au reste, j'ai beaucoup
retouché cet ouvrage, depuis que l'honneur qu'il a reçu de vous me
VsL rendu plus cher ; mais il ne sera jamais autant embelli par mon
travail qu'il l'a été par vos soins dans la représentation qui s'en est
fiaite.
Je suis bien sincèrement, monsieur, votre très humble et très
obéissant serviteur.
VOLTAIRB.
Je vous remercie, monsieur, de la bonté et de la politesse avec
laquelle vous avez fait placer les personnes qui demeuraient à Paris
avec moi^
Le même jour, Voltaire était heareax d^annoncer le succès
de sa pièce à son cher maître, son ancien préfet des Jésuites,
l'abbé d'Olivet :
Savez-vous que j*ai fait jouer depuis peu, au collège d'Har-
conrt, une certaine Mort de César, tragédie de ma façon, où il n'y a
point de femmes ; mais il y a quelques vers tels qu'on en fesait il y a
soixante ans. J'ai grande envie que vous voyiez cet ouvrage. Il y a de
la férocité romaine. Nos jeunes femmes trouveraient cela horrible ; on
ne reconnaîtrait pas Fauteur de la tendre Zmre, mais Ridetur chorda
qui semper oberrat eadem. (Hor.)
III
La joie de Voltaire fut de courte durée. Dès le l**' septem-
bre, il écrivait au « iidèie » Thieriot: « Mon bieu cher ami, il
faut toujours que de près ou de loin je reçoive quelque talo-
che de la fortune. »
* Le 15 mai 1736, Voltaire disait à Tabbé Asselin : « Je pourrai bien
TOUS donner un jour une pièce encore sans femmes. Je serai le poète
d^^Harcourtf mais je serai sûrement votre ami ; c'est un titre dont je me
flatte pour la vie. » — Mais pour des raisons que nous ne connaissons
pas, c'est ici que se termine la correspondance de Voltaire avec Tabbé
Asselin.
VOLTAIRE ET L'ABBÉ A8SEL1N 207
Pourquoi ces plaintes? C'est qu'il vient d'apprendre que
malgré « les prières qu'il avait adressées à Tabbë Asselin *
d'empêcher qu'on ne prît copie de sa pièce, et que l'ouvrage
De devint public », on a imprimé la Mort de César y et « qu'on
l'a honorée de plusieurs additions et corrections qu'un régent
du Collège y a faites *. » « Je suis persuadé, ajoute Voltaire,
qu'on ne manquera pas encore de dire que c'est moi qui l'ai
fait imprimer : ainsi me voilà calomnié et ridicule. »
Le 4 octobre, nouvelle lettre à Thieriot ; Voltaire est furieux
contre l'abbé Desfontaines, et non sans motif. Il avait écrit à
Desfontaines pour le prier d'avertir le public, dans le journal
dont il était le directeur ^, que la pièce de Jules César, telle
qu'elle était imprimée, n'était point son ouvrage à lui, Vol-
taire. Que ût Desfontaines? Au lieu de chercher à être agréa-
ble à Voltaire, il fit « une satire infâme » de sa pièce, et « au
bout de sa satire, il fit imprimer la lettre de Voltaire, avec
l'indication du lieu où il était, et qu'il voulait qu'il fût ignoré
du public. »
Voltaire a raison d'écrire à l'abbé Asselin ^ que Desfon-
taines aurait dû s'attacher à faire voir, en critique sage, les
différences qui se trouvent entre le goût des nations ; » et il
ajoute :
(c II aurait rendu un service aux lettres et ne m'aurait point offensé.
1 24 mai 1735.
' Le 7 septembre 1735, Voltaire écrivait à l'abbé Desfontaines : f L'abbé
Asselin, que j'aime et j'estime, n'a pu, malgré ses soins empêcher que
quelqu'un de son collège n'en ait tiré copie. Voilà la tragédie aujour-
d'hui imprimée, à ce que j'apprends, pleine de fautes, de transpositions
et d'omissions considérables. On dit même que le professeur de rhétori-
^e d'Harcourt, qui était chargé de la représentation, y a changé plu-
sieurs vers. Ce n'est plus mon ouvrage. » — t Je sais, écrira-t-il plus
tard à l'abbé Asselin (29 janvier 1736), que c'est un précepteur des Jésui-
tes qui a fait imprimer Jules César. C'est un homme de mauvaises
mœurs, qui est, dit-on, à Bicétre. Est-il possible que la littérature soit
souvent si loin de la morale ? >
Quel était le coupable! » Etait-ce un professeur du collège d'Har-
court? était-ce un précepteur des Jésuites? Voltaire, comme on le voit,
ne le sait pas lui-même.
' Observations sur les écrits modernes.
* 4nov.
208 VOLTAIRE KT L'ABBÉ ASSELIN
Je me connais assez en vers, qaoique je n'en fasse pins ^, pour assu-
rer que cette tragédie, telle qu'on l'imprime à pi*ésent en Hollande,
est l'ouvrage le plus fortement versifié que j'aie fait.. »
DesfontaiDes s'étant retracté dans sa feuille 34, envoyée par
lui à Voltaire, celui-ci désarmé, ou feignant de l'être, lai indi-
que ( 14 nov. ) dans quel sens il doit orienter sa critique^ sUl
s'occupe encore de la Mort de César:
a 11 importe peu au public que la Mort de César soit une bonne ou
une méchante pièce ; mais il me semble que les amateurs de lettres
auraient été bien aises de voir quelques dissertations instructives sur
cette espèce de tragédie qui est si étrangère à notre théâtre ; nous en
avons parié et jugé comme si elle avait été destinée aux comédiens
français. Je ne crois pas que vous ayez voulu en cela flatter l'envie et
la malignité de ceux qui travaillent dans ce genre : je crois plutôt que,
rempli de Tidée de notre théâtre, vous m'avez jugé sur les modèles
que vous connaissez. Je suis persuadé que vous auriez rendu un service
aux belles-lettres, si au lieu de parler en peu de mots de cette tragédie
comme d'une pièce ordinaire, vous aviez saisi l'occasion d'examiner le
théâtre anglais et même le théâtre d'Italie, dont elle peut donner quelque
idée. La dernièie scène et quelques morceaux traduits mot pour mot
de Shakespeare ouvraient une assez grande carrière à votre érudition
et à votre goût. ... La France n'est pas le seul pays où. Ton fasse des
tragédies ; et notre goût, ou plutôt notre habitude de ne mettre sur
le théâtre que de longues conversations d'amour ne plaît pas chez les
autres nations. Notre théâtre est vide d'action et de grands intérêts,
pour l'ordinaire. Ce qui fait qu'il manque d'action, c'est que le théâtre
est offusqué par nos petits-maîtres, et ce qui fait que les grands inté-
rêts en sont bannis, c'est que notre nation ne les connaît point, La
politique plaisait du temps de Corneille, parce qu'on était tout rempli
des guerres de la Fronde ; mais aujourd'hui on ne va plus à ces
pièces. Si vous aviez vu jouer la scène entière de Shakespeare, telle
que jeTai vue, et telle que je l'ai a peu près traduite, nos déclarations
d'amour et nos confidences vous paraîtraient de pauvres choses
auprès »
 la fin de janvier 1736, Voltaire ayant appris que Desfon-
taines est malheureux, écrit (29 janvier) à l'abbé Asselin
ces lignes qui lui font honneur :
1 Voltaire oublie qu'il travaille à sa pièce des Américains (autrement
ôxiAlzit-e).
VOLTAIRE ET L ABBE A8SEUN ijOd
« Si vous savez où il est, mandez-le moi. Je pourrai lui rendre
service, et lui faire voir par cette vengeance qu'il ne devait pas m*ou-
trager. » *
a Tout est bien qui finit bien^ > comme dit Shakespeare.
Voltaire recouvra pleinement sa tranquilité d'esprit, après
le succès éclatant d'A/zire, représentée pour la première fois
le 27 janvier 1736, et qui fut jouée vingt fois de suite. La
recette totale se monta à 53.640 livres, que le poète abandonna
aux comédiens « pour leur témoigner sa satisfaction et récom-
penser leur zèle et leur talent. » * Cette fois, Voltaire ne son-
geait guère à dire : « Je ne suis plus qu*un poète de collège :
j'ai abandonné deux théâtres qui sont trop remplis de cabales,
celui de la Comédie française et celui du Monde. » *
APPENDICE
La Mort de César fut jouée le 29 août 1743 sur le Théâtre
français ; mais elle n'arriva que très péniblement à sept
représentations. C'était un échec. Voltaire s*en consola-t-il
en constatant que, depuis la représentation du Collège d'Har-
court, la Mort de César était devenue la tragédie à la mode
dans les collèges et même dans les couvents de jeunes
filles ? Qui le croirait, en effet ? En 1748, la Mort de César fut
jouée par les pensionnaires du Couvent des Visitandines de
Beaune, le jour de la fête de leur supérieure!... Et, chose
1 Toutefois ces beaux sentiments ne devaient pas longtemps persister.
Un mois après, Voltaire écrivait à M. Berger, en parlant de Tabbé
Desfontaines : « Dans quelle loge a-t-on mis ce chien qui mordait ses
maîtres ? > — Et à GidevlLle (25 mars) : c L'abbé Desfontaines est un
monstre qu'il faudrait étoufier. »
' Mercure de mars 1736, p. 539-543, et d'avril, p. 661 et suiv.
> Volt. Ed. Beuchot, t. LU, p. 56. Lettre à Thieriot.
U
210 VOLTAIRE ET l'aBBÉ ASSELIN
plus sarprenante encore, se souvenant que Racine avait
composé un prologue pour son Estker^ ces jeunes filles priè-
rent leur supérieure d'écrire à Voltaire pour lui demander
un prologue qui devait être récité par Tune d'elles. Le pre-
mier mouvement de Voltaire, dit M. Alexis Pierron *, fut de
froisser la lettre et de la déchirer. Gomment, s'écria- t-il, c'est
bien à des filles de représenter une conjuration de fiers
républicains ! Après réflexion, il se calma et dit : « Ce sont
pourtant de bonnes filles I Elles ne sont pas trop raisonnables
de vouloir un prologue pour cette tragédie ; mais je le suis
encore moins de me fâcher pour un prologue. » — Et le bon
apôtre trempa sa plume dans la plus pure eau bénite pour
composer le prologue demandé^ qu'il envoya, avec la lettre
suivante, à M"^* de Truchis de La Q-range, religieuse de la
Visitation Sainte- Marie, à Beaune :
à Paris, 7 juin 1748.
Voilà, Madame, ce que vous m'avez ordonné. J'aurais plus tôt
exécuté cet ordre, si ma santé et des occupations fort différentes de
la poésie l'avaient permis. Je voudrais que ce prologue fut plus digne
de vous, et répondît mieux à l'honneur que vous me faites ; mais que
dire de Jules César dans un couvent? J'ai tâché au moins de rapporter,
autant que j'ai pu, les idées de cette catastrophe aux idées de religion
et de soumission à Dieu, qui sont les principes de votre vie et de votre
retraite* Je vous prie. Madame, de vouloir bien intercéder pour moi
auprès du maître de toutes nos pensées. Vous me rendrez par là moins
indigne de voir mes ouvrages représentés dans votre sainte maison.
J'ai rhonneur d'être avec respect, Madame, votre très humble et
très obéissant serviteur.
VOLTAIRB,
Gentilhomme ordinaire du roi.
Vers récités par une pensionnaire du Couvent de Beaune, avant la
représentation de « la Mort dk Câsar ï pour la fête de la prieure,
1748,
Osons-nous retracer de féroces vertus
Devant des vertus si paisibles ?
Osons-nous présenter ces spectacles terribles
* Voltaire et ses maîtres, p. 61. •
VQLTAIBE ET l'aBBÉ ASSEUN 211
A ces regards si doux, à nous plaire assidus ?
César, ce roi de Rome, et si digne de Tétre,
Tout héros qu'il était, fut un injuste maître,
Et vous, régnez sur nous par le plus saint des droits :
On détestait son joug, nous adorons vos lois.
Pour nous et pour ces lieux quelle scène étrangère.
Que ces troubles, ces cris, ce sénat sanguinaire,
Ce vainqueur de Pharsale, au temple assassiné.
Ces meurtriers sanglants, ce peuple forcené 1
Toutefois des Romains on aime encor Thistoire ;
Leur grandeur, leurs forfaits, vivent dans la mémoire.
La jeunesse s'instruit dans ces faits éclatants ;
Dieu lui-même a conduit ces grands événements ;
Adorons de sa main les coups épouvantables,
Et jouissons en paix de ces jours favorables
Qu'il fait luire aujourd'hui sur les peuples soumis,
Eclairés par sa grâce, et sauvés par son Fils.
Voltaire.
Il est vraiment fâcheux que la Gazette de Beaune — , s*il j
en avait une — , n'ai pas rendu compte de cette représentation
pour le moins étrange, ou de « timides colombes » enflèrent
leurs voix pour déclamer comme il convenait les rôles du dicta-
teur Jules César, du consul Marc- Antoine, du préteur Brutus
et des sénateurs Dolabella, Cassius, etc., etc.
II
La Mort de César fut reprise sur le théâtre delà République
en 1792 et 1793 ; mais « le dénouement, dit Beuchot, blessait
quelques têtes ardentes, Gohier, ministre de la justice, et qui
depuis a été membre du directoire exécutif, fit un nouveau
dénouement, qui fut joué sur le théâtre de la République. »
En voici la dernière scène :
(N. B. — Le fond du théâtre s'ouffrait On voyait la statue de la
Liberté entourée d'un cercle de peuple. Dans la salle, tout le monde se
levait, parterre et loges,)
212 VOLTAIRE ET l'aBBÉ ASSELIN
BRUTUS
Daigne entendre mes vœax, Divinité chérie ;
Veille sar nos destins, veille sur ma patrie.
Grands Dieux ! si cette main, en s'armant d*un poignard,
N^eût servi qu'aux dessins des rivaux de César I...
Eloigne des terreurs qui rouvrent ma blessure I
Je pouvais pour toi seule oublier la nature ;
Pour toi seule à César j*ai pu donner la mort ;
Pour toi seule aujourd'hui Brutus peut vivre encor.
S'il faut, par d'autre sang, affermir ton empire,
Ah ! que Rome soit libre et que Brutus expire I
OASSIUS
Formons les mêmes vœux au pied de cet autel ;
Mourir pour son pays, c'est se rendre immortel.
ROMAINS
Nous jurons d'imiter son courage héroïque:
Vive la liberté I vive la République.
Voltaire, s'il avait lu ces vers, aurait eu le droit de répéter
ce qu'il écrivait à M. de Formont (22 sept. 1735) : « César
n'a jamais été plus massacré par Brutus et par Oassius que
par Tabominable éditeur qui m'a joué ce tour. Les entrailles
paternelles s'émeuvent à la vue de mes enfants ainsi mutilés :
cela est déplorable ! »
Armand Gast^.
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
(Suite)
[108 (C 17)]
FOLCHET DE MARSEILLA
(o f^ 11 r«)
( — B. Gr. 156, 23)
I. Tant mou de cortesa rason
Monchantar ^ qeunois pois ^
[faillir
Ennanz men dei meill ^ aue-
[nir
Qe mais nô fe^ & sabez cô ^
5 Qe lemperaris * me somon
Ë pregam^ fort qeu men
[ieqis
Sil mol ^ sufris
Mais qar il es cim & rais *
Densegnamen
10 Nô seschai qal seu manda-
[men
Sia mon saber ^® flac ni lenz
Anz taing qe dobles mos
[e menz ".
II. E sam ^^ per lei en ^' ma
[chanson
De lausenger oui deus adir^^
Aqi lor ^^ uoill del tôt maldir
Ni ia deiis noca^* lur perdon
5 Qar an diz so qan uer non
[fon «
Per ^^ cela cai obedis
Me relinqis
E cuia qal ior ^' aia sis
Mon pensamen
10 Ben modon '® per gran fal-
[limenz
Qan perço qeu am finamen
Per sel qel dison qe ^^ niez.
III. Ameraila donc a lairon
Pois uei qil nO degna sufrir
Qienz ^^ en mon cor la désir
E sai qe far mer^^ uoill o non
5 Qel cor ten lo cors en
[preson **
Et al si destrez ^^ & conqis
Qe no me** uis
Caia^^ poder qeu men partis
Abanz*^ aten
10 Qanqer la uencha *• sufren
X. S. : Vordine délie stanze in quello é seconda i numeri di qui: I;
1, II : 2, III : 5, IV ; 3, V : 4 — 1 Mos chantars — 2 puesc — » mi d. miels
jCan mais no fis — * con — « lemperairitz — f plagram — " mo —
• Mas pos il es cim e razis — *• mos sabers — ^i qes doble m. engienz —
i*sanc— 13 e — »♦ air — « Aissilos — 16 E ia dieus noqa — " ditz so
qanc u. no fo — *• Perqe — *• caillors — *> muer donc — ** qes —
" Qe inz — 23 qa f. mes — ** preizon — ** destreg — *• mes — *' Qem
des ~ SB Enanz — 29 Qon lapuscauenzer
214
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
Qe merce ab long
[oenz
Lai a* non nal força ni
[mens*.
IV. E 80 merce ^ nonmetêpron
Qe farai. pond men partir
Nô en qe ' prea soi a * mo-
[rir
De gaisa qi ^ mer sobre bon
5 Qen pensan* remir sa fai-
[son*
E remirand en^* langeais
Qar ellam dis >'
Qe nom dara ço qen lai
[quis "
Tan loniamen
10 Ni *> per aiço no malen
Anz dobl ades mon^^ pensa-
[menz
E moraisi^ mescladamenz.
V. Ni per aiço'* no mabadon
Qar en ai sempre aadi dir '^
Qe mensogna nô pod '* eu-
[brir
Qe non mora ** qalqe sason
5 E pois drez uenz fais occbai-
[son *•
Anqer aissi pins ^ e dénis
Com eu fui ** fis
Qar si fui suiez >' & aciis
De bon talen
10 De lei amar après '^ conten
Mon fin corages & mon ^*
[senz
Ghascnn cni amar plus for-
[menz'*.
[109 (C 18)]
FOLCHET DE MARSEILLA
{cf. IIV)
(B. Gr. 155, 8)
I . En chantan manen a mem-
[brar
Zo qeu cnid chantan obli-
[dar
Mas*^ per ço chant qobUdes
[la dolor
Del ^ mal damor
5 Mas '* on plus chant mais'*
[me soue
Qa '' la bocha nuUa '^ rô
[nom aue
Mas sol merce
Per qes uertaz & sembla be
Qinz el cor port dOna uostra
[faiçon
10 Qem castia qeu no uir ma
[raçon.
II . E pos amors mi uol ondrar
Tant qen cor uos me fai
[portar
Per merce us preg qeus gar-
[dez del ardor
Qeus ai paor
5 De nos molt maior que de me
ï Qar lonc sufrir e merces — 'on — ' gieinz — ♦si merces — * leu
non qar — * sui del — ' qe — • Qins el cor — • faisson — *• & eu —
>i ditz — ** qis — *' Eies — ** mos — ** moir assi — •• Mas ies -per tal
— *' ai be sempres auzit — ** mensoingha nos pot — *• moira —
^ dreigz u. falz ochaison — 21 Encar er proat — 2« c. li sui — ** Gaissil
sui liges — •* Qen leis a. an près — •» Mos ferms coratges & mos —
3^ Cusqecs cuja a. p. fortmenz.
L, S.: «7 E — a» El — a» Car — 30 miels — 3^ Qen — 3» niulla
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
2.5
Donc po8 mô cors dOna uos
[a en se
Si mais lin ue
Pois dinz es sufrir leus coue
E per ço faiz del cors so qi
[les bo
10 El cor gardaz si com uostra
[maison.
III. Qel garda uos & ^ ten tant
[car
Qil en fa ' nesci semblar
Qel sen i met lëgein & la
[ualor
Si q en error
5 Laissai cors p^r sen qen '
[rete
Com mi parla mantas uez
[sen deue ^
Qeu nô sai qe
Qem salad hom. qeu non
[aug re
E ia perço nuls hom nom
[ochaison
10 Sim saluda & eu mot no li
[son.
IV. Perol cors nous deus ges
[blasmar »
Del cors per mal qel sapcha
[far
Qar tornad la al plus ondrat
[seinor
E toit dallor
5 On trobaua enian & nô fe
Mais dreiz torna uas sô
[segnor anc se
Pero nô cre
Qen deing si merces non
[mante
Qel intrel cor tât qen log
[dû rie don
10 Deing escoltar ma ueraia
[chanson.
V. Qar sillam degnaz escoltar
Dôna mercei deuria trobar
Pero obs mes qoblides la ^
[ricor
Mas ' la laudor
5 Qeu nai dit en dirai iase
Pero ben sai mos laudars
[pro nô te
Cum * qem mal me
Qar • lardors me ^^ creis em
[reue
El focs qil mou sai qe^^ creis
[abandon
10 Eqomnoltoc*2 njQrgnpauQ
[de saçon.
VI. Morir pusc be
Naiman per miabona '^ fe
Ni *^ sim doblaualmals dai-
[tal faiçon
Qom ^i' doblal poinz del tau-
[1er per raçon.
Vil. Gansons.. .... *<*.
[110 (c* 19)]
FOLCHET (c /•. 12 r»)
(B. Gr. 155, 27)
1 . Uns uoler oltracuidaz *^
Ses^inz en** mon cor aders*<>
Pero non dis *^ mos espers
Ja pousc 2* esser accabaz ^*
1 eus — « Qel cors — 3 prez en qel — ♦ sesdeue — b no si deu clamar
- « sa— f E — 8Com — 9Qe — lOmi— n qel— i«qinolmou— i-' Azi-
man qieu nom clam de re — !♦ Nais — i^ Gon — i« G. de se. Vas monpellier
uaidepart me....
L S. : ï'uolersoltracuidatz — 18 e — i» aers — 'O Tal qe nom ditz —
''pose -2«acabatz
216
LE CHANSONNIER DE BEBNART AMOROS
5 Tant aat ses es penz '
Ni ^ no maotreia mos senç
Qeo ' sia desperaz *
E soi aissi mertadaz *
Qea * non desper "*
10 Ni ans esperanç* aner.
II. Qar trop me soi* haut poîaz^
Ves" qes petit ^'mospoders
Per qem castia'^ temers
Qar'^ aital ardîmenz
5 Fac '' noz a mantas ^* genz
Mas don conhort soi ^' iaa-
[senz
Qim aen '* de nes^* antrelatz
E mostram qomilitatz '®
La tant en ^ poder
10 Qe ben me pot escader ''.
II L Tant si es mon cor fermaz
[(oZ'.-pausaz)**
Qe mensoniam ^ sembla
[aers
Qe 2^ ai tal maltraich mes
[lasers *•
Pero ben " sai qes aertaz
5 Qe long atar '^ nenz
Per qeus** prec d5na ua-
[lenz »®
Qe sol daitst me sofraz '*
E poi '^ serai gét pagaz ^
Qem laisses ^ noler
10 Logaoç'^qiiens désir aaer'*.
IV. Ben parec nescietaz'^
E trop sobrardiz** uolers
Qar solamenl nns neders '*
Ma^ decebnt tant niaz^^
5 Qes coîgdetamenz^'
Me nencalcor nns*' talenz
Tais don en soi enamoraz *^
Mas pos^^ mes tant ** fort
[doblaz "
Qe maitin ^ & ser
10 Me fai dolçament *' doler.
V. Mas pero chantar nô plaz ^*
Si men nalgaes esteners^'
Anz me fora ^ nô calera
Laissar déport ^ Se solaz
5 Oi^* mais pos nés meinz
Léperariz ^^ cni iouenz
Apoiaz** en laaçor graz*"
E sel*» cors noill»» fos for-
[chaz ^^
Il fera *' saber
10 Com fol se *^ sap de cba-
[der. •*
Jpeinz— *E 'Qien — *desesperaz — * meitadaz - • Qieu — "> deses-
per — • esperanza — • Car moût mi sent — ^* poiatz — ^^ Vers — »* petitz
— <3chastia — i*Gar — ^*fatz — ** maintas — i' conhortz sni — i* Qem
sail — *• uas — 2« Em mostra cumilitatz — •> em — •* bes men pot escha-
zer — •' mos cors fermatz — 2* menzoingnham — 2» & — *« maltraig
lezers — t» si - *• bos aturs — •• qieus — 'O naillenz — 3i sufratz —
3» pois — " pagatz — 3* laissetz — 3» gang — se dezir nezer — ^^ paret
nescietatz — •• sobrarditz — ^9 Cant solamen us uezers — *o Mac — ** tan
uiatz — ♦* condudamenz — *3 us — *♦ qeu sui enamoratz — ** pois —
*6 tan — *' doblatz — ♦* matin — ♦* doucamen — ^ M. ara chantars
nom platz — ** effreners — ^^ Pero laissât — *3 Men fara iois — *• Hoi —
*5 Lemperairitz — 56 Apoiatz — ^^ gratz — 58 sil — •"non — •• forsatz —
*ï Eu feira — ^^ fols si — *^ chazer — L. S. ha i dtie canzoncini copiait
qui allato :
VI. Ai douza res couinenz Pos nuls autre iois nô platz
Uenza uos humilitatz Ni dautre uoler
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
217
[111 (c* 20j]
FOLCHET
(= B. Gr. 155,6)
I. Cantan uolgra mon franc ^
[cors descobrir
La ^ 0 magrobs ^ qae fas
[sÀupuz^ mon aers
Mas per dreit^ gaug me
[fallit ^ mon sabers
Per qai paur' qe noi puosc*
[aaenir
5 Quns ^ noael ioi en cui ai
[ma speransa^®
Vol que m5 chant** per lei
[sia adrers *^
Eda*3 lei plaz qeu *^ ennanz
[sa laudor**
En'* mô châtar don ai gaug
[& paor
Qar sO preç sabis*^ lauçador.
II. (c. f. 12 yo.) Per qe nO par qe
[podes deuenir*^
Son prez cortes qertanf
[aut aders^®
Qara nO dei en uer sem-
[blant faillir «
Qar qeu chant en leu de bon
[audirM
5 Qe son bel ris & sa bella
[semblansa"
Me pars ses oils tan garda
[ueers **
Per qeu poghes*^ retraire
[sa ualor**
E *' de &on prez •* triar lo
[meillor
E dels aman >* lo pins fin
[amador.
111 3<). Car anc nol dis tan tem
[uas lui faillir
5 Non ai engeing ni poder.
VII. Qe tanz suspirs nai ietatz
Pe»' qel iorn el ser
Prec sospiran mon poder.
L.S. : l : 1,11 : 2, III: 5, IV : 3,V:4— * mo ferai — » Lai— « magrops —
* saubuz — 5 dreg — ^6 mes fallitz — ' cai paor — * poscha — • Qun
— '• mesperaosa — i* mos chanz — ^^ aders — •' E car — *♦ qieu — i* ualor
— *• E — * ' SOS pretz uol trop saui — ** qeu pogues deuezir — *' S.
cortes pretz qe tan — 'o es aers — 24 Com n. ditz uer qe non semble
plazers — ^ E trob aitan en Ueis de ben a dir — 23 Qq sofrachos men
fai trop daondanza — *♦ Perqieu men lais qieu non die mos espers —
*• Gon ja pogues— ** lauzor — " Qe — ** pretz a — •* amatli — ^ Questa
itanza non deve esser corretta cosi (c'est-à-dire : comme elle a été corri-
gée danse*) ma mutato Vordine di tutte per numeri. Pero non ci essendo
altro rimedio di correggeila secondo L. S. la copiera gui allato :
Anc re non dis don non tempses
[faillir
Vas lei tan les aturatz mos uolers
Masdorenan non mi toura temers
Qeu sai qel fuecs sabraza per cu-
[brir
5 El dieus damor ma nafrat de tal
[lanza
Don nom ten pro soiornar ni ia-
[zers
Anz desampar per mi donz cui
[ador
Tal qe ma fag gran be e grant
[honor
Mas ben deu hom cambiar bon
[pe;* meillor.
218
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
Qan 868 en lei atarat mos
[volera
Mas derenant no me cal
[mais temer
Qea sai qel focs sabrasa
[per cobrir
5 E dleos damor am nafrat
[de tal lansa
Don n5 ten pro soiomar
[ni iazera
Qeu ai lascad p^leis cui ea
[açor
Tais qe ma fait gran ben &
[grand honor
Mas ben dei hom c&biar per
[meillor.
IV *. E doncs pos eu non ai mais
[lo désir
Non ai donc pro mont es
[gran mon poders
Seaais daitant mena donat
[leçers
E doncs per qem auilh de
[plus enardir
5 Qar sei beil oill & sa gaia
[semblansa
Don pasc mos oils tan ma-
[gradal ueçer
Man dat conort tal qe meu
[de folor
Qades mes uis qem nolha
[dar samor
Qan uoilh aes mi ses oils pies
[de dousor.
V. E donc dôna qeu mais nO
[paosc Bofrir
Lo mal qeu trag per uos
[maitiQ& sers
Merces naiaz qel mond non
[a' auers
Qi senes uos me podes en-
[riqir
5 E qant uos> uei souen nai
[tal * doptansa
Qab uos me faça oblidar
[mon ^ calers
Mas eu qe sent la pena &
[la dolor
No uos oblit* ges anz i teing
[noit^ & ior
Les^ oils el cor si qe nol*
[uir aillor.
[112(ca21)J
FOLCHET
(= B. Gr. 155, 7J
1 . Chantar ^® mi tom ad " afan
Qant mi '^ souen del baral *'
* Pero ren als non ai mas lo
[dezir
Non ai donc pro moût es
[granzmos poders
Si neis daitan mi donaua lezers
E donc per qem uoil de plus
[enantir
5 Car son bel ris ab sa douza
[semblanza
Mapais mos oils tan magra-
[dal uezers
Mas un conort nai qem mou
[de follor
Qades mes uis qemuoilla dar
[samor
Sol uir uas me sos oils plenz
[de douzor.
* es — • car nous — * ai gran — • * Qe uos mi faitz oblidar non — • Nous
ublit — ' teinc noig — • Los - « nols.
L. S. : ^^ Ghantars — " az— i^Ca^t mg _ 13 ^^n barrai
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
219
E pois ^ damor plus non *
[cal
Non sai com ^ ni de qe
[chan
5 Mas qex ^ demanda chano
[son*
E noil cal de la raison '
Qautressi ^ mes obs la faça
De nao cum los moz > el
[son
E pos forsaz fes ' amor
10 Chan *® pcr depte de folor "
Proer mon ^^ chanz cabal-
los"
Si nO es auols ni bos.
II. (c /. 13 ro) Amador soi** don
[semblan
El rie cube dautretal ^>
Cades ab dolor coral
Merman lor iois " on mais
[nan
5 Qe enluoc" defenestra son**
Qe merma som ia pon **
On *• plus pren qex ** so qe
[chaza
Plus a de segre ocbaison ^>
Per qeu23 teingcel permeil-
[lor
10 Qe rei ni emperador
Qi 2* cel mais cubs '^ uenz
[amdos
Qi ^> uenz bom ^^ plus dels
[baros.
III. Ben fora som preçes tan
Dieus com si *• ni ben cû ^'
[mal
Mas ço prez hom qi ^^ nO
[ual
E son pro ten bom a dan
5 Per qeu^* non aus*^ nostre
[pro
Dir " chantan qe 3* nO sap
[bo
Al segle ni cre qil placha ^^
Qil diren si son '* mal no
Mas pero ^^ la deisbonor ^^
10 Puos dir sill truc •• entre lor
Sô uencut ni bassat*^ ios
Puois tuich uencut ** uôçon
[nos.
IV. Ben uenz bom pois nuH'
[deman
N oi fan delà uinta *^ mortal
Mas^^ sinosfossam leialM^
Tornera antz ** ad honor
[gran
5 Qûs *'' certes genz de dieus
[fon *»
Qal ries trobes son perdo ^*
Qis fan plus freuol qe gla-
[cha 50
Qi dab strenençal somo ^'
* pueis — 8 nom— » don—* qecs — * chanso — « raiso — ' Qeissa-
men — «Denou con l.motz — «pueis forsatz ses— «• Chant — ** follor
— ** mos — n cabalos — ** son — ** ries cobes datretal — ** Mermon
lur gaug — 17 luec — !« so — i» po — *• Con — «i qecs — « ochaizo
- *3 qieu— «♦ Qe - «3 aibs— 26 Qq _ v uenzol— 2» se— » con — 30 qe
- 5»! qieu — 3î die — 33 En — 3* car — 38 crei qeil plassa — 36 Qi re li
ditz si — »7 siuals — 3» deshonor — 39 Puesc d. sels turcs — *• uencutz
ni bassate — ♦! E totz uencutz — *» on pueis nuil — "3 Noil fain de
lauU ~ *4 E — « fossem leial - *« Torneranz — *' Gus — *^ dieu fo
— *• perdon — *o glaza — *i Qe destrecha lur semo
220
LE CHANSONNIER DB BERNART AMOROS
Mas cObatten' ab lauçor
10 Na deos ^ près en son la-
[bor'
Mainz ^ qe ia confessios
Noill ^ plagra sa qi no *
[fo8.
y. Donc nostre baron qe ' fan
Nil rei engles cui deus *
[sal
Coiça * aaer faiz ^^ son îop-
[nal
Molt ^^ iaura lart " enîan
5 Sil a faiz *' la messio
En antre fan ^^ la preiso
Qe lemperaires p^rchaza <^
Cnm deus cobres ^* sa reiço
Qe prtmers cre " qe socor
10 Si dens li rent so *' honor
Ras taing tant es rix ** lo
[dos
Qe tal sial ghiardos >®.
VI. ** Al rei francs laure fâchai
Tornar com nol tenga bo
Per qeu die serai socor
Qes ops qe nos don paor
5 E sar noi nai qes saisos
Die eau ni des per un dos.
Vil. Naiman molt mi sap ^^ bo
E molt en prez^' mais valor
Cab em baral mon sei-
[gnor **
E monos ^^ prez e messîos
Aissi cum'^ sanc re*'' nô fos.
Vin. E toç » téps A eu «• & uos
E luns '® per lautre ioios.
[113 ((f 22)]
FOLCHET DE MARSEILLA
(o/. ÎSff')
(= B. Gr. 156, 21)
I. Si tôt mi soi a lard aper-
[ceubuz
Aisi cum cel qa tôt perdu t
[& iura
Qe non iog mais '' a gran bon
[auentura
Me " dei tener qar me '* soi
[conoguz
5 Del grans enians qamors
[uas me façia
Qab bels semblanz ma ten-
[gud en fadia
Mais de dex ans a lei de
[mal deutor'*
Qades'^ promet mas re non
[pagaria.
II. Qab bels semblanz qe fais
[amor aduz
Satrai uas lei fols amâz e
[satura
Qol parpallion^^ qa tan folla
[natara
« Qes combaton — » An dieu — * laor — * Per — • Noil — • quesi
non — T Doncs nostres baros — • dieus — » Guda — *o fait — ** Meut
— 1» lait— 1-» Si laifai— i* E altre fai — i' lemperaire perchassa— i «Con
dielis cobre — i7 e près e cre — i* dieus li ren sa — ** E si tan es
grans — •• Ries sera lo guiardos — *ï L. S. no hà questa stanza —
** Naziman moût mi sab — *' moût en près — '* en barrai mo segnor
— 28 Es mortz - «« con — «» res — «» En totz — «» ieu — »• Em lus.
L.S:3iQemaisnonioec — 33Mo — a^men — 3» deptop — « Gassatz
— 36 Col parpallios
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
221
Qes^ fer el foc per la clartat
[qei luz
5 Mas eu men part & segrai
[autra uia
Qom * mal pagaz qestiers
[no men partria
E segrai laib de tôt bo
[seruidor (aV : sufridor)
Qe sirais fort si cum fort
[sumelia.
III. Non maderai* si ben soi
[irascuç
Ni faz de leis en chantan^
[ma rancura
Ni ^ diga ren qe noi semble
[mesura
Mas ben sapcha* qa sos
[obs soi perduz
5 Qanc sobre fre nom uolg^
[menar un dia
Anz mi fez far mô poder
[tota (lia
Et anc sempre cauals de
[gran ualor
Qin beorda trop soen felnia ^ .
IV. Fel* for eu trop*° mas so-
[men retenguz
Qar qab plus fort de si se
[desmura"
Fai gran foldazneis a gran^^
[auentura
Ë de son par qesser en pot
[uencuç *•
5 E de ^^ plus freol^^ de si es
[uillania
Per qanc nom plag nim plaz
[sobransuria
Pero en sen deuon gardar
[bon or
Qar senz aunid preç trop
[mens^* qe follia.
V. Amors per ço men soi eu
[recressuz {al*: retenguz)
De uos seruir qe*^ mais nô
[arai*8 cura
Qaisi com mais preç hom
[laida pentura^'
De long no fai qant es de
[près uenguz^*^
5 Presau eu uos mais qan ^'
[nous coinossia
Ë sanc ren uolg mais nai
[qer n5 uoldria '•
Qaisi mes près cum ^^ al fol
[qeridor 8*
Qe dis '^ qaurs fos tôt qant
[el^^tocaria.
VI. Bel naiman samors uos des-
[tregnia
Vos nin 2' toç têps eu non
[conseillaria
(o/. 14 r») Sol membres M
[uos qant eu nai de
[dolor
0'^ qant de ioi'^ ia plus nO
[non caldria •*.
1 Qel — «Sui — 'Pero non cng — * chantant — ' Qen — <* Anz sapcha be
— "^ uolc — « Qil baurda trop souen cueil felonia — «Fes — lOenbe —
" qia plus fort de si desmesura — ** e nés en — i* Qe dun «eu pot be
esser uencutz — *♦& ab — i*freuol — i* aunitz non prêta mais — " cui
— 18 ai — 19 Car si con hom preza laia penchura — *" Gant lieis loing
niais qe cant li es pretz uengutz — *i Presaua u. plus cant — ^ E s. uos
uolc meins nai quen no uolria — '3 con — ** qeredor — 8* ditz — a« zo
qel — ^' en — »* Si uos membres — 8* Ni — 3» ^e — ai mais nous en
calria
222
LE CHANSONNIER DE BERNÂRT AMOROS
Vil . En plus leial sab^ los oill »
[uos ueçia
Aisi cam faz ^ ab lo cor
[tota uia
Zo qeu ai diç * poria aaer
[ualor
Qeas qier conseil & conseill
uos daria *.
i [114 (C 23)]
FOLCHET
(= B. Gr. 155, 11)
1. Ja nO cuit^ hom qeu chan-
[ge^ mas chansos*
Pois nO cangia • mos cor *®
[ni ma raços
Qar sem iaçis^^ damor eu
[men lauçera
Mas qeu^^ mentis nô ^' séria
[nuils ** pros
5 Qautressim '> ten cum se ^>
[sol en balançha
Désespérât ^^ ab alques des-
[perança
Pero nonuol" del tôt lais -
[sarmorir**
Perço qem puosca plus so-
[uen *• aucir.
II. Mas er** uei ço qanc^* nô
[cuigei''qefo8
Qe soi tomaz ^^ de mi me-
[theis^*^ gelos
Contra mi don *• qeu no*' la
[correiera**
Mas tôt conseil qe damor si
[es *• bos
5 Nai assaiatz & pois re ^^
[nomenança
Tôt li farai de desamar sem-
[blança
Ai lais 3* qai dit iam oui
[deueu cobrir'*
E donc oimais ^^ ia sab ^*
[tôt mon albir.
III. Dona sperança & paur ''
[ai de'* uos
Ar'^ men conort & eram soi
[doptos**
Pero paors'* tem qe mapode-
[rera (aV : ço apoderera
[qeîl mapodera)
Mas un conort ai damor a
[saços
5 Qab tal poder mi mostra
[sa contança *^
Qe plus nO pot mostrar de
[malestança^^
Efaiesforç qi pot en sesofrir^'
Ire (al : Qinalre) poder de
[cel qi uol delir*'
1 sap ^ • oills — 8 Aisa con fatz — * dig — * donria.
* nos cuig — ' camje — * chanzos — ® camia — *• cors — " Car siemn
iauzis — 18 E sieu — is no — i* nuls — *' Qatressim — *<* con ill — i ' Deses-
peratz — i* uoil — !• mûrir — s» suuen — *i ara — ** qe — 88 cujei — ** Qeu
sui tomatz — *» motels — •• donz — ^no — ** corteiera — *• totz conseils
cazamorsion — w assaiat e ren — '* laz — s* dig ia nomenpuesc cubrir
— 8» do nos hoimais — s*sap — *5 Donne speranze paors — 3«pcr — a? Car
— 38 er en sui duptos — 39 Perel paor — *• Par qa le cor toi mainta
malananza — ^^ Qeu uei fallir moutz per qieu nai duptanza — *^ Quen
faillimen dautrui taing com si mir-<-*3p^r zo com gart se me tels défaillir
LE CHANSONNIER DE
IV. Mas ben conosc qe gran meil-
[lorasos *
Es de cort fait qant ^ hom
[nés oblidos
Ja mais amors a ' tal toi*!
[no mènera *
Si ia pogues tornar des-
[amoros
5 Pero leus cors toi mainta
[benenâça •
Qeu ueg faillir maiç per
[qeu nai doptança ^
Qel fallimen daulrui taing
[qom remir'
Per ço qom gard se meçeis
[de faillir •.
V. Dôna ben uei qe nô ual
[ochaisos *®
Qamor " nô uol qeu tan "
[sia gignos
Merce uos clam *' qe nô
[men lais enqera
Tan es mon " cors de uos-
[tramor coitos *^
5 Voillaç** sius plaç" complir
[la deuinança**
Com dis** qeu ai dautramor
[benenança
E qeus poges cobertamen *®
[iausir
BBRNâRT âmoros
223
El bruç uenges ^* de lai on
[sol uenir.
VI. A 2* na ponça cals esforç *'
[faz per uos
Qar era chan en ** ai null-
[allegrança
Qe morç'* de mon seignor**
[mi desenança
Qar" uos sabeç qe il sabia
[iausir **
5 . Cui deuiom *• onrar ni enan-
[çir 80.
VU. A naiman^* uai chanson*'
[& enança
R an toç têps & di lor *'
[ses doptança '^
Qe totz '^ ai tais soi com eis
[in '• albir
E no me pot niulç faiç ^' en-
[fadeçir.
ARGUMENTO
Peire uidals si fo de toloza fils
dum pellicier^» e chanta miels
come3« del mon. e fo dels plus
fols homes qe mais fossen. quel
crezia que tôt fos vers aco qe a
lui plazia. ni quel uolia. e plus
1 granz meillurazos — » tort fag cant — 8 ab — * meneira — * Cab
tel poder mi donet sa coindanza — « Qe pieitz nom pot donar de ma-
leslanza — ' E fai esfortz qi sap ensems suffrir — » Ir ab poder
daicel qil uol delir — »i. S. questa stanza é Za 3* — lo uchaizos —
" Qamors — *' qe ian — *• Per merceus prec — *♦ Tant es mos —
" cochos — 16 Voilljatz— «' platz — i» diuinança — i» diU — • qem
pogues CTibertamen - 21 bruigz uenra — 2« Ai — «» cal esforte —
«* Car iam conort ni — « Qeil mortz - 2« seignjer — '7 Car — " sabria
chauzir — » deuriom — 3» e car tenir — 3i nazimanz — »' palais —
w lup — 3* duptanza — »» tôt — ^^ sui com el eis — 87 nuls faigz.
Variantes du second texte à la fin du ms, auf.dOh: »• peiUicier —
*• dôme
224 LE CHANSONNIER DE
leu li auenia trobar qe a nail
home del mon. & aqel qe plus
ries SOS fez. e maiers folias ditz*
darmas e damor e de mal dir dal-
trui e fo uers cuns caualiers de
sain gili li tailla la lengua ^. per zo
qel daua ad entendre qel era
drutz de sa moiller' e nue ^ de
bausil lo fez garir e medegar e
cant fo gueritz el sen anet outra
mar de lai & amec una grega
qeil fo donada p^r muiller en thi-
pri^eilfo dat ad entendre qil era
nessa del^ emperador de constan-
tinople e qe per lei deuia auer ^
lemperi per razon. dont el mes
tôt qant pot* gazagniar a far
nauili qel crezia anar lemperi
conqistar e portaua armas em-
perials e fazia se clamar emp6-
raire e la muiller * emperairitz e
si entendia en totas las bonas
domnas qel uezia e totas las pre-
gaua damor e totas li dizio de far
e de dir tôt zo qel ^^ uolgues.
dont el crezia esser drutz de totas
e qe cascuna moris per el.E totas
uetz menaua ries destriers e por-
taua ricas armas, e caidera '^ e
campoilet emperial. e dels meil-
1ers caualiers del mon crezia ^^
estre el plus amatz de dompnas.
116
EN PEIRE VIDALS
(B. Gr. 364, 33)
1. (p. Î16) Per miels suflErir lo
[maltrag e lafan
BERNÂRT AMOROS
Qem dona amors dont ieu
f non puesc défendre
Farai chanzon tal qer lieus
[per apenre
De motz certes, et ab aui-
[nen chant
5 Ë faz esfors. car nai cor ni
[telant
Defar.c;l^anz<^i oadas plaing
[e sospire
Car non vei leis don mos
[cors non saire
Car tan mes Iqing la terrel
[douz pais
On es cella vas cui ieu sui
[aclins
10 Per cai per dut ioi e solatz
[e rire.
II. A leis mautrei ab sin ^> cors
[ses e^jan
Car totz sui si eus ses donar
[e ses vendre
E voil trop mais en bon es-
[per atendra
Leis cui soplei don iois mi
[vai tarzan
5 Qe dautrauer. bel f ag ni bel
[semblan
Qinz e mon cor ma fag
[amors escuire **
Sa gran beutat don res non
|[es a dire
E son gen cors ben fag e
[gen assis
Perqieu li sieu hom francs
[fizels e fiz
10 £ per samor a las autras
[seruîre.
1 diz — * lingua — ^moillier — ♦ nunc— ^chipri — • de — 'hauer —
*pog — • muillier — i» qe — ^^ cadeira — i^ credia.
18 Z. : fin — iM. : escrire
LE CHANSONNIER DE BEHNART AM0H08
225
III. Dieas qan veirai lo iorn nil
[mes vi ^ lan
Qellam voilla del mal gui •
[ardon rendre
Qieu non lais' dir. mielz
[mauzaria pendre
Mon coratge. cant ieu li soi
[denan
5 Mas assatz pot conoisser
[mon semblan
Qill es la res el mon qieu
[plus dezire
E per samor suffri tan grieu
[martire
Qe la dolors ma ia del tôt
[conqis
El dezirers qe maura tost
[aucis
10. E an gran tort mas ieu non
[lo auz dire.
IV. E si merces ab leis mi val-
[gues tan
Qelam volgues lo sieu bel
[braz estendre
Ja del tirar nO feira escoi-
[sendre
De tost venir humilment
[merceian
5 Vas lieis qi ma trastot en
[son coman
Qem pot donar ioi o del tôt
[aucire
Qeu non ai ges poder cail-
[lors me vire
E sil plagues qe près de si
[maizis
Bem tenc per sieus mas
[miels magra conqis
10 E feiram rie de grant ioia
[iauzire.
V. Al proz marqes qa pretz e
[valor gran
Mante e sap gent donar e
[despendre
E SOS ries pretz fai los
[autres discendre
Vas monferrat chanzoneta
[teman
5 Qeil sieu rie fait son dels
[autres trian
E pel meillor lo pot hom
[ben eslire
Qel es la flors de totz a cui
[qe tire
Qe' totz bens comenzamens
[efis
E saissi fos con ieu voil ni
[deuis
10 Corona daur li virei ^ el cap
[assire.
116
EN PEIRE DE VIDALS
(= B. Gfr. 364, 36)
I. {p. 116) Si col paubres qe
[iai al rie ostal
Qe nonquas plaing sitôt sa
[gran dolor
Tan tem qe tom a enueg al
[segnjor
No maus plaigner de ma
[dolor mortal
5 Bem dei doler can selam fai
[erguoil
Qe nulla rem tan non dezir
[ni voil
* e. fm : ni — « I : Taus — s /. ; B de — ♦ /. : vir.
15
I
L
226 LK CHANSONNIER DE
Car si val re non laas cla-
[mar merce
Tal paor ai cades senueg
[de me.
1 1 . Aissi con cel qe badal veirial
Qeil sembla bel contra la
[resplandor
Cant ieu lesgart nai al cor
[tal doazor
Qiea mi vblit per leis qe rei
[aital
5 Bem bat amors ab las ver-
[gas qea coil
Car una vetz en son roial
[capdoil
Lemblei un bais, don eras
[mi Boue
Ai tan mal viu qi zo cama
[no ve.
III. Si maint dieus pechat sai^
[criminal
Una^ bella dona car miels
[nom socor
Qil sap qen lieis ai mon co^
[e mamor
Si qe non penz de nul autre
[iornal
5 Dieus perqemsona tangent
[nim acoil
Fos pro nom te daisso dont
[plus mi doil
Ë cujam donc aissi loignar
[de se
An sufrirai zo cai suffert anc
[se.
IV. Car suffrirs tain g a segnior
[natural
Lo tort es dreg e la* sen e
[la folor
BERNART AMOROS
Com de guerra nom po)
[haner honor
Pos el ^ senz grat faiditz de
[son logal
5 Ben son faiditz si de samor
[non toil
Nomen partrai anz lam mais
[qe non sueil
Tenram la vil pos ab mal
[mi rece"*
Non o deu far qe per amor
[me ve.
V. Qaissi ma tôt ma donae son
[cabal
Qe sim fai mal ia nô naura
[peior
Qel sieus plazers. ma tan
[douza sabor
Qe ges del mieu nom remem-
[bra nim cal
5 Non el^ nul iorn qe samors
[al cor non broil
Per can^ tal gaug can la
[vezon mei oill
E can mos cors penza de
[son gran ben
El mon non vol ni désir
[autra ren.
VI . Jeu die lo ver aissi com dir
[lom soil
Qi ben comenza e poissas
[sen recre
Miels li fora qe non comen-
[ses re.
^c. en: fai ^ «/. : Ma — 3 1. : el — ♦c. «i: es — »c. en: rete — s/. :es
— ' /. : c'ai.
LE CHANSONNIER DB BERNART AMOROS 257
Pechat fai criminal.
^4ty* V. Pos forain* amdui enfam
Lai amade la blan
Eil' vai mamor doblan
A chaâcan iom del an
5 E si vos * trai enan
AmoVs e bel semblan
Pos er veillam deman
Qe maia bon talan.
VI. Pêne dolor e dan
Nai agut e lai gran
Mas suffert o ai tan
No mo tenc ad afan
5 Ane hom non vi aman
Miels âmes ses enian
Qieu nom vau ges camjan
Si con las dônas fan.
VIL Ben for oimais sazos
Bella donna e pros
Qem fos datz guiardos
Dun iazer a rescos
5 Car non sui enoios
E ia per als non fos
Cus bes val dautre dos
Qant per sors * es datz dos.
VIII. Qant vei vostras faizos
El gent cors amoros
Bem merauil de vos
Com es de brau respos
5 Car ben es tracios
Cant on per francs e bos
E pois es orguillos
Lai on es poderos.
IX. Bel vezer si nom fos
Mon dauantolz '^ e nos
leu laissera chanzos
Per mal des enoios.
EN PEIRE VIDALS
(= B. Gr. 70, 28)
I. {p. 117) Lou douz temps
[de pascor
Ab sa fresca verdor
Nos aduitz fueille flor
De diuersas colors
5 Per qe tiiit laimadors
Son gai e chantadors
Mas eu qi plaing e plor
Cui lois non a sabor.
II. A totz me clam segniors
De mi donz e damors
Aqil diu* traidors
Car mi fiza vendors *
5 Mi fan viure a dolors
Per bes e per honors
Qai fag a la genzors
Qenon valnim socor.
III. Las e niure' qem val
Car non vei a iornal
Mon fui* ioi natural
E leis al fenestral
5 Blanche fresch autretal
Com par neus a nadal
Si camdui cominal
Mesurassem engal.
IV. Non uist drut tan leial
Qe penz qaia * s al
Qieu port amor coral
A leis de mi non cal
5 Enanz die qe per al
Nom a ira mortal
E si per zom fai mal
* Voyez no 62 — 1 /. ; dui — « Z. : fizana en lor — « c. en : uiure — ♦c.
en; fin — 6 Z. ; menz o aia — ♦ 1. : fom — ' l,: Eis — » c. en: nos —
• /. : fors — !• /. : dauan totz.
228 LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
118
EN PEIRE UI DALS
( = B Qr. 47, 9)
I . Plus ai de telan qe non
[sueil
Gom pogues far auzir chan-
[tan
Com ten amors en son coman
E com fai de me so qeilplai
5 Qeram sa^ chantar. ai tam
[ben
Ab lo laig temps et ab la
[gran freidor
Con degra far lai el temps
[de pascor.
II. (p. 118) On plas vaac plus
[am e plus veill
Ab fin cor e de bon telan
La bella qê compret baian
Era lam tan qe non puesc
[mais
5 E non sai per qe mes deneu ^
Qe can li platz qem fai ben
[ni honor
Et ieu lam mais non sai con
[sesdamor.
m. E can mi fai semblan dor-
[gueil
Ges lamors nos laissa per
[tan
Anz es vers e nom tom a
[dan
Ma dôna qas vous ' puesc
[nius sai
5 Desamar per neguna ren
Ni vol esser en luec dêper-
[ador
Per qieu de vous gires mon
[cor aillor.
IV. J a nous serion las mei oill
Desgardar leis nil sieu sem-
[blan
Neis si dur au al ioms un an
Tant mes bel tôt can dis ni
[fai
5 Qe de nuil maltrag nô soue
Qe son bel cors e sa fresca
[color
Mal Onal cor en gaug et en
[douzor .
y. Lo mal traditz don eu plus
[mi dueil
Es car adesnoil son denant
Mas ades i son en pensan
Qes oils del cor tein ades lai
5 Mas lo dezir qieu ai ab me
Magra be mort lonc temps
[a de dolor
Sil doutz baisars non fos
[qemë socors.
119
EN PEIRE VIDALS
( =: B. Gr. 30, 6)
I . Aissi con mos cors es
Francs e fiz vas amor
Amail ^ dumilitat
Ma lois'^ a sa part près
5 Qe maltrag ni dolor
Non plaing tan mes conois-
[cenz •
Qan i conosc amor
Mais beus die sen clamor
Bona donna valenz
* /. : fa — * c. en: m'esdeuen — » c. «i : nous.
* c, en : A mais - ^ c. en: iois — • /. ; cosenz
LE CHANSONNIER DE BERNART ÂMOROS
?29
10 Tant mi vezetz cocha tz
Si merces non socor
Tem qe naures pechat.
II . E si iam vengua bes
Ni gaugz de vostr amor
Tan fiina^ voluntat
Non crei mei com agues
5 Vas dompna ni segnior
Cab bels ditz auinenz
Enanz vostra lanzor
& am tant de douzor
Lo vostre mantementz ^
10 E bel parlar per grat
La bocham na sabor
Qant ai daatras parlar^.
III. Domna ab cor cortes
Flors de ioi e damor
Ë mirails de beutat
Près ni ries nom tengues
5 Contra Tostra valor
Ma6 proB hom conoissenz
Qun* fai (p. 119) ben. ni
[honor
Et en lu ec dericor
Soi nos > obedienz
10 De tan finamistat
Cades en truep roeillor
Mon fin cor esmerat.
IV. Âmors qelfin cor uenz
Sil non es vers clamors
Merce e pietat
A lei come conqes
5 Cui son obs valedor
Te clam ge la turmenz
Qem fassatz tant donor
Cab lei vas cui ador
Met alcuns chaazimenz
10 Qel cori ai pauzat
SI qe nol vir aillor
Ni er ia sol pensât.
V. E sius adui merces
Qem fassatz tan damor
A lei daimont® au mat
Ai douze francha res
5 E ai dig gran folor
Car me près ardimenz
Qeus qezes tan donor
Mas sa fin amador
Deu venir chauzimens
10 Denc'' ioi e donrat
Eu son el gra dauzor
E siam perdonat.
VI. Gen conquis la lauzor
El bos ensegnamenz
Qe dieus vos a donat
En un iom de pascor
5 No serian contât.
120
EN PEIRE VIDALS .
(= B. Gr. 364,16)
1 . De chantar mera laîssatz
Per tra • e per dolor
Del pro comte mon segnior
E pos vei cal bon rei platz
5 Voil faire una chanzon
Qen porte en aragon
An nascol ' romeus
Sel sons li par bons ni
[breus.
1 1 . Qai tal domnam fui '° tornatz
Qe mude ^' ioi e damor
E de pretz e de valor
On safina aisi beutalz
5 Com laursen larden charbon
* c. en : fina — ^ c. en : mantinentz — 3 Z. : parlât — * Z. : Qim — * c.
en : uos — ^ c.en: datmont — ' c. en : De rie.
• c. en : ira — • c. en : uascol — *• c. en : sui — " /. : uiu de
230
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
E ^ moB precs li sap bon
Bem part qel segles es
[mieus
E qeil rei tenon mos fieus.
II l . Qeu soi ries e coronatz
Sobre totz enperador
Car de filha de comtor
Me sui tant enamoratz
5 Qe mais ai dan pauc cor-
[don
Qe na raembaadam ' don
Qel reis richartz ab pei-
[teuB
Et ab tors et ab angieus.
121
EN PEIRE VIDALS
(=B. Gr. 364, 25 et 80,28)
I . (p, 120) Aram va miels qe no
[sol
Gant ieu remir mon anel
No vei ciutat ni castel
Tug non fasson mon coman
5 E li rei e lamiran
Me tenon tug per segnior
Pel gaug e per la doiizor
Qem ven dauas nauiema.
II. Qeu sai un austor tersol
Mudat cane non prez auzel
Goindet e gai e isnel
Ab cuî ieu mapel tris tan
5 E tôt per aital semblan
Ma près a entendedor^
Et am dat mais de ricor
Qe se fos rei de valerria ^.
III . La laozet el rossinol
Am mais de nuille autre au-
[zel
Ganc' pel gaug del temps
[nouel
Mouon tug primeitan ® lor
[chan
5 E tôt par aital semblan
Go fan lautre trobador
Mou ieu mon chan per
[araor
De ma dona na uierna.
IV. Aragones fan gran dol
Gatalas e cel dussel
Qe non trobon qils cap del
Mas un ^ segnior fat e gran
5 Tal qes vana en chantan
E vol mais diuers qonor
E pendec son ancessor
Don si destruis e semfema.
V. Pos lo coms richartz mais
[vol
Beiruies ^ sai près bordel
Qe couhat ni mirabel
Ni Chartres ni sain ioan
5 Grieu cobrera botenan
Ni feira a son segnior
Bratas * moillar per paor
Per qieu creis merlis les-
[qema.
VI. Quil aguza el esmol
El trencha come coma col-
[tel
Lo segnior qe ten bordel
* /. E car — ^ceniidi embaudam.
Voyez le texte imprimé par M. C* Chabaneau dans la Revue d. l, r. ///.
s.f t., XII p. 236 ss. [Les couplets i et S appartiennent à Peire Vidal, les
autres à Bei'tran de Born) — 3 Chab, ; emendedor — ♦ Chah.: Palerna
— ^ Chab,: Car — * c. en: primeiran, Chab, : primeir(an) — ' Chab. : an
— ^ cen: Beirmes — • c. en: Braias
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
231
Mas trop son espes denan
5 E mol dauas lo trenchan
E plus le iau dun prior
Merce a les moledor
Ben viurai a viterna^
VII. Pos la reina damor
Ma près a entendedor
Ben pose far v o el terna.
VIII Tristan per la vostra amor
Mi veiram tomeiador
 peitau qi qes nesqerna.
122
KN PEIRE UIDALS
(= B. Gr. 135, 5)
I. (p. 121) Lo rossignols
[chanta tan douzamen
Qe neguns chans dauzel al
[seu nos pren
E qant ieu aug de lui matin
[e ser
Ghanz e retintz. douzas vous
[e refraitz
5 Adonc oblit totz mos autres
[pessars
E penz damor car cel pens
[mes plus cars
E membra me de main tz bes
[qe ma faitz.
II. Los guiardos e las merces
[len ten *
Em tenc per sieu en tôt bon
[couinen
E ia nô voil issir del sieu
[voler
Car moût men Iau per qieu
[mi son affraitz
5 Per bona fe qe de re noil so
[vars
Canz e sades mos plus co-
[chos affars
Seruir a leis on mos cors ses
[atraitz.
III. So es aqil pros domn ab lo
[cors gen
Cui eu mi don al meil qel o
[enten
E si ial puesc seruir a son
[plazer
Ben son gueritz et enders e
[refaitz
5 Qeil genzers es del mon ses
[totz gabars
E es saubut e proat et es-
[pars
Et en maintz luecs lo sieus
[bos pretz ^.
IV. De la beautat qes en lieis
[solamen
Aurion pro dautras pros
[donas cen
Qest albrar^ ceuriom'^ son
[vezer
Tro qe leis vis qe dautra es
[mal traitz
5 Car ges en tan n5 es la soa
[pars
Qan cobre cel s de ^ terra ni
[clan mars
Ni nuls bos pretz nô les en
[re sofraitz.
V. Perqieu son lieus^ en far
[son mandamen
Cautra noia deman ni tene-
[men
Ni part ni dreg ni respeig ni
[poder
* Chab. : ui[d'e]tema. — ^ c. en: ren — ^L: pretz retraitz — * /. : Qest'
albiap — ^c. en: deuriom — « c. en: te — ' c. en: sieus
2^2
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
So sab il ben qieu son a totz
[trazaitz
5 Sos fins amies vers et bu-
[mans e clars
Feracs ' e segurs. e oO de re
[auars
Em son par leis dautra amar
[estrait.
VI. E pos il sap caissi ma ses
[conten
Ben dei trobarmerce e cbau-
[zimen
Ab lois oc be iés no men
[desesper
Cab gent seruir ai uist maintz
[aturs fraitz
5 For qe de leis nom taing
[assegurars
De nuUa re si fai qe despe-
[rars
Es falsa fes e plus dobles
[forfaitz.
VII. Sapcbatz miraill car si es
[mes amars
En leis qe totz nés faillitz
[mos agaitz.
123
EN PEIRE UIDAL
(=- B. Or. 364, 45)
L (p. 228), Son ben apoderatz
Per amor e uencuts
Car aital via tenc
Qe lai on ieu plus prenc
5 Dan cra* ni demcombrier
Torni plus volontier
Perqieu sai qes vertatz
Qel es mage assatz
Gaugz cant es car compratz
10 Caicel don es viutatz.
II. Enqier sui plus iratz
Del cordon cai perdutz
Qe daisso qe mauenc
E pero ges nom fenc
5 Anz sui plus vertadier
Qe no magra mestier
Qenqer par als costatz
Con ieu sui ^laig menatz
Ë puis mes tôt deintatz
10 Pois ca ma dona platz.
III. Don pueis mo castratz ^
Amutz ^ ni rauba drutz
Noil penz sieu len reprenc
Car qi fa qi blasténc
5 Auzit de repropcher
E car per pauc damor
Fui en sa cort raubatz
Lo blâmes lieis ressatz
E fora plus bonratz
10 Sel fos del re venjatz.
IV. Cel nés plus enianatz
Qil es damor téngutz
Qel segnier de be renc
Sai ben cô les deuenc
5 Ë pueis lo pog nautier
Car guerreiet premier
Fon per el desrocatz
E ia totz temps guidatz
Sos bos amies priuatz
10 Si con lescarauaitz.
V. Per zo nés sos comtatz
Bnrecbitz e cregutz
Mas moins val duna renc
Zo qe per forsa renc *
5 Qel près monge claustier
A coi tolc lo moustier
* /. .• Ferms. — » c. m: cta — ^ c. en: foi— ♦ c. em: castiatz — * c. en
Âuniti — * c. en : tenc
LE CHANSONNIER DE BEBNART AMOROS
23^
Pero si na raubatz
Samfeltz e momatz
Mas trîpol so sapchatz
10 So^ gen del conqistatz.
VI. El portai els fossatz
De son * chau fondutz
E pueis eau ^ men soaenc
Qe de plus no mestenc
5 Qe za ne for chazier ^
Ënemic e gerrier
Si qe mos gazaignhatz
Ten opida em patz
Ë si es perdonatz
10 Si na tort lo pechatz.
VII. Domna nostras ^ beautatz
El fiuz pretz mentraubutz
Mi fai semblar sabenc
Tôt autre ioi cane venc
5 De vos un alegrier
Mestauc a cor entier
Don nai mager solatz
Ai don humilitatz
E pretz e pietatz
10 Vos met entre mos bratz.
VIII. {p. 123). Nameina •
pos '
[vilaz
Mal enseignatz
Es qi vos aloignatz
De nostras amistatz.
IX. Perqe mos chastiatz
Ses proma cermatz^
Sil fai mas es pecbatz
Pos totz noi estabatz*.
124
EN PEIRE UIDALS
(= B. Gr. 364, 3)
I . Amors prop sui de la bera
Car mes tant de mala guisa
Qen cuiei magues conqiza
La gencer e la plus gaia
5 Damors mas noil qal qeu
[laia
Per qeu morai desesperatz
Amors et en ^® tortz e pe-
[chatz
Si daqèst voetre ben voillen
Non aues qalqe chauzimen.
II. Ja sieu saubes non ame^a
Qe men prezes dàitàl guiza
Qera ma voluntat priza
Cil qes orgoillosa et gaia
5 Vas mi e per mal qen traia
Nom qal qan ma mes en tal
[latz
Qe chanz ni deportz ni so-
[latz
Dautra nom dona esbaudi-
[ment
Ne de leis nul ioi non aten.
m. Per qieu a mon gi'at nés-
[tera
Fe qeus dei anz de ma guiza
Qëcar non lagra enqisa
E pero non es tan gaia
5 Qeu de lei mal non retraia
E dirai enuoigz e viutatz
Si tôt ses mensonge foudatz
Car cors qes plen daziramen
Fai ben faillir boca souen.
' c. en: Fo — ^c. en: fon
▼ostras — ^ c. en; Nauierna
* c.en: estaratz. — *<>/.: er
^ cen: can — * c. en : chacier — s /.:
'^ c. en : poitz — * c. en: crematz —
?34
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
l V. Tost temps sim lègues blas-
[mera
Leis ques tan de bona guiza
Mainta razo nai assiza
Em blasmar la domna gaia
5 Per qes ben dreitz qem nes-
[traia
Em partirai de samor for-
[satz
[•. ]
Si val partrai men bonamen
Et irai mon miels enqeren.
V. {p, 124) Qi ia vi lora qil
[mera
Plazens e de bella guiza
E sa bocha gent apriza
Em parlar paraula gaia
5 Mais bon pretz finz e veraia
Sos cors adreitz e gent for-
[matz
Desegnamenz e de beau-
[tatz
Cane anc hom non vi tan
[valen
Ni ab tan bel cbaptenemen.
VI. Mas ar mes esqiua e fera
Tomada de mala guiza
Si qele[s]peranza briza
Don fon ma voluntatz gaia
5 Pos nouz plas bes men es-
[chaia
Peigz trai de mort tan vif
[iratz
Ar conosc e sai qes vertatz
Qe diable son seu paren
Qal sieus dona peiorturmen.
[125. (C» 89)]
FEIRE UIDAL(c f. 60 r«)
(=B. Gr.364, 48)
I • Tant mi plaz
Jois& solaz
Dhomes hondraz
Per qieu faz
5 Tal chanson uiaz
Bon reis qe uoill qaprendaz
E sim domâdaz ^
Tan souen p«r qe châtaz
Per far enug* al s maluaz
10 E gauz a nos enueiaz ' .
II. Ben sapchaz
Seu fos amaz
Qe * ausiraz
Esmeraz
5 Chanteretz ^ préiaz
Qar on plus son ® malme-
[naz
Fatz merauelliaz
Motz ab un sonet dauraz
Qami nô ^ ual amistaz
10 NI nô chant mas de pre-
[chatz*.
III. Plus hondraz'
Fora chom naz ^^
Sil bais emblaç **
Mi fos daz
5 0 *2 sol autreiaz
E no uoilh qen qe iraz ***
On es totz mos graz
Qe ben leu mal me faraz
Qar souen fai cobeitaz
10 Fallir los" plus ensenhaz
IV. *5 Cors dolgazifi
L. S. : ^ demandaz — * Car es enuegz — 3 uos enuezatz — ♦ Qeus —
8 Ghantaretz — «soi — "^ E no men — 8 perchatz — " Meils paiatz -
10 com natz — i emblatz — ^^ e — 13 qe menqeiratz — ** als — - i' L, S.
ha questa stanza 2» — *• delgaz
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
23fï
Faisonaz ^
Merce naiaz
Piataz*
5. Vos lan ^ conseîlhaz
Qe destreitz son & coitaz *
Ha ^ dOna gardatz
Mon cor e * nO lauçiaç
Qe mans ' & tortz & pechaz
10 El* seu mor ^ desesperaz .
V. Ab un daz •
Menut plombaz ^^
Nos a trichaz
Maluestaz
5 Et es cassetaz ^^
E nos ramon non ^* gitaz
Qades nO fassaz
De ben *' aitanz. qant pus-
[caz **
Qe bom manSç cobes se-
[riaz **
10 Val menz qe mort** soter-
[raz.
VI. "Poisbeutaz
Fal plus senbaz **
Oltracuiaz
Per *• qes faz
5 Qî nos ten solaz ^^
Mas eu sui ben ** encban-
[taz
Sabmî donc parlaz
Qe nO pos partir de laz ^^
0 eu son gelos *' proaz
10 0 del tôt enamoraz.
VIL «♦ Neus & glaz
Qar nO restaz
Ja uen estaz
E bel praz
5 Qe non uerdeiaz
Qeu sui plus enamoraz
Per lei cui embraz
Qe nostr emperaire faz
Qe la perd ut so sapcbaz
10 Sec sentz sol cancb nO
[tenbdadz.
[126 (c» 93)]
PEIRE UIDAL
(B. Gr. 364, 4)
l. Ane no moii per amor ni
[per al
Mas mi ** uida pod 2« ben
[ualer morir
Qant uei la ren qe plus am
[e désir
E ren nô faz ^^ mas qe dolor
[& mal
5 Nô ual ben mort mas an-
[qar*^ mes plus greu
Qen breu sarem ia ueilz
[ella & eu "
* Gen faisonaz — * Pietaz — * lam — * cochatz — c Ai — • qe —
' Qenjans — 'muer — « datz ^ *o plombatz — ^ Dont ieis escarsetatz
— ï'Mas en rainers nô — '• Qe pros — '* uiuatz — *' Qe ries hom loues
serratz ~ *• piegz cuns mortz — 17 prima (c.-à-dire: stanza) — *8 Palz
p. membratz — 19 Ben — **cen celaz — ^* si — ^^ Qieu noU puesc moure
dallatz — ^ gilos — ^* L. S. non ha questa stanza ma ha il canzoncino
qui appié :
Nauierna patz
Volgram fes mos chastiatz
L. S, : 2B ma — *• pot — *t fai _ 28 enqer
Qen proenza sui tornatz
Morir con la lebrel jatz.
-_t0
leu
236
LE CHANSONNIER DE BERNART AM0R08
E sai si perd^ lo meo^ el
[teo 3 iouen
Mal mes del meo' mas del
[seo ' per un cen.
II, Et anc no ui^ plait tant
[descomunal
Qe qant eo pois nul' ren
[far ni dir
Qa lei daignes placer nia be-
[lir
Ja mats * nô uoil far nul
[altre' iornal
5 Mas * tôt qan faiz par a lei
[uil e leu
Qe* per merçe ni per amor
[de deu
Nois paesc trobar merçe ni
[çausimen*®
Tort a de mi " e pechat ses
[conten.
III. Bona domna *' uostr hom^*
[natural
Podez seos *^ plaz leugera-
[ment aucir
Mas a la gent uos farez
[escarnir
E pois naurez un ^^ pechat
[criminal
5 Vostr hom soi ben qe ges
[nom teing *• per meu
Mas ben lais hom a*' mal
[seignor son feu *•
E ual ben*' pane ries hom
[qan pert sa gen
E*® dairel rei de perse** fo
[paruen.
IV. Esters *^ mon grat am totz
[sols per cabal
Leis qi nom deigna ueçer
[oi aaçir
Qen ferai doncs*' pois nO
[men pois ^* partir
Ni ÎAusimôt'B ni merçes no
[mi ual
5 Tenrai *^ mal us del enoios
[romeu ^
Qi qer & qer '^ qar de la
[freida** neu
Nais lo cristals don hom
[trai fog arden
Qe per ^^ esforz uençon li
[bon sofren.
V. Ësforsar mai enqar dons
[per aitaP*
Qel ben el mal me uoil en
[pais sofrir"
Mas ben sabreu honrada-
[men graçir*'
Sen ses secors & a lei
[damic coral "
5 Qe seu^^ uolgues dona segre
[autre trea**
Onrat placer agra eu con-
[qist en " breu
* saissi pert — *meu — 'sieu ^ ♦uia — *eu cug nulla — * E ia —
'pensar daltre — ^Gar — *Canc — >• Non uol auer de mi nul chauzimen
— i*E an gran tort — i*domnal ~ ** home — '*siu8 ^ i*aurezen —
*• Ben soi uostre qe ren nom tenc — *' p^r — *« so fieu — *• Epois
ual — * Qa -— ** persa — *2 Estiers — *• Doncs qe farai — ** puesc —
*8 chausimenz — *• Penrai — ^ romieu — 2g Qe qet e qier — * freja
— 80 E ab — •' Doncs qen farai sufrirai per aital — •*Col pros destreigz
cui auen a suffrir — ^^ Som li fai mal mas be saura grazir — s* Qim
fezes ben en luec damic leal — s» E sieu — 5* penr autrui fieu —
•'a. zo cug em
LE CHANSONNIER DE BBRNÂRT AMOROS
:>37
Mas senes^ uos non pnesc*
[esser (c/. 62 v^) plaçen
Ni de ren aU gauç^ entier
[nO aten.
VI. Per ço men soi^ gitaz e n6
[men cal
Con hom uolpilz ' qi sobli-
[da • fugir
Qi nos' ausa tomar ni sab
[gandir
Qant lencaasant^ sei enemic
[mortal
5 ,N0 ai conort nias a qel del
[iudeu
Qe sim fai* mal fac ades
[lo^® seu
Aisi com cel qa orba se ^i
[defen
Ai tôt perd ut la força e lar-
[dimen.
VIL Lai uir mon chan al rei
[celestial
Gui deuen tuit onrar& obe-
[dir "
Et es mester qe lanë lei*'
[seruir
On cOquerrem ^* la uide spe-
[rital «
5 Queil saracin desleial ^^ ca.
[nineu
Lan tolt*^ son règne des-
[traita sa pieu
Qe saçitan'* la croz el
[monumen
Don deuen tuit auer gran
[espauen *' .
VIII. «®Cons de piteus de uos mi
[clam a deu
E deus a mi psr aqel eis
[cOuen
Qamdos auez traiz moût
[malamen
Lui de sa oroz e mi de mô
[argen.
[127 (c* 95)]
PEIRE UIDAL
(B. Or. 364, 42)
I. Sieu fos en cort on hom ten-
[gues dreitura
De ma dôna sitôt ses'^ bona
[e bella
Me '2 clamejra qa tan gran
[tort me mena
Qe nom aten pleui *• ni cO-
[uença
5 E donc per qem promet ço
[qe nom dona
Non tem pechat ni sap qe
[ses uergogna.
II. E valgram mais qem fos al
[prim esqiua
Qe qem tengues en aitan
[greu** rancura
Mas illo fai si cum '* cel qe
[cembela '•
Qab bels semblanz mi tê'^
[en mortal pena
ires ses — *nom pot — 3 gaug — *P. aisso sui — * Can lo uulpilz —
subtida — 'non — • lencauzon — * «el fa -^ '• m. fa le el & al -» ** qi ad
orb si 1» obezir — i3 lanem a— i* hom conqer - *• uer gaug esperital
— **serpacin del maluatz — *' An mort — 18 E an ne tout -^ *• marri-
men — ^^L. S. non ha gtiesto canzoncino,^ L. S. : '* es — *2 Mi— 23 pleui»
^ ** Qil ia magues mes en aital — *• con — '*qi cembella — *' ma mea
238
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
5 On ja ses leis nô cre auer '
[guirëça
(o /. 03 v^) Qanc^ mala fos
[tan bella ni tan bona.
III. Daatres afars mes cortesa
[& chausida
Mas mal o fai qar a mon
[dan sabriua
Qe peiz mi fai e ren no sen'
[meillura
Qe ^ mais de dent qan dol en
[la maissella
5 Qal^ cor me bat ades e nom
[refréna
Samors ab leis & ab tota
[proeça*
IV. E qar ^ nO uei mon rainer
[de • marseilla
Si tôt me uiu mos uiures nô
[es nid a
E malaudes ^ qan soueu reca-
[liaa
Guaris molt greu anz mor ^^
[si SOS mal *^ dura
5 Doncs serai mortz senaisim
[renouella
A qel** désir qim ** toi souen
[la lena.
V. Al meu semblan moût laurai
tard côqista
Qar nulla dOpna piez nO sa
[conseil a
Ves son amie qe qan plus lai
[seruida
De mon poder eu la trob **
[plus umbriua
5 Donc '^ pos tan lam ben faz
[plus foletura "
Qel fols pastre qal bel pog
[caramela ".
VI. Mas uencuz es cui amers
[apodera
Apoderaz sui qan'^ madOna
[aig oista
Qar nuU *• autra ab leis ^
[nos aparella
De gaug enter ab proessa
[cOplida
5 Per qeu soi seus e serai tant
[qant uiaa
E si nom ual ^^ er tortz e des-
[mesura.
VII . Chansons uai ten a la ualen
[reina'*
En aragon qar mais reina
[uera
No sai'^ el mon e si nai
[mainta uista
Ni n5 trob ** mais ses tort e
[ses qerella
5 QilP*^ es francha e cortesa e
[grasida *•
Vas tota gen & uas deu
[agradiua.
VIII E qar lo reis sobrautres reis
[senansa
Ad aital rei conuen aitals
[reina.
IX. Bels castiaç '^ uostre prez
[segnoreia
Sobr autres '• preç qab plus
[rix faiz ^ senansa.
itrobar— * Ai — 'mi — * Qel — •Qel — • ppoença— 'car — «da —
•Qel malautes — lOmuer — i* mais — *' Aqest — ** qem — *♦ truep —
'* Don — *• foliatura — *' ca bel poig chalamolla — ** cant — '• negun —
•• lei — *i nonouol — ** regina — *3 trop — **trobi — •* Car ill — •« leials e
granda — *' castiat — *8 tôt — *» cablo meillor
LE CHANSONNIER DE BERNAllT AMOROS
239
X. Mon gauçagnat sal deus en
[auierna
Qar hom tan gent ^ nô dona
[ni guerreia.
[128 (c» 98)]
PEIREUIDAL(o/^.<J5t?o)
(= B. Gr. 364, 31)
I . Nuls hô nO pot damor gan-
[dir
Pos qel seu segnoriu ses
[mes
0 tôt li plaça o tôt li pes
Sos talenz lauen a seguir ^
5 E sapchaz chom enamoraz
Nô pot segre autra uolontaz
Mas lai on uol amors lai
[cor
E noi garda sen ni folor.
11. Adonc saup eu pauc des-
[cremir
Qancnom gardei tro keu fui
[près
Col fols ausels qant aud
[los * bres
Qes uai coitosamSt auçir ^
5 Me mes ' eu coitos ^ en tal
[laz»
Don eram teng per engi-
[gnaz *
Qen poder soi de tal seinor
Qe nom uol far ben ni ho-
[nor.
III. E ren nO degra hom meill
[fugir
Com mal segnoriu qi pogues
Mas fugir nol puesc eu ges
Coltra la mar manet ferir
5 Amors ues lo senestre laz
Tal colp per qeu soi ça
[tornaz
Don morria dira & de dolor
Se gaug enter no men socor.
IV. Mas ab gaug me pora garir
Dira ma dôna sil uolgues
Qar per ma fe sa leis pla-
[gues
Nol degra ma morz* abelir
5 Qe tôt soi seus en domeniaz
Ane no o die ies ço sapehaz
Fer ço qem faça*® mort paor
Mas qar i perd ** son ama-
[dor.
V. Daltre ** mal mi sabreo*^
[cobrir
Ma daqest ** mi destreing **
[lo fres
Qe** ma bella dôna " promes
Ça don ma dat en cor a
[mentir **
5 El seruis mal gueerdonaz *•
Acel qil prendes gran pe-
[chaz
Qe per mal guierdonar ^^
Son paubre maint bon ser-
[uidor 2*
*Com miels de lui. — i. S, : ^ complir -- 3 au lo — ♦ cochozament
aucir — » mis — • cochos — Uatz — « enjanatz — » mortz lo f assa — " pert
" Daqest — " sabreu — ** adoncs — « trenchet — i» Gan — l'dônam
- " magramors ses fallir — " Qe s. m. guierdonaz — 20 guiardonador
^ *i L. S, hà più questa stanza, ma non ha poi le seguenti :
VI. Dona pos nô men puesc su- Chauzimenz 0 dieus i^en
[frir [ualgues
240
LE CHANSONNIER DE BEHNÂRT AMOROS
VI. Ben degra ma domna chausir
Com soi tornaz en sas merces
Qar per raçon ual bona fes
On faill lo poder de serair
5 Qen las ricas corz pietaz
De sen colpals plus encol-
[paz
Per qumilitaz ab rioor
Domna toz altres lois sabor.
VII. Gentils cons de petiu bem
[plaz
Qar es en lausor e prez
[môtaz.
(c f, 66 r^) Qe gent nos uei
[cobrar donor
Qe perdiron uostre ancessor.
VIII Se tôt ses mal mons castiaz
Dolor men pren e pietaz
Qar aie ueilz ab deshonor
En tor na uierna en samor.
[129 (c* 100)1
PEIRE UIDAL
(= B. Gr. 364, 11)
I . Ben paug ^ diuern & destiù
E de freg & de cal ors
Et am neus ai tan cum flors
E pros ' mort mais cauol
[uiu
5 Qar aisim ten esforçiu
Joi & louent e ualors
E qar ar ' dOna nouella
Sobrauinent e plus bella
Qem par toças ^ en trel gel
10 E clar tôps a trebocel. '^
II . Ma domnam près sot lo riu*
Denant mil combatedors
E contrai fais fignedors
Ab Bolaz tant ^gradiu '
Qal partir quecs iuro à
[pliu«
5 Qe dOna es de las meillors *
Qe lois ^^ & prez la capdella
E q&t respont ni appella
Sei dit man sabor de mal
ip Don sembla san gabriel.
III. E fas temer plus dû " griu
Als uilans domneiadors
Et als fins conoissedors
A solaz tan agradiu
5 Qal partir qex " iur e pliu
Qe domna es de las meillors
Per qem *• train en cem-
[beUa**
Em trail cor de soz laissai-
[la«
Domna ** leial et fiçel
10 E plus iust que deus abel.
IV. Dondrat" prez nomenatiu
Creis tant la sua ualors
Qe nO (o/. 67 r^) pot sofrir
[laudors
Qem nalgues de uos cals- Qom (/. : Qen) uazitz mais
[qel es [oilz e passatz
Po9 non ai poder cals désir Si cal destrai dal resplandor
5 Sjm destrein uostra granz Qem toi lo sen e la uigor.
[beutatz
L, S.: * pac — * ppou — » qaram — * Parom rozas — * a trebol cel
— • domn pretz honoriu — ' Ten establit mon esqiu — • Per son rie
segnoriu — » Lauz^ngiers si om pot far cors — *o Car senz r- ** de —
" qeigz — i« som — *♦ em sembeilla — " sotz laisseilla — ** Don ma—
17 Londrat
LE CHANSONNIER DK BERNART AMOROS
:^li
La gran força del uer briu
5 Sei enemic son çaitiu *
E sei amie ries & sors
Oils front ^ nas bocha e
[maisella
Blanc peiz * ab dura ma-
[mella
Del taill dels fils disrael *
10 Et es colOba^ ses fel.
V* Per çom ten morn e pensiu
Ades qan me uir allors
Pois creis mon gangs &
[doiçors
Qar del seu bel cors maisiu
5 Aisi cû de re caliu
Ar nai caud ar nai freidor
E qar es gaia & isnella
E de toz mais aibs paicella
Am la mais per sant rafel
10 Qe iacob no fe rachel.
VI. Uers uai ten uas mantoliu
E dim alas très serors
Qe tan mi plaz lor amoros '
Qinz en ^ mO cor las escriu
5 Vas totas très momeliu*
En faz dOnas & segnors
E plagram mais de castella
Una frescha iouençella
Qe daar mil cargat camel '®
10 Ab lempeiri manuel " .
VII. Franc reis proensaus apella
Qe sens claus^' desclauella
E gestaus la cera ^' el mel
E sai trame t uos lo fel. **
VIII. Per lapostol qem " appella
San iame ^^ de cOpostella
En linçi a '^ tal miqel
Qem ual mais qaicell del
[cel.
[130 (C 105)]
PEIRE UIDAL
(= B. Gr. 364, 24)
I . Ges pel tSps fer & brau
Qadus tempier '* & uenz
Don torbals ^* elemenz
Ë fal >o cel brun & blau
5 Noc ** camja mos talenz
Anz 68 mos pêsamenz
En iois & en cbantar
Em uoill mais ** allegrar
Qan uei la neu sus en lauta
[môtagna
10 Qe qant la flors se spftdon
[per la plagna.
II. Amors & iois m^i clau
Et amesuran ^' senz
E beutaz & iouenz
Mallegra & mesgau ^^
1 chaitiu — * Front cils — 3 peitz —
ha qtiesta ftanza — ' amors — * e
^^^ L,8. hà di più questa stanza :
Qen franza e en beriu
E a peiteu e a tors
Qer nostre segner socors
Pels turcs qel tenon faidiu
5. Car tout Tan los uaus el riu
is En sapcho laus ^ is Qel en trai
**coin — *« Sain iacme — *' lui un. -
bals— w fai — *i Uos — " Kra dei
* israel — • colûba — • i. 8, non
— » mumeliu — lo Qe c. un camel
On anauoil pechadors
E totz hom qe nos reuella
Contra quesiA gent fradella
Mal ne sembla daniel
10. Qel dragon destruis a bel
la cer — i< E a uos enuial fel —
'L, S.: *■ Qaduz tempiers — ••cor-
miels — *• amesural — *♦ mes j au
10
242
LB CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
5 E cor gais cortes & genz *
Mes de totz mais guirenz *
Bel ris & doaç esgar
Me fai rire & iogar
Cortes solaz mi reten en
[guadagna '
10 El gaaç enter me toi trebaill
[& lagna.
III. Domna de nos me * laa
Qar es dooça & placez
E la plus auinenz
Qe negus hom mentaa
5 Qe ^ nostre ensegnamenz
Vos ' fai als conoisenz ^
Ben dir & tener car
Et a mi tant amar
Qel cor el sens me diz qab
[nos remagna
10 E sim fai ^ mal ad ' autra
[nomen plagna.
IV. Qar qi nos uei ni an
Nô pod *® esser dolenç
De " neguns marrimenz
Ë dôna tant suau
5 Mapodera em uenz
Vostra caira ridenz "
Qe qant uos au ^^ parlar
No puesc mos oiil '^ airar
Tant mabelis aostra fina ^^
[compagna
10 Qe daoltres mes saluag'* &
[estragna. *^
V. De lai on creis oU^ fau
Mi aen esbaadimenz
Don soi g^i & iausenz
Canal nom de pietau **
5 E ial fais recresenz
Cobes mal despendenz*^
Nô poira conqistar ^*
Per soaen petbenar ^^
Sitôt se peinch nis mira ni ^^
[saplagna
10 Totz son affar nô preç^^ una
[castagna. ^^
VI. Qelcorallac& eau
Et es menz qe nienz
Qe per mil >> sagramenz
Nol creiriahom dun clau
5 E dolon me ^^ las denz
Qan parli daitals genz
Per qeu mo lais estar
Dun sa je filh dalbar
Qen maluestaz se soioma
[es bagna
10 E SOS preç es aital*« com
[fîls de ragna.
1 E francs cors eissamenz — • * maier benz — 3 gazagna — * mi • El
— ^ Se — '' plus ualens — • faitz — • caz — *Opot ~ " Per •* rizenz
— '3 uei — !• oils — *«douza — 16 daultrame sealuag— l'L. S. hà qui
di più la seguente stanza:
5
De lai on ueing ni uau
Soi uostre ben uolenz
E séria obedienz
Con cel ca buo sestail
Per far uostres talenz
E ia francs chauzimenz
Non dei oimais tarzar
Zo qem fai esperar
Qe pois artus a cobrat en bre-
[taigna
10 Non es razons qe mon ioi me
[sofraigna.
*8creissoil — *• Contrai nom peitau — 'o reiai despenz — *• Noi pot ga-
dagnar — 2> penchenar — *3 peing es m. e — 24 g^s aifars non ual —
** castaigna — 2« de nul — ^^ men — '8 aitals
LE CHANSONNIER DE BERNARÏ AMOROS
!?43
YII AI rei ualent & car
Voil mon uers enuiar
Qe se ça ^ perd proensa
[paac gadagna
Pel * bel soiorn qe pren *
[lai en espagna.
VIII. Praire rire & iogar
Si uulh^ par nos & chantar
Mas er ai dreit qe sospir &
[qe plagna
Qar aostramors messaluag<^
[& estragna.
[131 (o* 108)]
PEIRE UIDAL
(= B. Gp. 242, 50)
I. Non es sauis ni gaire ben
[après
Cel qes blasma damor ni
[mal en diz
Qamors sap gen donar gauç
[uls marriz
E fai tomar lo malastruc ^
[cortes
5 Chascan ^ fai de failliment
[guardar
Qi gen la sap car tener e
[celar
E als failliz torn* auinen
[perdon
El fin aman son per lei car
[& bon.
II. Ben aial t€ps el iorn el anz
[el mes
Qel douç cors gais plaçen-
[tiers gen noiriz
Par lo meillor ^ desiraz &
[grasiz
De lei qes tan complida de
[toç bes
5 Qe*° sap ferir al cor dun
[douç esgar
Do ia nom uoill départir ni
[sebrar
Qar ges nO es dôna ni er ni fon
De tan bons aibs ab tal
[gentil faiçon.
III. Ane mais a nul aman tan
[ben..."
Ni tan nO fo de fin ioi enqeriz'*
Gom eu qel iorn qe mos
[chanz fo ausiz
Per uos dOna eus plac qe
[retraisses
5 Vostra lauçor el preç com-
[plit & car
E sieu sai ren dauinen dir
[ni far
Vostra beltat el honor non
[cbaison
Qieu teng engual dun corn-
[plit guiardon.
IV. Tant maueç dat pois qe
[magues conqes
Per qautre " dons per me
[nous er qeriz
Ma uostre cors per lo meil-
[lor chausitz
Sap qe conuen gardar en
[totas res
5 Pero cel qi sens qerre uol
[donar
(o/*. 72 r*^) Ben fai lo dons mais
[mil tanç apreçar
*saras— *E1— *pres — *Sueil — » saluatja. —
— ' E chascun — » don — * los meillors — *• Me —
i^enrcquitz — i' Qe autre
L,S,: * mais adautz
ïi ben nom près —
244
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
Qeu ai bon uist sens qerre
[far rie don
E don qeriz mermar * lo
[miels del pron.
V. Mon fertn uolerdOna ai tan
[en nos mes
Qe ia non er delognatz ni
[partiz
E qar damor soi eu si ^ con-
[qeriz
Ben dei rendre desta preison
[merçes
5 Ben fui astruc qi prtmier
[sap* amar
Ghom qe ^ eortes en sa meil
[esquiar^
Enag * uillanie & faillison
Per qeu estac en bona sos-
[peison.
YI. Seinher guilP malaspina
[deus gar
Vostra nalor el preç côplit
[&car
Qen ttos trob hom ioi &solaz
[e don
Per qeu uos uoill presentar
[ma chanson.
1 mtrma — > SBi près e — ' saup — ^ Gom nés ^ s eschioar ^ * Enueig.
£ . Stbngrl.
(A WHnn0.)
I DODICI CANTI
ÉPOPÉE ROMANESQUE DU XV1« SIÈCLE
CANTO NONO
(Suite)
63 . Et volto al coderon alza la spada
Et con la usata possa un gran fendente
Mena, et la coda salta in su la strada,
Onde Aleramo il sir forte et prudente
Tutto si scuote per non star più a bada,
Et, aciô del dragon le forze spente
Restino, con prestezza quanto puote
La ancisa coda dalle gambe scuote.
64. Ma quella coda si dimena in guisa
Più che se giunta al corpo fusse stata,
Anzi più assai di pria che fusse ancisa,
Et al guerrier fa guerra più spietata,
Che già di sangue gli ha la faccia intrisa,
Ma non che la forza habia anichilata.
Non dà alla coda più ne al drago ancora,
Perché il sangue il veder le discolora.
65. Et con la bocca che ha in le parti estreme
La coda al sir la destra gamba afferra,
Et tanto forte quella stringe et prieme
Che sforzato è costui cadere in terra.
Il drago con la coda mosso insieme
Sopra il caduto sir tutto si serra
Con impeto crudel, con gran furore,
Da dar a Marte non ch* a un huom terrore.
2A6 1 DODICI CANTI
66. Ma Aleramo, che sol dlionor è vago,
Pur si rincora et di rizzarsi pruova
Corne délia vettoria sua presago,
Usando una destrezza alliera et nuova.
Tutto si caccia sotto Tampio drago
Con el nudo pugnal, et ciô le giuova,
Perché in un fianco ove la pelle è molle
Tutto lo caccia et la vite le toile.
[F^ 106 r^'jô?. Poi menô un colpo aile tre teste un tratto
Con la sua spada et quelle tagliô netto,
Et con la coda rimase disfatto
Di vita una altra volta il maladetto
Brutto animal ; et fe la coda un atto
Che fu miracoloso in primo aspetto,
Che, morto il drago, tutta si distese,
La bocca aperse e il sir libero rese ;
68. Corne dicesse : « Poich' è morto il resto,
Viver non posso più; per6 ti lasso. i>
El sir, che 1 drago non ha più molesto,
Lieto et contente ritirato il passe
Per accostarsi ov' è il bel viso honesto
Di Sylvana gentil, pensando al passe
Délia immensa vettoria esser già giunto,
Nuova cosa apparir vidde in quel punto.
69. Che vidde dalla bocca certo orrenda
Del drago morto uscîr con sette teste
Una hydra di brutezza si stupenda
Ch* avria impaurito il forsenato Oreste.
Corne contra Aleramo ella s'accenda,
Inditio fanne Topre sue moleste,
Ch' un assalto le fe ch'avria impaurito
Ogni altro huom di forti armi ancor guemito.
70. Astoifo che è lontan, non si assicur[a]
Quasi ivi starsi ; intrépide sol resta
Aleramo, che sol senza paura
Spera quelle, eh' [h]a fatto al drago, a questa
Hydra far anco, et perô ben procura
Tener con Tochio si la mente desta,
Che ovunche lliydra si rivolge, altersi
Non offeso il guerrier possa tenersi.
CANTO NONO ^47
71 . Ha sette teste, corne è detto, e ognuna
Ha un corno in fronte pien di tosco amaro.
Non è persona che la veggia alcuna
Ghe di fuggirla assai non habia caro,
Eccetto quella d'Aleran digiuna
D'ogni timor, d'ogni suspetto raro,
Gh'uno deî sette capi con la spada
Fa il sir che sanguinoso in terra cada.
72. Ne prima fa quel teschio anciso in terra
Che tre ne surser nel sanguigno collo,
Più brutti et più superbi et alla guerra
Più agil contra il sir, che mai satollo
Non si ritruova finchè non atterra
Questo animal con Taltro duro crollo
Dell' aspra morte, che vettoria attende
Gui sol drizza il pensier, cui sol intende.
[F°105v<»]73. 0 generoso cor, animo invitto
Che nuUa teme del nuovo caso 1
Astolfo ha per paura il cor trafitto,
Et scolorito è nel volto rimaso,
Dubbiando et egli a simile conflitto
Successor farsi per Tultimo occaso
Che pensa del compagne et ferme spera
Per la prestezza délia strana fera.
74. Dice fra se lo Inglese : « Di due cose
Una convien che sia per quanto i' veggio :
Se ogni testa che taglia tre orgogliose
Ne fa, corne le tre ch'han preso il seggio,
Pian le tutte infinité et perigliose
E nostra morte fia per nostro peggio,
E cosl havremo un strano guidardone,
10 del gigante et ei del rio dracone. »
75. Mentre che seco ci6 TEnglese volve,
11 medesmo Aleramo ancora pensa,
Et dentro el cor pensando si rissolve
Mostrar Tanimo suo, la forza immensa.
Onde li sette coUi in su la polve
Fece a colpo cader con quella accensa
Prestezza, et Thydra per la coda prese
Et quella con il drago in fuoco accese.
248 I DODIGl GANTI
76. Non men fu lieto Astolfo che Aleramo
Délia vettoria che la strana lutta
Vidde finir, che prima n'era gramo,
Dubbiando che conversa in esao tutta
Ella non fusse, et, corne il pesce a V hamo,
Havervi a rimaner et dalla brutta
Hydra esser col compagne divorato.
Hor che ella è morta, lieto è ritornato.
77. Et baldanzosamente alla regina
Rivolto disse : « 0 generosa diva.
Gui tanta gratia il ciel largo destina,
Che finchè 1 monde dura, sempre viva
Tua persona gentil, eu' ognun se inchina
Per la virtù che mai in te sempre è viva ;
Hoggi mai faccian triegua con li mostri
Et contempliamo questi luoghi vostri ;
78. Che un paradiso, un luogo di beati
Certo mi pare questa vostras[t]anza,
E voi angeli pur dal ciel mandat!
Quivi habitar : se non tracotanza
11 mio parer et s' i giudicii usati
Ho meco interi, et se la nuova usanza
Del luogo non mi toile lo intelletto,
11 castel vostro è un eterno diletto. »
[po i06r°]79. Onde la fata sorridendo a lui
Disse : « Un buon cavallier non brama posa ;
Pur, perché lassi se te hor amendui,
Esservi voglio in questo gratiosa
Che gratiosi ancor comprendo vui
Degni da me impetrar più horevol oosa. »
Et dette questo per la man li prende
Et verso il bel pallagio il passe stende.
80. Ces) coi cibi vanne a ristorare
I corpi dalle gravi fatiche affranti,
Et contra un choro délie fate andare
Videro a se con dolci e ameni canti,
La lor regina vera acompagnare
Et honorar i dua guerrier erranti
Dentro un giardin d'una bellezza taie
Quanto veder mai possa ochi[o] moptale.
CANTO NONO 249
81 . Un mezzo miglio da ogni lato il tiene
Posto in quadrato, et un coUetto in mezzo,
Sul quai di marmi un fonte con amené
Acque vi spande, e intomo un grato rezzo.
Quinci habitaron già Falme Ghamene»
Mai si ritornarono al dassezzo
Previsto havendo di Sylvana il caso
Nel bifforcato monte di Parnaao.
82. Et in memoria délia lor partita
Fu da Sylvana da quei marmi omato
Et d'ognuna Timagine scolpita
Col nome lor, col lor signiffîcato.
L'opra è si degna, si tersa et pollita
Cbe ciascun che la vede sta ammirato.
Scritto era il nome ancor di chi orné il fonte
Che fu de V eccellente Zenofonte.
83 . L*imagin prima che a V intrar del fonte
Si vedea, havea due facc[i]e e in ogni mano
Un libre grande et sotto i piedi un monte.
Un volto era divino et l'altro humano,
Una corona Tuna et Taltra fronte
D'oro cingeva, cui poco lontano
Sedeva a piedi un vechio al destro lato,
Et dritto a l'altro un giovinetto omato.
84. Disotto al monticel, ch' ivi era scolto,
laceva un corpo human con quatro teste,
Et era différente ciascun volto
Di quelli quattro, et parte senza veste
Era del corpo, et una parte molto
Non vestita era ben; et sotto queste
Cose era scritto il nome délia musa
Che in Greco et in Latin Clio ogn'uno accusa.
[Fol06v*]85. L'imagine seconda dimostrava
Una donna gentil saggia et omata
D'ogni bellezza, che a ciascun prestava
Diletto grande et la chioma ha dorata.
Un flauto tenea in mano, et chi mirava
In lei la mente havea quasi beata.
El pastor Pan da lato li sedeva
Che flauti et zampognette li porgeva.
250 I DODIGI CANTI
86. Ove eUa i piè firmaTa, on praticello
Ameno altresi sculto ▼! si vede,
Con herbe et fiori da qualch* arboscello
Accompagnato, che fa ferma fede
Délia eccellentia del maestro isnello.
Coi forsi Pifajsitele in qaesto cède,
Ove è appiccato on epitaphio a on sterpe
Con la scrittora che diceva Ëoterpe.
87. L*imagin terza, che '1 bel fonte honora,
Di varie veste ona legiadra donna
Vestita, cui la bella trecia infiora
Una ghirlanda d'hedra, a una coUonna,
Che li fa sopra ona scena décora,
Totta s'appoggia, et la soprema gonna
Ha de diversi fior totta dipinta.
Et d'ona vite pampînosa è cinta.
88. A piè doi faoni con sonore canne
Segono délia diva ai gesti lieti ;
Et sotto i piè pastor con le cappanne,
Con stridoli capretti et agnei qoieti
Et cani Colchi che mostran le zanne
A certi lopi o lor greggi inqoieti,
V eran scolpiti con gran maestria,
Et scritto infra : la comica Thalia.
89. La quarta ona mestissima matrona
Che di sardonio havea la sopravesta
E in man teneva ona rotta corona,
Et scori veli sopra délia testa.
Et sopra un tronco totta s'ablandona.
Su la sinistra tien la goancia mesta,
Efc nella destra u[n] gran coltel sangoigno,
Et sotti i piedi un lamentevol cigno.
[po I07r®]90. Phylle suspesa al tronco vi si scorge,
Ove la musa il cubito suo appoggia ;
Dalla altra parte una gran pietà sorge
Et inaudita et paventosa foggia,
Pyramo et Thysbe, alli quai sola porge
Una spada la morte che ognun pogg^a
Volo[n]tario sevra essa ; ivi è Medea
Coi figli, et scritto vi è : Melpomena.
CANTO NONO 251
91 . La quinta un a donzella vaga e humile,
Gioconda et lieta in man tiene una cetra.
Porpora bianca veste la gentile
Fanciulla, et viva par, non sculta pietra.
Una girlanda in capo signorile
Di gemme porta, et sol da lei s'impetra
Soavità, dolcezza, ligiadria,
Gratia, honesti placier, dolce harmonia.
92. Sîede a piè délia musa al destro lato
Un pastorello Hebreo su un capo humano
D'un bel diadema d*oro incoronato,
Et al sinistro il Tratio che la mano
Movendo adolcia ogni cor efferrato,
Et fuor dei fiumi et fuor de TOcceano
I pesci il suono tira, et sotto il piede
Terpsichore esser scritto vi si vede.
93. El sesto luogo d*un puro alabastro
Una imagine tien che par che spiri
Et mostra la eccellentia del suo mastro,
Oui par che im[m]ortal gratia intomo agiri,
Ivi discesa dal più benigno astro
Che fu nel ciel, sia ne* perpetui giri.
Di rose ha il capo omato inanzi et dietro,
E in una man la lyra e [in] l'altra il pletro.
94. Di myrthl ha sotto i piedi un bel boschetto
Fra quai damme, conigli et capriuoli
Van lascivendo, et Cyprigna ivi il letto
Haver si vede infra sua duo ' figliuoli
Ch' uno detto Disio, Taltro Diletto,
Quai senza lei mai non si veggion soli,
E un epitaphio tien dove è notato
A lettre d'oro : « 1* son la musa Erato. »
95. In el settimo luogo una scultura
Sembra una giovinetta honesta et grave
Che nella destra tiene una scrittura,
Et negli ochi ha un guardar molto soave .
Nella eloquentia eccede la misura
E i riguardanti in lei unqua non pave.
In Greco la scrittura scritta estolle :
« Muove ogni cor da V ira il parlar molle. »
25? 1 ooDici aum
' F* 107 v«j96. Infra i siuiTi fior dd gnJU> amomo
Ti6De elU i piedi, e un Groeo hm delU destra
AssiBO a on arboacel di cjnamomo
Et on grave Latin dalla sinestra
Di gratto aapetto, et tieoe in mano un poino
Soare agli ochi, e on armdlin s'adeatra
Di morder quelle, et aotto i ptè alla diva
Un motte è aciitto : « Qui Polimnia viva. »
97. Ne Tottavo è nna donna che li panni
Sqnarciati porta et povereDa pare.
Et moatra per ettà più di ottanta anni ;
Nnde ha le braccia et par che misnrare
La terra, il mar e il ciel tatta s'affiuini.
Con ona sphera in man, quai fa girare
Un venticel aoave che ivi spira,
Un oehio in alto et Taltro in baaao mira.
98* Sopra d'un monticel d'alberi et fronde
PrivOy la musa ferma ambe le plante.
Siede ivi an vecchio ch' amendue le sponde
Del monte abraccia, et qninci è scritto Athlante.
Di sotte il monte nascon limpide onde
Ghe danno sete ad ogni circonstante,
Ma chi troppo ne bee viene in insania.
Il motto ivi notato dice : Urania.
99. Adempie il nono Inogo nna Camena
Con lunga chioma simile al pur oro,
Vaga in aspetto et di fronte serena,
Gui le temple clrconda un vcrde aloro,
Et l'una et Taltra man di pletri ha piena.
Et ricamate di sottil lavoro
Le veste varie, dl bel fior omate,
A riguardanti sopra modo grate.
100. Di hedre, di laurl, di gesmlnl et myrthi
Sotto 1 piè délia diva è un bel boschetto,
Cul dalli latl seggono dul spirtl
D'uno elevato et divine intelletto,
Ll sens! al cl[e]l.... levât! et irtl,
Un Oyprio, un Mantuau con varie affetto.
Corouatl de aloro oguun teneva
Un brève quai Calllopea dlceva.
CANTO NONO 253
101. Intorno al fonte di bel marmo bianco
Ligiadri seggi et atti al riposarsi
Ciascun che sia o per f atiea stanco
0 per voler qualche diletto darsi,
Dove giongendo col Thedesco il franco
Inglese con Sylvana prepararsi
Vidder la mensa di soavi cibi
Che par che dichi a ognnn : « Perché non libi ?»
[F* 108 r**] 102. Qaivi di canti et suon Taura lissuona)
Et Tacqua alla regina e ai cavailieri
Aile man dassi, et Tincljta persona
Pria di Sylvana et puoi i guerrieri
Si pongono alla mensa, e ana corona
Si paone in capo dei campioni altieri,
Di quercia verde et di edera contesta
Per le man sol délia regina honesta.
103. Vengon li cibi delicati et tanti
Et si diversi et di si grati odori
Che perdon gli gesmini et gli amaranti,
Et di cedri et limoni i vaghi fiori
Di Narciso et Hyacinthe et degli accanti,
Et soverchiano i vin gli altri liquori ;
Soverchiano H vasi ogni gran regno
Di prezzo, di materia et di dissegno.
104. Struono a l'alta mensa alcune fata
Più che d'human d*angelici sembianti»
Et con loro accoglienze honeste et grate
Honorano altamente i siri erranti.
Ma perché le regine già lasciate
Coi régi et gli altri dui guerrier prestanti»
Che di Rinaldo il bel triomphe i' siegua,
Quanto più l'una et l'altro puo' mi adegua,
105. Ritorno a quella mensa ov' io lasciai
Li régi, le regin[e], i cavailieri
Con Doralice, che piena di lai
Va ramentando i suo' tempi primieri,
Né satiasi mirar costor giamai
Yedendoli ne Tarmi esser si fieri ;
Ma di Rynaldo s'è fiammata tanto
Che par ch' abia nel petto il cor afifranto.
254 1 DODIGI GANTI
106. Da un carro è lieta di vedersi inante
I sir pregiati questa donna altiera ;
Da l'altra parte du[o]l8e esseme amante,
Perô che possederli unqoa non spera,
Ghe, Funo et Taltro di essi essendo errante,
Non ha notitia di lor stirpe vera
Ella né il padre, e in qaesto pensier molto
Guarda hora questo et hor qael altro in volto.
107. Et talhor se arosciava et scoloriva
Talhor in faccia, del che la regina
Vechia si accorse, onde di amor non priva
La figliaola conobbe ; et Fiordispina
Sta tatta lieta d*animo et gioliva
Vedendosi honorar et che s*inchina
Giascana a lei, et li benigni régi
Honorano i guerrier di Iode et fregi.
[F« IOSt*"] 108. Disïoso Rynaldo di sapere
Ghi sia colui con chi la pugna haveva,
La bocca âpre doppo un lungo tacere ;
Del nome et délia patria il richiedeva.
II bon Guerin, che non si pu6 tenere
Del suspirare, cosl rispondeva :
u Signor, non ti so dir dov* io sia nato,
Ma son certo in Bizantio nudricato.
109. El mio nome Meschino ivi fu detto,
Et da fanciul fui preso da corsari
Et da un mercante» ch' io suggevo a petto,
Gomprato fui con robbe et con denari,
Et alla moglie senza alcun rispetto
Mi presentô ; fra presenti più rari
Rarissimo fui io, a ciascun grato
Di lor et da figliuol nutrito e amato.
1 10. Un altro figliuolin mio coetano
Havea costui che mio padre io credevm.
Crescendo nui alla acuola andayano
Et ambi per figliuoli ei ne taneva ;
Un vestir, un caliar, an viso humano
A me come al figliuol proprio faceva.
Ne schiavo mi conobbi, un giorno eccetto
Ch' io fui ai sacro imperador accetto ;
CANTO NONO 255
111. Che s'accoste al figliuol del mio padrone,
Quai sempre i' cresi a me fusse fratello,
Et disse a lui, présente più persone :
u Donami quel tuo schiavo meschinello. »
Ma quel al divo imperatore espone
Suo me non esser, ma del padre, et che ello
Farà col padre se possibil fia
Ch' alla sua Maiestà concesso io sia.
112. Et cosi fu che ad Alessandro poi
Imperador et al suo vechio padre
Fui caro servo quanto ad altri heroi
Altro mai fussi, et cosi la sua madré
Portommi amor, et alli tempi suoi
Yinsi una giostra et poi più armate squadre,
Et libérai Constantinopoi, ch'era
Da Turchi oppresso, per battaglia fera.
113. Et poi deliberaimi ritruovare
La stirpe mia onde l'origine hebbe,
E agli alberi del sole investigare.
Di quanto nel diaio pensier mi crebbe,
1 genitori miei tanto cercare
Giurai, et giurato baver forte me increbbe ,
Quando truovaimi al fium di Tbermodonte,
Che fa abbassar a ognun Taltiera fronte.
[P» 109r»] 1 14. Agli alberi del sole i' ritruovai
Un sacerdote cui la barba vesta
Et li capei facevano che mai
Tal ne fu visto, et scalzo sempre resta,
Arso dal sol et crespo d'anni assai,
Et da ridolo suo mi porto questa
Risposta ch' io n'andassi nel Ponente
Dove io ritruovarei mia stirpe et gente ;
115» Et che io era ancor due volte battezato
Mi sottogiunse il venerabil vecchio,
Et nello primo fui Guerrin chiamato,
Meschin ne l'altro, et cosi mi apparechio
Venir verso il Ponente, et il spietato
Fiume mi toise di baldanza il specchio,
Per6 che un vento dispettoso che bave
Ivi condusse la mia trista nave.
^56 I DODIGI GANTI
116. Con restai prigione in qpék rio regno,
Ne possuto ho aeguire il mio viaggio
Che mi roppe fortana il mi' dâssegno. »
Coi Rynaldo d'Amon, cavallier saggio,
Di fregio omalo et di gran loda degno,
Disse: « Per certo sei di gran lignaggio
Che qoel ch*è nato d'ona stirpe yile,
Mai non pnô fare un atto signorile.
117. Ma ben mi daol, snggionse il palladino,
Chliabi giurato vendiear colei,
Perché morendo non sarai Gaerrino,
Né riportarai più tanti trophei,
Anzi preyalerà il nome Mesehino,
Poichè Meschin ribattizato sei,
Bssendo tn aiivato in l'aspra mano
Del fer Rynaldo, sir di Monte-Albano. »
118. Qaando li régi entesero U parlare
Del sir di Montalban, hebber saspetto»
Onde li fecer presto aeompagnare
Coi lomi accesi dentro al ricco letto,
Ne si YQolse alcon di essi disarmare,
Non perô che sapessero il concetto
Di qnesti re, ma perché loro asanza
Era d*armati star nella altmi stanza.
119. Restano i régi et le regine ancora,
Gacdati i servi faori, a parlamento .
El vecchio Stordilan con sua décora
Favella dice : « 1* fui molto contento
Che *1 cavallier, che si da nui s'honora,
Trahesse Fiordispina a salvamento ,
Ma ben mi daol che qnesto sia Rynaldo
Oie in Tarmi è si possente, ardito e baldo.
[F» 109 V*] 120. E qel altro anco che la pugna ha seco,
Pur è Christiano et è ne l'armi esperto ,
Onde ana opinione al cor mi areco
Che habia da lor mio regno esser deserto. »
Rispaose Zenodor con l'ochio bieco :
« Potrebbe il parer tuo succéder certo,
Se délia sposa mia il liberatore
Fusse amico di €huio il traditore.
CANTO NONO ^57
121. Ma nèTaspetto suo dimostra, et meno
L'altro combattitor, di delettarse
Oprar effetto che li renda meno
Di honor et gloria, et a me sempre parse
Enteso haver quel sir ne più né meno
Chiaro del sol, ne capidigia Tarse
6ià mai se non dlionor, di eterna fama, •
Perché regno o thesor non stima o brama.
122. Se regno desïasseil paladino,
N'havrebbe più di diece al suo comando ;
Quello di Chiariel, quel di Mambrino
Sarebbon suoi o del cngino Orlando.
Né re sarebbe il figliuol di Pipino,
Se regno alcuno andesse hora cercando
L'animoso signer di Monte-Albano,
SI cbe aqueta il pensier tuo perché é vano. »
123. Lavaga Fiordispina, che si sente
Obligp haver al palladin cortese,
A tal parlar truovandosi présente,
La sua protettion benigna prese
Et disse al suocer suo modestamente :
« So che Rynaldo, o sir,' mai non ti offese,
Ma secontempli bene il suo valore,
So che li renderai perpetuo honore. )>
124. Crolla la testa il vecchio Stordillano,,
Et ciô vede la bel! a Doralice
Ch'ama di cor i! ser di Montalbano
Et tienesi in amarlo esser felice.
Conoscendo del padre il pensier strano
Chetamente in V istesso animo, dice :
i( Non ti riuscirà, padre, il pensiero,
S'offender pensi questo cavalière »
125. Et cerca con astutia feminile
Del padre saper chiaro il riô concetto,
Dicendo: « 0 signer, mio padre gentile,
Di Doralice tua ferme diletto,
Questo Rynaldo sotto spetie humile
Ti vuol forsi gabbar, ma poi ch' in letto
Ei si ritruova et forsi disarmato,
Potrai pigliarlo e asicurarti il stato. »
V
258 I DODIGI GANTI
[F^ llOro] 126. Né a Zenodoro ne a Fiordispina maneo
Piace di Doralice la preposta.
S*aro8sa il viso a Pun, a Taltra bianco
Diventa per pietade ; e il dir s'acosta
Di Doralice al vecchio, ma il cor franco
Délia figliaola fa ferma proposta
Nottiffioar ai cavallier il tutto,
Ghe per ben far non habino mal frutto.
127. Et cosi da li régi la licentia
Piglia con dire cheli duol la testa.
Parte ella adonque, et, poich* è in loro absentia,
Seco una cameriera ardita et presta
Menando dove i cavallieri senza
Timor si posan, chiaro manifesta
Del padre la parole e il pensier strano,
Aciô si guardin dal novello grano.
128. Ringratian Doralice i cavallieri,
E poi proposto fan di starsi a Terta.
Dorme uno, Taltro veglia volentieri,
Sperando che la cosa a lor fla certa.
Fan le guardie a vicenda i buon gaerrieri
Gon la mente ferigna in Parmi esperta ;
Et io li lasso in Un ch'io torno a dire
Di lor, che 1 canto mio qui vuo* finire.
Ferdinand Castbts.
{A suivre,)
CONTES LENGADOUCIANS
Han piooh de Sant-Loup an piooh de Sant-Gla
(suite)
8. — A Getôri, Getôri e mièoh
Àqueles moustres de Getôris se plasoun pas mai qu*à countà
de talounadas. Ë, zou! au pus fort la pelha !
Un jour dounc, Tônl e Glousquet se rescountrèroun à la
Marina.
— H6u! T6ni, couma sien?
— Mai?aco's Glousquet. Ghaval! quant i'a que t'avièu pas
vist?
— Ere à la baraqueta. Gontes pas res de n6u?
— No ; franc que te diguèsse ce que m*arrivèt dimàs pas-
sât. •. Mes lou dèves saupre.
— léu?... Sabe passoulamen dequé me dises.
8, ^ A Gettois, Gettois et demi
Ces monstres de Cettois ne se plaisent qu'aux gasconnades. Et,
en avant I gasconnons à qui mieux mieux !
Un jour donc Toine et Closquet se rencontrèrent à la Marine ^
— Ohé 1 Toine, comment ça va ?
— Tiens? voilà Closquet. Ce qu'il y a longtemps qu'on ne t'avait
vu?...
— J'étais à la baraquette. Tu ne contes rien de neuf.
— Non; à moins que je ne te dise ce qui m'arriva mardi dernier...
Mais tu dois le savoir.
— Moi?... Je ne sais môme pas de quoi tu me parles.
1 Marché aux poissons.
260 CONTES LANGUEDOCIENS
— Te lou vau countà. Imagina-te que quand faguèt aquel
tant gros ourage, sabes? pescaven toutes dous amé Pitota, à
Testang. Acha ! i'èren talamen afeciounats que se maufisaven
pas de res. De maniera que, quand s'avisèren dau tems, èra
un pauc tard. Agantèren be chacun un rem, e voga que you-
garàs! mes, ni per aquelal... Tourage crevèt qu'èren encara
liontsdauBourdigou.Ëd'iglaus!... e detrons I...ede plojal...
e de ventl... te lou pode pas dire. Tout d'un cop, — flic-flac-
flao ! — un tron espaventable nous ensourdis, un iglau nous
avugla, la barra de fioc nous raseja lou nas, e toutes dous^
flau ! de mourres au founs de la bèta. Am'aco mai de peu que
de mau. Se matan d*ausida e... oil de ma vida e de mous
jours!... s'ai jamai cresegut d'avedre toucatlaboumba, seguèt
be quand vegère ounte se capitaven... Devigna?
— La bèta s'èra pas devirada?
— Aube, devirada!... Se capitaven entre lou Mol e Ion
Brisa-lamas. Sembla pas poussible couma marcha, aquela
eleitricitat ! Avièn fach un saut dau mens dous kiloumèstres
sans mètre mai de tems que per cridà : secous !
— Lou crese.
— Je vais te narrer ça. Imagine-toi que le jour où il fit ce fameax
orage, ta sais bien? nous péchions à l'étang, Pitote et moi. Nous
étions tellement absorbés dans notre pêche que nous en avions oublié
tout le reste. De sorte que nous prîmes garde au temps un peu trop
tard. Saisir chacun un aviron et ramer vigoureusement ? c'est bien là
ce que nous fîmes; mais, va-te faire fiche!... Torage éclata que nous
étions encore assez loin de la Bordigue. Et des éclairs 1... et des coups
de tonnerre !... et de la pluie!... et du vent !...non,je ne puis pas te dire
ça. Tout à coup, — flic-flac-flac ! — un coup de tonnerre épouvantable
nous assourdit, un éclair nous aveugle, la barre de feu nous frise le
nez, et tous les deux, patatras ! museau premier au fond de la barque.
Avec ça plus de peur que de mal. Nous nous relevons vitement et...
ohl de ma vie! oh I de mes jours!... Si j'ai jamais cru avoir perdu la
boule, ce fut bien quand je vis en quel endroit nous nous trouvions...
Devine?
— La barque n'avait pas chaviré ?
^ Ah ! bien, oui, chaviré I . . . Nous étions entre le Môle et le Brise-
lames. Ca ne semble pas possible ce qu'elle va vite, cette électricité I
CONTES LANGUEDOCIENS 261
— D'abord, lou podes demanda à Pilota.
— Lou crese, t'ai dich... Me n'es b'arrivat una, à iéu
tamben, que vau la tieuna !
— Oi?... Dequé t'es arrivât?
— Sabes be Finèta?
— Ta china roussèla?
— Oi.
— Eh!be?
-^ Eh! be, la senmana passada cadelèt. E sus cinq cadèls
n'en faguèt dous, un nègre e un blanc, de per l'aurelha
gaucha.
— Aco, presemple, lou crese pas.
— Dequé?.., lou creses pas?
— No, cranta cops no ; aquela es trop grossa.
— Terré ! trop grossa !.,. Iéu te l'ai cresegut per dous
kiloumèstres, e tus lou creses pas per dous pans soulamen !...
Acha! vos que te lou digue: siès una miola!...
Nous avions fourni un saut de deux kilomètres au moins, sans mettre
plus de temps que pour crier: au secours !
— Je le crois.
— D'abord, tu peux le demander à Pitote.
— Je le crois, t'ai -je dit... 11 m'en est bien arrivé une, à moi aussi,
qui vaut la tienne 1
— Oui?... Que t'est-il ariivé?
— Tu connais bien Finette ?
— Ta chienne rousse?
— Oui.
— Eh! bien?
— Eh! bien, la semaine dernière elle mit bas. Et, sur cinq petits,
elle en fit deux, un noir et un blanc, par Poreille gauche.
— Ça, par exemple, je ne le crois pas.
— Plaît-il?... tu ne le crois pas?
— Non, quarante fois non ; elle est trop forte, celle-là.
— Oui-dà! trop forte ?... Moi je te l'ai cru pour deux kilomètres,
et toi tu ne le crois pas pour deux empans seulement!... Tiens
veux-tu que je te le dise : tu n'es qu'une mule ! . , , .
262 CONTES LANGUEDOCIENS
9. — Loa Penjat qae ris
Loa fèt se passèt d*aquel tems qu*à-loga de segà loa col as
laires, assassins e autras bonas granas, ie lou sarravoun, au
coantràri, emb'una soulida caravata de cambe. Per aco faire
i'aviè de pouténcias semenadas un pauc pertout e mai-que-
mai à rintrada das bosses. E disoun que la dau bosc de
Yalena, à très ou quatre ouras de Mountpeliè, èra pas la
qu'aviè lou mens de praticas.
Veja-t-aqui qu'un jour dous pastourèls, Privât e Bertou-
mieu, arrivats de fresc dins lou Païs-Bas, gardavoun sas
fedas à Yalena. Era pas lou prumiè cop que vesièn una pou-
téncîa, mes jamai, de sa vida e de sous jours, n'avièn pas
atrouvat en-lioc ges de tant ben enzengadas. Atabé, plantats
davans, chifravoun e fasièn de comtes qu'aco n'en ûnissiè pas
pus.
— Té ! veses : fan antau per lous penjà.
— An ! bota^ ie siès pas: es antau que fan.
9. — Le Pendu qui rit
En ce temps-là, au lieu de couper le cou aux larrons, assassins et
autres honnêtes gens, on le leur serrait solidement, au contraire, avec
une bonne cravate de chanvre. A cet effet, il y avait des gibets, de ci,
de là, un peu partout dans notre beau pays de France, le plus souvent
à l'orée des boiâ. Et Ton dit que le gibet du bois de Valeine, à trois
ou quatre lieues de Montpellier, n^étaitpas celui qui recevait le moins
de pratiques.
Voilà donc qu'un beau jour, deux jeunes pastoureaux, Privât et Ber-
thomieu, nouvellement descendus de leurs Cévennes en Bas-Languedoc,
gardaient leurs brebis à Valeine. Ce n'était pas la première fois qu'ils
voyaient une potence, mais jamais, au grand jamais, ils n'en avaient
trouvé nulle part aucune d'aussi bien agencée que celle qu*ils admi-
raient là. Aussi, plantés devant le gibet, ils émettaient des réflexions
et des suppositions à langue que veux-tu.
— Tiens I vois-tu: on s'y prend de cette façon pour les pendre.
— Tais-toi donc, tu n'y es pas : c'est comme ceci qu'on s'y prend.
CONTES LANGUEDOCIENS 263
E patin, e coufin, e gni, 6 gna. coumalas fennas aalavadou.
D^aquel tems, de fedas iatravoan dins un blat e vous laisse
à pensa se lou panre el aviè la broda.
Seguèt Privât que lou prumiè s'en avisèt.
— Oi, monstre de sort! cridèt: veja mas fedas?... Eh!
be, sièi poulit ara ! Quau sap quant me lou faran pagà?... Au
diable ta pouténcia amai ta pouténcia!...
Se i^acoussèt per las vira.
Ëntramen, Bertoumieu, per ben s'assegurà couma aco se
fasié, escarlimpa sus la pouténcia, aganta una corda que pen-
doulaya, se la passa autour dau col, vira, revira, e... loupèd
le resquilha. Veja Taqui penjat, mes penjat per de bon.
Quand Privât revenguèt, en sacrejant couma un deganaud,
lou devistèt que se bigoursava e se debigoursava, e rega-
gnava las dents.
— Ah! bougre-de-bougre! aco te fai rire, tus?... ie cridèt.
Pagaràs couma iéu, camarada: n'i'aviè taat de las tieunas
couma de las mieunas !...
E sacrejant que mai, vous lou quitèt en plan.
Et patati, et patata, et gni, et gna, ainsi que femmes au lavoir.
Pendant ce temps, des brebis entraient dans un champ de jeune
blé, et je vous laisse à penser si la pauvre herbe était tondue.
Ce fut Privât qui le premier s'en aperçut.
— Oh I monstre de sort ! cria-t-il ; vois mes brebis. Eh bien I je
suis joli, moi, maintenant ! Qui sait ce qu'on me fera payer! Au
diable tes potences et toutes tes potences!
11 se précipita vers le champ pour en chasser ses bêtes.
Demeuré tout seul, Berthoraieu voulut en avoir le cœur net. Il
grimpa sur une potence, saisit une corde qui balançait, se la passa
autour du cou, tourna, retourna, et... le pied lui manqua. Si bien
qu'il fut pendu. Et pendu pour tout de bon.
Quand Privât revint, jurant comme un huguenot, il aperçut son
compagnon qui se trémoussait, et se tordait, et tirait la langue, et
montrait les dents.
— Ah! brigand-de-brigand! ça te fait rire, toi ?... lui cria-t-il. Tu
paieras comme moi, camarade : il y en avait autant des tiennes que
des miennes !...
Et, jurant de plus en plus fort, il vous le planta là.
264 CONTES LANGUEDOCIENS
10. — Loa PeiUat que ris paA
Un pauc pus tard, à la mèma pouténcia de Valena, n'fen
arrivèt una autra que vous vole dire per acabà.
« *
Avièn coundannat à la pouténcia lou paare coulas Jan Ra-
piàmus, un mèstre laire d'aladounc. De bon mati, de grand
mati, el, lou bourrèl embé sous ajudaires èroun partits de
Mountpeliè. Quand arrivèroun à Valena èra pancara sourel
levant, qu'aco's, couma sabès, lou moumen ounte se fasièn las
penjadissas. De mai, nostres bourrèls s'avisèroun qu'avièn
pas près soun tuga-verme, e que, Ter dau mati, lou cami, e
patati, i'avièn rendut Testoumac tèu : u S'anavian prumiè
dejunà? diguèt un. — Farian pas pus mau, ajustèt un autre.»
De maniera que, estaquèroun Jan Rapiàmus à la pouténcia,
ben âcelat couma se deu, e s'agandiguèroun à la Baraca. Àcos
èra una auberja, à dous cops de fusil d^aqui, ounte, de cous-
tuma, se ie fasiè bona vidassa.
10. — Le Pendu qaine rit pas
Quelque temps après, au même gibet de Valeine, il arriva une
autre aventure que je veux vous conter pour finir.
*
On avait condamne à la potence le mauvais gas Jean Rapine, un
maître-larron de ce temps-là. De bon matin, de grand matin, le pauvre
sire, le bourreau et les aides de ce dernier, étaient partis de Mont-
pellier. Quand ils arrivèrent à Valeine ce n'était pas encore le lever
du soleil. Or, à soleil levant seulement devait se faire la pendaison.
De plus, nos bourreaux s'avisèrent qu'ils n'avaient pas tué le ver et
que, l'air du matin, le chemin, et patatan et patatin, avaient creusé
leurs estomacs : « Si nous allions d'abord déjeuner ? dit l'un d'eux. —
Nous ne ferions pas plus mal, ajouta un autre. »
Si bien qu'ils attachèrent Jean Rapine au pied du gibet, solide-
ment garroté, et qu'ils se dirigèrent vers la Baraque C'était le nom
d'une auberge, à deux portées de fusil de là. L'on y faisait, d'habitude,
de bonnes et franches ripailles.
CONTES LANGUEDOCIENS 265
Tout escàs dau darniè s'avalissiè Tesquina, quand passât
contra la pouténcia Tôni lou Gros-Bardot, un jouine gava-
chou qu'èra pas el Tencausa se las granoulhas an pas de coue-
tas. Per quicon i'avièn dounat l'escai-noum de bardot.
— Outre!... dequé fasès, vous, aqui, moussu?
— Ah ! ah I... jouine orne, gagne très francs per oura?
— Oh ! que, moussu, badinas !...
— Noun pas, moun ome. Lou mèstre d'aiços es un famous
medeci que v6u saupre quand se pot demourà d'ouras estacats.
Pren toutes lous que ne voloun èstre. léu, i'ai déjà gagnât
cent escuts. Lou mestiè a dau bon, couma vesès. Pamens on
finis per n'avedre un prou.
— Bougri de bougri I... e iéu que cerque de traval !. . Di-
gàs, moussu, cresès-ti que lou mèstre d'aici me prenguèsse ?
<- Soulide, d'abord que iéu me vole enanà.
— Oh! moustre... ie parlariàs pas per iéu, digàs, moussu?
— Mes si, moun ome... Milhou qu*aco. Vous quite ma
plaça d'ausida, se voulès. Avès pas mai qu'à desfaire las
cordas.. •
A peine, du dernier d'entre eux, le dos disparaissait-il dans Tau-
berge, qu'auprès du gibet vint à passer Toine le Gros-Butor, jeune
gavach de qui ce n'était point la faute si les grenouilles n'ont pas de
queue. Ce n'était pas pour des prunes, d'ailleurs, qu'on l'avait sur-
nommé Gros-Butor.
— Morguiennel... que faites-vous là, Monsieur !
— Ha ! ha!,., jeune homme, je gagne trois francs par heure.
— Oh ! que, Monsieur, vous badinez?...
— Non pas, mon ami. Le maître de céans est un fameux médecin
qui veut savoir combien de temps un homme peut demeurer attaché. Il
prend tous ceux qui se présentent. Moi, j'ai déjà gagné cent écus. Le
métier estbon, comme vous voyez. On finit cependant par en a voir assez.
— Bigre de bigre!... Et moi qui cherche de l'ouvrage!... Dites,
Monsieur, croyez-vous qu'il voudrait de moi, votre maître?
— Certainement, puisque je vais le quitter.
— Oh I bigre... Ne lui parleriez-vous pas un peu pour moi, dites.
Monsieur ?
— Mais volontiers, mon garçon... Mieux que ça. Je vous aban-
donne ma place, sur-le-champ, si vous voulez. Vous n'avez qu'à délier
les cordes...
265 CONTES LANGUEDOCIENS
Tant j a que Tôni destaqaèt Rapiàmas e qa'aquesie ficelèt
nottre Gros-Bardot à la lesta e se saavèt sans sonna FaDgèlns.
La ûirtalha de la Baraca doTiè pas èstre trop marrida,
d*abord qne nostres bonrrèls ie dejnnèroun sas dos ouras.
Quand s'en reTenguèronn Ion Gros-Bardot vous ie cridèt :
— Eh ! moussus, fai dos ouras que çai sièi ! Me bailarés
aqueles dous escuts qne vous ai gagoat? Se-que-de-nou demore
pas mai.
Lous bourréis s'arregardèroan, embabouchits.
*- Moustrede sort ! es pas nostre orne? Eh! be,presemple,
sianpoulitsl...
— H6u I pioi, faguèt lou mèstre, que siègue aquel, que
siègue Tautre, sufis que n*i*age un de penjat. Degus ie cou-
nonitrà pas res. Anen ! zou, à Tobra.
E se sarrant dau Gros-Bardot:
— Anàs toucà vostre argent, ie diguèt. Quitàs aici vostres
esclops e mountàs embé iéu sus Tescala. Vous reglaren.
Tant il y a qae Toine délia les cordes, qae Jean Rapine ficela notre
Bator très sommairement et pais s'enfuit, sans sonner la cloche
d'alarme, comme bien vous pensez.
• ♦
La cuisine de la Baraque ne devait pas être mauvaise : les
bourreaux déjeunèrent durant deux longues heures. Quand ils
revinrent an gibet, le Gros-Butor vous leur cria :
— Hé! Messieurs, voilà deux heures que je suis là! Vous me
donnerez les deux écus que j'ai gagnés? Sinon, je ne reste pas
davantage.
Les bourreaux s*entre-regardèrent, interloqués .
— Dieu me damne ! ça n*est pas notre homme ? Eh bien I nous
voilà dans de beaux draps I...
— Bah ! fit le chef, qu'on pende celui-là ou qu'on en pende un autre,
suffit qu'il y en ait un de pendu. Personne n'y connaîtra rien. Allons !
preste, à l'ouvrage.
11 s'approcha du Gros-Butor :
— Vous allez toucher votre argent, lui dit-il. Laissez vos sabots
dans un coin et montez avec moi, à Téchelle. Nous vous réglerons.
CONTES LANGUEDOCIENS 267
— Se perdran pas mous esclops au mens, brave moussu ?
— Nàni, nàni ; Q*agés pas làgui.
Tôni escarlimpèt sus Tescala. le passèroun lou nous autour
dau col, en ie diguent qu'èra d'acoustumança de faire antau
e tout d'un cop, zac ! se trapèt panlevat en Ter.
Per bounur aviè plougut. La corda èra mièja-pourrida. Se
coupèt. Tôni, per tant tôni que seguèsse, empougnèt vite
sous esclops e se vouèt d'ausida àNostra-Dama de las Cambas.
PamenSy quand seguèt prou liont, s*arrestèt e bramèt:
— Michants sugèts! voulurs!... Vau lous querre ious gen-
darmas. Me lous racarés aqueles dous escuts !... Monstres !...
arrouïna-paures ! assassins !... Se la corda se copa pas m*es-
trangoulhavoun !...
*
Espéras ! L'afaire unis pas aqui.
Un parel de meses après, moussu de Mountpeliè, preniè
Ter, un bèu dimenche, as entours de la vila, perquinaqui vers
lou Plan das Quatre-Segnous. Caminava sans pensa mau, rede
— On n'égarera pas mes sabots, au moins, mon bon Monsieur ?
— Non, non ; n*ayez nulle crainte.
Toine grimpa sur Téchelle. On lui passa la corde au cou. C^était
Tusage, lui dit-on. Et puis, soudain, zac! il se trouva lancé dans
le vide.
Heureusement, il avait plu. La corde était à demi pourrie. Elle
rompit. Toine, pour si gros-butor quMl fut, se précipita sur ses
sabots, les prit, les mit en un clin d'œil, et se recommanda sur-le-
champ à Notre-Dame-de-Prends-tes-Jambes. Quand il fut assez loin,
il s'arrêta :
— Mauvais sujets !... voleurs î cria-t-il tant qu*il put... Je vais les
prendre les gendarmes. Vous les cracherez ces deux écus !... Monstres !
Vauriens! Assassins!... Si la corde n'eût point cassé, ils m'étran-
glaient!...
♦ ♦
Minute! L'affaire ne finit pas là.
Une couple de mois plus tard, M. de Montpellier, prenait le bon air,
un dimanche, dans les environs de la ville, près du Plan des Quatre-
?68 CONTES LANGUEDOCIENS
cou ma s^aviè fach sas Pascas, quand, tout d*un cop, à-n-an
crousadou, un bèu droulàs se quilha davans el. E nostre ga-
vacb, — car èra un gavacb, — Tagacha, Tespia, lou bada,
sembla que se v6u miralbà dins el.
— Siàs pas, ie dis, lou bourrèl de Mountpeliè.
— Nàni.
— Acbàs, pamens, moussu, que ie semblàs fossa.
— Vous dise qu'es pas iéu.
— Ob! be, bougri de bougri! que lou siagués ou que Ion
siagués pas, eau que vou'n âque una bona desbourrelada!...
E vous pausèt sous esclops; e n'agantèt un de cbaca man;
e vous toumbèt sus lou casaquin de moun bourrèl ; e vous i'es-
poussètlas arnas ; e vous Pacivadèt d'aco pus bèu en bramant:
— Me lous pagarés aquelesdousescuts,melouspagarés!...
Urousamen per lou bourrèl que se vegèt veni de mounde,
ce que faguèt encouri Tôni. Sans aco Tanriè quitat frech.
Es égal, de Tacivadage moussu de Mountpeliè s'en souveo-
guèt, se dis, mai de quatre matis.
Seigneurs. 11 allait, sans penser à mal, raide comme s*il fût venu de
faire ses Pâques, lorsque, tout à coup, à un carrefour, un garçon for-
tement râblé se dressa devant lui. Et notre gavach, — car c'était un
gavach, — vous le dévisageait curieusement, obstinément.
— N'êtes-vous pas, lui dit-il, le bourreau de Montpellier?
— Non.
— Sais pas!... Vous vous ressemblez beaucoup tous les deux.
— Je vous dis que ce n'est pias moi.
— Oh! bien, bigre de bigre 1 que vous le soyez ou que vous ne le
soyez pas, il faut que je vous donne une bonne bourrelée!,..
Et il posa ses sabots ; et il en prit un dans chaque main ; et il vous
tomba sur le casaquin de mons bourreau ; et il vous lui secoua les
puces ; et il vous lui en administra une maîtresse raclée tout en criant:
— Vous me les paierez ces deux écus, vous me les paierez!...
Heureusement pour le battu, des gens se montrèrent, pas bien loin,
ce qui fit enfuir maître Toine. Sans cela il Teût étendu sur le chemin.
Tout de même, dit-on, M. de Montpellier garda de cette aventure
un cuisant souvenir, plus de quatre matins.
CONTES LANGUEDOCIENS 269
IX
UN VIAGE EN ANFER
AU BRAVE AMIC F. DOUMBRGUB.
Au Bourdigou, autre tems, i'aviè'n capelan e un medeci
qu^on vesiè souvent ensemble e que pamens se carcagnavoun
de-longa. Ou, quand se carcagnavoun pas, èra que Tuu debi-
tava à l'autre quauca grossa messourgassa, en espérant
qu'aqueste, quand vendriè soun tour, n'en faguèsse ûlà una
pus grossa encara. Car, sus aquel chapitre, fasièn mai-que-mai
au pus fort la pelha.
Or, un divendres au vèspre, Moussu Siau (es lou noum dau
capelan), qu'intrava enco de Moussu Dduièl (es lou noum dau
medeci) per ie passa la velhada, Tatrouvèt mai que ben atau-
lat davans un capounàs, amai qu*aviè pas Ter de ie faire la
bèba.
Estoumacat, se sinnèt d'abord, e pioi, issant las mans :
UNE VISITE EN ENFER
A l'ami F. DOUMBRGUE.
A la Bordigue, auti'efois, il j avait un curé et un médecin qu'on
voyait très souvent ensemble. Et cependant c'était entre eux un
chamaillis continuel. Ou bien si, par hasard, ils cessaient de se cha-
mailler, on pouvait être sûr qu'alors l'un contait à l'autre quelque
mirifique aventure, en attendant que celui-ci, son tour venu, débitât
des sornettes plus mirifiques encore. Sur ce chapitre, ils faisaient à qui
gasconnera le plus.
Or donc, un vendredi soir, M. Silhol (c'était là le nom du curé)
entrait chez M. Daniel (c'était le nom du médecin) pour passer la
veillée. Il trouva le compère béatement attablé, tête à tête avec un
superbe chapon. Et Thomme n'avait pas l'air de bouder l'animal.
Très surpris, estomaqué, notre curé se signa premièrement ; puis
levant les mains au ciel :
— Seigneur! Grand Dieu! Miséricorde I... un vendredi manger da
la viande!... Mais Tenfer, malheureux ! l'enfer qui vous attend?...
270 CONTES LàNOUBDOGlgNS
— Secous! faguèt, un divendres manjà de oarl... Mes
Tanfer, malarousl Tanfer que vous espéra?...
— M'espéra pas iéu, moussu lou Curai ; n'agés pas p6u
d'aquela.
— Presemple, n'agés pas pôu d'aquela?... Vendredi chair
ne mangeras.,.
— Ni Samedi mémement. Tout aco sabèn. Mes counvendrés
be pameus que, per anà dins Tanfer, caudriè que Tagèsse de
plaça. E per iéu i*a pas ges de plaça.
— Per vous i*a pas ges de plaça?...
— Nàni, n'fa pas ges... Oh ! boutas, fagués pas vostre Sant-
Toumàs : se vous hou dise es que n'en sièi souiide. E n'en sièi
soullde d'abord que i'ère ioi e qu'hou ai vistcouma vous vese.
— Anen ! anen ! es pas lou cas de farcejà. Sera pas emb'a-
quelas couiounadas que vous tirarés das arpieus de Satan.
— Gouioune pas, moussu lou Curât ; vous assegure, conma
ai cinq dets à la man, que sièi anat à Tanfer, pas pus tard
que ioi.
— Ahl voulès pas n'avedre lou démentit!... Eh! be, per
veire, countàs un pauc couma aco se i'entoulha en aval? E
avisàs-vous que cadre ben.
— Il ne m'attend pas moi, Monsieur le Curé ; soyez sans crainte.
— Comment 1 soyez sans crainte!... Vendredi chair ne mangercu.,*
— Ni samedi mêmement Nous savons cela. Mais vous conviendrez
bien cependant que, pour aller dans l'enfer, il faudrait tout d'abord
qu'il y eût de la place. Et pour moi il n'y a point de place.
— Pour vous il n'y a point de place ?...
— Nenni, qu'il n'y en a point... Oh ! voyons, Monsieur le Curé, ne
faites pas le Saint-Thomas : si je vous le dis c'est que j'en suis sûr.
Efc j'en suis sûr, puisque j'y étais aujourd'hui : j'ai vu la chose
comme je vous vois.
— Allons l allons I... ce ne sont pas là matières à bouffonneries.
Et toutes ces fariboles ne vous tireront pas des griffes de Satan.
— Je ne badine pas, Monsieur le Curé. Je suis allé en enfer aujour-
d'hui même, aussi vrai que j'ai cinq doigts à chaque main.
— Ahl vous ne voulez pas en avoir le démenti?... Eh bien! voyons:
contez un peu comment vont les choses par là-bas? Et attention que
cela cadre comme il fauti
CONTES LANGUEDOCIENS 271
^ Vous hou vau countà d*aasida, e se vous dise una
messorga, vole que la testa me saute I... Escnsàs se me decope
pas de moun soupà, mes sièi afamat couma un loup de tant
que lou viage m'a curât, e pioi aco m*empacharà pas de bar-
jacà, n'agés pas làgui.
Donne, coupen court. S'intra en anfer per un grand pourtau
que Tes alandat nioch e jour. Ë l*on s'encapita dins una espèça
de courredouy long, long oouma tout ioi, e nègre, nègre...
couma diànsis dirai?... couma vous, moussu lou Curât.
Badinage à despart, se le vei pas mai que s*on èra dins un
four. M'embrouncave d'aici, retustave d'aiai, beièu me ûquère
de costas mai de dèch cops. A la perfin, pamens, m'avisère
que i'aviè très portas : una de chaca man e Tautra au ân-founs.
léu, pecaire I couma un ase cargat de iatas, t'anère picà
tout drech à la prumièira quo s'eiideveiiguèt: èra la de
gaucha.
— 01! bougre de bastard de sort!... mai, vendran me segà
las aurelhas ?... faguèt un lourdagnàs que sourtiguèt d'ausida
couma un chi caïn, lou mourre autant risent que las portas
d'una prisou... Quau ses vous?
— Je vais vous narrer l'affaire, sur-le-champ. Et, si je vous dis le
plus petit mensonge, qu^on me coupe la tête!... Vous m^excuserez de
ne pas interrompre mon repas: c'est que, voyez- vous, je suis plus
affamé qu^mloup, tellement le voyage m*a creusé Testomac.Et puis,
ça ne m^empêchera pas de jouer de la langue.
Donc, coupoDs court. On entre dans Tenfer par un grand portail,
ouvert nuit et jour. Et Ton se trouve tout de suite dans une espèce de
couloir, long, long comme tout aujourd'hui, et noir, noir... comment
dirai-je?... comme vous. Monsieur le Curé.
Mais, trêve de badineries. On y voit clair là dedans à peu près
comme dans un four. Je trébuchais par ci, je me cognais par là; je
tombai tout de mon long peut-être plus de dix fois. A la fin des fins ,
pas moins, je parvins à distinguer trois portes : une de chaque côté
et la troisième tout au fond.
Moi, pauvre innocent, comme un âne chargé de bois, j'allai tout
de go frapper à Tune d^elles, au petit bonheur. C'était à la porte de
gauche.
•» Oh I canaille de bâtard de Sorti... encore, on viendra nous assas-
272 CONTES LANGUEDOCIENS
^ Sîèi moussa Daniel, dau Boardlgoa.
— E qae noun ie demouràs à vostre salle Bourdigoa, tron-
de-noum-de-noum d'un goi? ... An 1 per veire, dequé yenès
faire aici ?
— Voulièi vous demanda, moun brave moussu, s'auriàs pas
una plaça per iéu...
— Ah! ça, mes, digàs : prendriàspas un er de dous ers, per
hasard?... Yous couparièi pulèu Ion mourre... Pétard de-
noum-de-noum ! hou sabès pas que çai sèn quichats connaa de
sardas? L*on se creva de Tbou dire à-n-aqueles bougres
d*abestits, e vous agachoun, pioi, en badant una maissa
qu'envalariè dous faisses de palhal... Anàs vous faire enfourcà
pus lient, sieuplèt, ou gara de mas costas!...
Chaval I coussi peta vostre fouet, camarada I me pensère.
Mes gardère aquelas refleciouns per iéu. Quand lou moande
soun tant ounèstes, ce milhou es de lous quitààsoun adressa.
Acampère dounc un grand chut e, sans mai d'alônguis, anère
picà à Tautra porta, la de drecha.
— Dequ'es encara tout aquel varal?... faguèt un autre
siner les oreilles?... fit un monstre de laideur qui sortit impétueuse-
ment, ainsi qu'un chien hargneux, le museau aussi riant que les
portes d'une prison... Qui étes-vous?
— Je suis M. Daniel, de la Bordigue.
— Et pourquoi n'y restez-vous pas à votre sale Bordigue, ton-
nerre-de-nom-d'un boiteux?... Allons! pour voir, que venez-vous
faire ici?
— Je voulais vous demander, mon bon monsieur, si, des fois,
vous n'auriez pas une place pour moi ..
— Ah! ça, mais, dites donc; vous n'auriez pas un air de deux
airs, par hasard?... Je vous casserais plutôt la gueule... Nom-de-nom-
d'un pétard! ne le savez-vous pas que nous sommes ici encaqués
comme des harengs?... On se tue à le leur dire à ces espèces de cru-
ches, et puis il vous regardent ahuris, ouvrant une bouche qui semble
vouloir avaler deux bottes de paille!... Allez vous faire enfourcher
plus loin, s'il vous plaît, ou sinon gare de mes côtes !...
Peste! pensai-je, comme il claque votre fouet, camarade !... Mais je
gardai cette réflexion pour luoi. Quand les gens sont si affables, le
mieux est de les laisser à leur enseigne. Je restai donc bouche cousue
et, sans plus lanterner, j'allai frapper à l'autre porte, celle de droite.
CONTES LANGUEDOCIENS 27 ft
poulit moorre qu^espinohèt emb'un er risouliè couma lou de
mabèla-maire... Vous manoa quicon?...
— Nàni, moussu. Sièi moussu Daniel, dau Bourdigou, e
Youdrièi saupre s'auriàs pas una plaça per iéu.
— Aco's aco I Quand vous dise que caudrà prene un ban
bilhot ?... Fai belèu mai de cent que vènoun, ioi... Mes, sacre-
mila-noums d'un fou...tre! que me fariàs dire, sabès douno
paslegi, bougre d'ase ? Dequé Ta aqui dessus ?...
De-fèt, me faguèt veire en-dessus de la porta^ — quau tron
s*en èra avisât ! — una maniera de pancarta pas trop linda,
que pourtava d*escrich :
a COUMOULIBUS »
— Escusàs, Moussu, ie diguère, sièi un pauc de Courtesoun
per la vista, e per lou lati... sièi de Sant-Jan-das-Ases : ai pas
jamai sachut qu'amoulèn rapiàmus.
— Anàs-vou *n au diable, e pas tant d'armanacs !
Pardieu! demandave pas que de mai que d'anà au diable ;
mes, sacrapètal ounte trcn se deviè 'ncapità? Àchàs que
— Qu'est-ce que c'est que tout ce vacarme? .. fit un autre joli-
cœur qui montra un visage gracieux comme celui de ma belle-mère...
Vous manque-t-il qnelque chose?...
— Non, monsieur. Je suis M. Daniel, de la Bordigue, et je vou-
drais savoir si vous n'auriez pas une place pour moi.
— Encore un autre?... Quand je vous dis qu'il faudra prendre un
bon gourdin?... Ça fait peut-être plus de cent, aujourd'hui... Mais,
aacrô-mille-noms d'un fou... tre! — car vous me feriez mal parler, —
vous ne savez donc pas lire, espèce d'âne?... Qu'y a-t-il là dessus?. .
Il me fit voir, en effet, au-dessus de la porte, — du diable si j'y
aurais pris garde! — une manière de pancarte pas trop limpide,
qui portait en écriteau :
« OOMPLBTIBUS »
— Faites excuse, monsieur, lui dis-je, je suis un peu de Courte-
son quant à la vue, et pour ce qui est du latin... je suis de Saint-
Jean-les-Bourriques : je n'ai jamais su que rapiàmus.
— Allez vous en au diable, et pas tant de sornettes !
Pardieu ! je ne demandais pas mieux que d'aller au diable ; mais,
18
274 CONTES LANGUEDOCIENS
sabiëi pas trop coassi faire de picà ou de picà pas à la porta
daa founs.
Pamens, me digaère, ie siës, ie siès : te ie eau faire à la
carreta I... As adejà envalat doas afrounts, an de mai pot pas
estoufà *n ome e n'auras au mens la councienca nota.
Ëmbé tout aoo, se vous disièi que tramblave pas un pauqaet,
série *n grossa messorga : lou oor me fasiè trica-traca.
— Quau i*a 'val?.., me cridèt una voués que semblava pas
tant rufa couma las autras. De-fèt lou que doubriguèt aqueste
cop, sans èstre un astre, pamens, èra pas d'à-founs tant lourd
couma lous do us qu*avièi vist.
— Sièi moussu Daniel, dau Bourdigou, tournère mai dire.
— Ah ! tant milhou... B dequé çai venès faire?
— Vesès, pas grand*causa : tant soulamen per saupre se
i'auriè pas una plaça per iéu.
— Ai moun Dieu I taisàs-vous, qu'aiço's pie couma un i6u :
sèn lous uns sus lous autres.
— Mes... anûn, quand seguèsse pas qu'un pichot recantou?...
— Vous tome à dire que Tauriè pas per cabi 'n jol... E
saperlipopette I où donc se trouvait-il?... Voyez-vous, j'étais bien indé-
cis : heurterai-je, ne heurterai-je pas à la porte du fond?...
Cependant je me tins ce discours : a Tu y es, tu y es : passes-y
jusqu'au bout sous les fourches caudines!... Tu as déjà essuyé deux
affronts, un de plus ça ne peut pas tuer un homme, et tu en auras
au moins le cœur net. »
Tout de même, si je vous disais que je ne tremblais pas on peu,
je mentirais effrontément. Mon cœur battait la générale.
^ Qui va là?... demanda une voix qui me parut moins rude que
les deux précédentes. En effet, celui qui ouvrit cette fois, sans être
un astre à la vérité, n'avait pas le museau rébarbatif des deux cer-
bères déjà vus.
— Je suis M. Daniel, de la Bordigue,recommençai-je.
— Ah! vraiment?... et que venez-vous faire par ici?
— Une misère, mon bon monsieur, une misère : savoir, tout simple-
ment, si vous n'auriez pas une place pour moi.
— Mon Dieu! taisez-vous donc!... c'est plein comme un œuf chez
nous. Nous sommes les uns sur les autres.
— Mais... enfin... ne serait-ce qu'un petit coin?
CONTES LANGUEDOCIENS 275
tenès: de pôu que creseguèsses que vous badine, vous hou
vole faire veire,
M'alandèt la porta e, iéu, intrère. Pu...uh! la marrida
pudissina que i'aviè aqui dedinsi Creseguère de m'estavani.
E de mounde ?... Tout n'èra
Tant-i'a qu'agèren bèu ântà de drecha, reântà de gaucha,
trapèren pas res. Si, à la û, m'anère avisa d'un traça de
pichot banc, arrecantounat, destrech couma sabe pas dequé,
e que, se i'aviè de large per plaça un bout d'una anca, èrabe,
tron-de-miola I tout ce que se poudiè faire.
— E aqui ? faguère ; tamben me countentarièi d*aiço.
— Ah ! nàni. Fai pas pensât de vous hou dire pus lèu, mes
tout juste avèn pas qu'aqucl ûoc de plaça e poudèn pas vous
lou bailà
— Diànsis 1 qu*aco*s foutent !... E perdequé poudès pas me
loà bailà, se sièi pas trop curions ?
— Perdequ'aco*s la plaça que gardan per lou capelan dau
Bourdigou...
Gustàvi Theround.
— Je vous répète qu'on ne trouverait pas à caser un goujon...
Et tenez I vous croiriez peut-être que je vous badine: je m'en vais
vous le faire voir.
Il m'ouvrit aussitôt la porte, toute grande. Moi, j'entrai bravement.
Pouah !... l'infecte puanteur!... Je faillis m'évanouir! Et du monde?...
C'était bondé.
Si bien que nous eûmes beau fureter de ci, refureter de là, nous
ne trouvâmes rien, rien, rien. Si, cependant. A la fin des fins, j'allai
découvrir, dans une encoignure, un mauvais petit banc, étroit comme
je ne sais quoi. S'il était assez large pour qu'on put asseoir dessus
le bout d'une fesse, c'est bien, saprelotte 1 le plus qu'on en puisse
dire!
— Et là?... demandai-je. Au besoin, je me contenterais de ceci.
— Ah! fichtre, non. Faut-il que je sois étourdi?... J'aurais dû vous
prévenir... Nous n'avons tout juste que ce bout de banc, et il nous
est impossible de vous le donner.
— Diantre! que c'est désespérant!... Et pourquoi ne pouvez-vous
me le donner, si je ne suis pas trop curieux ?
— Mais,... parce que c'est la place qu'on garde pour le curé de la
Bordigue...
(A suivre), G. T.
BIBLIOGRAPHIE
Pf0Îflinr(6.^ — Ein problem der romanischen wortforschnng, I, 1899
[40 p.] et II, 1900 [20 p.], StuttgarL Greiner é Pfeiffer.
Cette étade it particulièrement pour bot d'établir Tétimologie du
mot fr. outil. L'aateor en rapproche ▼&. ttetUît, stoeille et remonte
par là à one forme * uràla^ta. Mais $ieeiUe, stoeiUe, qui semble signifier
« chaise >» et qoe M. Behrens {Beitrâge sur romanischen philologie
dédiés à M. G. Grôber) rapporte avec beaucoup de vraisemblance
à ûaLvaslod, stoeUfe, n*a rien à voir avec nutil. * Uritahilia croule par
le fait.
De ce prétendu *usiiabiUa M. Pfeiffer tire olivettes qui ne vent cer-
tainement pas dire « oatîls » et qui est sans doute apparenté avec
fr, atU/er ; des aUveUes ce sont des objets d'attifement, comme Tindique
Cotgrave qui traduit ce mot par « trinkets, tyres. or attyres ».
Puis du même *usitabilia sortirait estovoir, qui ne convient ni pour
le sens ni pour la forme, — puis stenys qui serait le même mot qiiesio-
voir, — puis atoivre qui serait encore le même mot, — puis siilU,
— puis esioire, — puis tœillier, — puis atUler, iaUmiUer, tantouiUer,
— puis artillier.
Le singulier * usitabile n'aurait pas eu une postérité moins inatten-
due : ce serait wall. stafe, puis wall. scoffe, scafe, sitofe, et en défini-
tive fr. étoffe qui sortirait du wallon.
Cette énumération se passe de commentaire; mais nous ne croyons
pas inutile de relater cette liste de mots parce qu'elle est présentée
chez Fauteur avec une érudition incontestable et une certaine virtuo-
sité à laquelle quelques-uns pourraient se laisser prendre.
Dans le second fascicule destiné à renforcer le premier, M. Pfeiffer
construit un * usahïlia, qui doit confirmer le * usitdbilia du premier
article. A ce * uaabilia remonterait, entre autres formes, fr. useteiUe ;
inutile d'insister.
Si Tauteur a obtenu des résultats aussi surprenants, c'est qu'il met
en œuvre une sémantique dont l'élasticité n'a pas de limites et une
fonétique fondée uniquement sur les cas particuliers, les faits d'ana-
logie, les croisements de mots, les exceptions. Pourtant son travail
dénote des qualités qui pourraient être un jour utilisées de façon plus
BIBLIOGRAPHIE 277
fructueuse ; mais ce qui est inquiétant pour le moment, c'est que la
seconde brochure se termine par ces mots <* Wird fortgesetzt ».
Maurice Grammont.
Wilmotte. — La naissance de Vêlement comique dans le théâtre reli-
gieux. Congrès d'histoire comparée de 1900, Maçon, Protat frères, 1901,
n-8o de 23 p.
En annonçant aux lecteurs de la Revue des langues romanes un
récent volume de M. Sepet, je les ai entretenus des « origines catho-
liques du théâtre moderne ». C'est au même sujet que se rattache
une remarquable communication faite par M. Wilmotte au Congrès
d'histoire comparée de 1900.
On a le plus souvent admis et professé que l'élément comique des
mystères leur venait du dehors : les fabliaux avaient donné nais-
sance à des farc3s, et de ces farces certains personnages et certains
incidents sont passés dans les mystères. Mais où sont ces farces
et ces fabliaux dont on veut que les auteurs de mystères se soient
servis ?
Qu on observe attentivement les faits, qu'on étudie Tun après l'au-
tre les documents, et l'on se convaincra que les mystères n'ont rien
emprunté; mais, au contraire, que « l'élément comique est en germe
dans les premiers développements scéniques qu'a connus l'Eglise,
comme ces développements sont, en quelque sorte, latents dans la
liturgie ».
Bien plus, l'élément comique né au sein du mystère en est sorti, a
donné naissance à son tour à des scènes et à des divertissements
profanes; nous le retrouvons dans Robin et Marion, d'Adam de
le Haie, dans la Grisélidis de 1395, dans le dialogue des voleurs
{jeu de saint Nicolas)^ de Jean Bodel : « Les sujets d'ordre comique de
1200 à 1400 sont tous pris dans les mystères, ou du moins s'y re-
trouvent ou peuvent légitimement s'y retrouver ».
Telle est la thèse qu'avec beaucoup de clarté et de logique expose
le savant professeur de Liège. Çà et là des vues ingénieuses viennent
encore augmenter le prix de sa démonstration, a 11 serait intéres-
sant », lit-on, p. 17, note 3, « de poursuivre ailleurs une enquête sur
les « Bergeries » et de se demander si le goût n'en passa point les
monts au XV1« siècle (j'ai nommé tantôt Guarini, qui aurait pu se
déclarer Tauteur de l'entre-jeux du miracle de Grisélidis), pour nous
revenir légèrement métamorphosé au siècle suivant ; il y a là, j'en ai
la certitude , tout un champ d'exploration pour de nouveaux cher-
cheurs )».
Engène Rigàl.
?78 BIBLIOGRAPHIE
Rolurtmi (O). — Etode sur Jehan Bodeh Thèse pour le doctorat. —
Uppsala, Imprimerie Almqvist et WikseU, 1900, in-8*. [XVI- 207 p.]
M. Rohnstrôm, qui, dans les Mélange» de philologie romane
dédiés à Cari fFaA/«fuf (1896), avait déjà préliminairement publié des
Remarques sur quelques noms propres dans la Chanson des Saxons
(pp. 123-136), vient de consacrer une étude approfondie à Tœuvre
complète du poète arrageois Jean Bodel. Après une Introduction^
où il rend compte des faits se rapportant à la vie de Jean Bodel,
l'auteur soumet à un examen consciencieux, en cinq chapitres consé-
cutifs, les Pastourelles attribuées à Jean Bodel, ses Congés, le Jeu de
saint Nicolas, la Chanson des Saxons et, enfin, la langue du poète,
telle qu'elle ressort de ses œuvres. L'exposé est clair et facile à lire,
et l'auteur nous renseigne partout, d'une manière systématique et
intelligente, sur les opinions divergentes concernant les questions en
litige. Je ne saurais dire, si, pour chaque fait spécial, M. Rohn-
strôm est arrivé à un résultat définitif et assuré ; dans tous les cas,
son argumentation est toujours très solide et mérite d'être prise en
sérieuse considération. Je dois me borner ici à signaler brièvement
quelques conclusions importantes de cette œuvre très méritoire.
Pour la date de la mort de Jean Bodel, Tauteur approuve Topinion
selon laquelle le poète est mort vers la fin de 1209 ou au commence-
ment de 1210. Quant aux pastourelles^ M. Rohostrôm^ d'accord avec
M. Cloetta, croit que Jean Bodel est également l'auteur de la pas-
tourelle N® 1702 de la Bibliographie de M. Raynaud (L'auirier me
cJievaucJioie Lés une sapinoie), laquelle est anonyme dans les trois
mss. qui la donnent. Les Congés dateraient, comme Font admis
MM. Cloetta et G. Paris, de Tannée 1202. Pour la Chanson des
SaxonSf il faudrait prendre comme base de la restitution du texte le
ms. Paris, Arsenal, f. fr. 3142 (A), dont la langue est nettement picarde.
Quant à la langue du poète, M. Rohnstrôm prouve, entre autres, que
Jean Bodel rimait -ie <^ - ita avec -ie = -tee, réfutant ainsi l 'opinion
contraire de M. Raynaud, que j'avais adoptée, avec trop peu de cri-
tique, dans mon édition de Conon de Béthune,
Voici, pour finir, quelques petites erreurs de fait que j 'ai observées.
P. 9 : La III* pastourelle (Raynaud, n^ 1702) se trouve dans Mon-
merqué-Michel, Théâtre frç., page 37, et non pas p. 77. — P. 12 : Par
une erreur d'impression il n'est pas dit que la IV* pastourelle (Raynaud
n° 367) a aussi été publiée par Dinaux, Trouv. Art., p. 206, * sous le
1 La Bibliographie de M. Raynaud indique à tort p. 190, ce qui
s'explique par le fait que la p. 207 porte, par erreur typographique, le
numéro 191.
BIBLIOGRAPHIE 279
nom de Gillebert de Berneville. — P. 22 : Les Congés se trouvent
encore dans le ms. Paris, Arsenal, 3313 (B. L. fr. 170), qui est une
copie (du XVUI® siècle) du ms. Paris, B. N. fr. 375 (voy. Zeïtschr.f,
rom. PhiloL IV. p. 477, note 2). — P. 70: La strophe 176,7-22 du
Jeu de saint Nicolas (éd. Monmerqué-Michel) a les rimes : ababccdde-
fefggcc, et non pas : abab ccddefef ggoa.
Helsingfors. A. Wallenskôld.
Gaston Jonrdanne. — Garcassonne. Un vol. in-12, yi-174, pp. et un
plan. Carcassonne, Gabelle, 1900.
Bien que ce petit volume soit une œuvre de circonstance, (écrite,
si nous ne nous trompons, à Toccasiou d^une fête félibréenne) et que
l'auteur y ait évité avec beaucoup de bonne grâce toute prétention
scientifique, il mérite d'être signalé, tant à cause de l'autorité de
Técrivain si compétent en matière d'histoire et d'archéologie langue-
docienne, que pour les services qu'il pourra rendre aux archéologues
de profession comme aus simples touristes. Après Cros-Mayrevieille,
après Viollet-le-Duc, après Foncin, après G. Boyer, M. Jourdanne a
pensé qu'il y avait place encore pour un guide à la Cité de Gar-
cassonne, et son entreprise se justifie par l'abondance et la précision
des détails, comme par la clarté et la méthode de l'exploration de la
Cité telle que son itinéraire la présente. C'est, comme de juste, à la
Cité qu'est consacrée la plus grande partie (et la plus intéressante)
du volume. Après quelques indications générales sur l'histoire et
l'archéologie de la vieille Cité, Jourdanne décrit en détail la basilique
de SS.-Nazaire et Celse, puis l'enceinte intérieure : 1** de la tour de
Justice à la tour Saint-Nazaire ; 2** le Cloître ; 3° de la tour Saint-
Nazaire à la Porte Narbonnaise ; 4* de la Porte Narbonnaise au
Château ; l'enceinte extérieure, qui se divise en lices hautes de la
Porte d'Aude à la Porte Narbonnaise et en lices basses de la Porte
Narbonnaise au Château. L'étude des entrées : Porte d'Aude, Porte
Narbonnaise, Grande Caponnière et avant-porte du Château, complète,
avec celle du Château, la description très approfondie de la Cité. On
ne pourrait trouver de guide mieux renseigné et plus indépendant à
l'égard des légendes et des traditions locales. M. Jourdanne n'en
ignore aucune, mais il est loin de les accepter toutes. Cette partie du
volume se termine par quelques notes sur les sénéchaux royaux, les
prévôts des mortes-payes, la statue de Dame Carcas et la légende
deCarcas et de Charlemagne, et les anciens faubourgs. Une vingtaine
de pages contient ensuite des renseignements plus que suffisants sur
la Ville Basse, et peut-être un peu maigres sur le Musée-Bibliothèque
280 BIBUOGRAPHIE
qui eontieiit des œuvres et des collections întéressanles, siirtoat snr
les CbénieFf sur Peyrosse et sor Mahul. Le Tolmne est carieasement
illustré de photogravures d'après les clichés de ranteur, qui a même
donné on horaire photographique qoi sera précieax pour les ama-
teurs. Je me permets de réclamer pour les amateurs bibliographes
une bibliographie sommaire de Carcassonne, qu*il ne sera pas difficile
à M. Jourdanne de nous donner dans sa seconde édition, et que, selon
toute apparence, nous n'attendrons pas longtemps.
L.-G. P.
CosU&tino Vigra. — Uno degli Edoardi in Italia. Fayola o storia ?
(Extrait de la Nuova atUologia, 1*' aTiil 1901. Rome 1901. 25 pp.)
La tradition des chroniqueurs anglais veut que le roi Edouard II
d'Angleterre ait été mis à mort, d'une façon barbare, par ordre de
sa femme Isabelle et de l'amant de celle-ci, Mortimer, au Château
de Berkeley, à une date généralement fixée au 21 septembre 1327.
Manupl da Fiesco, chanoine dToik, puis évoque de Vercelli de 1343
à sa mort en 1348, a donné, dans une lettre adressée au roi Edouard
111, une version tout à fait différente des dernières années de ce
piince : d'après Fiesco, Edouard II aurait réussi à s'évader de Ber-
keley, et à gagner le continent; il aurait traversé la France jusqu'en
Languedoc, reçu quelque temps l'hospitalité de Jean XXI 1 à Avignon,
puis, après un pèlerinage à Cologne, serait revenu se fixer en Lom-
bardie, à Milan d'abord, puis dans les ermitages de Melazzo et de
Cecima. C'est là que la mort serait venu le prendre. Ce récit aurait
été fait par lui-même à Manuel da Fiesco, « ea quae audivi ex con-
fessione patris vestri », phrase où « confession » veut dii'e sans doute
confidence, ou bien implique un singulier manquement de Fiesque à ses
devoirs ecclésiastiques. — Malheureusement cette lettre de Fiesque
n'est pas datée, et le plus ancien texte qu*on en ait est une copie
insérée par Arnaud de Verdale dans le cartulaire épiscopal de
Maguelone : or Fiesque est mort en 1348, le cartulaire a été rédigé
en 1368 ; cet écart de vingt ans diminue quelque peu l'autorité de ce
témoignage, fort surprenant et qui n'est confirmé par aucun autre
document contemporain. — Ce document fut publié pour la première
fois en 1877, par M. Alexandre Germain, qui accepta pleinement son
authenticité, € sans vouloir imposer cette conviction » , mais qui récla-
ma la révision de cette question historique, et discuta savamment
les divers problèmes et hypothèses qui se posent et se suggèrent à son
endroit. 11 conclut à l'authenticité, pour ce motif que la fabrication
d'un tel document n'aurait eu aucun but utile et aucun avantage
BIBLIOGRAPHIE 281
pratique pour le faussaire . Gomme on oe possède pas TorigiDal de la
lettre, cette question d'authenticité est double : L*originaI était-il
authentique? On ne peut rien en savoir et il n'a peut-être jamais
existe. La copie Test-elle? Il est possible, comme Ta suppose Germain,
que la copie elle-même ait été un apocryphe destiné à tromper
Arnaud de Verdale, grand collecteur de chartes et de documents
anciens. Il est possible enfin, et Germain et Nigra n'ont pas envisagé
cette hypothèse, que nous ayons affaire ici à un simple jeu d'esprit,
à un document purement littéraire et fabriqué de toutes pièces,
comme le moyen âge et le XV^ siècle en ont tant produit ; lequel
document aura été recueilli dans le cartulaire par un clerc trop naïf.
On retrouve en effet dans cette lettre plusieurs éléments ordinaires
des récits analogues de Folk-lore, les détails de l'évasion, la substitu-
tion du cadavre, la réception par le pape, le pèlerinage à Cologne,
qui paraît un épisode tout à fait arbitraire. Jusqu'à nouvel ordre, il
n'y a pas lieu,semble-t-il, de substituer à la version romanesque de
l'assassinat la version encore plus romanesque de l'évasion. A vrai
dire l'une et l'autre sont également peu certaines et impossibles à
prouver. 11 faut appeler, comme Nigra, l'attention des chercheurs sur
ce petit mystère et souhaiter la découverte de nouveaux documents.
La prochaine publication du cartulaire de Maguelone donnera
peut-être à notre savant confrère M. Berthelé l'occasion de revenir
sur cette question, de compléter la découverte de Germain, de déci-
der l'authenticité du document, et provoquera peut-être la découverte
de nouveaux textes relatifs à ce mystère. Si Edouard 11 a vécu une
quinzaine de jours à la cour pontificale, il est impossible que les
registres Introitus et Exitus de la curie de Jeun KXIl n'en aient
conservé aucune trace.
Dans le présent article, M. C. Nigra ne fait guère que résumer
le mémoire de Germain, il donne le texte et la traduction italienne
de la lettre de Fîesque, conclut à la vraisemblance de Tévasion;
Germain était peut-être conduit à cette conclusion par l'amour-pro-
pre du trouveur, Nigra y est amené par l'amour-propre local de l'itu-
lien, heureux de voir son pays mêlé à un problème historique. —
C'est du reste le caractère d'à-propos que l'avènement d'Edouard Vil
donne à l'histoire de ses prédécesseurs homonymes qui Pa décidé à
revenir sur cette question. Peut-être Edouard VU trouvera-t-il cette
actualité de mauvais augure.
L. G. Pélissikr.
/
TSf BIBLIOGRAPHIE
Joardanne. — Contribation an folk-lore de TAade. Usages, contmnes,
littérature populaire, traditions légendaires. Un toI. in-8«, 243 pp.
Paru, Mai ormeuce; Carcassanne, André Gabelle, 1899-1900.
M. Jourdanne a eu une excellente idée en réunissant dans un
tirage à part, restreint et par là-même appelé à devenir rare et pré-
cieux, des études publiées dans le Momteur de l'Aude et dans les
MénuAree de la Société des art$ et 9ciemees de Careassotme sur le folk-
lore de ce département de TAude qu*il connaît si bien et dont il veut
être l'historien attitré. L*eQsemble de ces études comprend naturelle-
ment trois divisions: Usages et coutumes, littérature populaire, tra-
ditions légendaires. Dans la première, Fauteur examine successive-
ment les fêtes populaires (à noter un incident singulier arrivé en 1785
à la fête du Roitelet), les croyances aux êtres surnaturels, la fée Bîs-
tande^ la Dame blanche de Pnjlaurens,le Dracula ma«co, les sinagries
les breichoSj les peurs, le messager des âmes (il observe justement
que ce» superstitions ont un caractère plus âpre et plus triste en
Languedoc qu*en Provence), les proverbes et dictons, les jeux des
enfants, les coutumes nuptiales et funéraires, les formules de con-
versation, les usages administratifs, les usages résultant des rivalités
do quartier, les métiers de la rue [gitano, panieraire, pendulaire, hru-
la-bif estamaire, germenaire eisant%belli)^\e^ usages culinaires et médi-
caux, chai)itre toujours abondant en étrangetés et en très anciennes
survivances, enfin les usages popupulaires religieux réunis sous le nom
de liturgie romane.
La deuxième partie, — poésie et prose populaires — est peut-être
moins nouvelle, et moins spéciale à l'Aude : les chants enfantins, les
danses, les chansons d'amour et de mariage, les pastourelles, les
chants religieux, se retrouvent avec des variantes hors du dépar-
tement. Signalons cependant les chants languedociens appliqués à
rhytmer la polka et le quadrille, certains chants bouffons, et les
chants de métier, dont il est étonnant que M. J. n'ait pas fait un
chapitre spécial (Cf. chant du bouvier, p. 97 ; chanson des tisserands,
p. 51). Tout à fait intéressants et locaux par contre sont les chapitres
de quelques chansonniers populaires (Combettes, Vidal, Tourret, Jala-
bert, Rigaudel, Birat, Achille Mir) et ^wv les chansons politiques popu-
laires dont la plupart sont du XIX® siècle, dirigées contre Napoléon,
contre Déjean, Mahul, Legoux, etc. C'est en effet un chapitre
essentiel pour constituer le folk-lore des temps contemporains.
La troisième partie consacrée aux traditions légendaires est celle
qui intéressera le plus les historiens et les archéologues : l'antiquité
il 1 lissé quelques traces dans la région ; on attribue des origines
fabuleuses à certaines villes de l'Aude, notamment à Carcassonne, à
Narbonne ; les Wisigoths, les Sarrasins ont fortement impressionné
BIBLIOGRAPHIE ?83
rimagination populaire (trésor des Goths, châteaux d'Alaric II, la
tour pinte de Garcassonne, la tour mauresque de Narbonne, les sept
statues d'argent enlevées à Narbonne, les sept colonnes d'argent
enlevées à Garcassonne, les murailles de Narbonne transportées à
Cordoue. la statue de Mahomet).— Une autre série de traditions date
du cycle carolingien et de l'époque féodale : c'est la geste narbon-
naise, Philomena, le poème d'Aimery de Narbonne, et toutes les
légendes qui en dérivent. Charlemagne en personne (par Dame Carcas
et le siège de Narbonne) et Roland, ont eu une popularité remarquable
dans ces régions.— Autour de la guerre des Albigeois s'est formé tout
un cycle de traditions : Roger Trencavel, Amaury, Simon de Montfort,
Saint- Dominique, sont autant de noms autour desquels devaient cris-
talliser les légendes et les anecdotes. — L'hagiographie chrétienne
s'est aussi propagée dans le domaine du merveilleux, avec saint Paul
Serge, saint Gimer, saint Stapin, saint Papoul, sainte Gamelle, les
saintes Puelles, et autres analogues. M. Jourdanne a groupé dans
un intéressant chapitre les légendes formées pour expliquer certains
monuments antiques ou curieux, ou pittoresque : les pierres de Nau-
rouse, les souterrains et le grand puits de la Gité de Garcassonne, la
Vierge de la Porte Narbonnaise, la pierre tombale de Simon de
Montfort, la grenouille de saint Paul et la lampe de saint Just, à
Narbonne, etc., etc.). — Un dernier chapitre est consacré à des
légendes d'origine suspecte sorties purement de la fantaisie indivi-
duelle de quelques nouvellistes du XIX» siècle, plus épris de roman-
tisme macabre que de tradition méridionale. Il n'est pas inutile de
préciser l'origine purement livresque de ces légendes (dont aucune,
au reste, ne paraît avoir dépassé le magazine originel), tandis qu'on
peut encore la retrouver sûrement. — 11 manque un chapitre à ce très
intéressant volume : c'est une revue du folk-lore d'origine historique
contemporaine. M. J., qui a cité une chanson contre Napoléon, ne
pense-t-il pas qu'on pourrait retrouver dans les traditions populaires
des anecdotes sur Napoléon, Kléber et autres? Plusieurs carcasson-
nais ont fait l'expédition d'Egypte; la petite BelUllette était compa-
triote de Peyrusse 11 serait invraisemblable que l'étrange fortune de
cette petite bourgeoise, devenue maîtresse de Bonaparte, n'ait pas
donné lieu à quelques traditions. Je crois que Napoléon et la Révo-
lution dans les traditions populaires sont des sujets dignes de l'atten-
tion des folk-loristes.*
L.-G. PÉLISSIER.
ï II faudra aussi s'inquiéter dans quelques années des légendes et tra-
ditions auxquels auront donné naissance dans les villages les récits des
soldats coloniaux ou qui auront fait la guerre outre mer. L'instruction
primaire n'empêche pas, bien au contraire, la déformation de l'histoire
dans des cerveaux primitifs ou débiles.
CHRONIQUE
Nos deux collaborateurs MM. Eugène Rigal, professeur de litté-
rature française à la Faculté des lettres, et Martinknohb. professeur
de rhétorique au lycée de Montpellier, viennent d'être honorés par
l'Académie française d'un prix de 500 francs chacun, le premier, pour
son volume intitulé Victor Hugo, poète épique (Paris, Lecéne et Oudin,
éditeurs], le second, pour sa thèse française la Comedia espagnole en
France de Hardy à Racine (Paris, Hachette et Cie, 1901).
M. RiGAL avait déjà obtenu un prix de l'Académie pour sa thèse sur
Alexandre Hardy. Nos plus vives félicitations aux deux lauréats.
Le D' Stepfens s'est habilité à l'Université de Bonn, comme Pri-
vat'Dozent de Philologie romane.
Le D"* Gaufinez, lecteur de français s'est habilité à la même Uni-
versité, comme Privât- Dozent de Philologie fraiçaise.
*
• »
Les thèses de notre collaborateur, M. J. Roucaute, intéresseront
vivement ceux de nos lecteurs qui s'occupent d'histoire languedo-
cienne. La thèse française* expose l'histoire du Gévaudan de 1585
à 1596. Grâce aux nombreux documents inédits qu'il a consultés aux
archives de Mende, M. Roucaute a pu donner un récit vivant et
animé en même temps que sincère de cette période troublée.
La thèse latine 2, quoique traitant d'un sujet spécialement histori-
que, pourra avoir quelque utilité pour les philologues. Les pages 87-
114 contiennent en effet un index des propriétés royales dans le Gé-
vaudan en 1307. Les noms sont donnés sous la forme latine qu'ils
ont dans les chartes et sous la forme officielle qu'ils ont aujourd'hui.
Si l'auteur avait pu nous donner en même temps la formes langue-
docienne de ces lieux dits, mas et tènements, l'intérêt de cet index
1 Le pays de Gévaudan au temps de la Ligue, par J. Roucaute,
Paris, A. Picard, 1900.
2 Qua ratione et quibus temporibus fines dominii regii in Gabalitano
constituta sint (anno MGLXI-MGGGVII), Mende, librairie A. Privât.
CHRONIQUE ?85
aurait été encore plus grand. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que
l'orthographe officielle des noms de lieux dans le Midi n^est souvent
que la transcription pure et simple des formes languedociennes.
J. A.
Le FéUhrige latin a publié dans son numéro de juillet-août 1899
une étude intitulée Si Jasmin est un Théocrite. Une note nous avertit
que ces pages ont paru pour la première fois en 1854, dans un journal
du Midi. Le temps n'en a affaibli ni la finesse ni la justesse. Elles
sont signées d*un pseudonyme dont nous devons — dans cette Revue
— respecter le secret.
« •
L&Zeitschrift fur romanische Philologie, publiée parle professeur
G. Groeber, paraît désormais en six fascicules. Le prix qui était de
20 marks est fixé à 25 marks.
• *
JEUX FLORAUX DE SARA008SE (1901)
Les mainteneurs de Saragosse adressent une vibrante invitation aux
poètes de la langue d'oc et de la langue d'oil pour leurs Jeux floraux,
Ley de esta tierra es la cortesia, disent-ils dans leur lettre missive.
On jugera de la vérité de cette pensée si on parcourt le programme
et l'invitation en trois langues (français, provençal, espagnol) qui
raccompagne. Voici le texte provençal et français de l'invitation :
LA ClÉUTA DE SARAGOUSSO
Palladium di Jo Florau, i noble b gai fblibrb de Prouvbnço,
B A TÔUTI LIS AUTRI ESORIVAN DB FrANÇO : SaLUT
Vous gramacian, ami, qu'avès aculli nostro obro emé tant de
benvoulènci. Quand, antan, recaupeguerian de coumpositioun escricho
dins touti li dialèite de vosto terro ensouleiado, quand li meiouro
LA GITE DE SARAGOSSE
Palladium des Jeux Floraux, aux nobles et gais pélibrbs de
Provence et a tous les autres écrivains de France : Salut
Nous vous remercions, amis, pour l'accueil bienveillant que vous avez
fait à notre œuvre. Quand, naguère, nous reçûmes des compositions
écrites dans tous les dialectes de votre terre ensoleillée, quand les
286 CHRONIQUE
daverèron li joio semoundudo, quand, dins la soulenneta de nosto
fèeto, lou Conse de voste pais oucupè lou sèti d'ounour que se
resôrvo à Toste d'eléi, quand nosto obro triounfanto aguô en guier-
doun, lou rampau dou lausié qu'a vie oumbreja la toumbo de Vergèli,
alor veguerian que li Jo Flourau de Saragousso eron benesi de Dieu,
amor qu'avien près pèr normo la lei santo de Tamour freirenau.
Evitas nous, vuei, lou maucor dis adieu; volèn que restés emé
nautre uno anado encaro, e, pèr que Fouspitalita vous siegue mai
agradivo, signés libre de veni a nosta segoundo Festo coume vous
sara lou mai plasènt, emé de proso o de pouësio, dins la parladuro de
la bello e gènto Provènço o dins la de lengo d' Oil consagrado pèr
Lamartine e pèr Molière.
E, pèr qu'ansin siegue. vous semoundèn dos joio e vous signalan
dous tèmo.
Un gau d'or, simbole de voste païs, guierdoun de voste Conse en
wSaragousso, sara la recoumpènso dôu meiour conte escri en lengo
franceso, e aguènt pèr sujet de mour, comtumo o caractère d'uno
prouvinço de Franco.
La viôuleto d'or, la joio la mai requisto dôu FeUbrige, la baiaren
a la meiouro coumposicioun pouëtico escricho en prouvençau classi o
en un autre di dialèite de la lengo d' 0, em* uno entiero liberta de
sujet, de ritme e de loungour.
meilleurs obtinrent les récompenses oifertes, quand, dans la solennité
de notre Fête, le Consul de votre pays occupa la place d'honneur qu'on
réserve à l'hôte préféré, quand notre Œuvre triomphante reçut en guer-
don le rameau de laurier qui avait ombragé la tombe de Virgile, nous
vîmes que les Jeux Floraux de Saragosse étaient bénis de Dieu parce
qu'ils avaient pris pour norme la loi sainte de l'amour fraternel.
Evitez-nous, maintenant, le chagrin d'un adieu ; veuillez rester avec
nous un an encore ; et pour que l'hospitalité vous soit plus agréable,
venez à notre seconde fête comme il vous plaira, avec de la prose ou de
la poésie, dans le parler de la langue de la belle et gente Provence ou
dans celui de la langue d'Oil, consacrée par Lamartine et par Molière.
Et pour qu'il en soit ainsi, nous vous offrons deux prix et vous signa-
lons deux thèmes.
Un coq d'or, emblème de votre pays, don de votre consul à Sara-
gosse, sera la récompense du meilleur conte écrit en langue française
et ayant pour sujet des mœurs, coutumes ou caractères d'une province
de France.
La violette d'or, prix le plus précieux du Félibrige, sera pour la
meilleure composition poétique écrite en provençal classique ou en un
autre des dialectes de la langue d'Oc, avec une entière liberté de sujet,
de rythme et de longueur.
CHRONIQUE 287
Vous pregan de manda au « Secretario del ExceleirUisimo Ayunta-
miento de Zaragoza » vôstis obro noun signado, portant uno deviso
reproducho parieramen a Festeriour d'un pie ferma que dedins i* aura
escri lou noumee Tadrèisso de l'autour.
Pèr YÔsti coumposicioun lou councours sera dubert enjusquo au 15
de setèmbre de 1901 à cinq ouro dôu tantost. Pèr vous, sara toujour
duberto la Ciéuta de Saragosso, e pèr vosto amistanço lou cor dis
aragounés.
Demandan pas mai, senoun que Dieu vous alumine e nous garde
touti souto aquelo lèi de pas e d'amour qu'es un doun dôu Cèu.
Donna en Saragousso lou jour de nosto proumiero Fèsto, dès e noù
d' oûtobre de Y an de Nosto Seignour, milo nôu cent.
Veuillez envoyer au c SecretaHo del Excelentisimo Ayuntamiento de
Zaragoza » vos œuvres non signées portant une devise reproduite éga-
lement à l'extérieur d'une enveloppe fermcc qui contiendra le nom et
l'adresse de l'auteur.
Pour vos compositions, le Concours sera ouvert jusqu'au 15 septembre
1901 à cinq heures du soir; pour vous sera toujours ouverte la Cité de
Saragosse, et pour votre amitié les cœurs des aragonals.
Nous ne demandons pas autre chose sinon que Dieu vous illumine et
nous garde tous sous cette loi de paix et d'amour qui est le don du Ciel.
Donné à Saragosse le jour de notre première Fête, dix-neuf octobre
de l'an du Seigneur, mil neuf cent.
*
« »
Un des derniers numéros de la Revue Celtique (avril 1901, p. 216,
sqq.) contient un intéressant article de M. A. Thoma.s intitulé De
quelques noms de lieux français» Citons parmi ces noms ceux à'Abeillan
^ * Apilianum),Adissan (<^ * Atîcianum), noms de deux communes
de l'Hérault, Indrois, nom d'un petit affluent de T Indre. Indrois serait
formé avec un diminutif gaulois iscus, iscos,
*
Notre collaborateur, M. Eugène Rigal, dont nous annonçons ci-
dessus le succès académique, vient de publier une nouvelle étude
d'histoire littéraire, à laquelle nous souhaitons volontiers la même
fortune : c'est le Théâtre français avant la période classique (fm du
XVI* et commencement du XVII* siècle). M. Rigal, dont on connaît
la profonde érudition et la compétence spéciale sur ces matières, a
refondu dans ce volume, en les complétant et en les mettant au cou-
rant des dernières découvertes, — on dirait mieux de ses dernières
découvertes — son Esquisse de l'histoire des théâtres de Paris et les
chapitres d'intérêt général de sa thèse sur Hardy. C'est désormais le
288 CHRONIQUE
livre classique et indispensable pour Tétude de cette période si inté-
ressante et si complexe de notre histoire dramatique.
* f
M. Francesco Fiamini, professeur de lettres italiennes à TUniver-
sité de Padoue, a publié dans la Revue de la Renatascmce (récemment
fondée par M. Séché) une curieuse étude sur le Rôle de Pontus de
Tyard dans le Pétrarquisme français, où il montre comment ce poète,
tout en imitant Maurice Scève et Cariteo, « s'éloignait bien plus que
» Melin de Saint- Gelais dans ses vers alambiqués et guindés, qui
» visent à reproduire tout ce que Pétrarque a de plus étrange et de
» plus fade. Il se rattache à Melin et ouvre la voie à Desportes ». —
L*étude de M. Flamini sera lue avec intérêt par tous ceux qui étudient
les relations littéraires de la France et de l'Italie.
Il est question depuis quelque temps de la création d'un enseigne-
ment de littérature et de langue espagnole à la Faculté des lettres
de Montpellier : des subventions s'élevant ensemble à 3.000 francs
ont été, nous assure-t-on, votées par le Conseil municipal de Mont-
pellier et le Conseil général de THérault. Bien que notre Faculté des
lettres ait des besoins plus urgents, nul ne pourrait s'étonner d'y
voir instaurer cet enseignement. Et ce n'est assurément pas la Revue
des langues romanes qui voudrait y contredire.
• •
Parmi les mémoires récemment soumis à la Faculté des lettres de
Montpellier, comme épreuves de la licence es lettres, nous devons
signaler, en raison de son intérêt pour l'histoire provinciale de Lan-
guedoc, celui de M. Henri Chaber, étudiant en histoire, licencié es
lettres, sur V Assistance publique en Languedoc au XVIII^ siècle. Le
jeune auteur a traité, d'après les documents inédits d'archives, uneques-
tion nouvelle et mal connue, et son mémoire apporte des résultats
intéressants et curieux, sinon définitifs. Il sera probablement imprimé.
•
• »
Au moment de terminer cette chronique, nous recevons et nous
nous empressons de signaler le Libre Nouvial, consacré par M. Ca-
mille Laforgue à commémorer le mariage de Mademoiselle Laforgue,
sa fille, avec M. le vicomte d'Armagnac. Nous reviendrons sur ce
volume auquel ont collaboré presque tous les félibres et les poètes
méridionaux, et qui imite brillamment l'usage délicat des Per nozze
italiens. Bornons-nous aujourd'hui à dire qu'il fait le plus grand
honneur aux presses de la maison Hamelin, et à M. Roque-Ferrier
qui en a dirigé la composition littéraire et typographique.
Le Gérant responsable : P. Hamelin.
LA CRIDO DE BIARN
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Allegro.
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Au noum de Dieu vi
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de san-to Es
te - Uo. Au noum de Dieu vi-
i>==a:
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vent Fa - sen ço que de - vèn. Vai
lèu, bai - le - ro, lèu,
bai
le - ro, lèu, bai-
Allegro.
--i^ j I m. M r^i"rf±j
lè-ro,Vai lèu,bai-lè - ro, lèu, de sou - lèu en sou - lèu.
Au noum de Dieu vivent
Emai de santo Estello,
Au noum de Dieu vivent
Fasen co que devèn.
Vai lèu, bailèro, lèu,
Bailèro, lèu, bailèro,
Vai lèu, bailèro, lèu \
De soulèu en soulèu.
LA CRIEE DE BEARN
Au nom de Dieu vivant «, — au nom de sainte Estelle , — au nom
de Dieu vivant, faisons notre devoir.
Va tôt, cbant des bergers, — chant des bergers, va tôt, — va tôt,
chant des bergers, de soleil en soleil.
* Criée que font les pâtres pour se héler entr'eux, dans les montagnes
de Gascogne : espèce de tyrolienne.
^ Ancienne formule de serment usitée en Béarn.
xLiv. — Juillet- Août 1901 . 19
t^Ù
LA CRÎDO DE BIABN
Ë vaeicriden: Oussau,
Oussau, vivo la Vaco I
Ë vuei criden : Oussau,
Veici ii Prouvençau.
Yai lèu, bailèro, etc.
Ë vivo Despourrins
Amount en terro d'Aspo,
E vivo Despourrins
Que jogo dôu clarin 1
Vai lèu, bailèro, etc.
Ë vivo Jaussemin
Avau dins la Gascougno,
Ë vivo Jaussemin
Qu*a fleuri lou camin.
Vai lèu, bailèro, etc.
Venèn pèr caligna
Lou Biarn e la Bigorro,
Venèn pèr caligna
Lou Biarn e TArmagna.
Vai lèu, bailèro, etc.
Lou vin de Jurançoun
Fai canta la cigalo,
Lou vin de Jurançoun
Fai parti li cansoun.
Vai lèn, bailèro, etc.
Ë diren soun coublet
Au blu berret de lano,
Ë diren soun coublet
Au rouge capulet.
Vai lèu, bailèro, etc.
Et aujourd'hui crions: — Ossau, vive la Vache* I — Crions: Ossau,
Ossau, — voici les Provençaux !
Va tôt, chant des bergers, etc.
Et vive Despourrins, — là-haut en terre d'Aspe, — et vive Des-
pourrins — qui y joue du haut-bois ' !
Va tôt, chant des bergers, etc.
Et vive aussi Jasmin, — là-bas dans la Gascogne, — et vive aussi
Jasmin — qui a fleuri la voie !
Va tôt, chant des bergers, etc.
Nous venons courtiser -^ le Béam, la Bigorre , — nous venons
courtiser — le Béarn, TArmagnac.
Va tôt, chant des bergers, etc.
Le vin de Jurançon ^ — fait chanter la cigale *, — le vin de Ju-
rançon — fait partir les chansons .
Va tôt, chant des bergers, etc.
1 Oussau e Biarn^ vivo la Faco / devise héraldique de la vallée d'Ossau.
2 Gyprien Despourrins, poète béarnais (1698-1755), né à Accous dans
la vallée d'Aspe.
• Cru célèbre de Béam.
* Aganta la cigalo y s'enivrer, en provençal.
LÀ GRIDO Dfi âlÀRN
i^^l
Ti gave plen d^encèns,
O Biarn, fan de miracle^
Ti gave plen d'encens
An couva sant Vin cens.
Vai lèu, bailèro, etc.
Ti pourtaire d'esclop
Vènon grand capitàni,
Ti pourtaire d'esclop
Vènon rèi quauque-cop.
Vai lèu, bailèro, etc.
Pèr Jano de Labrit
Que faguè*n tantbèu drôle.
Fer Jano de Labrit
Enauren noste crid.
Vai lèu, bailèro, etc.
En passant pér Nera
Saladaren Floureto,
En passant pèr Nera
Floureto nous rira.
Vai lèu, bailèro, etc.
Plantaren lou rampau
(Ë toco-ié, se Tattses),
Plantaren lou rampau
Sus lou castèu de Pau.
Vai lèu, bailèro, etc.
Au cabiscôu d'Ourtés
Aro pourten un brinde,
Au cabiscôu d'Ourtés
Qu'es valent e courtes.
Vai lèu, bailèro, etc.
Nous dirons son couplet — au bleu berret de laine, — nous dirons
son couplet ^- au rouge capulet '.
Va tôt, chant des bergers, etc.
Tes gaves pleins d'encens, — Béarn , font des miracles, — tes gaves
pleins d'encens — ont couvé Saint Vincent 2.
Va tôt, chant des bergers, etc.
Tes porteurs de sabots — deviennent grands capitaines, — tes por-
teurs de sabots — deviennent rois, parfois.
Va tôt, chant des bergers, etc.
Pour Jehanne d'Albret — qui fit un si beau gars, — pour Jehanne
d*Albret — élevons notre cri.
Va tôt, chant des bergers, etc.
En passant par Nérac — nous saluerons Florette, — en passant par
Nérac — Florette nous rira*.
Va tôt, chant des bergers, etc.
* Capulet^ capote en drap portée par les femmes, dans les Pyrénées.
» Saint Vincent de Paul, né à Pouy, près Dax.
' Floureto^ jeune paysanne aimée par Henri IV.
292 LÀ GRIDO DE BIARN
E garden lou simbèu E zôu I Fèbus avant.
Qu'es nosto vièio lengo, Que cridon lis enfant.
Garden noste simbèu
Que i'a rèn de plus bèu. ^^^ ^^"' bailèro, lèu,
Bailèro, lèu, bailèro,
Vai lèu, bailèro, etc, Vai lèu, bailèro, lèu
■T. . I C7W . De soulèu en soulèu.
E ZOU I Febus avant^
Coume an crida 11 paire, ^' Mistral.
Nous planterons la palme — (touches-y, si tu Toses) *, — nous
planterons la palme — sur le château de Pau.
Va tôt, chant des bergers, etc.
Au capiscol dOrtbez — enfin portons un toast, — au capiscol d*Or-
thez — valeureux et courtois *,
Va tôt, chant des bergers, etc.
Et gardons le symbole — qu*est notre vieille langue, — > gardons
notre symbole: — il n'est rien de plus beau.
Va tôt, chant des bergers, etc.
Et sus! Phébas avant, — comme ont crié les pères, — et sus !
Pkébus avant, — que les enfants le crient^.
Va tôt, chant des bergers, — chant des bergers, va tôt, — va tôt,
chant des bergers, — de soleil en soleil.
F. Mistral.
1 Toco-i, si gauses, devise que Gaston de Foix avait fait graver sur la
porte d'une forteresse.
* Adrien Planté, d'Orthez, félibre majorai, président de VEicolo
Gastou-Fèôus et de l'Académie de Pau.
3 Cri de guerre de Gaston Phœbus et de ses successeurs.
LA FEMME
DANS L'ŒUVRE DU POÈTE THÉODORE AUBANEL
Messieurs \
C'est avec le plus grand plaisir que j'ai accepté l'offre qui
m'a été faite de venir parler au milieu de vous de notre grand
poète provençal Théodore Aubanel. Celui qui fut essentiel-
lement le poète de l'amour et de la beauté doit être aimé de
ceux-là surtout pour qui l'amour et la beauté sont encore les
choses essentielles de la vie, et, en vérité, vous aimez tant
Aubanel et vous le connaissez si bien que je suis bien sûr de
ne rien vous apj>rendre au cours de cette causerie: j'éveil-
lerai seulement vos souvenirs et ensemble nous nous livre-
rons, ce soir encore, au charme infini que nous éprouvâmes
si souvent devant tant d'images élégantes et tant de beaux
vers passionnés que nous offre le poèt ' de la Miougrano, des
FihocTAvignoun et du Rèire-Soulèu.
Mais, avant tout, Messieurs, je ne voudrais pas paraître
avancer qu'Aubanel vécut toute sa vie sous l'obsession fémi-
nine. Il fut, lui aussi, comme tous les grands poètes, la lyre
qui vibre au vent qui passe; je veux dire que son esprit fut
ouvert aux choses de l'extérieur et que les événements du
dehors trouvèrent en lui des échos parfois même retentissants.
Français et bon Français, Aubanel, comme tous ses frères
en Félibrige, sentit son cœur saigner devant les blessures
que la guerre de 1870 fit à la patrie française, et la douleur
* Les pages qui suivent ne sont que la reconstitution d'une causerie
faite par M. Jules Véran aux étudiants de Montpellier, en l'hôtel de leur
Association.
On a adopté les abréviations suivantes :
M = /a Miougrano.
F. A. = H Fiho d'Avignoun.
2 94 LA FEMME DANS l'CEUVRE
et rirritation des vaincus éclatèrent chez lui en strophes
admirables d'émotion et d'énergie.
Catholique et ultramontain, les événements de Rome de
1869 lui inspirèrent un sirventès enflammé, où l'on reconnut
un écho prolongé des conseils violents de l'apôtre Pierre au
Christ insulté.
Provençal enfin et félibre, que de fois ne prit-il pas la
parole ou la plume pour exalter sa patrie d'origine dont les
destinées semblaient prendre contre toute espérance un cours
nouveau, et pour affirmer sa foi dans l'œuvre entreprise par
son illustre ami, le grand Mistral ?
Qu'il ait su encore s'intéresser aux magnifiques spectacles
delà nature, l'admirable pièce li Fabre^ qu'Alphonse Daudet
considérait comme un de ses chefs-d'œuvre, suffirait, entre
autres, à en témoigner, et des poèmes parfaits comme VEsca-
lié di Gigant sont là pour montrer quel vif et profond senti-
ment et quelle pénétrante compréhension il eut des merveil-
les artistiques et historiques qu'il lui fut donné d'approcher.
Il n'en est pas moins vrai, Messieurs, qu'on peut bien dire
que la Femme emplit l'œuvre d'Aubanel; le poète peut inter-
rompre un moment Thjmne d'amour et d'adoration qu'il
élève vers elle pour écouter les voix du dehors ou pour con-
templer le décor qu'il a devant les yeux, mais il revient vite à
Tobjet de son culte, et, se dérobant aux distractions passagè-
res, son cœur reprend sans se lasser, sans faiblir, son amou-
reuse cantilène.
Vous comprendrez bien, Messieurs, que je n'essaie pas de
vous parler des femmes qu'Aubanel chanta: ce serait vous
parler des femmes qu'il aima, et le sujet serait singulièrement
délicat: à Dieu ne plaise que j'encourre de gaieté de cœur les
sévérités des cours d'amour ressuscitées! Pour l'une d'entre
elles cependant le voile est levé depuis longtemps et il pou-
vait l'être sans danger, car il cachait le plus pur des visages
et la plus chaste des âmes. Vous avez nommé Zani, la douce
jeune fille qui se déroba à l'amour du poète pour se consa-
crer dans les pays lointains au soulagement des misères
humaines sous le costume des sœurs de charité, Zani à qui
Aubanel éleva, avec les premiers désirs et les premières dou-
leurs de son cœur, un monument impérissable.
DU POETE THEODORE AUBANÈL 295
Mais à qaoi nous servirait, Messieurs, de mettre an nom sur
les diverses figures de femmes qui passent dans Tœuvre d'Au-
banel ? Avons-nous besoin pour jouir du parfum d'une fleur
ou pour en admirer les couleurs de savoir comme elle se
nomme, et Tétoile qui brille au firmament nous paraîtra-t-
elle plus belle si nous connaissons Tappellation qu'il a plu
aux hommes de lui donner ? C'est toujours, Messieurs, l'éter-
nelle ûeur, l'éternelle étoile, et c'est aussi l'éternel féminin.
Je ne suis pas bien sûr, d'ailleurs, qu'Aubanel ait toujours
connu par leur nom celles dont la beauté l'arrêta sur fa
route: elles passaient, il les aimait, il les chantait; ce qu'il
gardait d'elles, quand leur robe avait disparu au détour
du chemin, c'était, avec leur gracieuse image, un parfum
d'amour : leur nom, s'il l'avait jamais su, avait fui.
Mais ce qui est bien certain, Messieurs, c'est que la poésie
d'Aubanel était trop sincère, dirai-je trop réaliste? comme
d'ailleurs toute la poésie provençale, pour nous of^ir des
peintures idéales, de pures créations d'une imagination eroti-
que : les figures de femmes que nous présente l'œuvre d'Au-
banel sont toutes des figures que la vie anima, des figures de
chair sur qui des jeux et des lèvres se posèrent et qui, par
la magie de l'évocation poétique, appellent encore des yeux
et des lèvres.
La preuve en est facile à faire ; laissez-moi vite ajouter
qu'elle est agréable. Tournons, si vous voulez, les feuil-
Uts brûlants de l'incomparable Livre d'amour que forment les
diverses œuvres d'Aubanel, et nous verrons avec quelle amou-
reuse sollicitude il décrit, ne s* arrêtant que là oii le bon goût lui
défend d'aller plus loin, les richesses du corps féminin, les
yeux, les cheveux, les seins...
Les grands yeux l'attirèrent :
Emésoun front tant lise e si grœnds iue tant bèu...
(M., Lib» de V Amour ^ IV.)
Parqué, tant bono, un jour d'estiéu
M'enmasca, brune vierginello,
Emé ti grands iue pensatiéu !
{M., Lib. de V Amour XXV.)
296 LA FEMMK DANS l'OBUVRB
Quand me r^ardon ti gnmd» iœ,
Zani me ris dins ti pmnello.
(P. A., A Dono Viôuleto éTOr.
11 ehanta les jeux bleus :
Yole le canta, caro Felibresso,
Ganta tia iae bluj canta ti péa d*or.
(F.A., it6mtt.)
Il chanta les jeax verts :
Sis iae d'enfant foons e verdau
(P. A., la Venus d'Avignoun.)
O chato, fires rasin oont voadriéa beca !
Uno fai mi délice e me poon d'amaresso ;
Sis iae verd coame l'aigo, un brisounet maca,
Trelason d'ignoarènço e d'estranjo arderesso.
(P. A., Bèumouno.)
Il chanta les jeux noirs :
Mai nègre que ta raubo negro,
Brano, tis lue m'an trevira.
(M., lÀb. de C Amour, XXV.)
Qaand me regardon ti béas iae,
Tis iae nègre coame la niae,
Une niae clafido d'estello,
Quand me regardon ti grands iae,
Zani me ris dins ti prunelle.
(F. A., A Dono Viôuleto d'Or.)
A deux reprises Aubanel se livre à un rapprochemeot entre
les yeux des femmes et les étoiles. Mais ce ne serait pas la
peine de Tindiquer, s'il s'agissait d'une banale comparaison,
vieille comme le monde. Dans l'un de ces passages, donnant
la vie aux étoiles, il les identifie avec les yeux féminins :
Dis estello amigo lis iue,
Dous e bèu coume d'iue de femo,
Me regardavon dins la niue :
L'oumbro èro founso, bluio, semo.
(P. A,, Vèspre d'abriéu,)
DU POÈTE THÉODORE AUBANEL 297
Dans le second passage, les yeux féminins ne sont que le
reflet des étoiles :
D'uno estranjo flamo,
Au founs de la niue,
Dis estello Tamo
Atubo lis iue.
(F. A., Palinello.)
Mais plus que les yeux encore, Aubanel a aimé la chevelure
des femmes.
Il ne parle jamais des cheveux sans les montrer abondants
et dénoués :
Coum 'un enfant, urouso e lèsto,
Dansavo en cantant ; de sa tèsto,
Qu'aviéu courounado defloiir,
Si peu prefuraa, si peu nègre,
A l'asard voulavon, alegre,
E moun cor ère gounfle, èro gounfle d amour.
(M., Lib. de r Amour, V.)
A la fin pamens, las de courre,
Las de rire, las de dansa,
S'assetavian souto li roui'e,
Un moumenet, pèr se pausa ;
Toun long peu, que se destrenavo,
Moun amourouso raan amavo
De lou rejougne, e tu, tant bravo.
Me leissaves faire, plan-plan,
Coumo uno maire soun enfant.
M., Lib. de r Amour, XIX.)
Eilalin passo un veissèu
Quefasié lou tour dôu mounde ;
Alor, pèr que rèn l'escounde,
Jito à rèire dins lou cèu
Sa fièro como e s'amuso
A foulastreja toute nuso
La sereno sus lou clar.
(F. A., La Sereno.)
Que sa tèsto èro belle, aqui, sus moun espalo,
Dins si long peu negado e penjant toute palo...
(M., Lib. de l'Amour, V.)
^^^ LA FEMME DANS L'CEUVRE
Qu'èpo inoucènto e qu'èro urouso I
Leissant toumha, touto crentouso,
Sus sis espalo, au mendre brut,
Sous long peu coume un long fichu.
(M., Lib, de VAmour, XII.)
Anen, dansas mé li jouvènt,
Lou peu au vent I
(M., Lib. de CAmour, XV.)
Arrage, soun peu negrinèu
S'estroupo à trenello, en anèu...
(F, A., La Venus d'Avignoun,)
Enterîn, sus vosto man blanco
Voste bèu front se clino un pau.
Vosto man trempo, blanco e leno,
Dins vôsti peu ; Tauro s*esmôu,
Tendramen Taureto qu'aleno
Li demouso sus voste côu.
(F. A., A Madamisello Sofio de L.)
Toun peu destrena devalo
De la pienche à long trachèu :
Toun fichu, de tis espalo,
S'esquiho, e vai de-eantèu.
(M., Xi Tirarello de sedo.)
Vous pourriez croire, d'après ces citations, qu'Aubanel
n'aima que les cheveux noirs : je crois bien qu'il les aima
tous. Voici des vers où il chante les chevelures blondes :
Es amado, lajouvènto.
Dis auceloun dôu païs ;
Car, pèr tôuti benfasènto,
N'a jamai davera 'n nis.
Ve-Paqui roso e sereno,
Roso coume lou matin,
Emé lou bhd de si treno,
E soun jougne souple e prim.
(M., Li Piboulo.)
Lèu, sus ti long peu d'or
Met la courouno.
(F. A., Cansoun pèr Dàufino.)
DU POÈTE THÉODORE AUBANEL 5J99
A soun en tour se recouquiho
Toun peu d'or en anèu galant.
(F. A., La Perlo,)
Vole te canta, caro Felibresso,
Ganta tis iue blu, canta ti peu d*or.
(F. A., Abriéu.)
En vérité, c'est toute la gamme des chevelures qu'Aubanel
a chantée. Lisez, dans les Fiho (TAvignoun, l'admirable pièce
A Vamigo qu'ai jamai visto et vous y verrez comme il célèbre
La treno castagno
Di chato que van, lou matin,
Mena li cabro à la mountagno...
et les cheveux n pleins de lune » d'Ophélia, et les boucles
tt pleines de soleil » :
Oufelio à peu plen de luno ;
L'autro, 1 frisounplen de soulèu...
et les cheveux de feu de la Madeleine :
Soûl vièsti de la Madaleno,
0 fourèst de si peu de fiô !
et les cheveux noirs de saZani^ de la reine Jeanne, de Madame
Marcabrun, et les cheveux roux de la Desdemona.
Toute cette pièce, d'ailleurs, est un hymne à la chevelure
féminine :
Car di chato que lou cor béu
Ço que lou mai me bouto en aie,
Noun es pèd prim, man fino, taio
Encantarello, iue que dardaio,
Oràci, tendresse : es lou long péul
Lou peu ! lou peu ! aquelo glôri
Gisclado di man dôu bon Dieu ;
Lou peu I aquéu cap-d'obro flôri ,
Aquéli rai paupable, viéu !
De li mira'n toutojouvènto
Acô m'enchusclo e fai fresi.
Voudriéu èstre Tauro que vènto
'^^^ IJk FEMME DANS l'CEUVRE
B me perdre i como moavèiito,
O la piendio an couifii eaTènto
E diitB Ion dmd mordre à plesi !
De que sonn lî rais i's estello.
De qu'es 1 esplendoc dôa soolèa,
Contre la como qa'enciantello
De sonn Vrl >uty Je sa dentello ?
O paparri de farfan telle,
Oante li sen fan dons reléa !
Retenez cette dernière image : a O mantille d^éblouissement,
oà les seins font Jeux reliefs ! » Je reux bien croire, puisqu'il
le dit, que ce qui exalte le plus Aabanel, dans la feume, ce
sont les cheveux, mais sMl en a parlé souvent et avec le plus vif
enthousiasme, il n'en a pas parlé plus amonreusement que des
seins. Corsages dejiunes ûlles, corsages de femmes : son œi^
avide de beauté, s j arrête avec complaisance. Pour dire sa
joie devant leurs protnesses ou leurs richesses, il trouve les
mots les plus exquis et les images les plus sensuelles :
Emé soun joiigne prim...
(M., Lib. de V Amour, IV.)
Oh ! n*èPO qu'uno enfant, e n'èro que mai bello !
Soun coursetde basin, trop pichot e trop just,
Badavo un pau davans, e si poulit bras nus
Sourtien de sa mancho de telo.
(M., Lib de C Amour, XVII.)
Oh ! quaa me levara la set
De la chato?... A ges de courset :
Sa raubo, fièro e sens pie, molo
Soun jouine sen que noun trémolo
Quand marcho, mai s'arredounis
Tant ferme, que subran fernis
Voste cor davans la chatouno.
^F. A., La Venus d*Avignoun.)
Vese de liuen bada toun jougne
Coumo uno fiour que s'espandis.
(Id.)
DU POETE THEODORE ÀUBANEL 301
La taio, 64 fèu que noun Tamiro
De la centuro à soun coutet ;
La ligno puro dôu boumbet,
Quand se tourno, bèn miés s'amiro.
Leissant au mièi un blanc relarg,
La mousseline en crous se plego ;
Lou sen, fin e redoun, boulego
Entre li pie dou fichu clar.
(F. A., En Arle.)
Pèr un soulet regard, pôr la mendro babiho
Toun sang superbe e viéu cour souto lou satin
De ta peu roso autant que la roso au matin ;
Dins lou boumbet redoun toun sen ton plus sesiho.
(F. A., Cardelino,)
Autant souple que ramaiiuo,
Uno danso d'un biais ardit ;
Si fier teté sus la peitrino
De soun fringaire an reboundi.
Dôu désir grandis la fangalo
Li mignoto n*an plus d'alen ;
Lou sen fai lou mounto-davalo
Dins lou boumbet jouine e trop plen.
(F. A., Lou Bal.)
Sous la hantise de la beauté, Aubanel la recherchait
partout, et, quel que fût le voile qui semblât la défendre des
regards du passant, il n^hésitaitpas à le soulever pour arriver
jusqu'à elle.
C'est ainsi qu'il ne passa point sans s'arrêter devant la
femme qui donne le sein à son enfant :
De sa bouco, au teté, Tenfant se pendoulavo,
E souto toun fichu, pièi, quand vouliés jouga,
Toun teté l'escoundiés, e l'enfant l'escalavo,
Emé si pichot det veniè lou descata !
E, trefoulido, alor, dins ti grandi hrassado,
Lou sarraves, o maire, uno longo passado!
f(M., Lib. de la Mort, Au felibre Jan Bf^net.)
Regardas-lou, vès! coume chourlo
Eo^' afecioun au blanc mamèu :
302 LA PKlim DANS L^OBCVRE
Es rouge coume hbo ginjoario
Qu'amie toambA sabre la nèo.
(F. A., Jaquet AmavieUo,)
Mails laiMeK-moi tous citer tout entier le sonnet qui a poor
titre : La Matty nn des bijoux de cet incomparable recueil
que forme les Fiho fAfrigtunm,
Je ne sais trop si vous pourres trouver, je ne dis pas seule-
ment chez Aabanel loi-même, mais chez un autre poète, et
je n'oublie ni Racine, ni André Ghénier, tant de hardiesse
unie à tant de grâce et à tant de délicatesse. Ecoutez :
LAMAN
L*eafant souino, la maire espincho uno lagremo ;
Si det fin cercon. proamte, i dentello mescla,
L'évèri dou mamèa qae sort gonnfle de la.
Yese encaro la man oante oiansson li gemo
De si bago. Aquelo ooro ôro tant casto e semo
Qa'esmoagu de respèt, pauroas de treboula,
M'envaa. « Tant lèu ! » me dis. E, sènso mai parla.
Me trais sa belle man, la siavo jouino femo ;
lèu la porto à mi bouco e ié fau an poutoan.
DÎQS la raubo daberto, ebria, l'enfantoun
Aa blanc mamèa bevié coume à-n-un pur calice.
0 man, pichoto man, au touca fres, rousen !...
Me souvendrai toujour d'aquèu bais de délice,
Que ie beisant li det, cresiéu beisa lou sen.
Quelquefois Aubanel s'est plu à donner des portraits de
femmes achevés, je veux dire où rien de ce qui paraît de
leur personne n*est laissé dans Tombre.Ët quelle vie toujours
dans ces portraits! Quelle richesse de couleurs I Et quelle
grâce exquise dans les détails !
Voici d'abord la Vénitienne :
Sis èr risènt e malancôni
Avien de Fange e dôu demôni ;
Noun se poudiè vèire lou founs
De sis iue prefound coume Poundo ;
DU POÈTE THEODORE AUBANEL 303
Ero blanco e palo, èro bloundo,
Mai coume à Veniso lou soun ;
Bloundo coume un lamp de toupàsi,
La glôri d*un sant en estàsi,
E li darrié trelus dôu jour.
Quand lou soulèu plego li ciho,
Espôussant For de sa raubiho
Davans Sant-Jorge-lou-Majour
Vesias lou nus, mau-grat la raubo
Qu'à pichot ped mouvènt derraubo
La béuta supremo ; vesias
Soun cors pur qu'avié Tarmounlo
D*uno divesso d'Iounio,
D*uno estatuo de Fidias.
Coume se gounilo la marine,
Boumbavo, ardido, sa peitrino;
Plen de désir e de respèt,
L*iue caressavo sa belle anco ;
Taurias poutouna si man blanco,
Taurias beisa si pichot pèd...
(F. A., Uno Veniciano.)
Voici la Venus d'Avignoun avec ses yeux d'enfant, profonds
et verts, ses lèvres tendres, un peu boudeuses, ses dents plus
blanches que le lait, sa chevelure noire^ son jeune sein moulé
dans sa robe sans plis et tout le reste enûn :
Gamino e la creirias voulant :
Souto la gràci e lou balans
Dôu fres coutihoun, se devino
Anco ardido e cambo divino.
Tout sôun cors ufanous enfin...
(F. A., La Venus d'Avignoun.)
Mais le poème des poèmes, Thjmne des hymnes qui aient
été chantés à la gloire de la femme, n'est-ce pas Tode à la
Vénus d*ArleSj incarnation de la beauté féminine? Je pourrais
vous parler du souffle lyrique extraordinaire qui anime cette
pièce qu'on croirait avoir été écrite d'un seul trait dans un
moment de fureur poétique, du mouvement qui s'y soutient
sans faiblir du premier vers au dernier, du rythme à la fois
304 LA FRMME DAMS L'CEUVRE
noble et léger qui emporte les alexandrins, de la grâce ou de
ia beauté des images, deTéclat et du relief de lapeintare; —
mais je ne veux pas sortir de mon dessein qoi est, non d'ana-
Ijser les beautés littéraires d^Aobanei, mais d^étudier Aabanel
comme peintre de la femme ; et nous Toici devant le portrait
de la femme idéale, telle qne la lai révéla an des chefs-d'œuvre
de la statuaire antique : la Vénus (F Arles.
Le poète, en présence de cette image splendide de la
Beauté, pousse d'abord un cri d'admiration :
Siés bello, ô Venus d'Arle, à faire veni fou !
11 se repreiiii ensuite, il ose s'approcher de la déesse, la
regarder iongiiement, Texaminer en détail et minutieusement.
Ses jeux s'arrêtent d'abord sur la tête de la Vénus dont il
retient Texpression générale ; puis il voit le cou, la bouche,
les cheveux :
Ta tèsto èi fièro e doaço, e tendramen toon c6u
Se clino. Respirant li poutoan e loa rire,
Ta fresco bouco en flour de qa*èi que vai nous dire ?
Lis Amour, d'uno veto, emé gràci an noasa
Ti long peu sus toun front pèr oandado frisa.
Les jeux du poète «iescendent au-dessous du cou : les
épaules nues de la Vénus lui arrachent un long cri de joie :
0 blanco Venus d'Arle ! ô rèino prouvençalo !
Ges de mantèu n'escound ti supèrbis espalo !
Se vèi que siés divesso e fiho dôu cèu blu !
A mesure cependant que le poète découvre les beautés de
la déesse, son enthousiasme s'accroît: le voici arrêté devant
les seins ; ces seins, d'une ligne si pure, le fascinent ; et tandis
que jusqu'alors il n'a fait que s'adresser à l'objet de son admi-
ration, impuissant maintenant à se contenir, il veut faire
partager sa joie à tout l'univers, et il convie les peuples
devant Vénus :
Toun bèu pitre nous bado, e l'iue plen de belu
S'espanto deplesi davans lajouino auturo
Di poumo de toun sen tant redouno e tant puro.
DU POETE THEODORE àUBANEL SOo
Que siés bello I... Venés, pople, venès teta
A si béa sen bessouD Tamour e la bèuta 1
Voilà pourquoi le poète aime et adore Vénus : c'est qu'elle
est la souroe de toute beauté et que le monde ne serait rien
s'il était vide de beauté :
Oh I sènso la bèuta de que sarié lou mounde 1
Luse tout ço qu*es bèu, tout ço qu^es laid s*escounde I
Et^ dans ce violent appétit du beau, le poète ne supporte pas
qa'aucun voile le cache : il le veut rayonnant comme le soleil.
Les bras nus, le sein nu, les flancs nus de la déesse le trans-
portent d'enthousiasme, mais pourquoi cette draperie qui
s'enroule à ses hanches? Il s'emporte contre cette étoffe qui
dérobe à ses jeux des merveilles, et son désespoir est si vio-
lent que les vers par lesquels il s'exprime en perdent tout
rythme — jusqu'au cri splendide qui termine ces objurgations,
cri de passion débordante et d'une magnifique impudeur,
s'exhalant dans un vers bien frappé, clair et retentissant :
Fai vèire ti bras nus, tous sen nus, ti flanc nus ;
Mostro te touto nuso, o divino Venus I
La bèuta te vestis miès que ta raubo blanco ;
LaisBo à ti pèd toumba la raubo qu'à tis anco
S'envertouio, mudant tout ço qu'as de plus bèu :
Abandouno toun ventre i poutoun dôu soulèu !
Vous connaissez la fin de cet admirable poème :
Coume l'èurre s'aganto à la rusco d'un aubre,
Laisso dins mi brassado estregne en plen toun maubre ;
Laisse ma bouco ardènto e mi det tremoulant
Courre amourous, pertout, sus toun cadabre blanc I
0 douço Venus d'Arlel 6 Fado de Jouvènço !
Ta bèuta que clarejo en touto la Prouvènço
Fai bello nôsti fiho et nèsti drôle san.
Souto aquelo car bruno, 6 Venus, i'a toun sang
Sèmpre caud, sèmpre viéu ; e nôsti chato alerte,
Vaqui perqué s'en van la peitrino duberto,
E nôsti gai jouvènt, vaqui perqué soun fort
1 lucho de l'amour, di brau et de la mort I
306 LA FEMME DANS L^CÊUVRE
E vaqui perqué t'ame, e ta bèuta m'engano,
E perqué iéu, crestian, te cante, 6 grand pagano I
Arrêtons-nous sur le dernier vers : Aubanel s'y peint tout
entier et le dualisme qui partagea son âme s'y définit magni-
fiquement. Aubanel fut, en effet, le plus païen peut-être de
nos poètes, et il ne cessa jamais pourtant d'être chrétien et
catholique.
Son paganisme éclate à toutes les pages de son œuvre,
soit qu'il donne une âme aux rochers, aux nuages, aux arbres,
à tout ce qui vit dans la nature, soit qu^il se prosterne en
adorateur devant toutes les images de la Beauté et qu'il
proclame en quelque sorte le Beau comme la raison d'être
du monde. Pourquoi insisterais-je? N'avez-vous pas senti
passer sur vous, à la lecture de tant de beaux vers, le souffle
le plus pur de l'antiquité ?
Il n'en est pas moins vrai qu'Aubanel, ainsi qu'il l'affirme
avec tant d'éclat dans le vers final de la Venus (fArle^ était
chrétien et catholique.
Il l'était d'abord de tradition. On sait que, bien avant la
réunion du Comtat-Yenaissin à la France, la maison Aubanel,
à Avignon, avait reçu du gouvernement papal la qualité
d' a imprimeur du Saint-Siège » ; et ce qui se perpétua dans
cette maison, avec son industrie et son beau privilège, ce fut
la foi religieuse.
Théodore Aubanel fut aussi catholique par conviction.
Mille faits en témoignent : ses pièces religieuses, ses lettres,
son pèlerinage à la Salette après unô maladie de sa femme,
sa présence dans la confrérie des Pénitents Blancs, dans le
Tiers-Ordre de Saint-François, l'appui qu'ilprêta aux Récollets
d'Avignon au moment de l'exécution des décrets, enfin, et en
dehors de sa mort chrétienne, toute une vie passée, en dépit
de ce qu'il eut à subir de la part de certains catholiques qui
le traitèrent comme un simple Albigeois, dans les prescrip-
tion de l'Eglise catholique.
Ce catholicisme sincère d'Aubanel, j'ai dit déjà que maintes
poésieà religieuses en portaient le témoignage. Mais il se
montre ailleurs encore. N'est-ce pas déjà un mal religieux
que de sentir en soi, alors qu'on est cependant occupé par
DU POETE THEODORE AUBANEL 307
mille distractions charmantes, un vide immense et inexpri-
mable? N'est-il pas prêt à se tourner vers les croyances reli-
gieuses celui qui trouve de Tamertume au fond des cou-
pes de la joie? N'est-ce pas enân d'un cœur chrétien de
rester assoiffé d'amour après avoir bu à l'amour jusqu'à
rivresse et de se sentir « bourrelé par l'éternel désir » d'un
idéal qu'on a en vain poursuivi sur terre?
Aubanel a souffert tout ce mal.
L'amour et la beauté n'ont point rempli son cœur:
De-qu'èi que te lagnes encaro ?
Ah 1 se Tamour e la béuta
Noun donon la félicita,
Moun Dieu I que noun moun cor se barre?
De-que vos, moun cor, de qu'as fam ?
Oh! de-qu'as, que toujour crides coume un enfant?
(M., lib. de V Amour, XXII.)
Ses lèvres sont restées amères en quittant la coupe d'amour:
Vai, li caresse de la femo
Soun bono que pèr lis enfant ;
Quand sias orne, que mau vous fan 1
Dins si poutoun, que de lagremo I
(M., lib. de l'Amour, XXII.
Ecoutez enân les plaintes désespérées de son cœur en souf-
france d'idéal:
Quand poudriés, à toun grat, culi, pourpalo o blanco,
Toute flour espandido au miejour coume au Nord ;
Quand poudriés, à ta fam, dôu frut de touto branco
Manja, s'aviés fa pache emé lou traite sort ;
Dins ti bras quand poudriés encentura lis anco
De tôutili jouvènto, ome, s'ères proun fort,
Te dise qu'à la fin em' un tèdi qu'escranco
T'aplantariés en routo, e sounariés la Mort !
Car chourlariés per vin li rai pur dis estello,
L'enebriaduro es pas dins li flanc dôu boucau ;
Calignariés la femo enca mai amarello,
Uno fado à poutoun mai que fôu, subre-caud,
308 LA FEMME DANS l' OEUVRE
N'atroubaras jamai Pamour blous, eternau...
E Teterne désir, ô moun cor, te bourrellol...
(F. A„ Patimen, IL)
Mais le christianisme d'Aubanel n'est pas resté à cet état
latent : son impitoyable besoin d'amour, il l'a prosterné
devant Dieu, et cet éternel désir qui faisait son tourment, il
l'a satisfait en la divinité :
Rintro à Toustau e toumbo à geinoun, misérable !
Davans Dieu, paure fôu, plouro e desgounflo-te !
(F. A., Patimen.l.)
Et encore :
E vène maigre, e me transisse,
E ma sorre me dis : — De qu'as? —
Res p6u saupre ço que soufrisse...
0 Segnour, baias-me la pas !
Un pau de pas que me restaure,
La pas, la pas que m'a quita !
Cou me un vèire d'aigo à-n-un paure,
Fasès me n'en la carita !
Ta qu'uno joio vertadiero
En aquest mounde tant catiéu.
Mai aquelo èi sènso pariero :
La joio de t'ama, moun Dieu I
J'ai insisté sur le côté chrétien d'Aubanel, parce que la
physionomie du poète desFiho (TAvignounme paraît y gagner
un intérêt considérable. Sans cette mélancolie, sans ces
remords, sans ces retours, ou, si vous préférez, cet aboutis-
sement à la divinité, Aubanel serait resté, sans doute, un
admirable poète de l'amour et de la beauté, mais il n'aurait été
que cela. Païen et chrétien à la fois, et l'un combattant l'autre
en lui, il me semble résumer toute une race et incarner deux
mondes, deux civilisations. De combien n'en est-il pas grandi !
Du monde et de la civilisation antiques, personne n'ignore
les prolongements dans les temps modernes. L*Evangile ni
la science n'ont réussi à extirper tout à fait les racines du
paganisme, et l'esprit païen souffle encore par intervalles
sur le monde.
DU POETE THEODORE AUBANEL 309
Mais s'il est quelque part une terre où le rameau païen
a continué de vivre et de fleurir, n'est-ce pas la terre proven-
çale? Les débris de marbre des déesses y dorment sous le soi
d'où, parfois, la charrue du paysan les ramène à la lumière;
la beauté grecque j revit, noble, élégante, d'une pureté par-
faite, dans les filles d'Arles; le profil de médaille des empereurs
romains s'y retrouve dans les traits des gardians de Camargue ;
les danses eurythmiques des Panathénées y sont ressuscitées
dans les farandoles des Maillanaises ; et, dans la sereine douceur
des soirs d'été, les filles des champs, en retournant au village,
suspendent encore, d'un geste adorablement païen, les gerbes
d'or des épis ou les grappes violettes de la vigne aux croix
des chemins — telles les moissonneuses des temps antiques
chargeant des prémices de la récolte les bras de la bonne Cérès.
Ainsi vivent dans Aubanel la poésie du passé et la poésie
du présent. Et voilà bien ce qui fait son originalité et son
charme. Dans son œuvre si profondément humaine et d'une
personnalité si puissante, passe tour à tour l'écho des voix
qui, sa vie durant, sq battirent dans son cœur: la voix
sévère des cloches sacrées disant la fragilité de toutes choses
et le néant des jouissances terrestres et la voix de Pan procla-
mant le règne éternel de la Beauté et l'enivrante Joie de vivre —
de Pan qui, se riant des menteuses clameurs du vieux Thamus
qu'aissaillirent justement les riverains du fleuve où passait
sa barque lugubre, vint se réfugier dans un bosquet parfumé
de la grecque Provence d'où, la nuit venue, sous le regard
caressant de Phœbé, sa sœur immortelle, il module des airs
divins que les poètes provençaux redisent à leur réveil.
Jules VÉUAN.
LE SIEGE DE BEAUCAIRE DE 1632
(Arles, Bibl. Munie, cod. 207).
[P. 201] Discourg et fidèle rapport de tout ce çui s'est passé de plus
considérable dans la province du Languedoc en Vannée 16S2, ensuite
de la descente faite en icelle par Monseigneur le duc d'Orléans, frère
unique du Roy. Et principalement du siège et prinse du chasteau de
Beaucaire par Monsieur de Vitry, mareschal de France, gouverneur et
lieutenent général pour le Roy en Provence . Et [des fiddles services
rendus en ceste occasion par la ville d'Arles.
Monseigneur le dac d'Orléans ', frère unique du roj, aprez
environ nne année d'absence de la cour et du rojaume pour
quelques mescontentements, j estant revenu et rentré à main
armée, parcouru la Bourgongne, TAuvergae et autres provin-
ces pour tascher à se saisir des plus importantes places, des-
cendit enfin dans la province du Languedoc, où il creut que
Monsieur de Montmorency, quj en estoit le gouverneur et
quj luj avoit donné sa foj de l'assister en toutes ses excé-
cutions, auroit le pouvoir de l'introduire dans les meilleures
places de son gouvernement, et les mettre à sa dévotion, aa
moyen de l'authorité et assendence qu'il avoit sur les affec-
tions et les volontés de toute la noblesse et des capitènes des
plus considérables villes et forteresses de ceste province.
[P. 202] Le marquis de Pérault en estoit l'un, lequel comme
seneschal et viguier de la ville de Beaucaire, capitène et gou-
verneur du chasteau, sortj d'une fille naturelle de feu Henry
de Montmorency, connestable de France, père de cestuy cy, et
par ainsy estroictement obligé et attaché aux intérêts de ce
seigneur, [et comme emporté par la considération de tant de
1 Son nom du babtesme : Gaston Jean-Baptiste ; fat premièrement duc
d'Anjou comme troisième fils de France, puis duc d'Orléans par le décès
du duc d'Orléans son frère puisné. (Note marginale.)
LE SIEGE DE BEA UG AIRE DE 1632 311
bienfaits dont il luj estoit redevable] ^, luj avoitasseuré entre
autres et donné paroUe de luy livrer et à Monseigneur le duc
d*Orléans non tant seulement le chasteau, mais encore la
ville, soubs Tappuy de plusieurs gentils hommes, habitans
dMcelle, quj estoientde tout temps esgalementamisdePun et
serviteurs de l'autre, et tout de suite la ville de Tharascon,
dans laquelle il asseuroit encor avoir des très puissantes in-
telligences.
La créance asseurée que toutes ces promesses produiroient
quant et quant leur effect, fiata tellement les espérances de
M. de Montmorency qu'elle le porta de persuader vivement
Monseigneur de venir promptement à la ville de Beaucaire
et de commencer par là ses conquestes.
Il y dnt donc, accompagné de Monsieur le comte de Moret^,
de M. le duc d'Ëlbeuf, dudit sieur de Montmorency et plusieurs
autres de considération, avec environ mil à douze cents
maistres, partie croates, qu'il avoit amenez quant et soy de
la Flandre d'où il estoit party; vint prendre logement à Mont-
frin et autres petits lieux circonvoisins pour donner temps
au marquis d'achever son ouvrage, disposer les habitans à
le recevoir aveuglement, ainsy qu'il avoit promis, et surmon-
ter les difflcultez que les âdèles serviteurs du Roy luy pour-
roient opposer.
La nouvelle de son arrivée au pays et approche de Beau-
caire cy [p.203] fustbien tost apportée, dont le peuple s'esmeut;
et les consuls résolus de luy fermer les portes, commencent à
fortifier les courages de ceux qu'ils avoient de longue main
reconnu vrais serviteurs du Roy, font d'ailleurs tous les prépa-
ratifs née essères pour résister aux attaques qu'ils pourroient
avoir de ceste part, et jurent entre eux irrévocablement de se
perdre ou conserver leur ville en l'obéyssance du Roy.
On reconnut en mesme temps l'esprit de division glisser
parmy les habitans, et les vrais serviteurs du Roy se retirer de
la conversation de leurs plus grands amis qu'ils jugeoient
l'estre du marquis et de Monsieur de Montmorency, de manière
1 Addition marginale.
2 En marge : « Il estoit nommé Antoine de Bourbon, frère naturel de
Sa. fiifajesté et de luy.
312 LE SIEGE DE BEAUCAIFE DE 1632
qae telz reffroidissemenis et aliénations d'affections produisi-
rent plusieurs querelles entre eux.
Le marquis, quy, dans ses plus résolues actions en Tobserva-
tion de ses irrésolues promesses, avoit tousjours devant les
yeux rimage de son prochain malheur, que Thorreur du crime
et de sa félonie luj alloit représentant, et duquel enfin il ne
sceut se desveloper , s*estant aperceu des défiances et des
querelles de ses compatriotes, et jugeant que leur division
pourroit grandement nuire à ses projectz s'il ne les estonffoit
en leur naissance, et ne remettoit tous ses secretz amis dans
la bonne odeur des consuls et du peuple pour s*en servir avec
plus de sceureté et moins de soupçon, pria et conjura les
consuls et toute la noblesse ainsj divisée de se trouver un
jour assigné au devant de la grande esglise, où, (n'osant encor
desGOUvrir ses desseins), il leur fit à tous une assez véhémente
exortation d'oublier mutuelement leur injure, de s'entr'em-
brasser et demeurer désormais bons amis et unis avec iuj en
une sj importante occasion, où ils'agissoit de respreuve[p.204]
de leur fidélité envers le Roy et de l'avantage et tranquilité
perpétuelle de leur patrie; aocompaguée d'une infinité d'im-
précations contre ceux quy, par quelque ocasion que ce fust, y
f croient banqueroute.
Il n'eut pas grande peine à tirer d'eux l'effect de sa prière
puisqu'ils y estoient tous portez, les uns pour le zelle qu^ils
avoient au service du Roy^ et les autres pour avoir les moyens
plus libres de fortifier secrètement leur party, quils voyoient
en péril par l'inesgalité des actions du marquis : ain^^y ils
s'entr'embrassèrenttous, soubs ces différentes intentions, et fut
crié Vive le Roy ou de bouche ou de cœur, d'un aplaudisse-
ment universel, avec le peuple quy y estoit concouru.
Cest artifice estoit plausible vraiment pour desguiser ses
doubles intentions^ mais aussy estoit-ce mettre des impres-
sions en l'esprit et des armes entre les mains du peuple, dont
il couroit le hazard, non tant seulement de ne pouvoir effacer
ny fere tomber des mains, mais d'en estre bientost assailly.
Aussy la justice divine, quy ne manque jamais de récompense
aux bons non plus que de chastiments aux pervers, rétorquera
bientost sur luy et sa famille les désolations qu'il avoit procu-
rées à sa chère patrie.
LE SIEGE DE BEÂUCÂIRE DE 1632 ^13
Le combat pourtant estoit encor bien grand en son âme,
flotante entre ces deux puissantes considérations de la perfidie
et de la fidélité: celle-cy, soustenue des sages et vertueux
admonestements de sa femme, oelle-la fomentée des malheu-
reuses suggestions de ses deux enfants et de son frère, évesque
d'Usèz. [P. 205] Mais enfin il s'abandonne aveuglement à son
malheur, et propose de suivre irrévocablement les volontés de
Monsieur de Montmorency, estimant que la honte de s'en retirer
souïileroit plus son honneur et sa réputation que tous les ser-
vices qu'il pourroit rendre à son Roy, à ses parens et à sa
patrie, ne luy pourroient acquérir de gloire et de louanges.
Il bande donc alors tous ses desseins à cet effect: et pour
mieux les fere réussir, il demeure tousjours et d'apparence
et de discours, fidèle serviteur du Roy, uny avec les consuls, et
leur en produit quelques légers tesmoignages. Néanmoins ,
comme il est malaisé que le puissant venim qu'on a une fois
avallé ne produise promptement des convultions violantes,
ainsy le marquis ne peut longuement desguiser ses résolutions,
sans estre quant et quant soupçonnées des consuls et du
peuple: lesquelz, dans la deffiance qu'ils en eurent et de
plusieurs gentilshommes leurs habitans, ses iuthimes amis et
serviteurs de M. de Montmorency, appréhendant leur autho-
rité dans la ville, et de n'y pouvoir estre assez puissants pour
résister à la fois et aux domestiques et aux étrangers s'ils
entreprenoient de l'enlever, ils en donnèrent promptement
advis à Monsieur le Mareschal de Vitry, gouverneur et lieu-
tenent général pour le Roy en Provence, quy s'estoitjaporté
dans la ville de Tharascon, dèz qu'il apprint que Monseigneur
s'en estoit aproché, et réclamèrent son assistance.
[P. 206] Cependant le marquis, muguetant tousjours quelque
habitant, sçavoit encor se feindre avec telle justesse et dexté-
rité, qu'à tout moment les consuls rappelloient en doute s'ils
dévoient s'arrester en leur doute, et luy, ayant aprins l'assis-
tance qu'ils avoient implorée et jugé quelle ne pourroit leur être
envoyée qu'à la ruyne entière de ses entreprises, leur jouant
encor un nouveau tour de souplesse, les cajeoUa si bien qu'en
leur fesant plusieurs belles et nouvelles protestations de sa fidé-
lité, et leur représentant uleur commun péril en la résistance où
ils s'étaient résolus ensemblement, [et qu']ils ne pourroient trou-
314 LE SIÈGE BE BEÂUGAIRE DE 1632
ver de refuge, an cas que la ville fust forcée de succomber, que
dans son chasteau, qu v de tout temps avoit esté et seroit encores
en ceste extrémité Tazile de tous leurs habitans, mais que n y
ayant assez de munition de bouche pour y soustenir un long
siège, il etoit nécessaire de Ten fournir avec abondance u ;
les consuls, quy ne sçavoient bonnement quelle créance ils
dévoient prendre de luy, inclinant néanmoins ingénument à
sa demande, la luy accordèrent. Ainsy il tira d'eux abondam-
ment et leur extorqua tout ce qu'il jugea nécessère pour son
utilité et pour en affoiblir la ville.
Ses desseins prospérant ainsy, selon son jugement, il n'ar-
resta pas en sy beau chemin, car il pourveut, sependant, avec
tout le secret et diligence requise son chasteau de tous les bons
soldats des environs qu'il avoit de longue main reconnus
ses amis.
[P. 207] La Roche Sainct-Angel, premier consul, estoit absent
durant toutes ces menées, et ayant trouvé à son retour que les
bons ordres que ses collègues avoient estably dans leur ville
estoient très avantageux, en fut extrêmement resjouy et leur
en donna de grandes louanges.
Le marquis donc ainsy pourveu de tout et en estât de ne
rien craindre, selon son jugement aveuglé, osta le masque et
se déclara ouvertement pour Monseigneur, soubs la créance
que Monsieur de Vitry n'oseroit entreprendre dans le gouver-
nement de Monsieur de Montmorency. Mais, peu après, ayant
apprins que la ville d'Arles armoit, de son commandement, et
jugé que sy Beaucaire en estoit secouru, il n'y seroit plus à
temps pour le surprendre, ainsy qu'il avoit de longue main
projecté (ne luy ayant tousiours esté que trop aisé, puis qu'il
avoit à sa dévotion le capitène de la ville quy gardoit les clefs
des portes) ; de manière que, s'imaginant que les menaces
pourroient enfin emporter et vaincre le courage et résolution
des consuls ; leur déclara etreprésenta ouvertement « l'indigna-
tion que Mgr avoit conceue contre d'eux, par le refus qu'ils
faisoient à l'introduire dans leur ville ; les maux, dont, en leur
particulier, ils se rendroient coulpables en lui résistant et demeu-
rant forcez ; les malheurs quy accueilliroient leurs habitans; et
l'inévitable désolation de leur patrie», les conjura d'assembler
promptement leur conseil général, et prendre en iceluy une
LE SIEGE DE BEÂUGAIRE DE 1632 315
résolution irrévocable [p. 208] de le recevoir et le recon-
noistre; soubs oeste asseuranoe que, comme viguier y prési-
dent à son accoustumée,il auroit des persuasions assez fortes,
joincts à iuy les suffrages de tous ses amis, pour emporter la
délibération selon ses intentions, et les fère déclarer rebelles
avec lui.
Les consuls, esoandalisez de ce discours, luj respondirent,
par la bouche du premier,» que la ville n'en treroit jamais aux
termes de consulter quel party elle devoit eslire, tant que Tau-
thorité seroit en leurs mains ; mais bien par quel moyens elle
pourroit repousser les efforts des ennemis du Roy , et fere chastier
la desloyauté de tant de mauvais citoyens » et plusieurs autres
semblables discours; desquelz le marquis, se sentant vivement
piqué, eut des ressentimens si cuisans qu'il ne peut se con-
tenir de lui lascher, avec Tun de ses âls quy estoit avec luy,
quelques injures quy leur furent soudain bien hardiment
rétorquées.
On vit à rinstant le peuple résolu et tellement animé et
confirmé en Tobéissance du roy et soustien des consuls, quUl
courut généralement aux armes et commença à dresser des
retranchemens et barricades, à chasque bout de rue proche
la porte du chasteau.
Cependant Monsieur le mareschal de Vitry, quy tout à point
s*estoit porté dans la ville de Tharascon, ainsy qu*est touché
cy-devant, et où sa présence avoit estouffé plusieurs secrettes
menées, et empesché que le mal contagieux de Beaucaire ny
communiquât[p. 209] plus avant son venin ; prévoyant bien que
de la révolte ou prise deceste ville dépendoit le repos et la tran-
quillité de son gouvernement, despescha promptement divers
courriers en trois différentes partsàlafois ; scavoir à Monsieur
le mareschal de La Force quy estoit dans le Bas Languedoc,
tallonnant Monseigneur de la part de Sa Majesté avec une
armée volante pour Tempescher d*y fère progrès, auquel il
donna avis de tout ce quy s*estoit passé en ceste occasion ;
aux sieurs consuls d'Arles (par Tun de ses carrabins quy arriva
à eux le dimenohe premier aoust, sur les trois heures au matin),
pour les suplier et enjoindre de la part du roy, de luy envoyer
promptement trois cents hommes, et, en dernier lieu^ aux Com-
munautés d'Ayrargues, Saint Rémy et autres lieux du vi-
guerat, pour en avoir autant.
SIC LE SIBGE DE BEAUGAIRE DE 1632
Les citojeiiB d'Aries, qoj TÎTent des toosjoars dans ceste
honorable ambition de tesmoigner en toutes occnrrances à Sa
Blajesté qu'elle n*a Tille en tout son royaume en laquelle ses
mandements et de ses ministres soient exécutés avec plus
d'ardeur et d^affection, et qu'ils ne pourroient jamais estre
ingrats ny mesconnaissants à tant de biens-faicts qu*il8 reçoi-
Tent de ses mains libérales ; oultre le devoir de la fidélité natu-
relle qu j les oblige sy estroitement à une sy doulce et débon-
nère servitude, recevant incontinent ceste agréable semonce
de la bouche de leurs consuls, furent [p. 210] soudain en
armeSy d'entre tous lesquels en furent par eux choisis trois
cents, dont la plus grande partie estoit de noblesse ou aultres
gents d*eslitte et de considération ; tous lesquels en sortirent
le mesme jour dimenche premier aoust sur les deux heures
après-midy, conduits par le sieur Philipe Beuf, l*un des consuls
de Testât des bourgeois, sage, expérimenté et courageux
capitène.
Les Communautéz du Viguerat, s'estant assemblées aussj le
mesme jour, avec extrême diligence,firent levée d'environ cent
cinquante hommes et partirent avec telle scélerité qu'ils n'en-
rentmesmes, presque tous, le loisir de se pourvoir des munitions
necessères ; soubs l'espérance néanmoins que Monsieur le
mareschal leur en feroit destribuer à Tharascon à leur arrivée ;
on s'estant randus et ne luy ayant peu o£frir que leurs per-
sonnes et leurs arme8,ainsy presque inutiles, il leur commanda
pourtant de passer promptement sur l'isle pour ne perdre le
temps, avec promesse de leur en fere tenir incontinent, esti-
mant que les consuls de Tharascon luy en présenteroient,
atendant qu'il en eust fait venir de la ville d'Arles. Et pria le
sieur d'Alein, gentil-homme d'Arles,pourlors viguler de Mar-
seille, quy Favoit suivy et ne l'abandonna jamais durant l'oca-
sion^ d'aller à eux de sa part et leur en demander, avec pro-
messe de leur en rendre autant : ce qu'ayant promptement
exécuté^ et n'y ayant trouvé que des refus, s'excusants sur
l'impuissance, Monsieur le mareschal en receut des extrêmes
desplaisirs et leur en fit de vives et picquantes reproches.
[P. 211] Tandis, la troupe d'Arles arrivée immédiatement
après et en queiie des autres, environ les cinq heures du soir,
Monsieur le mareschal la faict de mesmes tout d'un train passer
LE SIEGE DE BEAUGAIHE DE 1632 dl7
sur l'isle^ ayant apprins que Monseigneur devoit dans peu
d'heures entrer au chasteau de Beaucaire.
On observa ce soir là plusieurs circonstanoes de ceux de
Tharascon, lesquelles donnèrent un très-évident esclaircisse-
ment à la proposition que le marquis de Perault avoit faite à
Monsieur de Montmorency de luy livrer encor ceste ville au
moyen des intelligences qu^il y avoit : car premièrement, par
la lettre que Monsieur le mareschal de Vitry escrivit aux con-
suls d'Arles, il leur marquoit que les gents qu'il leur demandoit
estolent pour ramplir la place de ceux de Tharascon, qu'il
allait dès ceste heure là faire entrer dans Beaucaire ; néan-
moins tant s'en faul t qu'ils y deussent estre desj à à leur arrivée
qu'au contrère lorsque le consul y aborda avec sa troupe et
receut son commandement de passer promptement sur Tisle,
il le vid sur le bord de la rivière sans autre compagnie que
des siens, fors un ou deux gentilshommes de la ville, apprint
qu'il n'y estoit passé que la troupe du viguerat qu'il y voyoit
encores descendre, pour laquelle encor on luy avoit refusé
des munitions de guerre; et ce quy augmenta plus encor Tes-
candale à ceux d'Arles fut de n'avoir receu d'eux à leur arrivée
ou passage aucune gratification de rafraischissements , en
recompense de ceux qu'on leur avoit Largement fournis puis
naguères à Arles (dont ils avoient grand besoing) à leur retour
d'Aiguës Mortes en semblable occurrence. Toutes ces circon-
stances, dis-je, donnèrent argument que dans ceste ville le
service du Roy ny avoit pas pour lors grande vigueur. Tant
eatquecestroupesainsyassommées[p.212] de la plus ardente
et insuportable chaleur quy fut jamais, elles passèrent toutes
gayement sur Tisle ; mais la saison pour estre introduites dans
Beaucaire n'estoit pas encor arrivée pourtant, les sffferes n'y
estant point entièrement disposées par les artifices que le
marquis et la noblesse de la ville y apportoient atout moment,
ainsy que nous verrons cy aprèz. Etfalut qu'elles campassent
là tout le reste du jour et toute la nuict suivante.
Or ceux d^ Arles n'y furent plustost descendus qu'il fut in-
continent déclaré à leur consul par les premiers, qu'ayant
esté coustraints de se lever et de sortir ainsy de leur maison,
àiahaste, sans munition de guerre, soubs l'espérance de
s'en fournir à Tharascon , et ne l'ayant peu fere pour ne
31 B LE SIEGE DE BEAUGÂIRE DE \6^ft
retarder leur descente, ils en estoient en des extrêmes des-
plaisirs. A quoi le consul, pourvoyant sur le champ, leur fit
despartir quant et quant du plomb, de la mssche, et ddux
cartouches de plomb à chasqun, que ses propres soldats
arrachèrent de leurs bandollières et leur donnèrent.
La descente de ces troupes sur Tisle donna des estranges
appréhentions au marquis et à la noblesse de Beaucaire qay
suivoit son partj, jugeant que leur introduction dans la ville
estoit le coup mortel de leur espérance. Aussj dès lors ne
batirent-ils plus que d'une aisle et le marquis s*estant retiré
au chasteauy toute la ressource des autres se réduisit à ce
point de courir ouvertement les rues, déclamer contre leurs
consuls, et imprimer en Tesprit du peuple mille terreurs
paniques et toute sorte d*appréhention de Tinsolence que les
soldats exerceroient en leurs biens, en leurs maisons et- leurs
familles, et en leurs propres personnes s^ils estoient intro-
duits.
[P. 213] Ce fut une rude attainte à Tauthoritédes consuls, de
laquelle ils virent soudain naistre mille murmures et soublève-
mens du peuple, violemment agité et effarousché dételles appré-
hentions qu*j porta aucuns des plus mutins à leur reprocher le
peu de confiance qu'ils avoient en eux de ne les avoir estimé
capables de garder et deffendre courageusement leurs mu-
railles et leurs maisons, soubs leur authorité, sans Fassistance
d'autruj ; et que Tintroduction de ces troupes ne leur pour-
roit estre que dommageable et funeste.
Les consulz, estonnés de telz mouvemens et taschant à
ramener le peuple de son desvoyementySe fortifièrent de Tau-
thorité des magistrats de justice et principalement de Dupuj,
procureur du Roy, homme très-résolu. Tous lesquelz ensem-
blement, après des hardies et puissantes menaces de cestu j-cj,
parlant au nom du roj, et des vives et pressantes persuasions
de ceux-là comme pères de la patrie, Tajant par ce moyen
aucunement ramené, ils résolurent, enfin, de donner rentrée
à leur secours à quelque prix que ce fût, voyant que d'iceluj
dépendoit et le gain de leur partie et la tranquilité de leur
patrie, ainsy que la suite le fera voir.
Toute ceste nuit s'écoula en telles consternations domesti-
ques qui les empeschèrent non seulement de l'introduire
LE SIEGE DE BEâUGAIHE DE 163!^ 3 19
(appréhendant quelque mésaventure), mais encor de pour-
voir à ses nécessitez.
Ce long retardement d'ailleurs et oe peu de conte qu'on
tenoitdeces troupes leur donnoit cependant de très-puissants
mouvements de [p. 214] cholère et de très-violents soupçons
de quelques mauvais jeu. Si bien que le consul Beuf, pour ne
recevoir quelque affront, logea quant et quant à la plus haulte
poincte de Tisle, le sieur de Mandon(run des cinq capitènes des
cartiers d'Arles) avec toute sa troupe pour en défendre ren-
trée du costé de la terre. Et luy, avec tout le reste, se tint
préparé à recevoir et repousser courageusement de tous les
autres endroits ceux quy Vj voudroient mettre en eschec.
Le marquis, cependant, qui avoit comme abandonné ou
quitté la partie dès la défense de ces troupes sur Tisle, et s'estoit
retiré en son chasteau, en donna promptement advis à Mon-
seigneur, luy représentant ce secours beaucoup plus consi-
dérable et plus grand qu'il n'estoit ; lequel fesant promptement
réassembler ses troupes quj s'étoient dispersées et relaschées
dans les villages circon voisin s, vint quant et quant à Beau-
caire, accompagné de tous ces seigneurs qui le suivoient, se
présenta tout de nuict à la porte du chasteau qui regarde la
prerye ^, et y fut introduit avec tous les siens.
Tandis, les consuls qui n'estoient bonnement encore bien
confirmés en la résolution de recevoir leur secours, ayant eu
advis que Monseigneur estoit au chasteau et que toutes ses
troupes j rentroient à la fille, firent soudain donner Tallarme
au peuple par le tocsin, afin qu'un chascun se rendit sur les
murs de la ville ou au corps de garde de leur cartier, et
cependant envoyèrent promptement une troupe de leurs plus
[p. 215] hardis habitans ranforcer ceux quy s'estoient jà saisis
de toutes les aveniies de la porte du chasteau quy est dans la
ville; attendant d'y loger leur secours, commandèrent au
capitaine de la ville de luy aller ouvrir la porte de Cadenet
quy luy estoit la plus prochaine, et à Dions, fils du premier
consul, de l'aller introduire promptement.
Ce fut à ce point que le peuple, reconnoissant l'erreur où
la suggestion de tous ces mauvais serviteurs du Roy l'avoit
* La prairie ou champ de foire.
3tD Lis SIEGE DE BEAUGAItlE DE 1632
Toalu précipiter, courut comme désespéré à la deffence de
lear muraille, loua les vertueuses intentions de leurs consuls,
commencea à bien espérer de leur résolution, et à se pro-
poser quMnfailliblement leur courageuse résistance seroit
largement récompensée de la débonnèreté du Roy, et que le
moins qu*il pourroit espérer de sa libéralité ce seroit leur
affranchissement de la tyrannie du marquis ; ainsy en par-
loient-ils.
Le capitène de la ville, quoyque des intimes amis du marquis
et serviteur de M. de Montmorency, fesant violence à ses
volontés, fut constrainct d^ aller ouvrir ceste porte, aprèz quel-
ques sourdes paroles de refus qu*il laschea aux consuls, les-
quelles furent suivies de menaces de luy ester les clefs. De
manière que le sieur de Dions, quy s'estoit jà suffisemment
pourveude batteliers, montant promptement sur leurs batteaux
passa sur Tlsle (laissant le sieur de la Roche, son père, à la
porte}, pria le consul Beuf, au nom de son dit père, de ses
collègues et de tout le peuple, de vouloir [p. 216] prompte-
ment entrer dans leur ville et luy fit des excuses de ce long
retardement.
Le sieur consul Beuf, cependant, quy avoit reconnu, avant
l'arrivée du sieur de Dions à luy, que toute la cavallerie de Mon -
seigneur estoit sur le pied, et ouyt en même temps le tocsin
sans savoir sy c'estoit pour Monseigneur ou pour soy (n'ayant
ancores veu personne de la part des consuls), despescha promp-
tement le sieur Peinct, l'un de ses volontères, son inthime
amy, et lieutenent en ceste expédition, devers M. le Mareschal
de Yitry pour apprendre ses intentions sur ceste occurrence:
et consulta d'ailleurs le sieur de Rousset, gentilhomme de
Provence (auquel M. le Mareschal avait donné la conduite
de la troupe du Yiguerat) avec les plus expérimentés de leurs
volontères, pour les formes de leur subsistance ou de leur
introduction au cas qu*ils feussent enfin appeliez, reconnois-
sant leur entreprise grandement hazardeuse et toute remplie
de péril ; mais, durant leur consulte, Dions arriva à eux; non-
obstant la prière duquel, et les asseurances qu'il leur donna
que son père les attendoit à la porte, et ses collègues aux
autres endroits de la ville pour ordonner de leurs postes, ils
délibérèrent pourtant d*envoyer tout premier dans la ville
LE SIEGE DE BEÀUGâIRE DE 1632 31^1
LaBre8che,ran de leurs sergents, pour reconnoistreet juger
de la contenance des habitants et prièrent Dions de demeurer
avec eux, en hostage pour Tasseurance d'iceluj et jusques à
son retour.
[P. 217] Ce sergent, passant promptement le bac et entrant
dans la ville environ les deux heures aprèz la minuict, donna
seul jusques dans la place du marché, et n*eut autre rencontre
que dudit sieur de Laroche à sa porte et du capitène de la ville •
laquelle ayant ouverte contre son cœur, ne sceut sj bien
retenir ses ressentimens qu*il ne luj usât de quelques sourdes
menaces, « que tout autant d*estrangers quj entreroient dans
la ville y seroient taillés en pièces. »
Tandis, ces compagnies de Croates quj suivoient Monsei-
gneur, estant sur le pied pour entrer au chasteau et ayant ap prins
que ces troupes estoient surPisle, firent tout leur effort pour
avoir congé de les y aller attaquer et d*y passer à guay du
costé où estoit assis en garde le sieur de Mandon. Mais ils en
furent divertis par quelques-uns, lesquelz représentèrent à
Mgr y avoir trop de péril et en ce guay et en Tincertitude
du nombre des soldats, etque la ville estant une fois saisie, on
auroit bien moyen de les deffère.
La Bresche cependant, sa descouverte faite, revint à la
porte d*une part, à mesure que le sieur Peinct, de Tautre,
redescendoit sur Tisle avec ordre de Monsieur le Mareschal de
fère entrer promptement ces troupes à quelque prix que ce
fat, et tous deux furent estonnés d'en voir desja une bonne
partie dans la ville avec le sieur de Dions et le consul Beuf
en teste dMcelle. Auquel néanmoins le sergent rapporta le
discours qu'il avoit ouy du capitène de la ville, mais il n*ar-
resta pourtant, le Rubicon estant jà passé, et tous les soup-
çons vuidez et surmontez par son courage et par la confiance
qu'il avoit en la franchise du sieur de Dions quy le guidoit
et de son père quy le [p. 218] recevoit. De manière que le sieur
Peinct fut grandement joyeux de trouver que Tobeyssance
avoit prévenu le mandement que M. le Mareschal luy avoit
donné et que tout le reste passoit à la haste.
Le sieur de la Roche donc, ayant accueilly le sieur consul
Beuf avec les plus tendres remerciemens que méritoit un sy
important et signalé service, et que la briefveté du temps luy
21
3^2 LE SIEGE DE BEÀUGAIRE DE 1632
peut permetre, le conduisit de ce pas avec toutes les troupes
jusque dans la place du marché où elles se mirent promp-
tement en bataille. Et de là, sans arrester, allèrent se loger
tout contre les jardins joignant les murailles et la porte du
chasteau quj descend à la ville, où les habitans avoient Ja
mis quelques charretes et commencé à se barricader. Le
consul Beuf y choisit la porte la plus prochaine et la plus
dangereuse, en laquelle il s'arreata avec Teslitte de ses volon*
tères, laissant les autres plus esloignées au reste des troupes
et aux habitants.
Ces barricades n'estoient à peine alors bien commencées
qu'un chasqun d'eux mit promptement la main à Toeuvre pour
se retrancher et mettre en defience , et leur fut donné par
les consuls tout ce qu ils leur demandèrent pour cest effect.
Le jour venu (lundjdeuxiesme aoust), le marquis^ qu js'estoit
imaginé que Tarrivée de Monseigneur dans son chasteau auroit
donné telle appréhention aux consuls et au peuple [p. 219] que,
les armes leur tombant des mains, ils n'auroient le courage de
fere entrer leur secours et le ranvojeroient en désordre, fut
bien estonné de les veoir tout contre les murs d'iceluj,
retranchez, barricadez, et en estât de luj disputer courageu-
sement rentrée de leur ville. Et ceste noblesse, d'ailleurs,
quy suivoit ses mouvemens avec tant de passion et d'aveu-
glement, remplie de mesme estonnement que luj et hors de
toute espérance d'entreprendre désormais aucune chose à leur
avantage^ reconnoissant qu'il y alloit de la honte et des uns et
des autres d'avoir eu tant de belles intentions pour Monsei-
gneur, tant de courage d'excécuter, et néanmoins perdre des sj
belles ocasions de se rendre maistres de leur ville, et princi-
palement celle que la nuict précédente leur avoit sj favora-
blement produite, lorsque ce peu d'habitans, qujr necommen-
çoient qu'à desseigner encore leurs retranchemens, n'eussent
peu rendre à Mgr aucune considérable résistance, s'ils Teas-
sent fait descendre en armes promptement dans la ville, se
réduisirent tout enfin à ce dernier remède de fère quelques
abouchemens et conférances avec les consuls, pour tascher de
se mettre à couvert des reproches et des indignations de Mon-
seigneur, qui avoit ignoré toutes ces contradictions et résis-
tances et creu que le tout luy estoit asseuré. Quelques-uns
LE SIE&E DE BBAUCÂmE DE 168!^ dl^à
d'entre eax obtindrent des consals de pouvoir monter au chas-
teau et proposer à Mgr et au marquis quelque accommodement
[p. 220] qu j leur donnast de la satisfaction à tous. Ainsj ceste
matinée s'esooula en allées et venues d'une part à Tautre sans
fruict ; et Varie, Tun d'eux, s'y estant entremeslé de la part des
consuls, fut porté par terre, descendant du chasteau, par une
mosquetade, que luj tira un soldat de la garnison, quj luj
entra par le col et sortit par Tespaulle.
Ce coup contre le droit des gens, mit sel en bouche aux
consuls, les ât aller plus retenus, et le marquis en receut un
grand desplaisir. Néanmoins, s'imaginant de pouvoir avancer
luj mesmes ce que ses amis n'avoient peu le matin, il demanda
encore de parler aux consuls et permission de descendre
jusqu'à la prochaine barricade. Son intention estoit double,
car il désiroit voir le retranchement et la contenance des
soldats. Les consuls, néanmoins, quojque très résolus en leur
première délibération de servir le Roj à quelque prix que ce
fût, estimant que sj de telles conférances pouvoit sortir
quelque accommodement, leur honneur sauve et la ville
demeurant tousjours dans les termes de l'obéjssance, elle en
seroit d'autant plus soulagée et exempte des fouUes que les
gens de guerre j produisent communément, \uy accordèrent
enûn ses demandes.
Il descendit donc à la ville avec les sieurs d'Ëlbene, le baron
[p. 221] de Ledenon et Laroche d'Agoult, escuyer de M. de
Montmorency. Et rencontrant à la première barricade le con-
sul Beuf en teste de Teslitte de ses volontères, et en estât de
la bien deffendre, s'y arrestant un peu et fesant bonne mine,
loua fort leur contenance et leur résolution, leur Jaschant en
passant ce petit traict de vanité, c qu'ils estoient tous dignes de
commander des régimens. oLequelayant été soudain recueilly
par un gentil esprit de la troupe, le luy couvrit avec grâce
par ses paroles : « Ouy, certainement, Monsieur, luy dit-il, mais
ce nous est beaucoup de gloire et de satisfaction de n'estre
en cette occasion que simples soldats soubs notre consul et y
servir le Roy. »
Le sieur de La Roche donc s'approchantde lui, tirant quant
et soy hors de la barricade le sieur consul Beuf pour estre
tesiuoing de tous leurs discours, la première parole du mar-
P,2l LE SIEGE DE BEIUCAIRE DE 1631^
quis ao eonsul fat d*ayoir Tiolé sa foj en la matoelle promesse
qa*ils s*eftoient faite de n'introduire ancane personne estran-
gére dans la TilJe nj dans le chasteaa. A qaoj il respondit
qu*elle avoit ainsj Yéritablement esté £aite entr^eox, mais
sonbs cette condition de servir le Boj et les nns et les antres,
et qu'ayant vu la nnict précédente entrer Monseignenr dans son
chastean, il avait de mesmes introduit dans la ville le consal
d'Arles et sa troupe ; ains j , n'ayant fait en cela que [p . 222] l'en-
suivre, il en estoit le premier coulpable. Le sieur d'Ëlbene et le
baron de Ledenon , ap prehendan t que ces parolles n'en produisis-
sent d'antres plus fascbeuses, interrompant le discours du mar-
quisy pressèrent fort alors le sieur de la Roche de congédier les
messieurs d'Arles et laisser la ville entre les mains des habi-
tants. Mais au contraire la connoissance et rappréhention
qu'il avoitde ceux quj suivoient le party du marquis, dans la
ville, et du peu d'assurance du peuple, luy fit rejetter bien
loing telles propositions et demeurer ferme en son procédé,
reconnoissant très bien que, ceux d'Arles estant son prin-
cipal apuy, la partie demeureroit fort inesgale et leur afière
seroit bientost vuidée à la confusion et au grand détriment
du service du Roy.
Durant ce pourparler, tous les soldats des barricades obser-
vant diligemment les actions et les mouvemens du marquis
demeuroient sur pied, et en estât de repousser vivement sa
violence au cas qu'il en eust voulu user contre leurs consuls.
Et sur ce poinct il arriva qu'un soldat du chasteau laschea
une mosquetade dans la barricade du consul Beuf, quj porta
contre un mur, où estoit appuyé un de ses volouteres, auquel
ayant ramply le visage et le chapeau du desbris de la pierre,
8*adre8sant au marquis : «Voyez, Monsieur, luy dit-il S comme
vos soldats nous traitent dans vos tresves et vos abbouche-
ments» » [p. 223] De quoy il lui ût ses excuses, et menaceant
rudementle soldat, asseura tout haut ce volontère qu'il n'enten-
doit point que la foy publique fut ainsy violée. Lequel luy répli-
qua avec une contenence gentille a que les mosquetades
estoient trop peu de cas pour les fere desmouvoir de leurs
postes, et qu'il y falloit joindre le canon, »
* En marge en regard: M. Peinct.
J
LE SIÈGE DE BEâUGâIRE DE 1632 325
Cet excès porta soudain le désir de deux soldats, habitans
de Beaucaire meslés parmj ceux d*A.rlesS d*en tirer sa
revenche. Et, s'estantavaocez, s^appoinctèrentconjoinctement
pour tirer au marquis, mais le volonté re s'en estant aperceu
s'avancea à eux, leur donna tout à poinct de la main sur
Tharquebuse quMls avoient enjoiiée, les en destourna et leur
ûi le hola, ne voulant permettre de venger une lascheté par
une autre.
Tandis, Monsieur le mareschal, sçachant que ces troupes
de Beaucaire ne pouvoient avoir de muuition de guerre que
ce qu'un chasqundes soldats pouvoit avoir sur soj, et jugeant
que les consulz ainsj troublez n'auroient pu avoir le seing de
leur en fère fournir, despechea promptement aux sieurs
consuls d'Arles pour les prier de fere encor ce bon service
au Roj de iuj en envoyer promptement. A. quoy ils furent
très diligents, etluj en envoyèrent quatre muletz chargez quj
luj furent [p. 224] présentés de leur part par un gentilhomme
de la ville qu'ils lu j députèrent (ce fut le sieur Despins). A quoj
il receut une incroyable satisfaction et leur en ût des grands
remerciements, ne pouvant se contenir d'exagérer à tous
coups la grandeur de leur affection et la promptitude de
leurs services aux choses concernantes Tinter est de Sa
Majesté.
La conférance du marquis demeurant vaine enfin et sans
efiect, et les consulz rentrés dans la barricade, on oujt à
l'instant de tous les soldats quj y estoient une acclamation
universelle de Vive le Roy, quy donna un très rude coup d'es-
tonnement au marquis et le plongea dans une grande confu-
sion, ne sçachant trouver à Monseigneur excuse vailable et
légitime pour coUorer tant de manquements. De manière qu'il
fut sur les termes de demeurer dans la barricade avec les
consuls pour éviter ses indignations.
Monseigneur estoit pour lors, avec MM. de Moret, d'Ëlbeuf,
de Montmorency et autres de considération à la porte du chas-
teau par le dedans sans y estre aperceus, attendant l'issue de
ceste conférance pour donner tous, l'espée à la main, contre
les barricades au cas qu'elle ne terminast selon ses intentions :
* En marge en regard : Scève en estoit l'un.
S26 LE SIEGE DE BEAUGAIRE DE 1632
et ayant ouj le brait des soldats et demandé lacaose d'iceluj,
on loj dit que c'estoit an cry de Vive le Roj : c Ooj, répli-
qaat-il soudain, tirant son chapeau , Vive le Roy !»
[P. 225] Tons ces Messieurs donc rentrez au château et
Monseigneur ayant apprins la ferme délibération des consuls,
entra en une sy grande fureur contre le roarqnis qu'il proposa
de le fere saulter des créneaux ; lequel, le sçachant^ n*08a se
présenter devant luy que son esprit n'eust esté radoucy avec
beaucoup de peine par tous ces seigneurs. Aussy, à vray dire,
il ne scent jamais en ceste action obliger entièrement ses amis
ny désobliger ses ennemis.
L* ardeur de la cholère de Mgr luy fit incontinent demander
ses armes, délibéré d'aller enfoncer ces barricades, disant
que puisque la querelle estoit pour soy il vouloit estre le pre-
mier à les franchir ; mais Dieu en ayant disposé autrement et
ne Yonlant permettre qu'il s^exposast avec tant de noblesse
en unsy éminent péril, snssita sur le champ le sieur d'Ëlbene,
quy avoit veu la contenance de ceux des barricades, lequel
luy représenta <iquMly avoit reconnu un si grand courage aux
soldats et un sy ferme propos et délibération d'y mourir très-
tous plustost que d*en démordre et Tabandonner, estant tous
gents de condition, commandés par leur consul, homme très-
résolu, quUnfalliblemeot se seroit s'exposer et toute sa
noblesse à la boucherie de gayeté de cœur, et que le moindre
d'eux quy s'y pourroit perdre yalloit mieux que toute la ville
ensemble», avec plusieurs autres véhéments discours sar
ce sujet.
[P. 226] Le sentiment du sieur d'Elbene estoit très-bon pour
n'exposer la personne de Mgr qu'on n'eust peu que malaisément
retenir, aussy prévalut-il et fit changer ceste résolution ; mais
à vraydire,sy Monseigneur eust fait attaquer vivement ces bar-
ricades d'une part, et tous les gentilshommes de la ville amis
du marquis eussent à mesme temps saisy l'une des portes de
la ville pour l'y introduire par le dehors comme il leur estoit
très-aisé, sans doute la ville estoit enlevée; car les barricades
n'estoient pas encore en très-bon estât ny capables de trop
grandes résistances; ny mesmes le nombre des tenants assez
grand quoy que très-vertueux, et d'ailleurs la plus grande
partie du peuple quy suivoit les consuls vagoit encor dans
LE SIEGE DE BEÂUGAIRE DE 1632 327
rirrésolution, dans la crainte et dans la confasion. Enfin,
caste parolle eust sj grand poids que ceux de Beaucaire peu-
vent désormais la naarquer dans leurs fastes pour Tune des
choses les plus essentielles de leur bonne aventure et de leur
tranquilité publique, puisque, sans avoir plus grand seing ou
perte des leurs, ils ont vertueusement monstre le front au
frère du plus grand et redoutable prince de la terre armé pour
les subjuguer, et se sont glorieusement conservés dans la
légitime obéyssance, malgré, s'il faut ainsj dire, d'eux mesmes.
Pierre Dblacrau.
(A suivre.)
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
(Suite)
[132 (c» 112)]
PEIRE UIDAL(c/>. 74 r^)
(= B. Gr. 364, 17)
I • Dieus en sia graçitz
Qel franc reis es gueriz
E sans & deleitos *
Per qeu * cobri cansos
5 Galas & ab gais sos
Qe * mer a giquitz
Corroços * & marriç
Mas la sua saluç
Nos a totz erembuz ^
10 E tornat en iouen
Mon cor & mon talen.
II. Qar de bona raiz
Es bos arbres ichiz ^
E fructz es car & bos
E ries "^ & saboros
5 Et en ^ torn amoros
Vais domnas & ^ chausitz
Tant qe noia ^® als marriz
De oui son plus remsutz ^^
Qe focs ni fers agutz
10 Qar don men uulh^^ men-
Qus no ^^ las mi defen. [pren
III. Ben tainh qeu sia arditz
Qe tal domna mes guiz^*
Qes la genser qanc fos
Qab sas bellas faisos
5 El bels oils orgoillos
An mantz ^^ cors enuaiz **
Per qe mos esperiz
Es ab leis remasuz '^
Don mi senc ^^ reuenguz
10 De tôt mon marrimen
Qai sofert loniamen.
IV. Jouenz es mal bailiz
E pretz ces ** per traiz
Per colpa dels baros
Quer uenson ^^ los guarsos^*
5 Manêz et orgoillos
El ** certes escarniz
E domnas trichairiz
Regnon contra nos druz
10. Trop deschausidamen
Ab doble faillimen.
V. A bel cors gent bastiz
De totz bos aibs compliz
23
L. S. : 1 deleichos — * qem — 3 De qe — ♦ Gorrossos — ^ ereubutz —
« eislis — ' E douz — * ieu — * cai — ^^ nuig — " temsutz — ** uoil —
13 Qom nô — ** guitz — i8 mon — *« euazitz — *' remansutz — i8 gui —
1* tenc — '® Car uezon — •! garzos — 22 Los — 28 Dona sim renia uos
Humil e uoluntos E destregz e cochos
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS 329
Si com cel qes feriz
Damor & ^ cor qem diz
Qem renda uos uencuz
Doncs si nom faiz aiuz
10 M ort aurez chausimen
E nous estara gen.
VI . Per flac rei apostiz
Es bos règnes deliz
Qar planh ^ sas messios
E plorals autrui dos
5 £ fug solaz dels pros
E reis pos uiu auniz
Val mens qe sebeliz
Mas eu son car tenguz
Pels meillors & cresuz
10 Per la cortesa gen
Qes contradig nomen 3.
VII. Per som son gent guarniz
Contrais uags acapiz '*
Qe ab mi lof>, 74 v*») es ara-
[gos
Et castella & leos
5 E ^ ualent rei nanfos
Els ® cas tels estabiliz "^
On preç es gent seruiz
Et ondraz & tensuz
Si qe dels abatuç
10 Flacs auars cor de uen
Non ai nul pensamen®.
VIII. Aitant com plus ardiz
Es leos qe crapitz
Et ors qe bous cornuz
E lops qe bec barbuz
5 Ai en tant ardiment
IX. E qi mos diz aguz
Es contra si enten
En li don franchamen.
133
PEIRE DALUERGNE
(= B. Gr. 323, 13)
I . (p, 125) Cui bos vers agrada
[auzir
De mi aconseilh. qe lescolt
Aqest qera comenz a dir
Qe pos li er sos cors assis
5 Em ben entendrels sos els
[motz
Ja nô dira qel anc auzis
Meillors digz trobar loin ni
[prop.
II . De be no fai adescarnir
Qi lau anz deu agradarmolt
Se tôt loutracuiat albir
Ab lor nesci feble fat ris
5 Torno zo qes damont deios
El bes vezer qe sen antis
El esqerns resta de galop.
III. E per tal sai * sen bon sofrir
Cane esqern ni corage es-
[toit
Si broillet no sai vim florir
E par dauol respeg iardis
5 Cant ve qe la sima nil brotz
No ieta frucha requis ^®.
El intrador neisson tuig clop.
IV. Eraus vueil al res deuezir
Qi dauer sai a gran comolt
Ben sen deuria far seruir
Qe mil muegz de marabotis
5 No don aria doaz notz
Pos a la bochail venrail fiz
Nil prestre secodra lizop.
V. A qec deuria souenir
1 el — « plain — 3 contradreg non men — ♦ A mon cor e cabitz — 8 El
— Ges — ' establitz - « i. 5. ncm ha le seguenti stanzette.
Voyez VéditiondeM, Zenker ErUmgen 1900 p. 124 ss. ^ c, en; fai -
.en: trucha tequis; L: fpucha ni tequis
le
330
LE CHANSONNIER DE BERNÂET AMOROS
Qe non agues coratge estolt
Del be on vos deuem aiizir
Qen oraizon fossom conqis
5 Ë cant ve al derrier sanglot
Non li val oncle ni cozis
Ni metges ab son issirop.
VI. Ben deuria pensai* moiir
Qi dreitz oils garda sus lo
[volt
Cossi dieus per nos a guérir
Receup mort e pois mortz
[laucis
5 Selui qi p^r nos venc en
[croitz
Tuig mortem* cauers nO
[guaris
Negu al temps plus qe fes
[iop.
Vil . Moût son intrat en lonc
[cossir
Tug cil qi son al detir '
[clop
Ca la mort nos pot escremir
Coms ni reis ni ducs ni
[marqes
5 E senanz nos nedeia totz
Qe la mortz li serre lo uis
Be si pot sil ^ vol tarzar
[trop.
VIII Tôt iorn * porria ligir
Mas preguem dieu per sa
[douzor •
[ ]•
Qens 7 meta el sieu paradis
On me ^ isaac e iacop.
134
PEIRE DALUERGNE
(= B. Gr. 323, 18*)
I. (p. 126) Gent es mentrom
[va • lezer
Senanz le someil a faire
Qes cal. saizinal. cuiaire
Tal ora es lares de voler
5 E qi enanz es auertitz
Qe lagaitz li sia issitz
Non es ges del tôt musaire.
IL Contraisso dru** aparer
En cui senz es albergaire
Qe scienza non pretz gaire
Sa luecs non la vei parer
5 Doncs on er de mi sentitz
Lo sabers don soi reqitz
Cor fiz 0 mesclatz ab vaire.
III. Qel segle ai fag mon plazer
Tant qen soi de trop pe-
[chaire
Et er agradam nestraire
Pos dieus prom na dat lezer
5 Pot hom esser descauzitz
E nd mes obs mai ** delitz
Per outracuiat iutgaire.
IV. Pos dieus som laissa vezer
En qe poest ** esser miraire
De mo miels e sordeigz
[raire
On om plus a de saber
5 On mager senz les qesitz
E aqel par plus faillitz
Ca SOS obs nés enganaire.
V. Mas si ieu en saubes lo uer
* c.en: morrem — ^c.en: dereir — 3 c. en : sis — ♦ /. : iorn nos — •/. :
mercis — « /. : Qens garde del enfemal potz — ' /. : E qens — * /. : mes.—
Voyez l'édition de M, Appel dans: Prov. Inédit a p. 201 ss, et celle de
Af. Zenkerp. 121 ss, — » /.; na — *o /.; deu — ** c. en: nan— ** /. : poesc.
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
331
Be sai for enqers cofraire
De iouent e enqistaire
Ses ris qe degra chaer
5 En grat. sa ios esbauditz
Mas sil fais segles mestitz
Qeil fag son pauc contrai
[braire.
VI. Mentre chascus pot qerer
Lui qes vers dieus e sal-
[uaire
Moût es endreit se bauzaire
Pos 0 met e nOchaler
5 Qe maiers gratz nés cobitz
Qi ser ses colp qe feritz
Daitan son ben esproaire.
VII . So feira plus a praier *
Perqe son meraueillare
Com non es leu reguardaire
Tro qes aproisinatz ^ al ser
5 Qel iornals los^ escurzitz
E sadoncs vo * ve complitz
Non cug qe pueis sen es-
[claire .
VIII. Amors bem degra doler
Si neguns autrêguannaire
Mas lo drechurers iutgaire
De vos am^ pogues mouer
5 Qe per vos er enriqitz
Ë saluatz etenantitz
E pel segnor de belcaire.
IX. (p. 126 *) Mas so non pot
[remaner
Gorteza amors de bon aire
Don me lais esser amaire
Tan magrada lai tener
5 On vol lo saintz esperitz
E pos el mezeis mes guitz
Nous pas sauos non repaire.
X. Qeu en sai tal gouemaire
Qez el vol enguit auer
PeirO daluergne so ditz
Non deus for anqers partîtz
5 Ni per autra amor chiam-
[jaire.
135
PEIRE DALUERGNE
( = B.Gr.323,14)
I. De dieu non puesc pauc<^
[parlar
Ni moût nous en sai deuezir
Qe graures "^ e restaria dir
El paucs el® plus qe non
[apar
5 E pos ilh manteno valor
Degra son senz contraparer
Ben taing dir adreg per
[samor
So cal sieu poble na mester.
II . Donc die com si degra gardar
Cals es ni que deu deuenir
E si se mena^ cossir
Ja megz nd sabria prezar
5 Mas Ios oils te en tenebror
En lesgart gloto obezirier *o
El cors consent en la flor^^
Guida larma a mal destor-
[bier .
III. De qem puesc pro merauil-
[liar
Tan *^ per si nô pren en
[albir
Qe qant qeil trie 1er a morir
E pels pas ancessors passar
5 Et en tan estraigna âairor
Reuertir lo plus bobancier
^ c. en: temer — 2 /. ; aproismatz — ^l,: Tes — ♦ /. ; no — * i. : iam*
Voyez Véd. de M. Zenker p. 128 ss. — «/. : pauc ben — ' /. : gran res —
• /. : es — » /. ; metia e — *• /. : dezirier — " /. : folor -- 1« /. : Can
332
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
Co nauzem a gran feror*
M as ven • soblido dacordier.
IV. Qester e fo fort amar
Al temps passam del guerpir
Daqo de qes degrom aizir
Anz qeil sobrauengaes afar
5 Qeu sai catar ^ se contra cor
Qi nés cobrans be del ar-
[qier
Qe del cop senta la vigor
Car moût val garda de pri-
[mier.
V. Mas grieus es hom acas-
[tiar
Qe mais amason dan chauzir
Car ses volgues tant enantir
Val * be com contrai mal
[obrar
5 Ja non perderal règne ausor
Pel gang daqest mon men-
[songier
De qel cains s caitiua sabor
Lesperit pren en encom-
[brier.
VI. En qeus puesc per peîor
[comtar
Homo seu voil ver espandir
De ren qauja el segle issir
Pos a deu nos sap accordar
5 Que las es tôt desanador
Et es resorzent® e corsier
Et hom deu a son criator
Dels fais pos mort respond
[rentier.
VII. {p, 127) E pos dieus nous
[dêgna donar
Vezer et entendre et auzir
E parlar e sen e sentir
E de tanta richessa usar
5 Bes deu esser souenidor
Car tort te qi dautrui tener^
Deue ries e del frug meillor
Nés escas a dieu a sobrier.
VIII. Per qer escur so qar es clar
Lai on dieus mostral ^ martir
Consëten per nos a suffrir
De qens auenra totz trem-
[blar
5 Al iorn del iutzamen maior
On non aura ren dufaner
Cab gran gaug et ab non
[pauc plor
Et on desebrars dui sem-
[dier.
IX. On chascuns se degra a
[senhar
Et esser soen en sospir
Com dieus se degnec huma-
[nar»
E qe près per los sieus sal-
[uar
5 E can pauc porto tug del
[lor
Seguen tre lo sanglot derier
Car moût mes destreita la-
[bor
Qe no laissol auer parer ^®
Cel qe trop sen sai'^par-
[sonier.
X. E com lo blanc el vert el
[var
Ses te ges far del megs
[seruir
Don noil platz alcus bel '^
[ufrir
Per aquel cui ner a penar
i]c. en : fetor — 8 /. ; uei — ' c. en: catat — * /. : Vas - ^ c.en: caius,
/. : carns — ^ c. en : tesorent — ' /. : terier — ^ l. : mostraral. — • /.:
bumanir — *o Cette ligne doit être omise — " c. tn : fai — i* c. en: bes
LE CHANSONNIER DE BERNARt AMÔHOS
333
5 E totz tenis reuiura dolor
Tôt so qel segles dalegrier
Car auer vas nostre se-
[gnior
Ni qan guers no val vn
[diner.
XI. E cos pot pauc chascus fi-
[zar
En can qe sai laissar transir
Sel eis non se sap deuezir
Tan gent queil pogues pro-
[sechar ^
5 Qe tan breu [jidaj an liplu-
[zor
Vilan 6 clergae e caualler
Qe tan tost toma en amaror
Lo iois daqest segle leu-
[ger.
XII. Mas dieus per sa granda
[douzor
Nos dom qe siam tal obrier
Qens acueilha en la res-
[plendor
Don li sieu saint son eri-
[tier. Amen.
136
PEIRE DALUERGNE
(= B. Gr. 323, 11)
I . Chantarai daqels trobadors
Qe chanton de tropas co-
[lors
El piéger cuia o dir gent
E a trobar es aillors
5 Qentremetre naug cent pas-
[tors
Cus non sap qes pueg ni
[dessent.
II. (p. 128) Daisso mer mal
[peire rotgier
Per so ner encolpatz pri-
[mer
Car chanta damor a prezent
E valriail mais un sautier
5 Dinz la glera ^ ab un can-
[delier
On portes gran candela ar-
[dent.
III. Lautre es G. de borneil
Qe par loira sec a soleil
Ab son chantar maigre do-
[lent
Qe chanto veillas portaseil
5 Ë sis vezia en espeil
Nos prezaria un aiguilent.
IV. El ters bemartz del venta-
[dom
Qes menre de borneil en-
[dom
E son paire al ^ moût bel
[siruent
Per traire ab arc manal
[d'alborn
5 E sa maire calfaual fom
El gars amassaual sirment.
V. El quartz don ugo lemozis
Us ioglars qes plus qeren-
[tis
Non a tal tro ab nauent. ^
E cui aratz ^ fos pelegris
5 Malautes cant chantai mes-
[quis
A pauc pietatz no mê prent.
VI . Guillenz de ribas es lo qinz
* l, : profechar.
Voyez les éditions de M, Appel dans la Zeitschr. f, r. Ptiil, XIV p. 162
ss. et de M» Zenker p, 111 ss, ^ ^ c, en: gleia — • c. en. : ai — * /. : a
benauent — * c. en: cuiaiatz
d34
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
QeV malaatz deforse de-
[dioz
E ditz totz 808 vers raaca-
(ment
E non e ges bos sos latins
5 Caatretansenfariuschins
El oill semblo de vont d*ar-
[gen.
VII. El .VI. es gramoart gaus-
[mar
Qii«8 cauallers e va ioglar
E fai o mal qe o consent
Nil dona vestir vert ni
fvar
5 Qe tal er adobat som par
Qen ioglarit ne seran cent.
VIII. Ab p. de monzo so VII
Pos lo coms de tolosau dec
Chantan un sonet aoinen
E cel fon cortes qel raubec
5 E mal 2 o fes car noil tren-
[qet
Aquel pe que porta pendent
IX. E loites bertranz de saissac
Qe anc un bon mestier nô
[ac
Mas danar menus de qe-
[rent
Et anc ' pueis nol prezei un
[brac
5 Pos den bcrtran de cardail-
[lac
Prez un veill mantel suzo-
[lent.
X. (p. 129) E lai de marseillan
[folqet
Qe cbanta de fotre e * folet
Per una buta ' cui saten
Ga plus ample con dun cabes
5 E fonûl meils pesqes ab
[ret
En mar can nO la moue lo
[vent.
XI. El dezes gosaluo roitz
Qes fai trop de son trobar
[formitz
En cui caualairias feing
& anc bos colps nO fo feritz
5 Per lui tam be no fo gamitz
Si nom lac trobat enfugent.
XII. El onzes es en raimbaut
Qes fai trop de son trobar
[baut
E non es mia auinent
Dôme qe a gran pez caut
5 E sen geraua ni a faut
En negun ni * a jauziment.
XIII. El dotz es us dergatz pei-
[rols
Ab cara maigra secs mur-
[sols'
E can vol cbantar va tos-
[sent
Gaissi nés esclarzitz lo sols
5 Ga totz vos en penria dois
Tan sa * lag son captene-
[ment.
XIV. El tretz es vs veils lumbartz
Gapela sos vezis coartz
E laisal del essemiment
P^o us sonetz fai galliartz
5 Ab motz maribotz et gri-
[martz
Et apelal hom consezent.
XV. En G. faiditz fai chanzos
De si dOz no podetz * pelos
E ditz qe si derel desment
Ni la pot tener en escos
* c. eo : Qes — * Appel : mat — 'A. : cinc — ♦ A. : fol re — • ou'.
bâta, A. : busta — *A : non — ^A.: musois -- 8 c. en: fa — • A, : ipotetz
LE CHANSONNIER DE BERNART AMÔROS ââ5
5 Qe tantas dara dels dos
Gazes a mal pos^ plus non
[prent.
XVI. El XV es p. vidais
Gabaires messongiers e fais
E noi qeiratz gota de sen
Par so a près .c. colps de ^
[pals
5 Que amie noi ac nuils corals
De lai sa foudatz nô dizent.
XVII. Peire daluergne a tal votz
Qe chanta con granoill en
[potz
£ faz lauzar a maintas
[genz
Pero maestres es de totz
Ab on pauc qesclarzis sos
[motz
Capenàs om negun nentent.
137
PEIRE DALVERGNE
(= B. Gp. 323, 16)
I. (p. ISO) Dieus vera vide
[verais
De dreg en dreg clers e lais
E non anz saluant crist
En lati. e sobra baitz
5 E natz. ce pois mortz. vius
[vist
E forses^.don laisses crist^
Aqels qe pois fezetz iauzenz.
II. Segnier ries, eu failli fais
Dont issic danz e granz mais
En cossir & en digz durs
Et enfers fagz enfernals
5 Ab rodils destrains atrus
Et entantz talanz tafurs
Mius ten^ colpables pene-
[denz.
III. De tôt zo qe eu fezi anc
Si nO ai cor ferm franc
De dir si corn agra obs
Prec a vos cui me plane
5 Per cui son * tan fizels iob
Qe non gardes mos tortz
[trops
Mas graciam sia suffrenz.
IV. Qieu no sen si sauizai
Qe puesca conqerer sai
Lo reg on miP set ni fara
Non han ni freg ni esmai
5 Sil vostra vertutz cui clam
No don esfortz qieu desam
Los lois, daqest segle gi-
[qentz.
V. Qem sa ^ faillir vas vos sol
Per quelz corsmetrentremol
E sim seruatz mos fortz
[faigz
Tro lai al derrer trebol
5 Qabanz nols maiatz far
[fraigtz
Segner ges bos nom ner
[plaingz
Si merces noi sobreuentz.
VI. De uos qestorsetz sidrac
Darden la âame mizac
Ensems et ab denago
Et daniel dinz del lac
5 E jonas del peisso
Els très reis contra hero
E susannentrels fais garenz.
VIL E paguest segnors sobranz
M. : pas — • il. : le V. Véd. de U, Zenker p. 131 ss, — 3 /. : sopses —
♦ /. : trist — U. : ren — 6/.: fon — '/. : nul — » L: fa
^36
LE CHANSONNIER DE BBRNART AMOROS
Taotz de dos peÎB e ônq
[panz
El lazer snseitest nos
Qera ia qatre daanz
5 De vos ac pel bel respos
Son ser san centmions
E girest* del mond mainti
[tonnentz.
VIII. E fezest de laiga vin
Al cooit architielin
E daatres mirados* moitz
Donc hom carnals non sap
[sin^
5 Ni no mentre mer estoitz
E parlet per vos lo yoltz
De lucha treis^ reis resplâ-
[dentz.
IX. (p. ni) E fezest la terrel
[tron
E tôt quant es ni anc fon
DuD sol legnel ^ sus es ^ cel
E confim dest^ pharahon
5 E dest als filz disrael
Lag esbrech e manne mel
Et dampnest ^er serpent
[&*serpenz.
X. Qils vostres fos reqoies
Qan vos plac qe moyses
Esaazetz lai el dezert
Eil solsetzlas mans e les pes
5. Qan vs angels lac espert
Faintz * peire e len fetz cert
Dels vostres destrics des-
[tra.«
XL Quius qesiron la lor plebs
Tro lai on es mons orebs
Ancien dintz betheleem
Qan nos es fngi iosephz
5. En egypte zo crezem
E pneis en ierusalem
Vengnest entre vostre pa-
[rentz.
XII. Â nazaret reis ihesas
Pairen très personas vs
E silz " e sainz espmtz
Adoren trinitat. sus
5. Qe sain era vs vs '^ aditz
E dieus e de qant qes guitz
Nom siatz sius platz defoD-
[denz.
XIII. Que zai obrar e bon talan
Mi detz clar entre tan
Qe quan venretz en las nius
Jntgar lo seglel iorn gran
5. Douz dieus nom siatz esqius
E qieu elars reis regum plus
Menan ab los iauzenz.
XIV. E signier nom oblides ges
Qe ses vos no sui sostenenz
E segnemen vostre nom cre-
[zen
In nie. p. et f. et S. S. Amen.
ARGUMBNTO DE GAUCELMS PAIDITZ*
Gaucelms*' faiditzsî fo dun bore
qe a nom nserca qe es el uescat *^
de lemozi e fo fils dun borges e
chantaua peigz ^^ dôme del mont
e fes molt bos sos e bos motz '* e
* 1.: gitest ^ ^ c. eni miratlus, Z.miraclas — ' /. : s. la fin — *c. en:
ries — • Z. : segnel — « 2. : el — ' ^ : confundest — « c. en : I — • c.
en : Saintz — «û /. : destreignenz — " c. e?t : filz — «* c. en: e.
* (p. 131) : Questo argumento de gaucelms faiditz e scrito a Tultimo
folio de questo libro (c. -à-dire à la page 166 »). J/ est répété dans la der-
nière partie du ms. au f. 31 v^. Ce second texte offre les variantes qui
«utven/.'i^Gaucelins — «*ueschat — *• peigtz — *6 ûiotz
m C0ANSONNIER DE
fes 86 ioglar p^r ocaizo ^ qel per-
det a ioer tôt son aueraiocde datz.
hom fo que ac molt grâ largesa ^
e fo molt glotz de maniar e de
beare. per so uenc el gros oitra '
mezura.moltfolongasaizo desas-
trucs de doz e donor apendre que
plus de XX anz aaet a pe per lo
mon quel ni sas * chanzos no erâ
grazidas^niuolgudase si tolcmu-
lier unasoudadeira.qel menet lonc
temps ab se per cortz. & auia nom
Guielma mOija. ® fort fo bella e
be ensegnada. ' e si uenc si grossa
con era el. & ela si fo dun rie * qe
a nô (p. 166>) alest de la marcha
de proenza de la segnoria den
bernart* danduza. e missers lo
marqes bonifacis de monferrat
mes lo en auer & en ronba & en
tan gran pretz lui e sas chanzos.
138
GAUCELMS FAIDITZ
(= B. Gr. 167, 32)
I. {p. 1S2) Lo gens cors onratz
Complitz de granz beautatz
De leis qe plus maienza
E qe mais mi platz
5 Ont es plazens solatz
E franc humilitatz
E do usa beneuolensa
E gais prez prezatz
Me fai chantar souen
10 Ses so qill nom consent
Qen ian sia iauzire
BERNART AMOROS
837
Dauer ioi plazent
Ni de lei non atent
Mas lenvei el dezire
15 Qeu ai de son cor gent
Ses autre iauziment.
II. Eperaitallim ieni}^
A far son mandament
E sil plaz pot maucire
Qeu nô lun " defent
5 Pero be mes paruent
Qe fos plus auinent
Car li soi francz suffrire
E lam ônament
Se fos sa voluntatz
10 Qeil plages mamistatz
Si cab douza paruensa
Mi fos lois donatz
Anz qe fos car compratz
Enaissi ses faillensa
15 Forai dos el gratz
E cent dobles doblatz.
III. Ë pueissas auziratz
Gais son enamoratz
De fina beneuolensa
Seu en fotz ben pagatz
5 Mas pels vilans baratz
Dels falz pregadors fatz
An mes en mescresêza
E mal encolpatz
Gels camant finament
10 Per qeu prec douzament
Mi donz cui soi seruire
Damar leialment
Cautrui galiament
En dampnatge nom vire
15 Q ) adreit virament "
Er tortz si mal men prent.
I Y. Ë dautre failliment
* ochaizo — ' largheza — • outra — * fas — ' grazs(
ma morja — ' e fort enseignada — 8 rie bore — • bernât.
*® l : rent — ** /. : lim — * • Z. : iujament
a Guilel.
Clw)
336
LE GHâN&ONNIEH OE BERNàHT âMOROS
Regniar * vilanament
Domnas per qem naire
E las en reprent
5 Qe Sun a drut valent
Âdreit ni conoissent
Don puesc hom gran ben
[dire
Greu er longament
Car tengutz ni amatz
10 Mas uns mal enseignatz
Ab gran desconoisensa
Ër segnier clamatz
Qen sai de ries maluatz
Senes tota temensa
15 En aut luec poiatz
Et en cambras priuatz
V. (p. 133) Tant mes prez bais-
[satz
Qen fora plus iratz
Mais per lai nai temensa
Em tenc a frenatz
5 A cui non platz foudaz
Ni faitz demesuratz
Ni maluaitz entendensa
Ni auols perchatz
Tant es valent qem nespau-
[ent
10 E nai menz dardiment
Per leis cant ben cossire
Son afortiment
Si merces noi descent
Pro ai de qe sospire
15 Qen als non entent
Ni ailo cor nil sen.
VI . Perqe a escient
Coubre mon marriment
E sai de mon dan rire
Amorosament
5 E sages cor iauzêt
Saubral celadament
Jauzir e escOdire
Qen luec per vn cent
Valgues mentir assaz
10 Mais qe fo la vertatz
E mais genta soffrensa
Qe ergoils es laissatz
Qeu nai vist so sapchas
Venir maint escazensa
15 De ries dons onratz
Per gent sofrir em patz.
Vil. Donab finas beutatz
Pros e de gran valensa
Na maria gratz
Vos es aitals donatz
5 Qe segO ma crezensa
Vos vei acordaiz
Totz los pros els maluatz
139
GAUCELINS FAIDITZ
(= B. Gr. 167, 51)
I. Rason e mandament
Ai de leis on mentent
De far gala chanson
Donc pois qil men somon
5 Ben couen derenant
Qeu malegren chantant
Meils qe far non solia
Qeras conosc e sai
Pos mos enanz li plai
10 Qen francha segnioria
Ai mes mon cor e me
Pero tan g es [coue]
Pois cuns segnier fai be
[ ]
15 Qel se meillur e cresca sa
[valor.
^ c, en: Tegniar
LE CHANSONNIER DE BERNART AMOROS
339
II. Qui don de segnior pren
Non 68 ges auinen
Qeil fassa mesprison
Vas lui ses uchaison
5 Ni non es benistan
Se pois li qer son dan
Ni se qe non deuria
Epos domna tant fai
Qa son amie atrai
10 E lus en laltres âa
Non sai. c. don pos lar ve
Qe plus laltre malme
Mas tant sai eu e cre
Qe cel a mais damor
15 Qi mielz ama e rete mais
[donor.
III. (p. 134) En aisso fan no sen
Li drut mon essien
. E quin iutga razo
E samica senes pro
5 Cades on mais auran
Damor meils preiaran
Sai e lai chascun dia
E per aqest essai
Baissamors e dechai
10 E leials drudaria
Car per vn qes capte
Vas amor ni vas se
Leialment ni rete
Daqetz aibs lo meillor
15 En vezem mains qe nan la
[sordeior.
IV. Drutz cama foUament
Deu per dreit iuQament
Auer fais guiardon
Mas a uos me razon
5 Bona dôpna daitan
Qe mi non a engan
Contra vos ni bausia
E sim donauaz lai
Segon lo cors qeus ai
10 Ja ren plus nô qwerria
Qe daitan bona fe
Con a ne hom amet re
Vos am e nom recre
Per mal ni per dolor
15 Tan vos ai cor de leial ama-
[dor.
V. Domna lo cor el sen
Els oils el pessament
Ai en vostra preizon
E non trob garizon
5 Mas solamen daitan
Can vos estau deran *
Adonc me par qeu si a
Lomel mont oui meils vai
E qât mi part de lai
10 Ven mi ira et feunia
Qem lassai corem te
Mas pois qant mi soue
De vos cui iois mainte
Oblitlira maior
15 E torn mon cor en ici et en
[douzor.
VI. Bel dezir molt mi plai
Del vostre gent cor gai
Car poia chascun dia
En honor e em be
5 Qe chascus hom qeu ve
Vos enansaeus mante
Qe de gaug e damor
Son vostreil dig eil fag son
[de lauzor.
140
GAUCELINS PAIDITZ
(= B. Gr. 167, 45)
I. Per ioi del temps qes fluritz
Salegra e sesbaudeia
* cen: denan*
S40
LE CHANSONNIER DE BERNâRT AMOROS
Lo rossigniols e dOneîa
Ab sa par per plaissatz *
5 Don soi tritz
Qe chantz e vontas e critz
Aug e no sai cô misteia
Qe denueia
Mes ab pauc lo cors partitz.
IL Si tôt ses reuerditz '
Lo mons res cauja ni veia^
Non cre calegrar mî deia
Tant soi pensius e marritz
5 & esbahitz
Qe iois nom vos * esser guitz
Ves celui a cui sopleia
K sautreia
Mos chanz qi no es aizitz.
in. (/}. 135) Bona dompna al
prim qem vitz
Vos fiz certan homenatge
Donc retengues mon cor
[gatge
Ab un esgart qem fezis
5 Lom saizis
Si câc pois nous fo qezitz
Ni en lautrui segnioratge
Mon viatge
Non chamjei tant mabeillitz.
IV. Vostrom iuratz e pleuitz
Soi en faitz e en paruensa
Et en vos ai mentendensa
E per vos soi enrichitz
5[ ]
E nés mos chantars grazitz
Mar car no mou de pro-
[ensa
Ai tememsa
Qen sia ves vos faillitz.
V. Per lei seruir fui norritz
Si qa totz iorns per vsatge
Lai tien los oils el coratge
Caillors n5 fui escharitz
5 Ni cobîtz
Si qel ser mos esperitz
Lai vai en luec de messatge
Son estatge
Vezer can soi endormitz.
VI, Bona uentura e deleitz ^
Fora si magues tenensa
Lira e la mal volensa
Qai agut don soi issitz
5 Fos trop ditz
No fauc qel tortz esfenitz
Et ai fait la penedensa
Senz failljensa
E soi del pechat garritz.
VII. Ignaura pos no vos vitz
Ai estât en gran temensa
Mas er magensa
Per nagout de soi aizitz.
141
QAUCELMS FAIDITZ
(= B. Gr. 167, 40)
I . Moût menuiet ognan lo coin-
[detz mes
Dont lescurs temps sadousa
[e sesclarzis
El rossignols qe sol esser
[côrtes
Mes tan vilans ca pauc no
[maucis
5 Qen aug sos chans e vei qel
[monz verdeia
E tôt qant es poignia en ioi
[auer
E mos fiz cors fen amor e
[feuneia
Car no son lai o nai mon
[bon esper
« /. ; plaissaditz— «/. : reuerdezitz — 8 c. ew : vea— * /.: ro\ — * l : deUtz.
LE CHANSONNIER DE BERNARD AMOROS 341
Car senes leis nom pot nuls
[iois plazer.
II. Pero de sai soplei lai on il
[es
De genoillos. mas iointas e
[aclis
E soi aissi del fuec damor
[empres
Gam mi soue la loi ab q3
[conquis
5 Qe ben sapchatz {p. ISO) qe
[la on qeu estra ^
No vir aillors ni als nO puesc
[voler
Ni ia nô crei qS autra dona
[veia
Qem destregna iorn ni matin.
[ni ser
Tan qe de leis puesca mon
[cor mouer.
III. E si no fos mosegnel coms
[iaufres
Qô rete sai en sO certes
[pais
Ja per honor ni per ben. qê
[vengues
No estera qeu ades non lavis
5 Qen autra part mes iînz cors
[non melria*
El coms sa ben. com nô pot
[re saber
De finamorqi amadorguer-
[reia
Ni drutz nô deu ad amie
[dan tener
Per qeu nô penz qel mauzes
[retener.
IV. Ja nom agrobs tan de beu-
[tat agues
Qe can esgart los oils ab lo
[cler vis
El bel semblan don ma si
[entrepres
Qe ren non faz mas sospir e
[languis
5 Tremble trassail e mor de
[plan eueia
Car nO soi la seruir. al sieu
[iazer
On son gai cors iai ab ioi e
[com pueia '
Qe de talan qe non laus far
[parer
Mi lais mil vetz plasmatz
[chaer.
V. Souen recort las granz ho-
[nors els bes
El bel plazer. quen sospiran
[me dis
El douz conjat que rete mO
[cor près
Adoncs magrobs c\ue\x de-
[uant lei moris
5 Catressi muer per gran amer
[qe greia
No sui dôc mortz cane lei nô
[puesc vezer
Si siu^ camors polg ves mi e
[desreia
Si qe ses lei nô pot vida
[valer
Ni res mas lei nô a e mi
[poder.
* c. en: estia — ' c. en : merceia — ^ /. ; e dompneia — * /- : sui.
[à suivre).
E. Stengbl.
rv
DOCUMENTS SUR LES RELATIONS
L'EMPEREUR MAXIMILIEN ET DE LUDOVIC SFORZA
BN L^ANN^B 1499
C'est dans ses relations avec l'empereur Maximilien qu'il
faut chercher la clef de la politique de Ludovic Sforza, en 1499.
On sait quelle importance avaient eue pour ce prince ses
tentatives de rapprochement étroit avec l'Empire, en 1498,
et ses démarches pour faire admettre par les princes d'Allema-
gne sa conception (quelque peu due à la nécessité) que le duché
de Milan était un duché impérial^ au même titre que ceux de
Saxe ou de Bavière. On sait comment, finalement, avait échoué
cette politique d'alliance, malgré la sagesse et Tadresse diplo-
matiques d'Herasmo Brasca. Ces tentatives furent reprises en
1499, par Maximilien, après que Ludovic Sforza eût semblé
dispo-^é à se rapprocher de la France ; elles furent conduites
avec habileté par plusieurs ambassadeurs : Agostino Somenza,
Marchesino Stanga, Galeaz Visconti ; elles parurent aboutir
en mai-juin 1499 à Tinclusion de Ludovic Sforza parmi les
princes confédérés. Mais les actes ne répondirent pas aux
promesses, et Maximilien tarda trop, lors de l'invasion fran-
çaise, à envoyer à son malheureux parent et allié les secours
nécessaires, si longuement sollicités et achetés si cher. Les
documents ici réunis, choisis parmi un très grand nombre de
pièces inédites, éclairent quelques points de cet épisode d'his-
toire diplomatique, que je me propose de raconter quelque
jour ^
1 L'histoire en a été esquissée par le savant historien milanais
M. Ëmilio Motta, dans son étude sur « La Battaglia di Galven e Mais
MAXIMIUEN ET LUDOVIC SFORZA 343
L'impératrice Bianca Maria à LndoTic Sforza ^
(Pribourg-en-Brisgau, 16 février 1499)
Ill.me princeps, patrue et pater carissime, Crediamo che la Sig'** V'*
prima de la receputa de questa, bavera înteso li temerariî movimenti
de Saizeri contra questo paese del Ser™*' Re. Continuando quelli
ne la guerra comenzata con tutte le lor forze, non senza periculo del
paese nostro, parene conveniente che per esser la Sig.V. colligata al
Ser™^ Sig.Reetanuiyinstrectissîmo grado de conjunctîone e benivo-
lentia, debia esser advertita del successo, adciocbe in tal caso possi
sapere corne governarsi a beneficio et bonore, si del prefato Ser°** Re e
noBtro si de la Sig.V., el bene de laquale ha pur dependentia in parte
da SuaMaestà. Cossi advisamola Sig.V. che, havuta la nova de la pace
fatta per li nostri con quelli de la Liga Grisa, mandate avanti le robe
de la corte nostra, eramo per partirse el lunedi de Camevale, per
inriarci al Sermo Sig. Re. E la domenica de sera avanti, vene nova de
la scaramuza facta apresso Rienfeld per le nostre zente con Suiceri, ne
laquale furno morti de Suizeri circa 400 e de li nostri ne mancborno
Otto :perilche fà. necessario restare, per non lassareel paese abandonato
in questa absentia del ser^^ Sig. Re.
Doppo successivamente sono venuti li advisi : prima, che otto millia
Saizeri erano venuti verso Valckirch, e daseveno grande danno al
paese ; secundariamente, ebe tutte le bandere d'essi erano levate ad
uno trato con grande perforzo, e divise in tre parte, Tuna de lequale
se drizava verso Valckirch, Taltra verso Constantia, e la terza verso el
Rheno e terre nostre di Alsatia poste sopra el fiume, cioè Rienfeld,
Seckingen e Walshut, quale sono di grande importantia.
[Il y a ici plusieurs lignes en parties détruites par l'humidité. Tl faut
comprendre, avant la suite du texte, Le roi a ordonné que :]
andassemo a Breysach, dove, convocati tutti li principali del paese,
dettemo ordine de quello se bavera a fare in defensione desso. Ne di
secondo le relazioni degli ambasciatori Milanesi. Pel quarto centenario
délia detta battaglia » (en collaboration avec E. Tagliabue). Roveredo
(Cantone Grigione) G. Bravo, 1899, in-8°, 180 pp.). — Mais l'auteur,
comme le fait pressentir son titre, s'est occupé surtout de la question
militaire, et surtout au point de vue Suisse.
• Milan , Archivio di Stato, Carteggio générale. Original. Fragments.
344 MAXIMILIEN ET LUDOVIC SFORZA
contiouo cessamo a far tutte le altre bone provisione se pono fare.
Avanti se levassemo de la, per tutto fu sonato a le arme, e li paesani,
con tanto bono animo se leveno per andar verso questi Suizeri, soi
naturali inimici, quanto se poria dire.
Questi successi havemo voluto sieno manifesti a la Sig.V., quai
pregiamo che, examinandoli con la solita sua sapientia, se voglia de-
monstrar verso el p^ aev'^^ sig. Re quella gli è sempre stata, con usar
in questo caso verso de S. M. ta quelli termini che sieno per accrescere
Taffetto ed amore de quella ne la Sig.V., che siamo certe, per exhi-
birli in tempo necessario, serano acceptissimi a S. Maes. ta. La Sig.V.
po considerare cbe havendo el p^® ser°^o sig. nostro consorte maie, an-
chora essa non séria senza periculo. Ë pero de novo la exhortiamo a
far quello che la prudentia gli dictara esser perlo meglio de S. Maestà
e del stato de la Sig. V.
Pier Bonomi du Trieste, conseiller de MaaLimllieo«
à Ludovic Sforza ^
(Anvers, 26 février 1499)«
[Il y a deux dépêches de Pierre Bonomi, dit Pierre de Trieste, à Ludovic
Sforza, sous la date du 26 février. Dans l'une, il signale une conversation
qu'il a eue sur les affaires de Milan avec Maximilien et son collègue
Mathieu Lang, et annonce le prochain retour d'Agostino Somenza à
Milan. Il dit encore : ]
La natura de la Cesarea Maestà è taie che, con rationabile per-
suasione, sempre si po mutare in meglio ; ne dubitamo esser gia
mutata e perseverare, pur che conosca con effecti che li se habi gratitu-
dine, e che V. E. ben se fidi di haver in lei vero refugio e ferme prê-
tée tore, senza ricercar d'altro canto sua salute.
lo mi persuade che li 25 milia ducati saranno pagati, si corne mi
promesse V. Ex., maxime havendoli io per altre mie dechiarito quanto
erano necessari a ridrizar tutto a bene, e cossi ho confortato la Ces.
1 Milan, Ad. S., Potenze Estere, Germania. Originaux. Fragments.
Suscription : c lU""» principi D"o Duci Mediolani. »
2 Ludovic Sforza avait été averti, dès le début de février, de l'envoi de
T*ier Bonomi c in Holanda », par le frère de celui-ci ; le trésorier Bon-
temps avait été envoyé en même temps à Anvers c per una certa prati-
cha ». Ces pratiques de Bontemps paraissaient au frère de Bonomi être
< molto fantastiche » (Lettre de ce personnage, Maestricht, 3 février
1499. Mito, A. D. S. Pot. Est, Germania, 1499.)
MAXlMïLIEN ET LUDOVIC SFORZA 345
Maestàmandi feilouno de li.Ë sta data la commUsione ad unofactore
de Messer Baldassare Bolf che lui li riceva, non havendo possuto al
présente venire M. Juane Bontemps.
M. Matheo Lang, et cossi el conte de Farstembergo, el quai habiamo
riduto ad optima inclinatione di V. Ex., hano facta tal diligentia in
tute le cosse di quella, che meritano digna mercede, e perche li ho
promesso che non saranno obliti da Y. E., quella se degnera in parte
riconosserli secando che di tuto ho parlato con Augastino.
[Dans l'autre dépêche, P. de Trieste accuse réception au duc de ses
lettres, récemment reçues par Mathieu Lang et par lui-même. Il renou-
velle l'assurance que tous ses secrets et ses moindres pensées lui sont
communs avec Mathieu Lang. Il continue ainsi : ]
De la risposta facta per V. Ex. a li Borgognoni, la Cesarea Maestà
non ha pigliata molestia alcuna, ma ben desidera, si corne hogihascripto
per altre mie, che li XXVmilia ducati âe satisfezano^etacionon para che
vadano a Borgognoni, ha dato ordine che uno factore di M. Baldassare
Bolf, &U0 thesoriero de li, li habia a ricevere, si corne etiam Augustino
Somenzio (8tc) referira, e per bene e commodo di Y. Ex.^miparneces-
sario che, quanto più presto sia possibile, siano exborsati.
Circa el mandare de sue nuncio, over oratore, a li electori del imperio
a la dieta,iterum ho consultata la Ces. Mtà, laquai persiste ne la sua
prima opinione, si corne io ho già scripto, e per M. Herasmo per inante
ha significato a Y. Ex. Perô non mi pare gia necessario gli si debia
mandare oratore, per non contravenire a S. M., ma, seconde el veder
mio, non saria fuora di proposito Y. E. mandasse de li Augustino, el
quale saria idoneo a fare apresso dicti electori sua excusatione,
seconde el conseglio de la Ces. Mtà, laquai noie pigliare tal carico
sopra di se ; e cossi epsa Y. Ex. si absolveria di tal peso, et dimons-
traria non esser contumace de la promessa, laquai fece, di mandarli
uno. Potria ancora esso Augustino, el quale per sua dexterita assai è
piaciuto a la Ces. Mtà, al tempo di epsa dieta attendere ad altre cosse
di Y. E., se fin quel tempo non fusse richiesto altro oratore da quella:
in modo che la spesa sua non saria inutile.
De lenove de Italia, la Ces. Mtà ha recevuto summo apiacere, maxime
intendendo che le cosse di Y E. e Fiorentini prosperano ; e del summo
pontiôce resta in bono animo di exeguire el proposito de li Reali de
Hispania e Re de Portugal, ma tuto si expedira ne la dieta a Colonia,
acio si faza con mazor auctoritaeconsentimento de'principi del imperio,
i quali non sono a cio manco inclinati che S. M.
Le cosse di Geldre vanno ogni zorno meglio, et heri sera a la cola-
tione del Re, venero lettere che erano tali « che per le gente Régie furno
tagliati a peziepresi mille cinquecento Geldresi, quelli erano usiti da
346 MAXIMILIEN ET LUDOVIC SFORZÂ
la terra di Neumega, et in Homain li govematori, quali volevano, per
eomandamento del duca di Geldre, far uscire gente de la terra, erano
stati gitati ne le fosse, e chiuse le porte ; dondesihaveaoptima speranza
che si ridussesseno a la Cesarea Maestà. :»
Questi stati del paese insieme con lo archiduca sono qui congregati,
sono promptissimi a fare tutto quello li comanda la Cesarea Mtà, e
cossi lo archidaca, el quai con tutto el conseglio suo si dimostra
obedientissîmO) si ne le cosse di Franza corne ne le altre, sicome a
bocca narrara Augustino, el quale ha di tuto noticia.
Ex Antverpia, die 26 februarii 1499.
Petrus db Tbroesto, Regius Consiliarius.
Bnea Grlvelli à Ludovic Sforaa ^
(Lugano, 24 mars 1499)
Illustrissimo et excellentissimo signer mio.
In questo puncto m'è venuto a trovare qua Bernardino More-
xino, e me ha dicto chomo è gionto in Cias uno Jorio Chotits da Svit
merchadante,e pare siaanchoraprocuratore, quale dissi chomo l'ambas-
ciatore francese è andato da la Mtà dil Re per ritornarecon certa ris-
posta, e che ogi a Suit se fa il consiglio générale, quale fara di sorte
che nulla per ora se concludera, ma che ogniuno reportara a caxa, e
che la Mta dil Re obtigfnara questo suo intente ; e che in questo,
quando la Hlx. V. voglia dare mente aile sue parole, operara che in
el tempo de l'absentia de questo francexe, seli desfara ogni designo.
E pare labia dicto a Dno Bernardino chel verra a Milano da quella,
bisognando, e chel fara intendere cessa che li sara grata.
E pare dicha che questo ambassatore francexe vadacon chautella
in rechedere colligatione con Svizeri, con dire vol solamente al biso-
gno, quando achadesse che altri volesseno movere guerra a la Franza,
e che questo il fa sollo per condurli fuora, perche quando li ha fuora
se conduxeno poi in ogni loco. Me parso scriver queste poche
parole, e la E. V. deliberato avra quanto li piace dil venire di questo
Jorio, quale è in Cias, da quella. Allaquale de continuo me racomando,
Ex Lugano, 24 martis 1499.
Ill.me ac Ex.me Dominationis servitor,
Eneas Cribbllus.
1 Milan, A. d. S., Pot, Est.^ Svizzera, Original. Suscription : J&x"'* prin-
dpi Domino nostro obseï^'* Domino Duci MecUolani,
MÂXIMILIEN ET LUDOVIC SFORZÂ 34 7
liUmpératrice Bianca-Maria à Ludovic Sforaa *
(Brisach, 24 mars 1499)
111. me princeps, patrue et pater carissime, Heri recevessemo più
lettere de la Signoria vestra, de* 4 del présente, in resposta de le
nostre ad essa per nui scritte questi proximi zorni, si in dimonstrarli
li progressi de questa guerra e recercarli subsidio in essa, como in farli
intenderela dispositione del ser.mo Re, nostro obser"^ consorte, verso
de quella ; circa laqaal cosa, benche habiamo largamente quelle è
allegato per Tuna parte e Taltra, nientedimancho, perche a nui non
apartiene far judicio tra la Maestà sua e la Sig. V. circa cio, diremo
questo solamente che, essendosi govemata la Sig. V. nel modo che ne
scrive, Ihavemo sentito volontera, e se quella ha fatto sapientemente,
da lei medesima lo potra judicare che,mediante tali deportamenti,hora
se vede restituta ne la pristina gratia, amor e benivolentia, de Sua M.tà ;
del che se persuadiamo che ogni zorno la Signoria V. ne bavera a restar
piu contenta di haver fatto quelle che ha fatto. E nui, per questa rein-
tegratione de amor e gratia, se vediamo in quella mazor alegreza
che saperiemo esprimere : existimando el bene de la Sig. V. nostro
proprio. Cossi, perche quella habia a remaner stabile e ferma, non li
siamo per manchar de ogni nostro studio. Ë quantunche siamo advi-
sati che le cose de la Sig. V. sieno in bono termine, como de sopra
è ditto, e meglio quella havera noticia da M. Petro, quai è in via per
venir li, nondimeno a magior confirmatione de quelle è fatto, havemo
voluto che S. M. ta sia da nui advertita de la bona dispositione, affecte,
e volunta de V. S. verso de quella, anchora che da altri in nome de la
Sig. V. ne fusse informata Cossi ad S. M. ta havemo scritto el tutto con
farli le promeâse recercate per la Sig. V., agiongendoli apresso quelle
n*è parso per officie nostro da esser agionto a bénéficie et honore de
V. Signoria. Laquai debe haver questo per ferme, che dove sentiremo
se agiti del honore e commode sue, sempre seremo prompte per far
quelle convene al grade de la conjunctione, et a li obligi havemo con
V. Signoria ; le lettere nostre havemo drizate|al Lang, con recommandar-
gele ; e cossi al ser.mo signer nostro consorte in specialità havemo
scritto che se degni tener occulte el prestito de li dinari fatto a quelli
de Inspruch per bene de la Sig. Y.
Li luizeri a questhora de questo canto stano quieti. De verso
Inspruck como fazemo non havemo veruna noticia. El prefato ser"!^»
* Milan, A. d. S., Carteggio Genet*ale, Original.
;{4 8 MAXIMILIEN ET LUDOVIC &FORZA
nostro consorte ne ha scritto che Taspettiamo a Friborgo, eM. Petro
da Magonza ne scrive che a qaest* hora doveva esser in camino ,
perilche havemo bona speranza di presto esser con sua M. ta. ^ Ex
Prysach, 24 martu 1499.
Per nove venute in quest* hora, se iatende che Saizeri se sono
mossi et intrati ne la Silvanegra, e li comenzeno a far del maie.
Ge. Gadius.
L^Empereur Mazimilien et Ludovic Sforsa *
(Cologne, 29 mars 1499)
Illustris princeps consanguinee noster charissime, Cum nuper intel-
lexerimas ligam inter RegemFrancie et Venetos firmatam esse, non
dabitamus quin dilectio tua cum non mediocri admiratione fnerit,
cum maxime aperte cognoscere satis posset ipsos Venetos ea de
causa in Italia favores habituros esse : visum igitur et nobis fuit ad
te bas présentes litteras nostras scribere, illisque tibi significare nos,
ob observantiam qua dilectio tua nos summa fide et benivolentia
semper in Italia et alias prosecuta est, confidentesque et imposte-
rum nobis majorem observantiam prestituram, cumque precipue
membrum Sacri Romani Imperii sit, et jure salutem suam, sicuti res
nostras proprias, tutari et deffendere ad nos spectat ; dilectionem tuam
tenore presentium certam esse volumus nos tantum effecturos ut
spes quam in nos semper habuisti te minime decipiet, et si cam
aliquo nobis pacem sive treguas facere occurrerit, decrevimus te
una nobiscum in socîetate habere, et si opus fuerit deffensionem
tuam in aliquem suscipere ; statuimus omnino ipsam protectionem
tuam taliter suscipere contra quemcumque, qui contra statum et hono-
rem tuum novi aliquid temptare decreverit, ut intelliges nos neque
laboribus neque facultatibus nostris in his quse honorem et dignita-
tem tuam concernunt parcere, sed ostendere dilectionem tuam cor-
dialiter diligere, et cum effectu demonstrare quod,id omne quod
contra eam agetur, id totum contra nos et sacrum Imperium actum
esse. Datum Colonie, die 29 Martii 1499.Begni nostri Romani quarto
decimo.
* Modène, Archivio di Stato^ Cancelleria ducale, Carteggio diph-
matico estera. Copie. « Exemplam. Maximilianus, diuina favente demen-
tia Romanorum Rex semper augustus . etc. , ad ID«n" Dominom
Ducem Mediolani, etc. »
MAIIMILIEN ET LUDOVIC SF0H2À 34 ^
6
L^emperenr Mazimiilea à Pierre Bonomi
secrétaire impérie.1 à Milan ^
(Fribourg, 20 avril 1499)
Vidimus et inteleximus que ill. affinis et consanguineus noster
Dominus Dux Mediolani de pace tractanda cum Francorum rege
et Helvetiis suaxit; abi etiam operaiu suam impartiri policetur. Ages
illi nostro nomine gratias, qui ofâcium boai principis et amici facit.
Cupivimus nos semper pacem, neque unquam, nisi lacessiti, quem-
quam molestavimus, cum nostro desiderii [sic) semper fuerit, non
contra fidem nostram sed pro fide pugnare. Sciunt omnes quam inique
nos Helvetii lacessiverint, et cum Francorum rege nullum bellum
habemus nisi causa sua, quia ipse quae nostra et illustris filii nostii
sont contra equitatem occupât. Aquiesceremus libenter domini Ducis
monitis, ubi cum honore nostro id fieri posset. Et si for tasse no rit
ipse médium aliquod^ quod et nobis et sibi commodum ac honorifi-
cum sit, quicquid aget ipse bono animo accipiemus. Nos tamen
injuste ab Helvetiis lacessiti, ita expedictionem hancDeiMaximi aus-
picio et sacri imperii viribus consequemur ut speremus vel honesta
pace, vel acerrimo bello de temerariis hostibus laudem consequi et
victoriam. Datum Friburgii, die xx aprilis 1499.
L'impératrice Bianca Maria à Ludovic Sforza *
(Fribourg, 22 avril 1499)
Doppoi la gionta del Bev^° Re nostro consorto non se scordassemo
la Sig'** V., ma subito che heberao la commodita di parlarli reposata-
mente,gli facessemo veder el summario mandato incluse ne le lettere
de quella de 3 del présente, continente lo adviso de la lega del Re
de Franza con Suiceii con altri advisi, e pregassemo molto calda-
mente S. M. de tntto quelle sapevemo desiderava la Sig. V., con re-
plicarli moite altre parole, quale avanti gli bavevemo scrittoa bénéficie
' Modène. Ibid. Copie : Exemplum literarum Sereniasimi Domini
Komanorum Régis ad Magnificum Dominum Petrum Trigestum , Maies-
tatis sue oratorem, Mediolani agentem, etc.
2 MUan. A. D. S. Carteggio générale. Original, fragment.
350 MâXIMILIËN et LUDOVIC SF0H2À
di quella. Trovassemo S. M. tanto ben disposta verso la Sig. V.
quanto vedessemo mai. Fra le altre cose, ne rispose che era per
haver la Sig. V. ad una medesima fortuna con S. M., ne séria per far
accordio over tregua, ne laquale non volesse fasse ben compresa V.
Sig. ria et havuto particolar rispetto de quella.
8
Franoesco de 11 Monti, ambassadeur aapolitain
en Allemagne, et LudoTic Sforsa '
(Pribourg, 24 avril 1499)
111. me princeps et ex. me Domine, data comendatione plurima et
deditissima.
In lo présente di, ho receputo ana lettera de Y. Ex.tia de viii de lo
passato, e tardata per lo messo [per] haverla retornata da Colonia ad
hora tarda. Ho exposto a la Maestà Cesarea la Ex.tia V. offerirli le
facultate, el stato e lapersona, exhortandola ad declarare quello fosse
sua volunta sehavesse da fare circa la liga, ec. . Nehebe sua M.tà molto
piacere, et respose al présente se ritrova in questi tumulti de Suizari
non possere fare pensieri in altro ne deliberatione, e restare molto
satisfacia V. Ill.ma Sig.ria li habia scripto havere serrate le victualie ad
Suizari, e che mandava Augustino Somenza bene expedito. Non ho
voluto pretermectere dare questo brève aviso ad V. Ill.ma Sig.ria, et in
lo advenire non mancaro fare ogni cosa possibile li sii grata et ad
suo servicio e stato.
La M.tà Cesarea, finiti li soprascripti rasonamenti, ô partita per pro<
vedere de reprimere li successi de Suizari, incerto de quello havera da
seguire, e me ha affermato me avisera de continente de la delibera-
tionefara. Certo se trova sua M.tà Cesarea in affani, et li animi de populi
vicini ad Suizari molto aviliti per alcune victorie prospère consequte
da Suizari. Spera pero sua M.tà Cesarea con invicto animo exuperare
tucte le difficultate. Et in lo licenciare fi (sic) da sua M.tà, me ordeno
scrivesse ad Y. Ex.tia in tali bisogni non li mancasse, che sua Victo-
ria tucta redundariain stato e dignita de Y. Ill.ma Sig.ria. Certo ogni
demonstratione quella fara verso la M.tà Cesarea la obligara molto.
1 Milan, A. D. S., Potenze Estere, Germania, Original. Suscription : Illmo
principi et ex.mo domino D. Ludovico Maria Sf. Anglo Sacri Romani
Imperii principi, duci Mediolani et suo domino [e ben] efactori collen-
dissimo.
MAXIMILIËN ET LUDOVIC SF0ÏV2À 351
À la Ëx.tia V.ra quanto posso e de continao me aricomando. Ex
Freiburga die zxiiij aprilis 1499. De Y. 111. ma Signoria deditissimus
servitor Franciscus de li Munti.
9
L'empereur Maxlmilien & Ludovic Sforza ^
(UeberUngen 28 avril 1499)
Maximilianus div., etc. illustris., etc.
Accepimus hiis diebus plures litteras tuas, que nobis grate fue-
runt. Super quas responsum honorabili devoto nobis dilecto Petro
Bonomo, oratori nostro apud te degenti, scripsimus : ab illo igitur
dilectio tua mentem nos tram super ea omniaque ad nos scribis clari-
us intelliges. Quapropter te hortamur ut ea quse ipse Petrus tibi nostro
nomine referet cordi suscipias. Faciès enim in illo nobis rem gratam
et tibi proficuam.
Datum in oppido nostro imperiali Uberling die XXVIII aprilis
A. D. 1499. R. N. Rom. XlV.mo.
10
L'ambassadeur Agostino Somensa & Ludovic Sfonsa *
(du 29 avrU au 8 mai 1499)
(UeberUngen, 29 avril 1499)
Illustrissimo et excellentissimo signer mio unico,
Per altre mie date a Marran, TE. V. bavera inteso come alla
gionta del cavallaro con la commissione andasse avanti, che fu a
Brixino, a li 18 del présente, ad bore circa 22, montai la matina
seguente a cavallo andando verso Isprucb. Hora l'aviso cbe ali 20
gionse ad [sprucb la matina dove face recapito a M. Gualtero, al
quale, fatto intendere la causa de mia venuta, subito mise insieme
qaelli magnifici regenti, aliquali presentay le lettere e proposte quanto
TE. me dette in commissione et instructione, extendendomi alquanto
piu ultra cbe non baveva in commissione, in excusatione de quella
per le victualie et alimenti dati a Suiceri e Grisani, per essere in
* Milan, A. d. S., Potenze E stère. Germania, Original.
* Milan, A. d. S., Potenze Estere^ Germania. Toutes ces lettres sont
originales.
d5^ MAllLlMlUEN ET LUDOVIC âF0R2A
qaelli paesi grandissima mnrmaratioBe, et anche facendomene essi
BÎgnori alqaanto de qoerela. De che, inteso la natara de la cosa, e
qnanto poi era seguito, ne farno ben oontenti.
Quanto a li 2.000 fiorini ordinorno che li ezbursasse ad uno
sao secretario che venirebe al mio logiamento, e cossi venuto esso
secretario, li exhortai e ne hebe la confessione. Âcceptorno per bona
la causa de la mia tardita a Brixino, et anche el modo teneva Y. Ex.
in mandare epsi denari, facendo molti ringraciamenti et offerte
amplissime, con promesse de famé optima relatione alla Cesarea
Maestà, e che tenerebeno taie conto de qaesto servitio e peneÛQiOj
che a qaalche tempo se sforzarebeno renderli el contracambio', raco-
mandandosi molto a l'Ex.tia V.ra et in specie il p^<^ M. Gualtero,
quale demonstrô esserlî assai affectionato.
Facto questo effecto ad Ispruch, me ne vene de longo al mio camino,
ma prima mandai el cavallaro con le lettere me scrisse la S. V.
mandasse alla Cesarea M. ta et a M. Matheo Lang, quale gionse d'une
zomo e mezo avanti me.
' Zobia a le 2 hore pozo mezo zomo, gratia del signer Dio, gionse a
salvamento dalla Ces. M. ta, quale riscontrai apresso Filiborgo tre
leghe che veneva in qua. Quamprimum me visse demonstrô havere
gran piacere del mio ritomo, e M. Lang, alla presentia de S. Mtà
me disse che de meza hora avanti haveva a lungo parlato de mia
venuta, tenendo per indubitato che omnino dovesse giongere quelle
zomo ; dove io, fatta la débita reverentia, cossi cavalcando feci la
débita racomandatione de V. Ex., seconde mhaveva commisse.
Sua Maestà subito molto alegramente domandô del ben stare de quella
et inteso essere in bona convaliscentîa, disse haverne grande contente,
e che non bisognava extendersi troppo a longo in essa raccomendatiene
perche S. M. teneva per certe che l'E. V. l'amasse de bon core et
anche S. M. era per fare ogni effecto per farli conoscere che lamava
e teneva bon conto de lei.
' Àpresso notificai a S. M. del pagamento fatto de li 13 milia
ducati avanti Pascha et la causa perche non era pagato el reste,
seconde me fu date per instructione. S. M. me fece replicare due fiate
questa partîta, dicendo al fine che hora se ricordava dove era proce-
duto questo ; imponendomi dicesse a Langh ge le ricordasse, perche de
novo scriveria sopra dicta materia, ma dimonstrô restare ben satis-
facta da TEx.tia V.ra.
* Une copie t exemplum litterarum Aug»* SomerUU » de cette lettre
existe à Varchivio de Milan ; elle commence ici et comprend tout ce
paragraphe.
* Ge paragraphe et les suivants manquent dans la copie.
MAXIMILIBN Et LDDOVIC SPOHZA S5d
Qli sabgianse qaello che TE. Y., in absentia de S. M., per deffen-
sione del stato soo, havera offerto fare a quelli soi regenti de Ispruch,
e corne io per prineipio del effeeto gli haveva portato doi milHa fio-
rini de Reno. facendoli intendere la causa perche non mandava tutta
la samma insieme et Tordine se haveva a tenere del resto. Del che
S. M. ta nefece molto honorevole ringratiamento con moite amorevole
parole, restando contenta del ordine preso.
Io non possete, cossi ordinatamente corne era conveniente, explicare
qaanto se contene ne le mie instructione, per el cavalcare e per essere
ogni poco spacio la Saa M. ta impedita de capitani, soldati et altre
gente che li sopragiongeno ; e poi al logiamento era più impedito
assai che fora, ma me parse più expediente per brevita di tempo
movere e narrare de quelle parte che me sono parse più importante e
necessarie.
Io expose a la predicta Maesta el desiderio che haveva TE. Y. de
intrare in qnesta inclita liga de Saevia, extendendomi in questa expo-
sitione, secundo quella me dete per instructione ; salvo chel me parsi
de retenere qnella parte dove 1* E. Y. de se offere, etiam in tempo de
pace, de contribuire de qualche somma de dinari, per bon respecte,
come intenderane Faltre mie lettere. Dove la p. ta Maesta, demonstrô
haveme grandissime piacere ; stete alqnantosenza respondere alcuna
cosa, poi disse faria pensiere sopracio, e me responderia el suo
parère ; ma demonstrô esserli stato molto grato.
Apresso fece intendere a S. M. la liga e capitali fatti fra el Re de
Franza • Suiceri, e che poteva pensareche questa lega era fatta, ultra
el disturbo e damno de S.Mta, a damno e diffactione de V. Ex. ^ Ma
che la sperava dovesse deffendersi e vendicarsi délie présente epassate
injurie, e che l'E. Y. per la sua specialita haveva posto ogni spe-
ranzae riposoin S. M., sperando che la Io dovesse aiutare e deffen-
dere dal p*^ Re de Franza, da Suiceri e da ogni altro li volesse nocire
e fare damno,come suo bono e fidèle servitore e membre del imperio ; e
che medesimamente facendo pace, tregua o apunctuamento con
alcuno dessi, dovesse includerlo e nominarlo in esse come principe
del p^ imperio e servitore suo; talmente e con tali capituli chel havesse
a stare securo.La predicta Maesta me disse cheomninoIasera,quando
fosse al logiamento, li monstrasse dicti capituli et avisi de Franza e Sui-
ceri ; poi respose che la saperia benissimo al che fine el Re di Franza
faceva queste prattche e dissegni, quali erano tutti a fine per venire
al suo desiderio de diffare l*Ex. Y. et insignorirsi de quelle stato,
^ Copié depuis Apresso fece intendere jusqu'à diffèctione di K E, La
copie Fecon^mence plus loin à La predicta Maesta me disse jusqu'à per-
sona e quanto ha al mondo,
23
S5 4 MAXmiLIEN ET LUDOVIC SP0R2A
ma che la stesse de bon animo, perche la non li mancharia cou la
persona tiitte le forze sue e del sacro imperio per aiutarla non
mancho quanto al stato suo proprîo ; certificandola che la non era
per fare pace, tregua ne apunctamento senza la salveza sua, e
che, corne la poteva sapere, già hâve va poseuto havere pace con
Franza, con la restitutiou de le terre sue, ma non Iha volutaaccep-
tare ne Tacceptara, senza la salvatione de quella, per laquale voleva
mettere la persona e quanto ha al mondo.
Alla predicta Maesta è stata molto grata la provisione fatta per
TE. V. che Suiceri non habino victualie ne siano alimentât! dal
Dominio suo, ne potria havere facto cosa più grata a tutti li signori
e populo di questi paesi, perche dicono el retenir le victualie fara la
Signoria V. fara una grandissima guerra, ma la predicta Maestà m'ha
dicto apressocheper cosa alcuna la non voglia deviare da dicte provi-
sione,anzi perseverare e far fare bona guardia, adcio non li vadi alcuna
sorte de victualie dal suo dominio. Ë similmente M. Langh m'ha
replicato in nome de la predicta Maestà e factomi grandissima instancia
che avisa y. E. non voglia per alcuna cosa mutarsi de questo proposito,
perche, quando la Sua Maestà e questi signori e populi intendessino
altramente, li ne seguira grandissima indignatione che saria causa
de rompere Taltri dissegni ^ Similmente ho significato alla predicta
Maestà quanto la E. Y. m*ha scripto delà richestafa el Re de Franza
a Veneciani de li cento milia ducati Sua Maestà non po quasi credere
che siano stati de tanta legereza che habino facto tal promessa, e
se pur rhano facta, ô in openione non la observarano ; e che, quanto
alla specialita depsi, ne parlara al longo cum M. Marchesino.
s De scrivere al signor duca de Savoia lettere de quella medesma
sententia escrittoper S.M.tà a V.Ex.tia, conlaadditionechenonaccepti
in suo paese darli passe ne victualie a gente franzese, S. M.tà m'ha
resposto havere ordinato de mandarli ambasciatori per questo e per
altre occorentie. M. Langh mha dicto esserli deputato M. Petro da
Triest e M. Ludovico Bruno, aliquali le instructione sono fatte e se
mandarano subito, adcio vadino presto a dicta legatione ; et in esse ins-
tructione [se fatta la giunta de questo altro capitule] chel non accepti
gente franzese ne gli daghi passe ne victualie, ne facia alcuna cosa a
damno [de Y. E], e cossi credo se mandara in brève a M. Petro dicta
1 Ce paragraphe est copié, mais après non la observarano il y a une
légère variante. La copie porte: e quando pur lo facino li sara reme-
dio al tutto,
• La copie a remplacé ici le texte de la lettre par un résumé qui en
donne assez fidèlement le sens, avec quelques variantes sans impor-
tance.
MAXIMILIKN ET LUDOVIC SF0R2A 3o5
instructione eM. Ludovico se partira. lo nonmancharo de sollicitare
l'effecto.
^ Sîmilmente al signor marchese de Monferrato e signor Constantino
s*è Bcripto per dicte victualie avanti che venesse ; ma ho parlato alla
predicta Maestà per farli replicare, cob la gionta chel non accepti ue
dagbi passe ne victualie a Franzesi ne fazi alcuna cosa a damno de
V. Ë. ; e cossi solicitaro a farla fare, e domane spero expedira une
de l'altri cavallari sono qua, per respondere e supplire a quelle parte
che hora non posso per non haver possuto expedirla con la p. ta M.tà
per brevita de tempo.
La predicta M.tà hahavuto gran contente e grandissimo piacere del
bon successo de le cose de Pisa, et maxime essendo con honore de
TE. V.
De le lettere de la Cesarea Maestà me commisse Y. E. voler havere,
quando se dilongasse la pratica de la lega per monstrare a li magnifici
oratori e soi zentilhomeni, M. Langh m*ha dicto haverglile mandate
in quella forma che quella gli ha rechesto. Pur non restaro de farle
replicare per Taltra cavalcata.
Sabato a li 27 ad hore 21, gionse qua el cavallaro de Y. Ex. con le
lettere sue de 20 ad hore 5 de nocte. Dove visto et inteso el tutto,
subito andai a M. Langh, alquale dette le lettere a lui directive, ma
fin hora non ô stato possibile parlare alla Cesarea Maestà per li gran-
dissimi impedimenti ha de questa guerra per esser coadunato qua el
duca Alberto de Baviera, capitano générale de Timperio, molti sui
capitanei, gente de guerra, e quasi tutti li agenti per li participanti de
questa inclita liga de Suevia, ma ho parlato al p.to M. Matheo, quale
dice havere refferto alla predicta Maestà.
Ej quanto alla excusatione fa deli 25 milia ducati e de li 4.000 non
pag^ati a Nicole Gravier, S. Maestà ne resta ben contenta e satisfacta,
attento che M. Petro gli ha scritto essere pagata tutta la summa a
quello factore de Yolf. Per una altra mia, per la prima cavalcata, li
signifîcaro le cause perche li fu scritta quella lettera de che la ... ^
che fu per deffecto depso factore.
El p.to M. Langh me dice che, avanti el zonzer mio qua, era stato
scritto al signor marchese de Monferrato a sùfficientia, per la difierentia
de Exeria et Carizano con el marchese del Finale, et essere drizate le
lettere in mane del pto M. Petro. Ma io me sforzaro farla replicare in
bona forma e commettere a questi R.di oratori che vano in Savoia
1 Les paragraphes suivants jusqu'à Heri matina la Cesarea Maestà
manquent dans la copie.
« Un mot illisible.
356 MAXIMIUEN ET LUOOVtC SF0R2A
che nel trtmnto Tadino dal predicto ngnore marchase e signore Con-
stantino, et a bocha significano la Yolonta de la predieta Maestà tanto
viyameDte qnanto la Bx.tia Y.tra deadera.
^ Heri matina la Cesarea Maestà, însiemecoldaca de Bavera, capi-
tano générale del imperio, e eum gran namero de sîgnori e populo,
andonio alla Ecclesia Mazore, qna dove fft cantata la measa aolenne ;
apresso laqaale cam grandissima eerimonia fo spiegato e drizato lo
stendardo impériale de l'aquila ; col qaaleritomomo acasacosi spiegato
aTanti : cosache ad ogniano fece commoYere et accadere li ammi, per
essere questo spîegare e drixare de stendardo de tanta grande impor-
tantîa, che ogninno sia sottoposto a llmperio, senza alcnna excnsatîone,
debiaper la sua portione andare o mandare alla guerra o segnîre dicto
stendardo, fosse contra el padre, figliolo o fratello ; como credo la
Ex.tia V.ra ne debia essere meglio infonnata che me, avisandola che
hora é la prima fia ta che la Cesarea Maestà [lliab]ia spiegato.
La venu ta delà predieta Maestà de qaae lo apiegare de questo sten-
dardo ha tanto acceso el core de tati qaestî sîgnori epopnli che ogniano
è inclinato andare a qaesta gaerra, e li pare Tera gloria andare a
mettere la vita per diffesa desao. Ne credo che la predieta Maestà
mai per alcano tempo fosse tanto teneramente amata e havuta in
grandissima riverentia da tutti questi signori e popali,piccolie grandi,
de qua, quanto e hora, e sel piacera al nostro Signore Dioe sua Gloriosa
Matrede donare alla Sua Maestà rictoria in qaesta impreaacomospero,
TEx.tia V.ra vedera tanta exaltatione in essa dal canto de qua che
sara obedito e reverito como Dio in terra. E spero chel fumo de qaesta
exaltatione passara anche per de la ultra li montî, ad perpétua gloria
e contento de FEx. Y., de li ill.mi signori soi figlioli, et inclito stàto
suo, perche, per quanto io conosco, credo S. M. non havere persona al
mondo, excludendo lo ill.mo signore archiduca chel habii più a core
ne ami più cordialmente quanto fa TEx.tia V.ra, como spero vedere
cum yeri e boni effecti.
El processo di questa guerra si è stato fin qui fredo e lento, perche
ogniuno ha atteso mandare la sua portione de gente aile confine qua,
aspectando la venuta de la predieta Maestà, et coside giorno in giorno
arivano le gente, alogiando per questi castelli et terre qua vicine ; che
fin hora non se puo vedere el numéro, ma dove io sono passato, per
qua lontano 40 miglia italiani, è tuto pieno de gentedarme e fantarie,
tanto ben in ordine che è una bella cosa a vederli. E la Sua Maestà
me ha dicto che la mette hora in campo qua circa 30 mîlia persone da
< Tout ce qui suit est dans la copie jusqu'à la phrase che si puo andare
fino Zurich.
MAXIMILIEN ET LUDOVIC SFORZA 357
fati ben in ordine, ultra che gli sono dui altri campi, cioe nno verso
Ferreto, e Taltro verso Valle Agnelina. Se spera che fra tre o quattro
giorni le gente se aviarano verso li inimici.
Gli erano alcuni signori e terre franche che non volevano condes-
cendere a questa guerra per alcune loro coUigatione o specialita, quali
erano el signor conte Palatine, le terre de Basilea et Argentina cum
alcuni altri, ma hora, al drizare de questo stendardo, ogniuno ha con-
sentito e manda la portione sua alla guerra.
Gredo sel Re di Franza ha facto promesse assai a Suiceri per le-
varli da PEx.tia V. ,conanimodefare tractare la pace de queste guerre,
el pensero li venera falito, perche de qua hora non gli è uno pensero
al monde ansi chi ne parlasse faria grandissima injuria ; ma ogniuno è
inclinato seguire Timpresa alla galiarda, ne credo fosse longo tempo
fù la più volunterosa et inanimata guerra de questa, ne se puo sperare
altro che felice Victoria de la Maestà Cesarea.
Suiceri, per qoanto se puo intendere, sono più grossi de qua che
in altra parte, perche temeno più da questo canto per essere el suo
paese piano talmente ^ che si puo andare fino a Zurich senza troppo
impedimento B hano in questo suo campo de qua circa 8,000 persone
da fanti, ma non hano cavalli, e la Cesarea Maestà li havera circa
30,000 persone da fanti, homini d*arme e halistari assai ben a cavallo,
schopeteri e fanti ben in ordine, e tuta bona gente ; e li cavalli, ba-
listeri» schopeteri, sono quelli che fano stare Suyceri al signe.
Heriy dopo el disnare, vene a me uno canzelere de la Maestà del
Re de Napoli e monstromi una instructione de TEx. Y. lo procurai
subito de farli havere audientia, ma non fu possibile heri per li longi
consilii e grandissima occupatione de la Maestà, ma è data speranza
de farlo expedire in questa matina, et io non li mancharo in cosa al-
cuna.
Se io non respondo particularmente a V.E. a tutte le commissione,
instructione e lettere me ha date e scripte, pregola a perdonarmi et
havermi per excusato, non perche sia deffecto ne imo negligentia, ma
la Ces. Maestà è tanto occupa ta in questi processi de guerra che non
ha tempo da manzare, e con grandissima difflculta li posso parlare,
non che la S. M. non sia ben disposta, ma per essere troppo occupata.
Pur me sforzaro et usaro ogni dilligentia per supplire al tutto.
De novo non ce altro per hora. Alla E. V. humilmente me raco-
mando, e simelmente pregola habi racomandato Paulo mio f râtelle.
Ex Uberlingh, 29 aprilis 1499.
Augustinus Somentius ^*
i La copie s'arrête à ce mot, à la fin de la quatrième page. Il est pro
bable que la fin de la copie est perdue.
' Cette lettre fut jugée si importante par la chancellerie milanaise,
358 MÂXIHILIEN ET LUDOVIC SFORZA
(Ueberlîngh, 20 aTril).
111™» et ex"« signor mio nnico,
Doppo Bcritte Talti'e mie, havendo io fatte hayere andientia al can-
zelere de la M. ta del Re de Napoli dopo la messa, me parse havere el
tempo de parlare, et cussi me acnstai alla M. ta Oesarea, facendoli
intendere distinctamente quanto TE. V. me sciive per Tultime sue
de 20 del présente.
Primo fece Texcusatione de V. E. per la summa de li 25 milia dacati,
narrandoli come è passato el tato, e quanto è seguito per la venuta de
Nicolo Granier, e conclusive quanto ha fatto per el compito paga-
mento dessi, secondo chessa me scrive. De che S. M.tÀ ô restata optime
contenta e ben satisfacta, ne circa questa particnlarita me extendero
più volte per brevita de tempo, ma per Taltre prime avisaro chi è stato
causa de far scrivere le lettere de le quale quella se dole.
De la riposta data per TEx.tia V. al messo de Mgr de Vergi, SuaM.tà
n'è restata contenta. Io la pregai a far scrivere al predicto Monsignore
come y. E. baveva satisfacto a S. M., adcio non li desse più fastidio
per questo. Respose esser contenta imponendomi a farglilo recordare
de M. Langh, perche li commettera la lettera.
Del pagamento de li 500 ducati ha fatto a quelli de Svitz et
Underval, per mezo de lettere de quelli de Berna, similiter S. M. ta è
restata contenta che la S. V. habi usato quello termine per compia-
cere a Bernesi ; parendoli chel sii ben facto ad intertenirli per amici per
molti rispecti, et credo quando le cosse de qua vadino nvanti a damno
de Suyceri che S. Mtà bavera gran respecto a Bernesi, per amor sao.
A quello de la Liga Grisa, che TË. V. non habi voluto concedere la
licentia de condure sale e victualie S. M. dice piacerli molto, et anche
mha commisse scriva caldamente alla E. V. che la facia usare ogni
dilligentia adcio che dal damno suo non habino victualie ne subsidio
alcuno, et che quella non habi respecto ne timoré dessi Grisani perché
questa guerra non ô per mancare che siano al tutto abassati e des-
tructi o che facino acordo ; che seguendo la destructione non li biso-
qu'elle en fit expédier des copies à ses agents à Tétranger. Cest ce qu'in-
dique la note : Fiant exempla Ro +,Flo +,Monferr -|-, Genua +, Hisp.
+, Sen +, M" Orf +, Thr.io Sab. +, Luce +. Les croix qui accom-
pagnent ces noms, disposés en colonne dans l'original, indiquent que
ces copies ont été faites et envoyées. Ces noms s'expliquent d'eux-mêmes.
Orf. est Orfeo Orfei, agent ducal à Forli ; « Thr.io > le trésorier de
Savoie, Sébastien Ferrier, qui fut un des fauteurs de l'alliance milanaise
à la Cour de Turin, avant de devenir trésorier général des finances de
Louis XIL
MAXIMILIEN ET LUDOVIC SFORZA 359
gna fare altro pensiere de loro, seguendo anche acordo che l'Ex. V.
sia secura chel non se fara senza secureza de le cose sue, taie che la
sera preservata corne Taltri de qaesta lega.
De li capitanei de la p. ta Mtà Cesarea, che hano mandato M. Gabriele
da l'E. V., dice che Phano fatto per beneficio de l'impresa, non inten-
dendo più ultra, ma che essendo mo certificati de li boni effecti e pro-
visione fatte per l'E. V., non li sera più ditto altro, e che S. M.tà,benche
quella habia dato victualie perel passato apredicti Suiceri,perquesto
non ha preso umbra alcuna, perche sa bene quelle ad che era obligata,
e quelle U bisognava fare per la vicinità dessi e per la loro mala
natura.
De la parte sciivePE. V., chel signer Constantino facia veniregente
de Franzaper fare guerra al marchese del Finale per quelle due terre e
de la resposta ha dato lapta M. ta, dice essere assai informata del animo
desso s, Constantino verso Franza, et haverli scritto ad plénum, e
diizato la lettere a M. Petro, corne quella intendera da esso, ma
havendoli io mossoel partito de fare che li R.di oratori vanoin Savoya,
vadino anchora in Monferrato per questo, e per admonere esso
signore Constantino che non présuma dare logiamento, passe ne alcune
subsidio a gente Franzese de alcuna sorte, S. M. è restata contenta
de farlo e commisse sia agiente questa altra commissione ne la
instnictione dessi oratori, quale se mandera per la prima cavalcata che
hora non se possuta expedire per le infinité facende hano questi canze-
leri e secretarii.
* Apresso havendo io visto quanto la E. V. ha dato per instruc-
tione al canzelaro de la Maestà del Re de Napoli, e maxime circa
la praticade Venetiani, io disse alla pta Maestà che, attente essi, senza
alcuno respecto, havevano facto questa confederatione cum Franza,
tutto in prejudicio de S. Maestà e sacro imperio, e presumito volersi
insignorire de parte del stato de V. S.ria che era pur membre del sacro
Imperio, a me pareva che la S. Mtà, a nome del predicto, per oratore o
per altro, mandasse a fare intendere a predicti Venitiani che haveva
inteso de queste sue pratiche facte in Franza, e che sel [)oteva cogno-
scere ne trovare che essi facessino alcuno eâecto ne cosa alcuna fosse
in prejudicio a V. Ex., principe e membre de rimperio,in favore del Re
de Franza, chel p*<» imperio cum le forze sue li faria recognoscere de
soi errori e protestarli de la guerra. La sua Maestà me rispose, dicendo
che non solum sono stati presumptuosi de fare questo contra V. E.,
ma che ancora S. M. ha trovato che hano dato dinari al duca Zorzo,
che fo figliolo del Re Mathia, per farlo movere guerra contra S.
J Ce qui suit est chiflré avec déchiffrement de Tépoque.
360 MAYIHILIKN ET LUDOVIC «PORZA
Maestà, et cha dete prineipio de euecâtaie aleane parte e movere
alcane differentie per deU. Similmente ha inteso cbe hano dato
sueeono de dînari a Gmani, e che sopra queato li faria penaiero e
poi me parlaiîa, e diria qaello era a îaie. lo non mancaro de aollici-
tare de fiarli fare qaalehe <^porttina proviaione ; ael piace a Dio cbe
la predicta Maestà habii vietoria contra qœati Saiceri, spero che
S. M. fiara taie provisione elie la E. V. sara aaaiearata da ogni
canto.
1 El canzelere de la Maestà del Re di Napoli, per commiaaione de la
Cesarea Maeatà, parte subito e va a Filiborgo, dovese trova M. Fran-
cisco de Montibos e Taltri oratori, e mha solamente detto havere havoto
bona resposta dalla predicta Maestà circa el particnlare del aignor Re
suo, et anche havere bene exeguito quanto queUa gli ha dato per
instmetione, alla qaale mha pregato lo raccommandi.
' De la commissione me dete TEx.tia V. de fare opéra presso la pre-
dicta Maestà che la facesse intrare in questa inclita liga de Saevia, Taviso
chel ô ben piaciato a S. M.« e me ha facto fare una informatione, non a
nome de V. E. ne de alcana altra persona, ma como amico secreto
de essa liga, narrando in epsa quanto proficuo e ben facto saria alla
predicta llgaad incladerli la E. V. Qaale informatione ho data a S. M.,
perche vole vedere de fare opéra che i'E. V. sia ricercata per la
Liga per mazore sao honore e secureza, e cossi ancora hogi mha
facto dire per M. Langh che lassi fare a S. M. qaesta pratica» cbe
spera condurla talmente che TE. Y. sara ben contenta.
' Hozi, circa le 1 1 hore è partito qaello cavalaro va incontra a
M. Marchesino, e la predicta Maestà, heri sera, andando a lecto, muté
el pensiere de farlo venire qaa, ma lo fa andare ad Ulma, dovô stara
melio assai et bavera melior camino, e cossi se gliè scripto demorera
ad Ulma finche la predicta Maestà li scrivera dove dovera venire aley,
che sara in bono loco e securo et anche sabito lo expedira perche Sua
Maestà è informata che TEx. Y. ne ha grandissime bisogno.
De novo altro non accade, salvo che tntta hora gionge gente qua, et
in li loci circonstanti, e se spera che fra tri zomi se andara verso li
nimici) quali, per quanto se intende, sono posti alla campagna per
aspetare de fare bataglia per esser quasi come desperati.
La E. Y. non poteria fare cosa più grata alla Gesarea Maestà ne
aquistare majore credito e benivolentia da tutti questi signori e popali,
come dare qualche avviso de le occorrentie de Franza, de Suiceri e de
1 Paragraphe non chiffré.
* Paragraphe en chifire.
* Paragraphe non chifiré.
MAXIMILIEN ET LUDOVIC SFOBZ\ 361
altre particularità che tendano e tochano a questa guerra ; e quelli
capituli, reportiy e avisi che ho portato, la predicta Maestà me li ha
facti mettere in latino, poi li ha fatti mettere in alemano, e li ha fatti
vedere a tutti questi Si^nori e participant! de la lega; e anche credo
ne habia mandate copie a li Stguori ellectori, remettendomi pero al
parère de TE. Y. .Alla qaale humelmente sempre me racomando.
Ex Uberlingh, ultima aprilis 1499.
Ill.me et Ez.me Dominationis Vestre servulus
Aug. SOMBNTIUS.
(Ueberling, 1" mai.)
lU.mo et ex.mo signor mio unico,
Se io non ho possuto cossi ordinariamente respondere a quanto
TEx. V. me commisse, dette per instructione e poi scritto, como era
débite mio e desiderio suo,prege]aadhavermi per excusato, facendoli
intendere non essere mio deffecto, ma procedere per essere la Gesarea
Maestà tante occupata e continue circondata da questi signori e gente
de guerra, che me bisogna, con gran fatica, a pezo a pezo exponerli
quanto ho in commissione e se non fosse la grandissima dilligentia usa
M. Mattee Langh in tutte le occorrentie e spécial ita di V E., io non
haveria possuto respondere alla terciaparte, corne son cerCo che quella
debia considerare, et maxime essendo hora el tempo che besogna
asceltare soldati, et con qaalchi segni exteriori farli bona démons-
tratiene, non resta pero che la bona dispositione de la predicta Maestà
verse TE. V. non li sia integramente.
Alla parte me scrisse TE. V., de quelle haveva predicte el magnifiée
maestro Ambresie de Roxato in le cese de Pisa et in moite altre occo-
rentie sue, e de quelle poi cencludeva de la gloriosa Victoria haveria
a conseguire la Maestà Gesarea centra li Suiceri e maxime fin ali 22
del présente, io le netificai alla pta Maestà con le parole che la me
scrive; laquale ne rise et hebe grandissime piacere intenderlo,
demonstrande ben non dare troppo fede ad astrenemi ; pur ho inteso
da alcuni che la sua Maestà, a tavela più fiate et altramente, a molti
de questi signori e zentilhemeni, ha dicte con grandissima alegreza
l'Ex.tia V. haverli date aviso chel sue astronome ha dicte che S. M.
sara victoriosa in questa impresa, talmente che ho conosciute la S. M.
haverne havuto piacere; e cossi nel advenire quande TE. V. ne scriva
qualche cesa de simile natura, credo li sara piacere e grate.
Similmente, de li capituli fatti tra el re de Franza e Suiceri, et altri
avisi e raporti, come per altre mie ho scritto, la pta Maestà ne velse
havere copia, e credo le habia cemmunicati een tutti questi Sig.ri nel
soo eensilie, e ultra ne habia mandate copia a li Signori ellectori et
362 MAXIMILIEN ET LUDOVIC SFORZÀ
altri de questa inclita liga ; certificando TEx. V. che non solum ha
fatto cosa grata a S. M., ma etiam a tutti gli altri signori dequa;
laquale mhe ditto voglia avisare e pregare quella a usare dilligentia
per havere continue aviso e maxime délie occorentie dessi Suiceri e
de Franza, drizandoli poi subito qua : che li fara singolar piacere, e
cossi la prego ha fare, perche, ultra gratificara la ptà Maestà, acquis-
tara ancora gran benivolentia da tutti questi signori e populi.
Ho significato alla predicta Maestà quello è successo del. ill.mo
Gasparo da Sancto Séverine ; deche essa ne hebe dispiacere, e me la
fece replicare per due fiate, Tuna separata de Taltra; interrogandome
se TE. Y. era ben certa de quella imputatione li dava, et a di che modo
haveva ritrovato questa fraude, e quello chel pto M. Gasparo era per
fare ? lo li rispose che non sapeva ad che modo ne per quale via TE. V.
haveva inteso taie cosa ; che me rendeva ben certo che quella non li
haveria dato taie imputatione, se la non fusse stata ben certa, ne
sapeva quello chel per M. Gasparo fosse per fare. Me domandô ancora
se io sapeva chel illmo M. Antonio Maria fosse aconzo al solde de
Venetiani ? Io li respose che da Y. Ex. non sapeva cosa alcuna, ma
che nel transite mio a venire in qua, haveva inteso che era a Gitadella,
et era per aconzarsi con predicti Yenetiani.
De quello canzelere delpredicto M. Gasparo, del quale mio fratello
scrisse essere gionto in Anversa et havere havuto audientia dalla Ces.
Mtà, corne TE. Y. me scrive, aviso quella chel gionse in Anversa fin
quello proprio zorno chio me partite per venire li aquella ; et era stato
prima per molti zorni dalla Maestà délia regina, e pero credo che de
questo caso non havesse noticia ne comission alcuna. El predicto can-
zelere si è une de Yoltolina quale se appella El Commissarioto presso
la p.ta M. ta de la Regina. Se altro intendero arcano, exeguiro quanto
quella me scrive.
Ho notificato alla predicta Maestà quanto TE. Y. me scrive de la
guerra intende movere M. Jo. Jacomo de Trivultio ad instantia de
Astesani nel officio de Sanzorzo de Zenua, e la provisione che quella
ha fatto adciô non vadi avanti. S. M. ha risposto questi essere tutti
incitamenti del Re de Franza per venire a soi dissegni de turbare Italia,
e maxime TE. Y. nel stato suo.
Io ho soUicitato che quelle lettere scrisse TF). Y. alla Cesarea Maestà
in resposta d'altre sue, circa la provisione fatta per non lassare andare
victualie ne altro soccorso delsuo dominio a Suiceri, fosseno mandate
a li signori ellectori; per il respecte che lame scrisse, M. Langhnon
ha mandate esse lettere, ma ha scritto in nome de la predicta Maestà
a li predicti signori ellectori in optima forma, e drizatola al R™''
M. Archiepîscopo Maguntinensi.
MAXIMILIEN ET LUDOVIC SFORZA 363
A li ill.mi signor duca de Savoy a, signor marchese de Monferrato
e signor Constantino, se li manda per oratori el R. M. Petro Bonomo
e M. Ludovico Bruno, aliquali, saltem a M. Petro, se manda hora
per questo cavallaro le instructione, lettere e quanto bisogna per
and are a dicta legatione ; e per quanto a me è fatto intendere, in
esse instructione e lettere, se contene non solum de le prohibi-
tione de victualie a Suyceri, ma ancora che non daghino passe, vic-
tualie ne soccorso alcuno a gente de Franza che volessino passare in
Italia, corne son certo che TBx. V. intendera ad plénum dal predicto
M. Petro. De M. Ludovico non so dire altro, ma m'è fatto intendere
chel sara li in brève.
Âd Mgr de Vergi ho operato che la pta Maestà ha fatto scrivere
chel non mandi più a domandare denari a Y. E., significandoli S. M.
essere del tutto satisfacta, e cossi credo non li mandara più.
La causa che mosse la Cesarea Mtà a scrivere a TE. V. quelle
lettere de lequale ne ha havuto dispiacere per la summa de li
25 milia ducati, fu perche el correro vene li, avanti la mia venuta, con
le lettere che dicta summa se dovesse dare al factore de Wolf, haveva
commissioue non partirsi de li, ânche non fosse fatto lo intègre
pagamento, e TE. V. fece chel predicto factore avanti Pascha scrisse
alla predicta Maesta havere ricevuto 13 milia ducati, et similiter io
scrisse et che de! reste, venuta la commissione de Sua M aestà ad chi se
havessino a dare, subito V. E. li exborsariae con questo fu expedito esso
correro, ma dicto factore duplicô le lettere alla p.ta M. ta, che per una
altra lettera li scrisse, pur per el medesimo correro, che non haveva
havuto denaro alcuno, ma che TE. V. Thavevaastrecto a scrivere chel
haveva recevuto dicti 13 milia ducati, ultra che dopo adaltri otto zorni
ne scrisse un altra, che fin a quelle zorno non haveva havuto alcuno
denaro da V.Ex.tia, e per questo la p.ta M. ta se sdegnô molto e fece
scrivere quelle lettere de quelle tenore ha visto, e questo me Iha
refferto M. Matheo Langh, ma poi quando la S. Mtà ha visto Teffecto
del contrario, e che M. Petro gli ha scritto essere pagata tutta la
summa, è restata ben contenta e satisfacta : ne sopracio me pare li sia
da fare altra excusatione.
Alla predicta Maestà è stato ultramodum grato che TEx. V. in absen-
tra de S. M., in questo urgente bisogno, habiaservito a quelli soi regenti
de Isprnch de quella summa, e me commisse ne ringratiasse TEx. V.,
certificandola esserli stato più grata hora questa poca suoama che
un altra fiata de dua tanta; ultra che ha acquistato grandissima beni-
volentia presse essi magnifici regenti, quali a tempo ne farano testi-
monio.
A li zorni passati, cavalcando significai alla p.ta M.tà la singular
364 MAXIMILIEN ET LUDOYIC SFORZA
contenteza haveva havato TEx. Y. quaado intese qaella demonstratione
hâve va fatta la sua M. ta, quando in Fiandra vene la nova de la morte
soa; perche havendo TEx. Y. coUocato in esaa ogni fede e speranza
corne in suo unico signore, patrone e protectore a lei, a li signori soi
figlioli et al stato sno, e che haveva conosciuto per questa accidentia
non vera la S. Mtà havere qnello amore e bona dispositione verso lei
e cose sue corne la sperava e desiderava, che la non poteriahavere ha-
vato mazore contenteza al monde ne havere inteso cosa che Ihavesse
più satisfacta che questa; S. Mta rispose e disse: « Allora io non
disse cosa che non havesse facto con effecto e che de novo non Io
facesse, quando caso advenisse, che Dio non Io voglia, e tanto faria
per el signor duca, figlioli e stato suo quanto per el figliolo e stato mio. »
Con moite altre amorevole parole, quanto se TEx. Y. li fosse stata non
inferiore, ma fratello.
Le lettere del ill. signor conte figliolo de TEx. Y. io le présentai alla
pta Mtà e li refferite quanto sua S. M. ta me commisse a hocha, con le
humile raccomandationi ; de che S. M.tà ne prese grandissime piacere,
domandando come era ben condictionata : et io li respose quelle me
parse conveniente e débite ; alche S. M. ta ne restô ben satisfacta et
ordinô a M. Langh che li respondesse.
La p.ta M.tà haveva dicto voler scriver de sua mano a TEx. Y. in
risposta alla sua de mano» ma per le grande et infinité occupazioni non
ha potuto scrivere, ma ha differito fin alla venu ta del magnifico M. Mar-
chisino. Altro non occorre à F Ex. Y. Etc.
Ex Ueberlingh, prima maii 1499.
AU6. SoMBNTins.
(Ueberling, !•» mai)
Il|mo q( ex"**^ sig. mio onico,
A li zomi passa tî, el R. M. Petro de Triest me scrisse de li essere
molto caricato de spesa et havere havuto poca subventione dalla
Gesarea Maestà per esser maie fomita de denari per le présente
guerre, pregandomi che Io volesse racomandare con bon modo a TEx.
Y. adcio li porgesse qualche adiuto per potere supportare la spesa e
cossi, havendoloio sempre conosciuto molto affectionato a TE. Y., et
in le cose sue haverli usato gran dilligdntia como suo bon servitore,
m'è parso per questa mia preg^rla chel ge sia recommandato come
■ono certo che la fara ; perche so havere inteso de esso nel passato
essere stato ben gratificato.
Al magnifico M. Matheo Langh, io dete li 200 fiorini, come TE. V.
me commisse, quai, dopo molto excusatione, ne rendete infinité gratie
MAXMILIEN ET LUDOVIC SÏ-ORZÀ 565
a quella, con moite grandissime o£ferte, certiôcandola che ognî giorno
io lo trovo più caldo e soliicifco al beneficio e specialita de Y. E. ; e
credo che ancora lai gli ne scrivera e la ringratiara.
£1 conte de Fastembergh non è comparse qua con la p. ta Maestà,
e per qnanto ho inteso remase a Philiborgo ; qtM/mprimum me ritro-
varo dove sia, li presentaro la lettera de TE. Y., et exequiro quanto
quella mha commisse.
Similmente el thexorere de Bergogna ô rîmasto in Fiandra per
ritrare certa summa de dinar! se erano offerti pagare quelli paesi e
populî, seconde ho inteso per seguire la guerra de Geldre e se dice
non venire fin a molti zorni ; quai venuto exequiro quanto quella mha
commisso.
La Cesarea Maestà, come TE. Y. sa, manza volontiera el formaio
piasentino ; hora la Maestà sua n*ô in tutto vacua : m'è parso signi-
ficarlo a quella, adcio che quando la volesse mandarli qualche cosa
grata, gli mandi desso formagio ; che son certo de cose manzative non
li poteria hora mandare cosa più grata ; ma mandando, bisogna man-
dame una forma per M. Matheo Lang, et una altra per dividere ad
alcuni che fano de li servitii in questa corte a beneficio de quella
Lunedi penultimo del passato, vene qua une Antonio de Yicenza,
servi tore del ill. conte de la Mirandula, per fare confirmare li privi-
legii concessi al quondam signer Galeotto ; quai veue adcio gli près-
tasse favore e indrizo per essere expedito ; e perche non me porto lettera
alcuna de Y. Ex., sapendo io chel predicto quondam signer Galeotto
haveva havuto dicti privilegii et altri favori de la predicta Maestà per
intercessione di quella, me parse non intromettermi in cosa alcuna
in BUG favore ; anzi pratichai con M. Langh chel non li facia alcuna
expeditione fin alla vennta del magnifiée M. Marchesino, perche io
non intendo quelle importi dicta expeditione e quanto è grata a Y. E.
Ne credo havera quello ricercayse non tante quanto a quelle piacera.
Alla quale sempre humelmente me raccomando.
Ex Ueberlingh. prima maîi 1499.
Ueberling, 3 mai 14d9.
lU.mo et ex.mo sig. mio unico, havendo hogiparlato alla Cesarea.
Maestà, présente M. Matteo Langh, sopra moite particularità, S. Ma-
està me rispose como quella vedera qua apresso.
Primo sopra la particularità de scrivere e mandare uno araldo a
Yenetiani in quella forma che la Ex.tia Y.ra mi scrive, adcio che essi
vadino alquanto più retenuti contra TEx. Y., advertendo a Toffesa
fano alla prefata Maestà e sacre imperio , parlô in todesco a longo
366 MAl:iMlLÏEN ET LtïDOVÏC SP0R2A
col predicto messer Langh, quale poi me respose: che per non es-
aerli araldo, quale fosse sufficiente de exequire taie impresa cum quella
circumspectione bisognaria e reapondere secundo fosse necessario,
et anche per essere essi araldi per de la in poca estîmatione, li pareva
de lassare cosi questa cosa per hora, ne doverli fare altro, ma vedere
como se deportavano e come passaveno le cose ; che per hora non po-
teva vedere como el Re de Franza potesse fare quella impresa, per
molti respectif como intendera qua apresso : ma S. Maestà, ultra quello
gli è significato per li avis! e instructione de V. Ex.tia, se tene bon
forte offesa da essi, como credo lo tempo li demonstrara.
De fare scrivere al Re de Franza che voglia abstenersi de dare
soccorso ne favore a Suiceri contra S. Maestà e sacro imperio e pro-
testarli de la guerra, S. M. ha resposto che hora ad questa dietafara
scrivere secundo el bisogno a nome del imperio, ma che a suo nome
non li voleva fare scrivere.
De scrivere a M. Philiberto, in nome de S. Maestà, che seguésse
el stilo hano fatto li oratori de li catolici reali de Spagna e signor
Re de Portugallo verso la saotità del Papa, facendoli intendere de
quanta importantia sia a farlo con cellerita, finche poi li fusse man-
dato altri oratori a nome del sacro imperio, S. Maestà ha resposto
non volerlo fare per modo alcuno, percbe la Santita predicta, con
quanti ne sono a Roma tengono poco conto de S. Maestà, e disse,
ridendo d*uno molto strano sopranome che gli dano, che mandando
ley, mancho la extimariano ; ma che se la dieta, quale hora se ha-
veva a fare o qua o in loco circumstante, omnino voleva fare mandare
a nome del imperio al predicto pontefice, in quello megliore modo e
forma se potesse, e che la sua Maestà del predicto pontifice teneva
poco conto, e che lo conosceva esser tutto franzese et instabile, ma
che poteria venire tempo che da se stesso se reconosceria.
Alla parte che TEx. V. me scrive voglia ricercare la predicta
Maestà a fare provisione, che accadendo el Re de Franza lifacessela
guerra, che la potesse havere doy o treimillia (sic) homini de quelli de
S. Maestà pagandoli ; me ha resposto che, quando pur el Re de Franza
sia de questo animo volerli fare guerra per le condictione li occorreno
de présente, non potra esser tanto potente che TEx.tia V.ranonsia
bastante a responderli e deffenderai galiardamente, et maxime per
esser el predicto Re privo del aiuto de Suiceri et Alemani durando
questa guerra. Simelmente non potera havere soccorso da Bretoni,
quali ullo modo non li voleno dare alcuno soccorso, e questo essere
proceduto per alcune pratiche de Sua predicta Maestà, come a longo
m'ha fatto narrare da M. Langh. Poi, de quelle gente ha el predicto
Re de Franza, esser necessitato dividerla aimanco in trei parte : Fana
lassarla in Pichardia, per diffesa de quello paese a le confine del
MàXïMILIEN Et LUDOVIC SfÔR^À 367
sigaor arciduca, quale al tutto se risolto éssere disposto alla volunta
délia pta Cesarea Maestà, de pace, guerra o tregua, corne ad esso
piace ; Taltra darne in aiuto de Suiceri durante questa guerra, o
quando fusse finita lassarla alla frontere de Bergogna per non essere
el pto Re senza gran suspecte de la guerra già principiata l'anno pas-
sato; e cum Taltra poteria venire in Italia. Concludendo S.M. credere
fermamente che senza Suiceri o Alamani, el p.to Re non dobia fare
quella guerra de Italia, e se pur la fara, che senza altro aiuto TEx.
tia Y.ra sara assai sufficiente a deffendersi e, se pur bisognera, che
la sua M.tà con le forze sue e del sacro imperio la succorrera e non
li manchara quanto al stato suo proprio.
Ho fatto intendere alla p. ta M.tà seconde che TEx. V. me com-
misse che accadendo se facesse dieta, io haveva commîssione da quella
de proponere e dire, secondo me fosse comisso per la sua Maestà,
et maxime cirea el pagamento rechiesto per 11 sîgnori ellectori per le
privilegii de la confirmatione del stato, e per la provisione fatte de
non lassar andare victualie ne alcuno soccorso del suo dominio a
Suiceri. La sua Maestà mha resposto che, essendo el bisogno, me avi-
saria a fare intendere quanto havero a fare, e cossi exeguiro ; essa
dieta fu prorogata a essere fatta de qua, dove se trovava S.M. inco-
menzando al primo de mazo, mafinhora non sono gionti alcuni ellectori.
M. Langh dice che omnino venirano.
De novo non è altro, perche li campi finhora non se sono aproxi-
mati ; ne questi de la Cesarea Maestà li voleno andare avanti fin che
non sia gionto uno bono numéro a pede e a cavallo, in modo che con
avantaggio possino affrontare li Suiceri. Se fa ben qualche correria,
dove se ne amaza qualchuno, pero se trovano, et anche se brusa
qualche villa, ma non cosa de conto.
E venuta nova qua che nel campo deverso el paese de Inspruch,
essendo andati essi de la Cesarea Maestà a brusare e dare el guasto ad
alcune ville de Suiceri, che nel ritorno se scontrorno con essi Suiceri
e li remassino circa 1600 homini, tanto de Tuno quanto de Taltro.
Altro non occorre de novo. Alla Ex.tia Y.ra sempre humelmente me
racommando.
Ex Ueberlingh, 3 maii 1499.
Rauspurg, 8 mai
Illustrissimo et excellentissimo signer mio,
Benche io havessi scritto l'altre mie e fossi per mandare el caval-
laro, tum m'è bisognato aspectare che M. Langh habia facto la sua
expeditione. Quale ha tenuto fin heri,e credo l'habia mutata trei fi^te :
^6^ MAXtMÏLÏEN Et LtFDOViC SFOMâ
cioè la comniissione a M. Petro e M. Ludovico Bruno, per la loro
legatione in Savoja e Monferrato, e peropregoTEx.tia Vra.non voglia
fare concepto chel resti per mio deffecto a usare tanta tardita al gcri-
vere, e avisarla délie occorentie de qua. — .... — *
La Gesarea Maestà partite a li 4 de qaesto da Ueberlingh, andô a
Martof apresso dae leghe ; poi a li 5 adhore 24 partite, andô più d'ana
lega che persona non sapeva dove andaase, poi se voltô ad uno castello
se apellaTetingam; e moltialtri e io inseme andassimo a Puochomo,
dove erano andati li forreri e famigli. El sequente zomo, andai a
S. Maestà, ma non fu possibile poterli parlare, per le infinitie e varie
facende e concorrentie de signori e soldati. 61i feci parlare da
M. Langh,dal quai me fece respondere ritornasse a Puochorno, cheli
me manderia el zorno sequente la expeditioneper spazare elcavallaro,
senza laqnale non lo spazasse.
Me disse ancora me mandaria lettere directive al magnifico M. Mar-
chisino, quai dove va essere parti to da Ispruch, adcio non andasse a
Ulma,dove prima haveva ordinato,ma chel venesse in questa cita dove
avisasse S. M. e aspetasse, finche li facesse intendere quello haveria
a fare ; laquale è lontana de qua leghe nove e meza ; et ancora io venesse
qua incontra al predicto M. Marchisino, havuto dicta expeditione e
lettera. Heri dopo mezo zorno M. Langh me mandô che andasse al
pto M. Marchisino, quale, seconde il scrîvere suo, doveva giongere
hozi a disnare a Ulma, benche io non lo credo.
El p.to Langh me ha scritto de due specialita: Tuna, che la Gesarea
Maestà haveva dato ordine al ill. duca Alberto de Bavera che, quando
a FEx. V. bisognasse doy o tre milia soldati a soi servitii, li potasse
havere ; e cossi me scrive che ad ogni sua recbesta li potera havere ;
Taltra^de quelli trenta homini rechiesti per Tartegliarie, me scrive che
1» S. M. ha ditto che in questo tempo la non po servire TEx. Y. per non
haverli, ma col tempo procurara che quella ne sera provista.
De novo ho ricordato a M. Langh la pratica de la lega de Suevia,
quale mha resposto la predicta Maestà havere dato quella instructione
chio feci a li agenti per la predicta lega de che aspectava resposta
quale spera sara ad vota.
In questa sera è gioncto in questa terra lo ill. duca Alberto de
Bavera, capitano impériale, cum 250 eavali ; quai è stato molti zomi
ad Uberlinghe. Non sa dove vada, ma s^è dicto qua chel ritoma a casa
sua, che non credo ; alla partita mia de la corte, non ho inteso alcuna
eosa de questa sua partita. Che quando pure sia chel vadi a casa, non
sara troppo a proposito de Timpresa di questa guerra per esser tenuto
1 Je supprime quelques lignes sans intérêt.
MAXIMILIEN ET LUDOVIC SF0R2A 369
uno de li più savii signori de Alemagna, et essere capitano impé-
riale.
DeGeldria^M. Langbm'badictoche quelli quattro duchi sono restati
a rimpresa, cioè duca Alberto de Saxonia, ducaZorzo de Bavera, duca
de Juliers e duca de Cleves, facevano una dieta insieme cou alcuni inter-
veaevano a nome del duca de Geldre, e cbe predicti signori ducbi
havevano scrittocbe speravano redure la cosa a bon porto, a contenteza
e beneficio de la Cesarea Maestà, alias procederiano alla guerra, ne
laquale speravano bavere felice Victoria, e cbe non li era comparso
alcuno soccorso al predieto duca de alcuno canto.
Dietro a me a Brixino vene Cristoforo del Azale, cavallaro de TËx.tia
V.ra, laquale mandai inantia me, con lelettere directive alla Cesarea
Maestà, e M. Langb come quella me scrisse, ma dopo non Ibo mai
visto. Porto le lettere e rimasse a Pbiliborgo, ne mai più bo inteso de
lui, in modo non so se sia vivo o morto. Etc
Ex Rauspur